À partir de 1934 les choses sont
allées à fond de train.
Je n'ai pas retenu avec exactitude les
détails et ce qui s'est passé chaque
mois. Plus de deux ans se sont
écoulés jusqu'à ce que tout
ait pris nettement tournure et des gens comme moi
n'embrassent pas les choses d'un coup d'oeil comme
fait le pasteur.
S'il ne s'agissait que de retracer la suite
des événements, ce ne serait pas trop
difficile. Dans un village, on est tout près
les uns des autres, on regarde dans la marmite du
voisin, on sait ses opinions et ses habitudes, on
aurait pu dire que, somme toute, il n'y avait
là qu'une querelle entre le nouveau maire et
le pasteur et que ça finirait, comme
ça devait finir, par la victoire du plus
puissant.
Mais tant de choses du dehors sont venues
jouer leur rôle, qu'on ne s'en rend pas bien
compte après coup ;cependant ça
a eu tout de même de l'influence sur les
affaires.
Par exemple ceci : les
chrétiens-allemands voulaient tout
uniformiser et faire aussi vite que possible des
différentes Églises régionales
une grande Église nationale, qui n'aurait
pas grand'chose de chrétien, mais que
l'État commencerait par mettre au pas.
Un jour, enfin, le président
régional a été
destitué. Un pasteur des
chrétiens-allemands, dont jusqu'alors on
n'avait jamais entendu parler, a pris sa place,
c'est-à-dire qu'il s'est
dépêché de se faire
lui-même
« évêque » et
qu'il a casé ses amis aux autres postes du gouvernement
de l'Eglise. Il
n'y
avait plus qu'à tirer l'échelle.
Dans la suite, notre pasteur Grund a
reçu lui aussi une lettre de ses nouveaux
supérieurs ; ils écrivaient que
maintenant enfin tout était au point, que
l'ancien président et les conseillers de
l'Eglise étaient des ennemis de
l'État, qu'ils avaient semé la
méfiance entre les pasteurs et leurs
paroisses et ne voulaient pas donner leur appui au
renouvellement religieux de notre peuple selon
l'esprit du national-socialisme.
Le pasteur nous a montré ce
décret et il a dit :
- Je ne m'inclinerai naturellement pas
devant ce gouvernement illégal de
l'Eglise.
Et nous étions tout à fait de
son avis.
On disait que dans un grand nombre d'autres
Églises cela se passait comme chez
nous.
Pourquoi cela nous touchait-il plus que le
revirement politique ? Pourquoi toute la
paroisse y prenait-elle une telle part ? Il y
avait à cela des causes dont tout d'abord
nous ne nous sommes pas rendu compte. Il a fallu
que le pasteur éclaire notre lanterne.
Autrefois, un renouvellement des cadres
supérieurs de l'Eglise ne nous aurait pas
troublés. Mais le pasteur a dit :
« Le peuple a un flair de renard
quand il y a du louche quelque part. Aujourd'hui,
on ne cherche pas à détruire la
religion. On est peut-être encore plus
religieux que jamais, mais à rebours :
alors que l'Eglise a enseigné que Dieu est
le créateur du ciel et de la terre et
qu'à lui seul sont dues gloire et adoration,
aujourd'hui on adore la création et on lui
rend gloire.
« Dieu, c'est le Seigneur ;
nous n'avons aucun pouvoir sur lui, nous ne pouvons
pas le saisir.
« Ceci, à ce qu'on dit, ne
doit plus durer. Nous voulons être les
maîtres nous-mêmes et tout ce qui
rappelle encore le Seigneur et le créateur
véritable doit disparaître.
« Peut-être que les
chrétiens-allemands n'ont pas d'aussi
funestes intentions, peut-être que pour eux
Dieu a encore quelque valeur. Mais ils ne veulent
pas convenir qu'il s'est
révélé uniquement dans sa
Parole, c'est-à-dire dans son fils
Jésus-Christ. Dieu doit se
révéler également dans la
nature et dans l'histoire. Surtout quand des
merveilles se produisent comme, à
présent, l'essor du Troisième Reich,
cela doit nécessairement être une
révélation de Dieu ;
plutôt supprimer tout le Christianisme que
d'admettre que ce n'est pas une
révélation de Dieu.
« Mais, mes amis, vous le savez,
vous aussi : il n'y a de
révélation de Dieu que là
où il y a rédemption,
délivrance complète de l'homme et de
la terre, renouvellement total. Et nous ne sommes
pas assez orgueilleux pour prétendre que la
nouvelle révolution allemande est une
rédemption pour le monde entier,
malgré ce que certains affirment.
« Pourquoi donc êtes-vous
tellement opposés à cette
réorganisation de l'Eglise ? C'est
parce que vous remarquez qu'avec cela quelque chose
d'étranger pénètre dans
l'Eglise. Quand bien même vous n'étiez
pas des piliers d'église, vous saviez que
notre président régional avait de la
piété. Avec lui, vous étiez
sûrs qu'il ne cherchait pas à
supprimer Dieu et à mettre l'homme à
sa place. Et maintenant qu'on a retranché
cet homme vénérable, vous sentez que
quelque chose menace ruine. Ah ! nous sommes
tous des drôles de gens. Ce que nous
possédons, nous ne l'apprécions que
lorsqu'on nous l'a enlevé. »
Puisque notre pasteur ne se soumettait pas,
comme je l'ai dit, à l'évêque
des chrétiens-allemands et qu'il
n'exécutait pas tous ses ordres - car
maintenant il ne recevait que des ordres, - les
réprimandes et les punitions pleuvaient dru
sur lui. En général, on lui retenait
une partie de son traitement, de sorte que,
certains mois, il lui restait tout juste quelques
sous pour le lait.
Alors la paroisse intervenait et prenait sur
elle le soin de remplir le garde-manger du
presbytère et de tenir notre pasteur
à l'abri du besoin.
Le facteur, qui était des
nôtres, connaissait déjà les
enveloppes jaunes qui venaient de la part du nouvel
évêque et il disait alors au
pasteur : « Je vous apporte de
nouveau un billet doux ». Et il y avait
toujours un nouvel oukase, un nouveau savon. Quand
c'était trop fort, il nous lisait de ces
documents au conseil presbytéral et ce
Christianisme d'un nouveau genre nous aurait fait
éclater de rire, si l'affaire n'avait pas
été si sérieuse.
Je me rappelle encore deux
événements :
Une fois, on parlait du Mythe de Rosenberg.
Je n'ai jamais lu ce livre, ni personne d'autre au
village. Mais toutes les fois qu'un orateur venait,
il en débitait des passages et nous en
avions plus qu'assez, puisque dans ce bouquin il
n'était jamais question d'autre chose que de
sang. En tout cas, ni le livre ni son auteur
n'avaient rien à faire avec le Christ et
précisément ce Rosenberg était
le grand pontife parmi ceux qui voulaient supprimer
le Christianisme dans le peuple allemand.
Puis est venu un décret de
l'évêque des
chrétiens-allemands disant que personne ne
devait faire la critique d'une oeuvre comme celle
de Rosenberg et qu'il était défendu
de diffamer son livre dans les réunions
pastorales, car il était interdit de
critiquer les chefs nationaux-socialistes.
Nous étions bien reconnaissants au
pasteur de ce qu'il le faisait quand même et
de ce qu'il nous expliquait,
précisément en conséquence de
ce décret, ce qu'il avait à objecter
à Rosenberg. Dans l'Eglise, il y avait
encore un brin de liberté.
Et je me rappelle cette autre fois où
un décret est venu nous intimer l'ordre de
débarrasser l'Eglise de l'esprit juif :
il n'était plus permis de chanter les
cantiques et les passages de la liturgie avec des expressions
telles que
Sebaoth,
Hosanna, semence d'Abraham, Jéhovah, salut
d'Israël, Sion, etc.
Alors, le pasteur nous a expliqué
qu'il ne s'agissait pas là de simples
expressions que l'on pouvait changer à son
gré, mais que Dieu y mettait un sens tout
particulier quand il se faisait appeler le Dieu
d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Pendant un
millénaire d'histoire allemande, toutes les
générations avaient supporté
ce vocabulaire sans devenir juives ; bien
plus, elles ne l'avaient pas seulement
supporté, mais elles y reconnaissaient la
volonté du Dieu sauveur ; nous pouvions
donc bien, à notre tour, le supporter. Il
faudrait d'ailleurs, pour obéir à
cette interdiction, faire encore d'autres
suppressions. Par exemple, une partie de nos
prénoms allemands étaient d'origine
biblique.
Ce qui était beau dans ce
temps-là, c'était la façon
dont les pasteurs du voisinage s'entr'aidaient.
Eux non plus n'avaient pas donné dans le
piège du nouvel évêque ;
les chrétiens-allemands n'avaient du reste
pas beaucoup de partisans, ils faisaient surtout du
bruit avec leurs grandes bouches.
Dès lors, on pouvait voir souvent
chez le pasteur Grund un de ses collègues
des environs, le pasteur de Niederzell. Il venait
en vélo et ils échangeaient les
nouvelles. Parfois, ils faisaient tour à
tour des conférences ou des sermons chez
nous et à Niederzell.
Ainsi, on restait en contact avec d'autres
chrétiens.
Le matin, quand j'allais au travail et que
j'étais descendu de la montagne, j'avais
encore un petit bois à traverser, puis le
clocher de Niederzell se dressait dans le vallon et
toutes les fois que je le voyais, je me
disais : Voilà encore des gens qui
veulent rester fidèles à
l'Évangile.
Nous tous, nous ne sommes que des hommes imparfaits,
chacun a des
fers aux
pieds qui l'empêchent de monter directement
au ciel ; mais quelle vie différente,
si l'on a la certitude que le monde avec toute sa
beauté et toute sa boue, que toute cette
hâte et cette bousculade, même autour
des choses importantes, n'est pas tout. Que nous
reste-t-il de tout ça ? une parcelle de
terre assez grande pour s'y allonger. Et même
ces quelques pelletées de terre, nous ne les
avons pas pour longtemps. Bientôt, on
déterre nos os et d'autres prennent notre
place.
Nous n'avons pas ici-bas de cité
permanente, mais nous cherchons celle qui est
à venir.
À mes yeux, l'Eglise retirait un
fruit de cette lutte sur cette terre il faut tenir
bon la rampe, mais sans crisper les doigts, en
sachant ce que nous faisons et en prenant garde de
nuire à notre salut. Si quelqu'un s'attaque
au domaine où Dieu seul a droit à
notre obéissance, que ce soit un puissant
personnage ou bien l'État, que ce soit
même ton propre frère qui le fasse, il
faut crier : Bas les pattes !
Ainsi, j'ai toujours souhaité que la
lutte qu'on mène chez nous en Allemagne
porte des fruits, même dans les autres
pays.
Dans cette Allemagne, nous ne pouvons plus
faire beaucoup, on nous a tout pris.
Aucun journal d'Eglise n'a plus le droit
d'écrire ce qui lui semble juste et ce qu'on
devrait dire aux gens, mais ils sont forcés
de faire croire que nous vivons encore à la
façon d'il y a cinquante ans, quand chacun
dormait doucement sur son coussin.
Tout ce qui est contre notre conscience,
tout ce contre quoi un chrétien devrait se
défendre franchement devant le monde, toutes
les injustices qui se commettent, tout ce qui viole
les dix commandements en secret et en public, nous
devons avaler tout cela et personne ne peut plus
s'y opposer.
Nous sommes devenus des sournois, parce que
nous avons donné dans le
piège d'où nous ne pouvons plus
sortir.
Et maintenant, on nous enlève
même nos enfants et on les confie aux mains
de ce Rosenberg, on leur remplit le coeur de haine
contre le Seigneur Jésus-Christ et on les
soustrait aussi à la surveillance de leurs
parents. « Honore ton père et ta
mère », cela n'existe plus chez
nous. Les parents, ce sont des
« réactionnaires », ils
n'ont plus rien à vous dire, c'est vous
l'avenir, c'est vous les héros !
Et je me demande seulement quel air aura un
jour une Allemagne où il n'y aura plus de
crainte de Dieu ?
J'ai pensé que, chez nous, le
Christianisme a été obligé de
se cacher sous le manteau. Dans nos coeurs, nous
pouvons croire ce que nous cachons, mais sur les
maisons, sur l'hôtel de ville et même
sur le clocher flottent les drapeaux du paganisme,
la croix et ses griffes qui a remplacé la
croix du Sauveur.
Mais je crois que les chrétiens, dans
le monde entier, devraient en tirer une
leçon.
Mon coeur se remplit de joie et je me sens
réconforté, quand je vois le clocher
de Niederzell, parce que je peux me redresser
à l'idée que nous autres
chrétiens de Lindenkopf, nous ne sommes pas
seuls ainsi, tous ceux qui ont encore une petite
église où ils peuvent se rassembler
devraient penser à leurs frères et
soeurs dans le monde entier.
Il me revient souvent un verset d'un
cantique que nous avons parfois chanté
à la fin d'une réunion
biblique :
Un soir, en rentrant, j'ai rencontré
le pasteur Grund qui montait de la gare avec sa
petite valise.
- Tiens, Stefan ! je dis, tu as
été en voyage ?
Il sourit :
-Oui, j'ai fait un petit voyage au pays de
Souabe tu en entendras parler. Je ne veux encore
rien dire, cela doit être une surprise.
Bientôt après, le vieux
Schmelzer est venu chez moi et il m'a
annoncé ceci :
- Je dois convoquer pour ce soir à
huit heures à l'église.
Je demande :
- Qui donc ?
Il me montre une liste.
- Seuls les gens qui sont inscrits
là.
C'étaient les conseillers
presbytéraux et tous ceux qui venaient
régulièrement aux réunions
bibliques.
Puis le sacristain a dit :
- Heinrich Kohler m'a rencontré en
route et il m'a demandé quelle commission
importante j'avais à faire. Je lui ai
répondu qu'il s'agissait des réunions
bibliques.
Nous étions naturellement très
curieux de savoir ce que le pasteur allait nous
dire.
Eh bien ! il a dit qu'il nous avait
rassemblés pour nous faire part de quelque
chose, que dorénavant il en prendrait
l'habitude ; que les événements
dans l'Eglise s'aggravaient de plus en plus et
qu'il était nécessaire de tenir la
paroisse au courant.
Il a affirmé que ce qu'il avait
à dire n'était pas un secret, mais
cela ne regardait pas tout le monde, rien que la
paroisse.
Puis il a ajouté ceci :
- Je passerai sur les détails, voici
les faits l'évêque d'empire veut
mettre notre Église
évangélique sous la botte de
l'État. Aucun de nous ne tient à ce
que les différentes
Églises régionales, telles qu'elles
existent à présent, soient
conservées à tout prix. Nous sommes
prêts à accepter une Église
évangélique unie. Mais on ne peut pas
procéder de la sorte : tout
détruire et dresser la dictature de
l'évêque d'empire. En ce cas, nous
serions obligés de nous soumettre à
une hérésie et l'Évangile
tomberait en morceaux.
« Là où il y a des
Églises régionales qui retiennent
encore la véritable foi, nous nous opposons
à leur destruction. Mais les
chrétiens-allemands ont déjà
mis le grappin sur une série
d'Églises régionales et, au lieu de
faire l'union, ils sont cause que des querelles ont
éclaté dans ces Églises avec
plus de violence encore, puisque tous les pasteurs
et tous les membres de l'Eglise qui se rangent
fidèlement du côté de
l'Évangile se révoltent contre cette
tyrannie.
« La semaine dernière
enfin, l'évêque d'empire a
essayé d'ébranler une des grandes
Églises de l'Allemagne du Sud ; il a
reproché à l'évêque
régional du Würtemberg d'avoir
détourné de l'argent appartenant
à l'Eglise et il a déclaré que
cet évêque avait la plupart des
pasteurs contre lui.
« Vous pouvez bien croire qu'il
n'y a rien de vrai là-dedans ;
l'évêque du Würtemberg est un
homme honnête qu'on ne pouvait pas toucher
sans un coup de Jarnac.
« Les paroisses du Würtemberg
se sont tout de suite rangées du
côté de leur évêque
légitime ; ainsi le plan des
chrétiens-allemands y a complètement
échoué jusqu'à
présent.
« Je viens d'arriver d'Ulm,
où beaucoup de chefs de l'Eglise, beaucoup
de pasteurs, ainsi que des représentants des
paroisses opprimées de toute l'Allemagne,
étaient réunis.
« Vous auriez dû en
être !
« Il y avait rassemblées
dans la cathédrale d'Ulm de huit à
neuf mille personnes bien d'accord et je peux vous
l'assurer :
nous ne
sommes pas seuls, nous autres chrétiens
évangéliques de Lindenkopf. Dans
toute l'Allemagne, on se remue.
« Malgré tout le bien que
le nouvel État nous a apporté, nous
ne voulons pas échanger l'Évangile
contre l'ordre nouveau.
« En général, je ne
fais pas grand cas des masses, surtout pas dans les
affaires d'Eglise. Mais, comme nous étions
réconfortés d'apprendre qu'il y a
d'autres hommes encore qui ne se laissent pas
arracher leur foi !
« À Ulm, on a
rédigé un message qui marque un
tournant dans la lutte pour l'Eglise.
« Dans ce message,
« l'Eglise confessante »
déclare qu'elle est l'Eglise
évangélique légitime et elle
engage tous ceux qui prennent l'Eglise au
sérieux à se ranger de son
côté et à résister par
leur foi aux chrétiens-allemands.
« Dès qu'il sera
publié, je ferai polycopier ce message
d'Ulm, pour que vous puissiez le lire.
« Mais nous ne sommes pas encore
au bout. Comme l'État a pris le parti des
chrétiens-allemands, le danger est encore
très grand.
« Nous soutiendrons la lutte
contre la force et l'injustice, mais rien qu'avec
des armes spirituelles.
« Je vous rappelle une fois de
plus ce que je vous ai dit de la pauvreté de
l'Eglise :
« Nous ne possédons rien,
nous n'avons pas de moyens puissants comme
l'État, nous n'avons que l'Évangile,
c'est notre seule arme.
« Prions Dieu qu'il reste avec sa
parole auprès de
nous ! »
Il y avait une lumière sur toutes les
figures.
Les mois précédents nous
avaient unis et préparés. Notre
Église nous était devenue
chère et nous ne pouvions plus
l'abandonner.
Autour de nous, le pouvoir terrestre avait
grandi et voulait nous posséder, corps et
âme. Et cela a eu pour conséquence que Dieu a
grandi d'autant plus à nos yeux. Nous
étions encore loin d'être à la
hauteur de ceux auxquels le Christ, s'il
était venu chez nous, aurait pu dire :
« C'est bien, bons et fidèles
serviteurs ! »
Ce n'était chez nous que l'aube. Des
gens humbles comme nous ont la tête dure et
ça prend un bon moment jusqu'à ce que
quelque chose y entre.
Mais cela nous a amenés à
craindre Dieu, à aimer et à avoir
confiance, nous y avons trouvé un appui,
nous avons vu clair dans ce bluff où on nous
a plongés ; l'État pouvait
toujours se vanter de son pouvoir, nous savions
maintenant que cela ne durerait pas plus que Dieu
ne le voulait et que tout s'écroulerait, si
Dieu y touchait avec son doigt.
Et maintenant, nous n'étions plus
à Lindenkopf un petit groupe de gens
à part qui s'étaient mis des choses
pareilles dans la tête, mais le pasteur nous
a bien dit que nous avions des frères dans
toute l'Allemagne qui pensaient comme nous, et cela
nous rendait heureux.
Après les paroles du pasteur, nous
avons ouvert nos cantiques et nous avons
chanté :
Ne crains donc point, petit troupeau.
Au beau milieu du chant, tout à coup,
nous avons entendu un bruit sur la tribune.
Nous avons tous levé les yeux, mais
nous n'avons rien vu. Cependant, on a su
après que le nouveau maire et le
garde-forestier étaient entrés tout
doucement dans l'église pour entendre ce qui
se passait et Kohler avait probablement
laissé tomber sa canne, ce qui avait fait ce
bruit.
Quelques jours après, notre pasteur a
reçu une lettre de l'évêque
chrétien-allemand. L'évêque lui
reprochait d'avoir fait de la propagande contre
lui, son supérieur reconnu par
l'État, et qu'il lui donnait un dernier
avertissement ; si cela arrivait encore une
fois, il serait obligé d'agir en
conséquence.
Cela nous a montré que le Kohler
avait fait un rapport sur notre réunion
à l'évêque.
Mais notre pasteur ne se souciait pas le
moins du monde de tout ça.
Dans la suite, il annonçait les
nouvelles, non seulement dans les réunions
bibliques, mais encore au vu et au su de tout le
monde après le sermon.
Ainsi, le village entier était mis au
courant et tous, même ceux qui
n'étaient pas d'accord, pouvaient y
réfléchir.
On ne pouvait pas non plus reprocher au
pasteur d'agir en dessous. Il disait tout
franchement, nommait les choses par leur nom et
tout le monde était étonné de
l'audace de cet homme qui ne cachait pas son
opinion quand pourtant cela pouvait lui
coûter cher.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |