Le dimanche, le pasteur Grund a fait
son premier sermon. Il y avait foule comme pour
la kermesse. Tout ce qui avait du souffle
s'était mis en route. Le conseil
presbytéral était au complet et
même Rautter, quand nous étions
déjà bien serrés, est venu
à notre banc qui est en face de la chaire et
d'où on peut voir toute l'église.
C'était comme au théâtre, il ne
manquait que les jumelles. Les jeunes gens à
la tribune allongeaient le cou et se poussaient
chaque fois qu'il entrait quelqu'un qui d'ordinaire
à cette heure-là était au
cabaret, ou quelque autre qui n'était pas un
habitué de l'église. Quand on a vu
entrer August Brenner, le grand militant
socialiste, cheminot et bon travailleur, tout
embarrassé, tournant son chapeau entre ses
mains et regardant tout autour pour trouver une
place, celui de la Tourbière m'a
glissé dans l'oreille :
- De l'opium pour le peuple, mais il veut
tout de même en goûter une
fois !
Quand l'orgue avait déjà
commencé à jouer, voilà
Heinrich Kohler, qui a ici un magasin de
bicyclettes et qui est le plus enragé des
nazis. Droit comme un I, il marchait sans tourner
la tête, à pas retentissants par
l'allée du milieu et s'est assis en avant au
second banc qui était déjà si
plein que les gens ont dû se serrer comme des
harengs.
Mais lorsque la voix ferme et claire venant
de la chaire a pénétré
jusqu'au dernier recoin, tous les mouvements ont
cessé et les chuchotements se sont tus.
Voici ce que j'ai retenu du
sermon :
« Mes amis, je veux vous parler du
coq qui est sur le clocher de votre église.
Ce coq, là-haut, est un signe tout
particulier et il ne tient qu'à vous de bien
comprendre ce signe. Une nuit, il y a eu un coq qui
a chanté et qui a troublé
profondément la conscience d'un homme. Ce
qui s'est passé alors se trouve dans
Matthieu XXVI, 69-75. C'était la nuit
où Jésus fut trahi. Je lis :
« Et aussitôt le coq chanta. Pierre
se souvint de la parole de Jésus qui lui
avait dit : Avant que le coq chante, tu me
renieras trois fois. Et, étant sorti, il
pleura amèrement ».
« Et un autre signe nous a
été donné par ce même
Pierre dans sa première épître,
certainement en souvenir de cette heure-là,
quand il écrit : « Soyez
sobres, veillez : votre adversaire, le diable,
rôde autour de vous comme un lion rugissant,
cherchant qui il pourra dévorer. »
Vous savez bien que le coq s'éveille le
premier le matin et qu'il réveille les
dormeurs par son chant.
« Voici la question qui se
pose : En signe de quoi avez-vous
planté votre coq sur le clocher de
l'église ? Est-ce qu'il vous rappelle,
lorsque vous le regardez, l'avertissement de
Pierre : « Éveillez-vous et
soyez sobres » ? Ou est-ce que c'est
le coq du reniement qui est dressé sur votre
église et, par conséquent, sur le
village entier ? ».
Et il a continué en élevant la
voix :
« Nous sommes tous en train de
renier le Seigneur et jusqu'à présent
nous l'avons tous renié. Mais l'heure vient,
et elle est déjà venue, de pleurer
amèrement comme Pierre l'a fait ; mais
rappelons-nous qu'après il s'est repenti et
qu'il est devenu un témoin de son Seigneur.
« C'est à vous de vous
décider.
« Le village de Lindenkopf, qui
est situé sur la montagne, qu'on voit de
tout le pays d'alentour, veut-il avoir le coq du
reniement sur le clocher de son église, ou
bien le coq qui veille et crie :
« Éveillez-vous et soyez
sobres » ?
« Que Dieu m'accorde à moi,
votre nouveau pasteur, de ne pas renier le Seigneur
dans mon ministère et que Dieu t'accorde,
à toi, Église de Lindenkopf,
d'être trouvée
fidèle. »
C'est à peu près ce qu'il a
dit ce jour-là.
Cela leur a plu, à tous nos gens. Ils
ne se doutaient pas encore de ce que cela voulait
dire et de ce qui devait s'ensuivre. Ils pensaient
que personne ne voulait renier et tous ils
voulaient veiller, et chacun se l'appliquait
à soi-même et tous les partis se
l'appliquaient à eux-mêmes. Ils
pensaient que c'était bien ça, mais
on ne comprenait pas encore le pasteur. Il ne
s'était pas encore déclaré,
qu'ils disaient après sur la place de
l'église, rassemblés par groupes et
se parlant à voix basse : on ne savait
pas encore s'il était de droite, de gauche
ou du centre. Peut-être que çà
et là il y avait quelqu'un qui sentait
souffler une brise fraîche. Sa voix avait eu
un son si particulier, rien qui rappelle l'huile et
le savon mou. On sait comment c'est dans les
villages, on est méfiant. Dès qu'il
arrive quelque chose de nouveau, on le flaire.
Laissons venir ! Voilà ce qu'on lisait
sur la plupart des visages. Et Heinrich Kohler, du
camp des nationaux-socialistes, aurait
dit :
- Celui-ci, il faut le surveiller de
près !
Si c'est vrai ou non, je n'en sais rien. En
tout cas, on avait au village de quoi parler. Le
lendemain matin, au travail, j'ai entendu des
camarades qui disaient :
- Ce que certains types peuvent faire avec
un coq !
Un d'eux ajoute :
- Moi, j'aurais préféré
un poulet rôti.
Mais Rautter lui coupe la parole :
- Oh ! toi, pourvu que tu te remplisses
le ventre !
L'autre réplique, mais d'un ton
déjà moins rude :
- Tais-toi donc, les boyaux te grouillent
aussi quand tu as faim.
Mais après, on n'en a plus
parlé.
Ensuite est venue la moisson du seigle
qu'on a eu toutes les peines du monde à
rentrer, car il nous arrivait orage sur orage de la
vallée du Mein. Mais quand on a eu
coupé le blé et l'orge, le temps
était meilleur, chaud et sec, et les paysans
en avaient plein les bras et ne pensaient pas
à autre chose.
Vers la fin de l'automne, les
nationaux-socialistes ont convoqué une
réunion. On disait que l'aubergiste avait
fait tout d'abord des difficultés pour
accepter que ça se passe chez lui, sous
prétexte qu'il était le seul
aubergiste du village et qu'il ne voulait pas
abriter une permanence du parti. Au fond, les nazis
ne comptaient dans le village que quatre
pelés et un tondu ; les paysans
donnaient toujours leurs voix aux
nationaux-allemands, parce qu'ils ne s'attendaient
à rien de bon de la part des
extrémistes de droite et de gauche et qu'ils
ne voulaient pas d'une autre
révolution ; tandis que les cheminots
et aussi la plupart de mes camarades
bûcherons étaient
sociaux-démocrates. Moi-même, je ne me
suis pas occupé de politique, j'aimais les
uns autant que les autres. À chacun on
pouvait trouver du bon et je me disais :
qu'ils s'arrangent entre eux pour diriger les
affaires. Je pense qu'avec un brin de bonne
volonté, on aurait pu s'asseoir à la
même table.
Pour en revenir à la réunion,
voilà ce qui s'est passé :
Kohler et Kelber, le chef de gare, sont
allés rudoyer l'aubergiste et ont
menacé de le rosser, s'il ne cédait
pas. Tout de suite après, l'aubergiste s'est
entendu avec les sociaux-démocrates et leur
a promis qu'il mettrait à
leur disposition aussi la salle de danse pour une
réunion ; mais cela n'a jamais pu se
faire.
Ensuite, les nazis ont collé des
affiches, de ce rouge framboise bien connu, et le
soir la salle était comble.
Heinrich Kohler avait la parole et à
la table du comité se trouvaient le chef de
gare, Wichtel, le garde-forestier et Franz
Pfeiffer, un petit paysan qui a quelques arpents de
tourbière dans la direction du marais et qui
est criblé de dettes. Puis ils avaient fait
venir de plusieurs kilomètres de distance
des jeunes gens en vestes norvégiennes et
ceux-ci s'étaient postés à
droite et à gauche de la table du
comité pour faire la police de la salle. Ils
étaient là plantés comme des
poteaux, serraient les dents, comme s'ils avaient
un mors dans la bouche et regardaient fixement
devant eux.
Kohler a dit à peu près
ceci :
- Je vous avertis qu'il n'y aura pas de
discussion. Il n'y a qu'un seul moyen de sauver
l'Allemagne, c'est le national-socialisme et nous
ne permettons à personne de s'en
mêler.
Quelques oh ! de protestation se sont
élevés dans le fond. Mais Kohler a
crié :
- Silence, sinon je fais intervenir la
police de la salle.
Alors plus personne n'a bougé.
Puis il a continué :
- Le pasteur a dit l'autre jour du haut de
la chaire que l'Allemagne a besoin d'une sentinelle
qui nous crie : Veillez ! Cette
sentinelle, c'est Adolf Hitler, il crie à
son peuple : Allemagne,
réveille-toi ! Mais il n'est pas
seulement une sentinelle, il est le pilote qui seul
parviendra à redresser le bateau avant qu'il
chavire.
« On a prétendu que nous,
les nationaux-socialistes, nous sommes des
athées. C'est un mensonge. Dans le programme
du parti, il est écrit que le parti est
basé sur le christianisme positif. Nous
représentons le véritable
christianisme, le christianisme de l'action.
« Ensuite on a prétendu que
nous voulions nous emparer du pouvoir pour asservir
la classe ouvrière. C'est un mensonge. Nous,
les nationaux-socialistes, nous réaliserons
la véritable union du peuple. Vous, ouvriers
et paysans, entrez dans nos rangs. Nous ne vous
demandons pas de quel parti vous êtes.
Communiste, social-démocrate ou
national-allemand, cela nous est tout à fait
égal. Nous vous tendons la main à
tous sans distinction.
Alors une voix stridente s'est
élevée au fond de la salle. Qui
c'était, on n'a pas pu le savoir, mais
ça devait être le chef des
socialistes, Brenner August :
- Nous nous méfions de
vous !
Du coup, il y a eu un grand désordre.
La police de la salle s'est élancée
de l'estrade et ces drôles, pareils à
de gros bouledogues, brandissaient leurs matraques
de caoutchouc. Tous les assistants se sont
levés d'un bond et se sont mis à
pousser des cris variés ; quelques-uns
répétaient : « Union
du peuple, union du peuple ! » et il
y a eu une grande bousculade vers les deux portes,
si bien qu'en un clin d'oeil la salle était
entièrement vide.
Pendant qu'au dehors les gens se
dispersaient, les nazis descendaient en rangs
serrés la grand'rue depuis l'auberge
jusqu'à la gare, faisaient retentir le
pavé sous les coups de leurs bottes et
hurlaient un de leurs chants de guerre.
Une nuit, vers Noël, il y a eu une dispute
au « Boeuf gras ». La salle
d'auberge était pleine de paysans qui
jouaient aux cartes et vous faisaient une de ces
fumées à couper au couteau. À
une table près du poêle, Brenner avec
quelques camarades, des bûcherons et des
cheminots. À ce moment, Kohler entre, lui
aussi accompagné de ses copains ; il
jette un regard sur les socialistes et leur lance
ces mots :
- Est-ce que nous sommes à
l'église pour que les rouges s'y
rassemblent ?
Il faisait allusion au fait que l'on pouvait
à présent voir l'un ou l'autre des
socialistes au culte, plus souvent
qu'autrefois.
Brenner lui crie :
- Toi, tu as le plus grand besoin que le
pasteur te lave la tête !
- Ferme ta gueule ! dit Kohler et il
s'asseoit avec sa bande à une table
voisine.
À ce moment, la porte s'ouvre
brusquement et le garde-forestier entre avec cinq
ou six jeunes gars, se dirige vers la table de
Kohler et comme ceux-ci remuent leurs chaises,
Kohler remarque :
- Les marxistes prennent toute la place
ici.
- Quoi ? hurle le garde-forestier et
puis s'adressant à l'aubergiste :
- Il est grand temps que tu interdises ta
salle à cette bande de rouges. Moi, je
refuse de m'asseoir dans la même salle que
cette racaille.
Là-dessus, Brenner se dresse et lance
son pot de bière au garde-forestier. Tous
bondissent de leurs chaises, les rouges et les
bruns se précipitent les uns sur les autres,
les paysans veulent les séparer, il y a des
cris et des jurons, les tables sont
renversées et c'est une bataille
générale. Tout à coup, un
homme pousse un cri
- J'ai reçu un coup de
couteau !
Alors, l'aubergiste intervient, avec son
valet et quelques paysans il rétablit
l'ordre et en un tournemain la salle est vide. Seul
un bûcheron se roule par terre, son sang
coule.
C'était un des nazis. Il avait
reçu un coup de couteau dans le bas-ventre.
On l'a transporté à l'hôpital.
Il y est resté trois jours et puis est
mort.
L'enterrement a eu lieu un samedi
après-midi. Le maire était là
ainsi que le parti au complet, renforcé par
des délégations des environs et de la
ville et beaucoup de curieux entouraient la
tombe.
Le pasteur a dit à peu près
ceci :
- Une jeune vie humaine s'est
éteinte.
- Assassinée ! crie un
interrupteur.
- Il ne m'appartient pas de juger devant
cette tombe, continue le pasteur. Nous en sommes
arrivés dans notre patrie allemande à
un point tel que des frères, membres du
même peuple, ont le coeur si plein de haine
les uns pour les autres, que la vie d'un
frère ne leur semble plus sacrée.
Mais ceci n'est pas encore ce qu'il y a de plus
grave. Celui qui est là couché dans
ce cercueil a été baptisé et
celui qui a levé le couteau contre lui a
reçu le saint baptême. Êtes-vous
encore des chrétiens ? Savez-vous ce
que veut dire : être
baptisé ? Cela veut dire :
appartenir au Seigneur, faire partie de son peuple,
être membre de son corps... »
Il était encore en plein milieu de
son discours, quand le garde-forestier Wichtel
l'interrompt et commence à
parler :
- Camarade ! Tu as été
assassiné, égorgé par la main
infâme d'un scélérat. Mais tu
es mort martyr de la nouvelle Allemagne qui
s'éveille. Tu es tombé pour ta foi,
et ta foi est la seule vraie...
À ce moment, le pasteur se redresse,
s'éloigne à reculons de la tombe
ouverte, se retourne et quitte le cimetière.
Le maire, qui a observé cela, le suit ainsi
que moi et quelques autres. Nous descendons
lentement la rue de l'église sans
échanger une parole et lorsque nous arrivons
au presbytère, le pasteur prie le maire et
moi d'entrer avec lui un moment.
Il nous introduit dans son bureau et d'abord
il reste silencieux. Nous voyons à quel
point il est ému. Au bout d'un moment, il
dit :
- J'ai confiance en vous, Monsieur le
maire.
- Et moi aussi, j'ai confiance en vous,
Monsieur le pasteur, lui déclare le vieux
Rocker. J'en ai vu de toutes sortes dans ma vie et
depuis trente ans que je suis maire de ce village,
mais ce qui s'est passé tout à
l'heure, cela dépasse les bornes !
Alors le pasteur se tourne vers
moi :
- Et toi, Peter, qu'est-ce que tu en
dis ?
J'ai éclaté :
- Tu ne dois pas avaler cela, Stefan Alors
il m'a expliqué :
- Il ne s'agit pas de moi, il ne s'agit pas
non plus de politique, je ne m'occupe pas de cela,
ce n'est pas mon affaire. Mais l'avenir
m'inquiète. Notre Église est coupable
et ce n'est pas d'aujourd'hui mais depuis
longtemps. Elle a été tout au
monde : bourreau au service de l'État,
soutien du trône, société de
bienfaisance, association pour l'encouragement des
aspirations religieuses, mais ce qu'elle a
été le moins, c'est d'être
l'Eglise.
Et à présent qu'elle commence
à se rendre compte que le toit brûle
et que la situation devient sérieuse,
à présent qu'elle commence
çà et là à annoncer
l'Évangile, on ne la croit plus. Et moi,
comme pasteur, je dois prendre cela pour moi.
Pourquoi me croirait-on plus que les autres ?
Je tombe dans ce village, parmi ces gens dont aucun
ne me connaît sauf toi, Peter. Ici comme
partout, les esprits bouillonnent, on voit les
défauts de la vie politique, chacun veut les
guérir à sa façon, les
opinions s'entrechoquent, on se prend aux cheveux,
on n'en veut plus démordre, comme des chiens
qui se disputent un os. Si donc quelqu'un se
lève et s'écrie :
« Regardez en haut, levez vos yeux vers
les montagnes d'où vous viendra le
secours ! », on se moque de
lui : « D'en haut ? Ici-bas est
le rôti et c'est de cela qu'il
s'agit. » Que chaque tige de blé,
que toute force et toute santé, que
l'existence du peuple et de l'État, qu'enfin
toute vie est un don d'En-Haut, qui est-ce qui le
reconnaît encore ?
« Mais voici la chose, n'est-ce
pas, vous comprenez !
En venant à Lindenkopf je n'ai pas
traversé des océans pour annoncer
l'Évangile à des peuples païens,
à des hommes qui jusqu'à maintenant
ont vécu dans l'ignorance, non, je suis en
plein milieu de mon peuple, parmi
des gens tous baptisés. À la
Réforme, ce peuple a accepté le
Christ et l'a reconnu pour son Seigneur. Des
fleuves de bénédictions ont
passé au cours des siècles sur mon
peuple ; et maintenant l'heure est
peut-être venue, par la faute de l'Eglise,
par notre faute à nous, mauvais ministres de
la Parole de Dieu, mais aussi par entêtement
et présomption, par attachement aux biens
éphémères, par mépris
envers la foi de nos ancêtres,
peut-être pour toutes ces raisons, l'heure
est venue où ce peuple rejette le Christ,
son Seigneur, le Seigneur du monde entier.
Est-ce qu'on ne doit pas trembler ? Si
quelqu'un n'accepte pas le Christ quand il lui est
annoncé, Dieu pourra peut-être passer
sans rien lui dire et le laisser dans son
aveuglement. Mais celui qui a été
donné à Dieu par le baptême et
qui le repousse, prononce son propre jugement. En
face de cela, je n'ai pas le droit de me
taire.
« Je suis moi-même un
élève, un ignorant. Où est la
foi, où sont les lumières auxquelles
je pourrais faire appel si le choc se
produit ? Je n'ai rien que la
prière : Seigneur, je crois, viens en
aide à mon
incrédulité !
Ici, le maire l'interrompt :
- C'est vous que j'attendais, Monsieur le
pasteur ! Moi et d'autres encore ici et
là. Je veux de nouveau entendre la Parole de
Dieu, il me tarde de l'entendre. Non seulement en
cachette, quand je suis dans ma chambre et que
j'ouvre ma Bible, mais en public et dans les
réunions des chrétiens ! comme
cela se doit. Et je veux vous dire encore ceci,
Monsieur le pasteur : parlez, prêchez,
annoncez librement - nous en avons besoin, il nous
le faut !
Le pasteur s'est tu un moment, puis il a
dit :
- Savez-vous ce que cela signifie, Monsieur
le maire ?
Celui-ci a dit en riant :
- Oui, que vous êtes dans une maison
de verre, que vous venez de
provoquer leur fureur et qu'ils vont vous lancer
des pierres, Monsieur le pasteur.
- Nous avons perdu l'habitude de la peur,
n'est-ce pas, Peter ? répond le pasteur
crânement, mais nous vérifions la
parole « Il faut qu'on vous haïsse
à cause de mon nom. Mais celui qui
persévérera jusqu'à la fin
sera sauvé ».
- Vous n'êtes pas seul, Monsieur le
pasteur, a dit le maire.
Le pasteur s'est levé et lui a tendu
la main. Puis il a demandé :
- Vous connaissez vos gens, que vaut le
conseil presbytéral, peut-on s'y
fier ?
- Dans le conseil presbytéral tel
qu'il est à présent, tous sont
sûrs. Le meunier est têtu, mais
fidèle. Rautter a été
fanatisé, mais au fond il est solide ;
il ne faiblira pas quand il aura compris et il
comprendra bientôt. Le fermier de la
Tourbière est un pauvre diable, mais il est
persévérant. Le boulanger Schlegel
n'a pas de grandes lumières, mais c'est un
brave garçon et il tient ses promesses.
- Je dois encore ajouter ceci, dit alors le
pasteur si l'un des politiciens du village nous
écoutait, il pourrait croire que nous
voulons fonder un nouveau parti, par exemple un
parti clérical. Il ne s'agit pas de cela,
vous le savez bien. Je ne veux pas de
séparatistes, mais des auditeurs de la
Parole de Dieu et je ne veux pas qu'on croie en
moi, mais en l'Évangile. Tout à
l'heure, je prétendais que je ne me
mêle pas de politique, c'est exact. Mais on
ne peut pas annoncer l'Évangile sans parti
pris, en ne se souciant que de l'âme et en
envoyant au diable le corps et tout ce qui y
touche : famille, maison, école,
gouvernement - non, c'est impossible. Et le maire a
affirmé :
- Sur ce point nous sommes d'accord.
Et ensuite nous sommes partis tous les deux.
En route, le vieux Rocker me dit encore :
- Dresse bien l'oreille, Holzschuh, le temps
est à l'orage.
Depuis ce jour, les nationaux-socialistes
ont fait courir le bruit que le pasteur avait
refusé l'enterrement religieux à leur
camarade du parti. Et cette calomnie a
été ajoutée plus tard à
son acte d'accusation.
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