De toute évidence pour porter un jugement
personnel sur le mouvement de Pentecôte, il
faut se prononcer sur la question du baptême
dans le Saint-Esprit. Ce baptême constitue
en effet l'expérience initiale que nous
avons vue à l'origine historique de ce
Réveil. C'est lui également qui
constitue la clé de voûte de tout le
système doctrinal.
S'il s'effondre, tout le système Foursquare tombe avec lui. La
conversion
elle-même, la guérison divine, et le
retour du Seigneur sont vus à la
lumière de l'expérience du
Saint-Esprit. Ces doctrines subsisteraient, mais
avec un tout autre caractère, s'il fallait
rayer le baptême du Saint-Esprit.
Beaucoup de chrétiens font, disent-ils, des
réserves sur le Mouvement de
Pentecôte. Attitude sage, mais qui ne saurait
être définitive. Il est bon de
réserver un temps son jugement. Mais il
vient un moment où l'on est contraint par
une sorte de logique vivante, de rejeter en bloc
tout le Foursquare, ou bien de l'admettre
comme un vrai mouvement de Dieu malgré
toutes ses imperfections humaines. C'est ce qu'ont
bien vu les opposants qui dénoncent en lui
une vaste machination de Satan. Il faut donc aller
plus profond que les réserves que l'on fait,
lorsqu'on est surpris par telle ou telle
affirmation ou par telle ou telle pratique
inaccoutumée. Pour aller au coeur des
choses, il faut étudier le baptême
dans le Saint-Esprit.
La prédication de Jean-Baptiste, lequel,
ne l'oublions pas, est le dernier des
prophètes, distingue nettement deux
baptêmes : un baptême d'eau, qui
est le sien, c'est le baptême de repentance
pour la rémission des péchés,
et un baptême de feu qui sera donné
par Jésus lui-même.
(Mathieu
3: 11 ; Marc
1: 8 ; Luc
3: 16 ; Jean
1: 33).
On interprète quelquefois cette
distinction comme correspondant aux deux stades de
la régénération du
croyant : la repentance d'une part, et
d'autre part la nouvelle naissance produite par le
Saint-Esprit, bref la part de l'homme, puis la part
de Dieu. Cette interprétation est
démentie par la plupart des textes
concernant le baptême d'eau et la
conversion. Le mot repentance est
employé comme synonyme de nouvelle naissance
dans
(Actes
11 : 18) :
« Dieu a donc accordé la
repentance aux païens, afin qu'ils aient la
vie. » Du vivant de Jésus, il
nous est dit que les apôtres
prêchèrent la repentance, donc le
même message que Jean-Baptiste
(Marc
6: 12). Jean lui-même
annonçait le Christ et voyait en lui
l'agneau de Dieu qui ôte le
péché du monde.
(Jean
1 :29). Enfin aucun texte ne
nous dit que Jésus ait rebaptisé les
apôtres, qui pourtant n'avaient reçu
que le baptême de Jean. (Cf. au contraire Jean
4: 2, où l'on voit que
Jésus n'a pas baptisé).
Ces preuves sont absolument décisives :
le baptême de Jean et le baptême au nom
de Jésus (ou au nom de la trinité)
sont un seul et identique baptême, celui par
lequel on entre publiquement dans le corps visible
de l’Église de Jésus-Christ.
Sur ce point, nous suivons exactement
l'interprétation de Calvin dans le 4e livre
de l'Institution chrétienne. Un seul texte
paraît à première vue bien
difficile à expliquer ; c'est
(Actes
19: 1-6), où il
semblerait que l'apôtre Paul aurait
rebaptisé dans l'eau des personnes qui
avaient reçu le baptême de Jean.
Détail piquant, Calvin rejette
entièrement ce sens, qui est contraire
à celui de tous les autres textes du Nouveau
Testament, et il propose une explication qui
rejoint exactement les idées du mouvement de
Pentecôte :
« Que veulent donc dire,
écrit-il, ces paroles : Ils ont
été baptisés au nom de
Jésus ? Aucuns l'interprètent,
que seulement c'est-à-dire qu'ils furent par
saint Paul instruits de pure et bonne
doctrine : mais je l'aime mieux entendre plus
simplement, qu'il parle du Baptême du
Saint-Esprit : c'est-à-dire que les
grâces visibles du Saint-Esprit leur furent
données par l'imposition des
mains. » (Institution chrétienne,
L. IV, Ch. XV, 18).
De toutes manières, il est clair que le
baptême d'eau et le baptême de feu sont
deux choses différentes. Or la promesse de
Jean-Baptiste sur le baptême de feu, est appliquée directement
par le Seigneur
lui-même aux expériences que devaient
vivre les apôtres le jour de la
Pentecôte dans le texte
(Actes
1: 5). Puis, lorsque les
païens en la personne de Corneille et des
siens, entrent officiellement dans l'Église,
l'apôtre Pierre applique la même
distinction du baptême d'eau et du
baptême de feu
(Actes
11: 16) pour
caractériser la répétition
d'une expérience de Pentecôte,
accompagnée du parler en langues.
Il faut donc conclure que le baptême du
Saint-Esprit, reçu par cent vingt personnes
probablement, à la Pentecôte, et par
Corneille et sa maison, est identique au
baptême de feu annoncé par
Jean-Baptiste.
C'est le baptême que donne le Christ
glorifié, et qu'Il avait lui-même
annoncé dans
(Jean
7: 37-39), passage qui souligne
très nettement que le baptême dans
l'Esprit ne pouvait qu'être postérieur
à la Croix.
Dès lors, il y a eu au début de
l'Église une distinction de ces deux
baptêmes, baptême d'eau et
baptême de feu. Les deux pouvaient être
plus ou moins rapprochés dans le temps, ils
n'en constituaient pas moins deux choses
distinctes. Les résultats aussi
étaient distincts. Par le baptême
d'eau, on devenait membre du corps de
Christ, par le baptême du feu, on devenait un témoin puissant
pour la propagation
du message du Christ
(Actes
1: 8).
Toute la question que soulève l'actuel
mouvement de Pentecôte est de savoir si le
baptême de feu était destiné
à tomber en désuétude ?
Qu'il ait tenu peu de place à telles
époques de l'histoire de l'Église,
c'est un fait : mais le fait ici ne
crée pas le droit. L'autorité de la
Parole de Dieu demeure entière, quoi
qu'aient fait ou cru les hommes. Or l'apôtre
Pierre prêchant son premier sermon d'appel
dit : « Vous recevrez le don du
Saint-Esprit, car la promesse est pour vous, pour
vos enfants, et pour tous ceux qui sont au loin en
aussi grand nombre que le Seigneur notre Dieu les
appellera. »
(Actes
2: 38). Le mot promesse
désigne ici sans aucun doute le don du
Saint-Esprit ; il est ce que le Père
avait promis
(Actes
1: 4). Or, le même jour,
quelques heures auparavant, les auditeurs de Pierre
avaient vu la promesse s'accomplir sous la forme de
la Pentecôte des cent vingt. Il est donc
à penser que c'est une Pentecôte
analogue que Pierre, en inaugurant l'Église,
déclare accessible à tous ses membres
dans tous les temps. Certes Pierre n'avait en vue
à ce moment-là que les Juifs de
naissance. Mais il constata devant le premier
Concile, que Dieu avait donné le
Saint-Esprit aux païens comme aux Juifs,
« Il n'a fait dit-il, aucune
différence entre nous et
eux. » (Actes 15: 8-9. Ici encore,
c'est d'une Pentecôte avec le parler en
langues que Pierre parle. Passage frappant.
L'apôtre ne dit pas que Dieu ait donné
le Saint-Esprit à quelques païens, aux
premiers à entrer dans
l'Église ; il emploie l’expression
La plus générale, comme pour ouvrir
une porte toute grande : Dieu a donné
le Saint-Esprit aux païens.
Il y a plus, comme on sait, Philippe a
évangélisé la Samarie, les
foules ont reçu le baptême d'eau. Mais
Pierre et Jean, étant venus, imposent les
mains aux croyants, et ceux-ci reçurent le
Saint-Esprit.
(Actes
8: 17). De même Ananias
impose les mains à Saul « pour
qu'il recouvre la vue et soit rempli du
Saint-Esprit. »
(Actes
9: 17). Enfin Saint Paul
impose les mains aux 12 hommes
d'Éphèse dont nous parlions tout
à l'heure. « Lorsque Paul leur
eut imposé les mains, le Saint-Esprit vint
sur eux, et ils parlaient en langues et
prophétisaient. »
(Actes
19: 6).
La conclusion est évidente. Les textes
bibliques n'imposent aucune frontière, ni
dans le temps, ni dans l’espace au
baptême de feu. Donc, lorsque des
croyants consacrés et dont la vie est
réellement sanctifiée, viennent me
dire qu'ils ont cru à la promesse du
Saint-Esprit, qu'ils ont demandé le
baptême de feu, et qu'ils l'ont reçu
comme à la Pentecôte, la
vérité scripturaire, aussi bien que
la charité qui ne soupçonne point le
mal, m'obligent à penser, à moins de
preuve contraire, qu'ils n'ont point
été victimes d'une contrefaçon
démoniaque, mais que Dieu a
réellement agi selon sa promesse en leur
faveur.
À moins de preuve contraire,
disons-nous.
1.
— On a
quelquefois voulu alléguer de telles
preuves, par exemple des passages qui
prouveraient que Dieu a révélé
sa volonté de retirer de l'Église le
baptême dans le Saint-Esprit. Mais de tels
textes, qui contrediraient tous ceux que nous avons
étudiés, il n'y en a point. Le plus
décisif en apparence, ce sont ces mots de
(I
Corinthiens 13: 8) :
« Les langues
cesseront. » Mais replacez-les dans
leur contexte, vous voyez aussitôt que
l'apôtre veut dire que les langues, aussi
bien que la prophétie et la connaissance,
cesseront quand ce qui est parfait,
c'est-à-dire la gloire éternelle,
sera venu. — Faute de textes précis, on
présente diverses
considérations : Jésus, puis
l'apôtre Paul, auraient fait plus de miracles
au commencement de leur ministère
qu'à la fin ; ou encore, il serait
question de ces choses surnaturelles au
commencement du Nouveau Testament
(Évangiles. Actes) plutôt qu'à
la fin (Épîtres) ; donc,
conclut-on, il ne doit plus y avoir aujourd'hui un
baptême dans le Saint-Esprit
accompagné de signes surnaturels.
Spéculations intéressantes, qui
portent sur la Bible, mais qui sont tirées
de l'esprit de l'homme, non des paroles clairement
prononcées par Dieu.
2.
— Une
autre preuve contraire serait,
au
dire de certains, que le baptême du
Saint-Esprit est maintenant identique avec l'acte
de se consacrer à Dieu, donc avec une
expérience de sanctification. On se
livrerait entièrement à Dieu ;
on renoncerait à tout
péché : et ce serait là
le vrai baptême du Saint-Esprit, spirituel et
moral, par opposition à un autre
baptême, qui serait physique et grossier. Il
y a certes une part de vrai dans cette vue, en ce
sens que le baptême du Saint-Esprit ne peut
être donné qu'à des croyants
qui ont vraiment livré leur vie à
Dieu. Mais cet acte de livrer sa vie n'est pas
identique au baptême du Saint-Esprit
reçu par les cent-vingt et tous les autres
« qui parlaient en langues et
prophétisaient ». Si on veut que
cet acte de livrer sa vie soit supérieur en
valeur spirituelle à l'expérience de
Pentecôte, ici encore on se fonde sur une
spéculation, non sur la Bible. Du reste, la
plupart des croyants qui livrent leur vie à
Dieu pour avoir part au baptême du
Saint-Esprit, demandent tout simplement ce
baptême de feu à cause de la promesse,
et s'attendent à recevoir le Saint-Esprit.
Leur position vient donc plutôt renforcer le
témoignage du mouvement actuel de
Pentecôte, qui n'agit pas autrement. Mais si
des frères, après avoir
demandé, reçoivent la visite divine
sous la même forme que les frères
d'autrefois, pourquoi y verrions-nous tout à
coup une contrefaçon ?
3.
— Reste
enfin l'objection de la
nouveauté. Mais pour la
chrétienté évangélique,
cette objection ne peut prévaloir contre
l'autorité de la Bible. De plus y a-t-il
réellement nouveauté ? La notion
de miracle, d'exorcisme, de don surnaturel, a
été mieux conservée par la
tradition catholique que par la protestante, mais
elle n'a jamais été absente de cette
dernière. La puissance surnaturelle s'est
manifestée au contraire dans tous les
mouvements de Réveil. Dans la liturgie
même des Réformés, l'imposition
des mains au pasteur nouvellement consacré
n'est certes souvent qu'une forme vide, parce que
ceux qui imposent les mains ne s'attendent pas
à ce qu'il se passe quelque chose. Mais la
persistance même de ce geste sacré,
qui fait partie des éléments de la
doctrine chrétienne
(Hébreux
6: 1-2), indique la
persistance de la foi à la promesse du
Saint-Esprit. Mais ce n'est pas tant dans
l'exercice des dons surnaturels (miracles de
guérisons, prophéties et parler en
langues des Camisards, exorcismes, etc.) que nous
verrions la persistance du baptême du
Saint-Esprit dans l'Église : c'est dans
l'expérience mystique elle-même.
On sait combien de chrétiens, connus ou
inconnus, ont eu part à un état
d'union avec Dieu qui a renouvelé leur
être d'une manière ineffable. Or la
nouvelle naissance par laquelle on devient
chrétien, n’est pas un état
d’union avec Dieu. Certes, Dieu travaille par
son Esprit dans la créature qu’il
purifie par sa Parole, mais il ne peut s’unir à cette
créature
en voie de régénération. La
conversion, soulignons-le, n’est pas une
expérience mystique au sens plein du mot.
Dieu et l’homme y agissent comme deux
volontés qui vont se rejoindre, après
avoir été
séparées ; c'est un temps de
lutte, de mort et de résurrection
intérieure. C'est le nouvel être ainsi
créé qui peut connaître plus
tard l'expérience mystique. Dans cette
dernière, la volonté divine
pénètre, et embrase la volonté
humaine. Il n'y a plus seulement soumission, mais
union. À des degrés divers, tout au
long de l'histoire de l'Église, des milliers
et des milliers de croyants ont connu cette union
ineffable. Elle a eu une importance capitale pour
l'édification du corps de
Jésus-Christ, parce que c'est dans
l'état d'union que sont nées toutes
les grandes intuitions fondamentales de la
pensée chrétienne. Cela est vrai de
saint Paul, — que l'on relise le chapitre 2 de
la première épître aux
Corinthiens, — de saint Augustin, et de tous
les autres artisans de cette oeuvre
merveilleuse.
L'attention des historiens de l'Église se
porte plus volontiers sur les doctrines que sur la
réalité même des êtres.
Mais si l'on pouvait connaître la vie intime
des grands missionnaires de tous les temps, des
grands conquérants d’âmes, il est
probable que l’on trouverait à la base
de toute leur activité, les grâces
d’union avec Dieu, donc, un baptême du
saint-Esprit. Cela est absolument évident
par exemple pour sainte Thérèse
d'Avila et pour saint Vincent de Paul. Et la
puissance apologétique si durable de
l'oeuvre de Pascal ne découlerait-elle pas
de ce qu'on appelle sa seconde conversion, qu'il
décrit très exactement lui-même
comme une expérience d'union et de
feu :
« L'an de grâce 1654, Lundi, 23
novembre....
Depuis environ dix heures et demie du soir jusques
environ minuit et demi…. FEU ».
La distinction de la grâce qui sauve et de la
grâce qui unit à Dieu, correspondrait
donc à la distinction biblique du
baptême d’eau et du baptême de
Feu. S’il en était ainsi, le mouvement
de Pentecôte aurait l'immense mérite
d'ouvrir au protestantisme actuel les voies pour
retrouver ce qui lui manque le plus : une
réalité et une pensée
mystiques.
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