J'avais à peine eu le temps de
trouver mes habits et de m'habiller, dans la maison
de Simon où j'étais rentré
sans encombre, que mon maître apparut dans
l'encadrement de la porte. Il titubait comme un
homme ivre. Instinctivement, je m'éloignai
de lui pour me placer dans le coin le plus sombre
de la pièce. Mais toute sa violence
était tombée. Et Je vis ce que je
n'avais jamais vu : Jonathan, l'homme dur,
dont le coeur était un roc, dont la
volonté était de l'acier dont on fait
les épées, Jonathan, l'homme craint
et haï, s'affala sur un banc, et éclata
en sanglots.
Jonathan sanglotant était un
spectacle terrible. Je songeai, un instant,
à m'enfuir, à me cacher quelque part.
Mais comme je me disposais à sortir, ainsi
qu'un voleur, Joanna parut, venant de la chambre
voisine. La lampe tremblait dans sa main alors que
son regard allait de mon visage hagard à son
père dont nous ne discernions que le dos,
secoué dans des spasmes qui nous faisaient
mal à contempler. Une longue plainte
entrecoupée de hoquets s'échappait au
travers des doigts qu'il tenait crispés sur
son visage.
J'étais atterré. Et comme
Joanna, muette et angoissée m'interrogeait
du regard, à mon tour, j'éclatai en
sanglots.
Ce fut pour moi une sorte de
délivrance de l'énorme rocher qui me pesait sur le
coeur. Quand enfin je me fus apaisé, je
constatai que mon maître était lui
aussi calmé. Il se balançait sur son
siège, les yeux perdus dans le vide. Alors,
je dis à Joanna, tout simplement, en
quelques mots qui sombrèrent dans un nouveau
sanglot :
- Ils l'ont
arrêté !
Et Jonathan, me regardant avec une
fixité d'homme possédé, reprit
après moi :
- Ils l'ont arrêté.
J'avais peur que n'éclatât
de nouveau sa passion véhémente. Mais
quelque chose de nouveau, d'étrangement
nouveau, se faisait jour en celui que je n'avais
connu jusqu'ici que raidi tout entier dans un
orgueil têtu. Il tremblait de tous ses
membres et tenait la tête baissée,
comme honteux de regarder sa fille en face.
C'était bien cela. Mon coeur se
serra étrangement en contemplant ce
spectacle auquel rien ne m'avait
préparé : Jonathan, incapable de
regarder sa fille, tremblant comme un enfant que sa
mère grondeuse aurait pris en défaut,
Jonathan se laissant tomber tout d'un coup aux
pieds de Joanna et saisissant le bas de sa robe,
lui disant, comme le refrain monotone d'une
douloureuse mélopée :
- Pardon, mon enfant, pardon, mon
enfant, pardon, mon enfant !
Joanna et moi nous nous regardions avec
désespoir. Nous étions
persuadés que Jonathan était devenu
fou.
- Mon père,
relève-toi ! Que fais-tu mon
père ? Que dois-je te pardonner ?
Tu as toujours été un bon père
pour moi !
- Pardon, mon enfant !
L'homme était courbé et
parlait doucement, comme on parle dans un
rêve. Nous l'entendions dire ces mots, qui
nous semblaient vides de sens, comme quelque chose
d'irréel.
Mon coeur était douloureusement tendu dans
une angoisse affreuse. Mes terreurs de tout
à l'heure continuaient.
Joanna s'était penchée sur
son père et lui disait des paroles tendres,
tout ce qu'un coeur aimant pouvait trouver pour
consoler un incompréhensible chagrin.
Tiré par elle, Jonathan se releva,
chancelant, et attirant sa fille dans ses bras, il
lui dit, lentement, comme si chaque mot lui
coûtait un déchirement
secret :
- J'ai livré aux meurtriers celui
qui avait rendu la vie à mon
enfant !
- Mais, non, maître, ne pus-je me
défendre de crier, ce n'est pas toi, c'est
Judas !
- N'étais-je pas avec lui ?
Il a tout fait, mais j'étais à ses
côtés. J'étais complice. Il
aurait tout fait sans moi ; mais
j'étais comme son ombre ! Je savais ce
qu'il allait faire ! Mais le Très-Haut
m'est témoin, je pensais que Jésus
l'écraserait !
Maintenant, Jonathan parlait sans
arrêt, comme si parler était pour lui
une délivrance. Et c'était en effet
une confession qu'il répandait devant nous,
saccadée, chaotique. Les mots se pressaient,
et toutes ses émotions se traçaient
dans les plis de son visage.
- Je pensais que c'était le
Messie. Je me trompais, ce n'était pas le
Messie. Il ne va pas rétablir toutes choses,
ils vont le tuer, tout simplement.
Ils tueront l'homme bon qui a rendu ses
yeux à mon enfant, et qui a répandu
sa bonté dans mille coeurs.
Ce n'était pas le Messie. Je me
suis trompé. C'est un homme bon, un homme
doux, un agneau de Dieu. Et moi je suis un
misérable ; J'ai conduit à la
mort celui qui m'avait rendu mon enfant.
Il parla longtemps. Je sentais que son
coeur se soulageait. Je commençais à
comprendre ce qui s'était passé en son âme.
N'ai-je pas déjà dit que plusieurs
hommes habitaient en Jonathan ? Je ne voyais
plus ici que le père de Joanna, rempli
d'horreur à la pensée qu'il avait
trahi celui que sa fille aimait, de qui elle avait
reçu ses yeux, et aussi sa joie.
Alors, il demandait pardon à son
enfant.
- Mais, mon père, ce n'est pas
à moi qu'il faut demander pardon. Que
suis-je, moi, qu'une pauvre fille ? C'est
à lui, et à lui seul !
- À lui ? Et comment
pourrais-je ?
En effet, comment aurait-il pu ?
Jésus était entre les mains de ceux
qui voulaient sa mort. Il était perdu.
Jonathan le savait. Nous le savions tous. Joanna et
moi, nous le savions : car nous étions
convaincus que Jésus voulait sa propre
mort.
Comment Jonathan aurait-il pu aller
demander pardon à celui qu'il avait,
inconsciemment peut-être, envoyé
à la mort ? Et cela lui eût-il
été possible, l'aurait-il fait ?
Je me souviens de ce qu'il me confessa plus
tard : « Si j'avais pu, Elias, je ne
pense pas que je l'aurais fait à ce
moment-là : car il fallait que quelque
chose vînt, qui n'arriva qu'un peu plus tard,
pour briser définitivement mon orgueil et me
jeter, anéanti, aux pieds de celui que
j'avais peu compris, que j'avais beaucoup haï
et que je n'avais pas encore appris à
aimer ! »
La nuit s'écoulait lentement,
dans un silence que rompaient seules quelques
rumeurs provenant du palais et du prétoire
de Pilate, proches de notre maison. Nous
étions maintenant silencieux, dans l'attente
des nouvelles que nous avions la certitude
apeurée d'entendre bientôt.
Nous entendîmes le coq chanter,
signal de l'aurore toute proche. Nous
tressaillîmes tous trois à ce chant
lointain. Jonathan frissonna, et serra plus
étroitement son manteau
autour de son corps. Nous avions l'âme
frileuse et inquiète. Tout bruit nous
faisait sursauter.
Mais nous ne bougeâmes pas lorsque
Tsadok parut. Son visage était couleur de
cendre. Échevelé, la bouche
douloureusement tordue, il nous regarda sans dire
mot. Je pense que son immense détresse lui
interdisait de parler. Il s'accroupit sur une
natte, dans un coin de la chambre, le visage
caché dans ses bras, contre ses
genoux.
Lentement, la lumière du jour
envahit la chambre.
C'est alors que des hommes
pénétrèrent dans la cour et
crièrent :
- « Charpentier !
Holà, charpentier ! » Nous
nous levâmes précipitamment et
sortîmes au-devant des arrivants.
Instinctivement pourtant, je reculai. Il y avait
devant nous, avec quatre hommes, des esclaves sans
doute, deux soldats romains. je reconnus
immédiatement l'un d'eux - c'était
celui qui m'avait si férocement
dévisagé, cette nuit-même,
près du jardin, au bord du
Cédron.
- Tu es charpentier ?
Mon maître, ainsi interpelle, se
tourna vers le soldat qui avait
parlé.
- Je suis charpentier, mais je ne suis
pas le maître de cette maison. Mon
frère est absent.
- Peu importe. Ce sont là les
deux croix qui lui ont été
commandées hier ? Jonathan s'inclina,
sans mot dire. Je sentais combien ce colloque avec
ces hommes qu'il haïssait lui était
pénible.
- Emportez-les, dit l'officier en se
tournant vers les quatre esclaves.
Lorsque ceux-ci furent sortis de la
cour, le soldat se tourna vers mon
maître.
- Il m'en faut une troisième.
Joanna poussa un cri, et se cacha la
figure dans ses deux mains.
- Oh !
Et elle s'enfuit dans la maison.
Je regardai Jonathan qui était
devenu affreusement pâle.
- Je t'ai dit que mon frère, le
charpentier, le maître de cette maison,
était absent. Il faudrait attendre son
retour.
- Ne m'as-tu pas dit que tu étais
toi aussi charpentier ? Allons, au
travail !
À ce moment, l'autre soldat dit
quelques mots à l'officier, en son langage
que je ne compris pas. Mais à son geste, je
reconnus tout de suite qu'il nous désignait,
mon maître et moi, comme ayant
été aux côtés de
Jésus, cette nuit-là. L'officier
alors se mit à rire et l'autre avec lui. Ils
trouvaient sans doute ici une occasion de s'amuser,
pendant que leurs compagnons s'amusaient ailleurs
aux dépens d'une autre victime.
Je vis immédiatement qu'ils
allaient me laisser la paix. J'étais trop
jeune à leurs yeux. Jonathan incarnait
infiniment mieux que moi la race qu'ils
méprisaient, et ils devinaient en lui sa
révolte qu'ils étaient assez forts
pour maîtriser.
Jonathan se tordait les mains dans un
désespoir muet. Je me détournai pour
ne pas le voir. Tsadok regardait sans comprendre,
le regard stupide.
- Allons, au travail !
L'officier avait parlé d'une voix
âpre et volontaire, en montrant de son
bâton l'établi et les outils.
Jonathan fit non, furieusement, de la
tête.
Avec un regard mauvais, le soldat le
frappa avec force sur le visage. Le sang jaillit de
l'écorchure.
- Vite ! J'attends !
Et comme mon maître demeurait
immobile, un nouveau coup l'atteignit à la
figure et lui fit une nouvelle balafre. L'autre
soldat survint alors, et le saisissant à
bras-le-corps, le jeta contre l'établi sur
lequel il se heurta violemment.
Jonathan ne pouvait plus
qu'obéir. J'admire encore aujourd'hui la
force dont il fit montre, pour ne pas se
répandre en injures contre ses deux
bourreaux. Je devais comprendre plus tard les
raisons de ce silence. C'est que mon maître
était la proie d'une autre pensée,
d'une affreuse pensée : il participait,
avec les ennemis de Dieu, au supplice de
Jésus. Les autres allaient le clouer sur le
bois infâme, mais lui, fabriquait cette
croix !
Non, il ne pensait pas aux coups qui
continuaient à tomber drus comme grêle
sur ses épaules, alors qu'il cherchait ses
poutres, les mesurait, et commençait de les
travailler.
Je l'entendais haleter de souffrance,
mais c'était de souffrance
intérieure. De temps en temps, il
criait : pardon ! Non, ce n'était
pas à ses tortionnaires qu'il jetait cet
appel à la miséricorde, ce
n'était plus à sa fille, qui
sanglotait seule, dans la maison :
c'était à l'absent, à celui
qui sous les insultes, sous les moqueries et sous
les coups, attendait sa croix.
Tout son corps tremblait alors qu'il
embrassait les lourdes poutres, mal
équarries et grossières, qui devaient
servir à bâtir l'instrument
infâme. Il se blessa aux mains, tellement il
se trouva maladroit et gauche. Et pour
l'aiguillonner, les deux soldats lui criaient, au
milieu de leurs rires' : « C'est
pour ton roi, méchant juif, c'est pour ton
roi ! »
Je souffrais horriblement pour Jonathan.
Ah ! s'il est vrai qu'il avait abominablement
péché, n'était-ce pas
là déjà son expiation ?
Quel châtiment imaginer plus cruel que
celui-là ?
Un moment, je fus tenté de
m'élancer vers lui, pour l'aider. Mais
non ! Cela m'était impossible !
Sur ce bois, son sang allait couler !
Non ! Tout en moi se révoltait à
la pensée que je pusse, de quelque
façon, participer à la souffrance de
mon Maître, de celui que, malgré tout,
encore, je saluais en mon âme, du nom de
Christ de Dieu, bien que, à vrai dire, tout
fût nuit en moi. Je ne comprenais plus rien.
Dieu que Jésus avait fait si proche,
était de nouveau lointain,
infiniment !
Il n'y avait plus ici que la
férocité des hommes.
Il n'y avait plus ici que mon pauvre et
malheureux maître, Jonathan, victime de ses
erreurs, de son orgueil, de son
péché, victime de lui-même,
sentant peser sur lui tout le mépris des
hommes et de sa propre pensée, et aussi tout
le silence de Dieu qui était comme sa
condamnation.
Tsadok s'était enfui, ne pouvant
plus supporter la vision de l'odieuse
préparation. Et moi, je m'étais
glissé dans la chambre où je trouvai
Joanna, écroulée dans un coin, et
sanglotant. Sa tante et ses cousines étaient
là, maintenant, emplissant l'air de leurs
cris perçants et de malédictions
à l'adresse des deux soldats.
Cependant, le bruit du marteau avait
cessé. Aux cris des femmes qui se pressaient
dans l'ouverture de la porte et qui regardaient
dans la cour, je compris que quelque chose de
nouveau se préparait. je lâchai
précipitamment la main de Joanna et me
hâtai d'aller voir.
Les deux hommes avaient mis la croix
achevée sur les épaules de Jonathan.
Celui-ci résistait avec furie, puis avec des
supplications poignantes. Non, il ne pouvait porter
la croix ! Qu'on aille chercher des esclaves.
Mais quelle ignominie pour lui, de traîner
l'instrument de l'odieux supplice, sous les regards
de tous, des Juifs ses compatriotes venus pour la
fête, des Romains moqueurs ! Ah !
plutôt mourir !
Pour toute réponse le soldat
saisit une corde qui traînait là, et
s'en fit un fouet. Et avec toute la violence dont
il était capable, il roua de coups mon
pauvre maître.
Jonathan n'en pouvait plus ! Il
poussa un hurlement : « Dieu me
maudit ! Dieu me maudit ! » Et
ployé sous la charge qui l'écrasait,
il se mit à avancer, trébuchant
à chaque pas.
Ah, l'odieux chemin ! Il
n'était pas long, mais il montait. Ce
n'était encore que la deuxième heure
du jour, mais déjà les rues se
remplissaient de gens. N'était-ce pas la
fête, dès ce jour
même ?
Les coups de corde et les sarcasmes
pleuvaient dru sur mon pauvre maître. Il
haletait, il grinçait des dents, il
geignait. La sueur lui coulait du front et de tout
son visage et aux balafres rouges qui lui rayaient
le visage, des gouttelettes de sang suintaient et
se mêlaient à la sueur et aux larmes
coulant de ses yeux.
Je m'étais mis à suivre
cet étrange cortège, et bientôt
Joanna fut à mes côtés. je
tentai de la renvoyer à la maison. Elle ne
le voulut pas. Affreusement pâle, elle
tendait ses mains suppliantes, tantôt vers
l'un, tantôt vers l'autre des deux bourreaux.
Mais ceux-ci agissaient comme s'ils ne la voyaient
pas. À un moment donné, comme son
père avait trébuché et
était tombé sur ses genoux, nous nous
précipitâmes pour l'aider à se
relever, et porter avec lui, aussi, l'ignoble
fardeau. Les deux soldats nous repoussèrent
violemment. Ils voulaient faire durer leur farce
jusqu'au bout.
Nous étions arrivés
maintenant aux jardins du prétoire. Il y
avait une grosse foule de curieux, malgré
l'heure matinale. Soudain un homme de la foule
s'écria :
- C'est Jonathan, le fils
d'Ezra !
Des gens de Capernaüm l'avaient
reconnu. Des soldats maintenaient la foule.
Quelques cris s'élevèrent, cris de
malédiction et de colère.
Nous dûmes, Joanna et moi, nous
arrêter aux portes du jardin.
Mais de là, nous le vîmes,
lui, notre Maître bien-aimé. Il
attendait sa croix, là, tout près de
nous. L'aurions-nous appelé, il nous aurait
entendus, sans doute, tellement il était
proche.
Il était libre de ses mouvements.
Ses mains étaient
déliées ; ne devait-il pas,
ainsi que tout supplicié, porter sa croix
jusqu'au lieu du supplice ? Et tandis que
Jonathan s'approchait en chancelant, se
traînant, trébuchant à chaque
pas, nous vîmes son visage pâli
tressaillir soudain et se couvrir d'horreur et de
pitié. Et il fit deux pas en avant, vers mon
pauvre maître. C'est alors que celui-ci, n'en
pouvant plus, s'effondra à ses pieds,
écrasé sous sa charge.
Un cri d'horreur s'échappa de ma
bouche, et Joanna, défaillante, dut
s'appuyer sur mon bras. À ce moment un
remous se produisit dans la foule, et je ne vis
plus rien de ce qui se passait dans le jardin du
prétoire.
Blanche comme une morte, Joanna pesait
de tout son poids sur mon bras. Je cherchai un
endroit où elle pût s'asseoir. Une
borne était là, tout près. Un
homme qui y était assis se dérangea
pour la laisser s'y installer.
Elle n'y demeura d'ailleurs pas
longtemps. Déjà la foule
s'écartait et Jonathan apparut, courant,
bousculant ceux qui se tenaient sur son chemin.
Nous nous mîmes à sa poursuite, car il
demeurait sourd à nos appels. Il
fuyait ! Il fuyait les regards. Il fuyait un
regard. Il fuyait les hommes. Il se fuyait
lui-même !
Nous arrivâmes en même temps
que lui chez son frère Simon.
Il tremblait encore de tous ses membres,
tandis que sa fille lui baignait le visage avec un
linge et de l'eau pure. Mais il ne dit rien. Il ne
pouvait encore parler. Une émotion
extraordinaire le secouait. Qu'y avait-il
d'étonnant à cela, après une
épreuve comme celle qu'il venait de
traverser ? Nous non plus, nous ne disions
rien. Nous ne pouvions pas même faire
allusion à ce qui venait de se passer - il
nous semblait que c'eût été de
notre part une insulte qui eût encore accru
sa souffrance.
Pourtant, fait extraordinaire, je
remarquai que son visage, malgré ses
boursouflures, semblait apaisé. Et son
regard brillait d'une lueur secrète que je
ne lui connaissais pas. Joanna aussi le remarqua,
car soudain, elle se tourna vers lui et lui
demanda :
- Père, quand tu t'es
trouvé près de lui, lui as-tu dit
quelque chose ?
Jonathan fut un long moment à
répondre. Sans doute voulait-il chasser tous
les mauvais souvenirs qui encombraient sa
mémoire, pour ne plus se rappeler que la
vision du Roi couronné d'épines, se
penchant sur lui pour le dégager de dessous
la croix qui l'écrasait.
- Je pense, dit-il enfin, que je lui ai
crié avec tout ce qui me restait de
force : « Pardon !
Pardon ! »
- Père, demanda Joanna, t'a-t-il
répondu ?
Un sourire répandit sa
lumière sur le visage de Jonathan.
- Il m'a dit :
« Jonathan, mon ami, t'es-tu fait
mal ? »
Puis, on m'a chassé.
Soudain, il se leva.
- Je veux le revoir ! Le revoir
encore une fois !
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