Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

II

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Le dimanche, le pasteur Grund a fait son premier sermon. Il y avait foule comme pour la kermesse. Tout ce qui avait du souffle s'était mis en route. Le conseil presbytéral était au complet et même Rautter, quand nous étions déjà bien serrés, est venu à notre banc qui est en face de la chaire et d'où on peut voir toute l'église. C'était comme au théâtre, il ne manquait que les jumelles. Les jeunes gens à la tribune allongeaient le cou et se poussaient chaque fois qu'il entrait quelqu'un qui d'ordinaire à cette heure-là était au cabaret, ou quelque autre qui n'était pas un habitué de l'église. Quand on a vu entrer August Brenner, le grand militant socialiste, cheminot et bon travailleur, tout embarrassé, tournant son chapeau entre ses mains et regardant tout autour pour trouver une place, celui de la Tourbière m'a glissé dans l'oreille :
- De l'opium pour le peuple, mais il veut tout de même en goûter une fois !

Quand l'orgue avait déjà commencé à jouer, voilà Heinrich Kohler, qui a ici un magasin de bicyclettes et qui est le plus enragé des nazis. Droit comme un I, il marchait sans tourner la tête, à pas retentissants par l'allée du milieu et s'est assis en avant au second banc qui était déjà si plein que les gens ont dû se serrer comme des harengs.
Mais lorsque la voix ferme et claire venant de la chaire a pénétré jusqu'au dernier recoin, tous les mouvements ont cessé et les chuchotements se sont tus.
Voici ce que j'ai retenu du sermon :

« Mes amis, je veux vous parler du coq qui est sur le clocher de votre église. Ce coq, là-haut, est un signe tout particulier et il ne tient qu'à vous de bien comprendre ce signe. Une nuit, il y a eu un coq qui a chanté et qui a troublé profondément la conscience d'un homme. Ce qui s'est passé alors se trouve dans Matthieu XXVI, 69-75. C'était la nuit où Jésus fut trahi. Je lis : « Et aussitôt le coq chanta. Pierre se souvint de la parole de Jésus qui lui avait dit : Avant que le coq chante, tu me renieras trois fois. Et, étant sorti, il pleura amèrement ».
« Et un autre signe nous a été donné par ce même Pierre dans sa première épître, certainement en souvenir de cette heure-là, quand il écrit : « Soyez sobres, veillez : votre adversaire, le diable, rôde autour de vous comme un lion rugissant, cherchant qui il pourra dévorer. » Vous savez bien que le coq s'éveille le premier le matin et qu'il réveille les dormeurs par son chant.
« Voici la question qui se pose : En signe de quoi avez-vous planté votre coq sur le clocher de l'église ? Est-ce qu'il vous rappelle, lorsque vous le regardez, l'avertissement de Pierre : « Éveillez-vous et soyez sobres » ? Ou est-ce que c'est le coq du reniement qui est dressé sur votre église et, par conséquent, sur le village entier ? ».

Et il a continué en élevant la voix :
« Nous sommes tous en train de renier le Seigneur et jusqu'à présent nous l'avons tous renié. Mais l'heure vient, et elle est déjà venue, de pleurer amèrement comme Pierre l'a fait ; mais rappelons-nous qu'après il s'est repenti et qu'il est devenu un témoin de son Seigneur.
« C'est à vous de vous décider.
« Le village de Lindenkopf, qui est situé sur la montagne, qu'on voit de tout le pays d'alentour, veut-il avoir le coq du reniement sur le clocher de son église, ou bien le coq qui veille et crie : « Éveillez-vous et soyez sobres » ?
« Que Dieu m'accorde à moi, votre nouveau pasteur, de ne pas renier le Seigneur dans mon ministère et que Dieu t'accorde, à toi, Église de Lindenkopf, d'être trouvée fidèle. »

C'est à peu près ce qu'il a dit ce jour-là.
Cela leur a plu, à tous nos gens. Ils ne se doutaient pas encore de ce que cela voulait dire et de ce qui devait s'ensuivre. Ils pensaient que personne ne voulait renier et tous ils voulaient veiller, et chacun se l'appliquait à soi-même et tous les partis se l'appliquaient à eux-mêmes. Ils pensaient que c'était bien ça, mais on ne comprenait pas encore le pasteur. Il ne s'était pas encore déclaré, qu'ils disaient après sur la place de l'église, rassemblés par groupes et se parlant à voix basse : on ne savait pas encore s'il était de droite, de gauche ou du centre. Peut-être que çà et là il y avait quelqu'un qui sentait souffler une brise fraîche. Sa voix avait eu un son si particulier, rien qui rappelle l'huile et le savon mou. On sait comment c'est dans les villages, on est méfiant. Dès qu'il arrive quelque chose de nouveau, on le flaire. Laissons venir ! Voilà ce qu'on lisait sur la plupart des visages. Et Heinrich Kohler, du camp des nationaux-socialistes, aurait dit :
- Celui-ci, il faut le surveiller de près !

Si c'est vrai ou non, je n'en sais rien. En tout cas, on avait au village de quoi parler. Le lendemain matin, au travail, j'ai entendu des camarades qui disaient :
- Ce que certains types peuvent faire avec un coq !

Un d'eux ajoute :
- Moi, j'aurais préféré un poulet rôti.

Mais Rautter lui coupe la parole :
- Oh ! toi, pourvu que tu te remplisses le ventre !

L'autre réplique, mais d'un ton déjà moins rude :
- Tais-toi donc, les boyaux te grouillent aussi quand tu as faim.
Mais après, on n'en a plus parlé.


 

Ensuite est venue la moisson du seigle qu'on a eu toutes les peines du monde à rentrer, car il nous arrivait orage sur orage de la vallée du Mein. Mais quand on a eu coupé le blé et l'orge, le temps était meilleur, chaud et sec, et les paysans en avaient plein les bras et ne pensaient pas à autre chose.

Vers la fin de l'automne, les nationaux-socialistes ont convoqué une réunion. On disait que l'aubergiste avait fait tout d'abord des difficultés pour accepter que ça se passe chez lui, sous prétexte qu'il était le seul aubergiste du village et qu'il ne voulait pas abriter une permanence du parti. Au fond, les nazis ne comptaient dans le village que quatre pelés et un tondu ; les paysans donnaient toujours leurs voix aux nationaux-allemands, parce qu'ils ne s'attendaient à rien de bon de la part des extrémistes de droite et de gauche et qu'ils ne voulaient pas d'une autre révolution ; tandis que les cheminots et aussi la plupart de mes camarades bûcherons étaient sociaux-démocrates. Moi-même, je ne me suis pas occupé de politique, j'aimais les uns autant que les autres. À chacun on pouvait trouver du bon et je me disais : qu'ils s'arrangent entre eux pour diriger les affaires. Je pense qu'avec un brin de bonne volonté, on aurait pu s'asseoir à la même table.

Pour en revenir à la réunion, voilà ce qui s'est passé : Kohler et Kelber, le chef de gare, sont allés rudoyer l'aubergiste et ont menacé de le rosser, s'il ne cédait pas. Tout de suite après, l'aubergiste s'est entendu avec les sociaux-démocrates et leur a promis qu'il mettrait à leur disposition aussi la salle de danse pour une réunion ; mais cela n'a jamais pu se faire.
Ensuite, les nazis ont collé des affiches, de ce rouge framboise bien connu, et le soir la salle était comble.

Heinrich Kohler avait la parole et à la table du comité se trouvaient le chef de gare, Wichtel, le garde-forestier et Franz Pfeiffer, un petit paysan qui a quelques arpents de tourbière dans la direction du marais et qui est criblé de dettes. Puis ils avaient fait venir de plusieurs kilomètres de distance des jeunes gens en vestes norvégiennes et ceux-ci s'étaient postés à droite et à gauche de la table du comité pour faire la police de la salle. Ils étaient là plantés comme des poteaux, serraient les dents, comme s'ils avaient un mors dans la bouche et regardaient fixement devant eux.

Kohler a dit à peu près ceci :
- Je vous avertis qu'il n'y aura pas de discussion. Il n'y a qu'un seul moyen de sauver l'Allemagne, c'est le national-socialisme et nous ne permettons à personne de s'en mêler.

Quelques oh ! de protestation se sont élevés dans le fond. Mais Kohler a crié :
- Silence, sinon je fais intervenir la police de la salle.

Alors plus personne n'a bougé.
Puis il a continué :
- Le pasteur a dit l'autre jour du haut de la chaire que l'Allemagne a besoin d'une sentinelle qui nous crie : Veillez ! Cette sentinelle, c'est Adolf Hitler, il crie à son peuple : Allemagne, réveille-toi ! Mais il n'est pas seulement une sentinelle, il est le pilote qui seul parviendra à redresser le bateau avant qu'il chavire.
« On a prétendu que nous, les nationaux-socialistes, nous sommes des athées. C'est un mensonge. Dans le programme du parti, il est écrit que le parti est basé sur le christianisme positif. Nous représentons le véritable christianisme, le christianisme de l'action.
« Ensuite on a prétendu que nous voulions nous emparer du pouvoir pour asservir la classe ouvrière. C'est un mensonge. Nous, les nationaux-socialistes, nous réaliserons la véritable union du peuple. Vous, ouvriers et paysans, entrez dans nos rangs. Nous ne vous demandons pas de quel parti vous êtes. Communiste, social-démocrate ou national-allemand, cela nous est tout à fait égal. Nous vous tendons la main à tous sans distinction.

Alors une voix stridente s'est élevée au fond de la salle. Qui c'était, on n'a pas pu le savoir, mais ça devait être le chef des socialistes, Brenner August :
- Nous nous méfions de vous !

Du coup, il y a eu un grand désordre. La police de la salle s'est élancée de l'estrade et ces drôles, pareils à de gros bouledogues, brandissaient leurs matraques de caoutchouc. Tous les assistants se sont levés d'un bond et se sont mis à pousser des cris variés ; quelques-uns répétaient : « Union du peuple, union du peuple ! » et il y a eu une grande bousculade vers les deux portes, si bien qu'en un clin d'oeil la salle était entièrement vide.

Pendant qu'au dehors les gens se dispersaient, les nazis descendaient en rangs serrés la grand'rue depuis l'auberge jusqu'à la gare, faisaient retentir le pavé sous les coups de leurs bottes et hurlaient un de leurs chants de guerre.




Une nuit, vers Noël, il y a eu une dispute au « Boeuf gras ». La salle d'auberge était pleine de paysans qui jouaient aux cartes et vous faisaient une de ces fumées à couper au couteau. À une table près du poêle, Brenner avec quelques camarades, des bûcherons et des cheminots. À ce moment, Kohler entre, lui aussi accompagné de ses copains ; il jette un regard sur les socialistes et leur lance ces mots :
- Est-ce que nous sommes à l'église pour que les rouges s'y rassemblent ?

Il faisait allusion au fait que l'on pouvait à présent voir l'un ou l'autre des socialistes au culte, plus souvent qu'autrefois.
Brenner lui crie :
- Toi, tu as le plus grand besoin que le pasteur te lave la tête !
- Ferme ta gueule ! dit Kohler et il s'asseoit avec sa bande à une table voisine.

À ce moment, la porte s'ouvre brusquement et le garde-forestier entre avec cinq ou six jeunes gars, se dirige vers la table de Kohler et comme ceux-ci remuent leurs chaises, Kohler remarque :
- Les marxistes prennent toute la place ici.
- Quoi ? hurle le garde-forestier et puis s'adressant à l'aubergiste :
- Il est grand temps que tu interdises ta salle à cette bande de rouges. Moi, je refuse de m'asseoir dans la même salle que cette racaille.

Là-dessus, Brenner se dresse et lance son pot de bière au garde-forestier. Tous bondissent de leurs chaises, les rouges et les bruns se précipitent les uns sur les autres, les paysans veulent les séparer, il y a des cris et des jurons, les tables sont renversées et c'est une bataille générale. Tout à coup, un homme pousse un cri
- J'ai reçu un coup de couteau !

Alors, l'aubergiste intervient, avec son valet et quelques paysans il rétablit l'ordre et en un tournemain la salle est vide. Seul un bûcheron se roule par terre, son sang coule.
C'était un des nazis. Il avait reçu un coup de couteau dans le bas-ventre. On l'a transporté à l'hôpital. Il y est resté trois jours et puis est mort.
L'enterrement a eu lieu un samedi après-midi. Le maire était là ainsi que le parti au complet, renforcé par des délégations des environs et de la ville et beaucoup de curieux entouraient la tombe.
Le pasteur a dit à peu près ceci :
- Une jeune vie humaine s'est éteinte.
- Assassinée ! crie un interrupteur.
- Il ne m'appartient pas de juger devant cette tombe, continue le pasteur. Nous en sommes arrivés dans notre patrie allemande à un point tel que des frères, membres du même peuple, ont le coeur si plein de haine les uns pour les autres, que la vie d'un frère ne leur semble plus sacrée. Mais ceci n'est pas encore ce qu'il y a de plus grave. Celui qui est là couché dans ce cercueil a été baptisé et celui qui a levé le couteau contre lui a reçu le saint baptême. Êtes-vous encore des chrétiens ? Savez-vous ce que veut dire : être baptisé ? Cela veut dire : appartenir au Seigneur, faire partie de son peuple, être membre de son corps... »

Il était encore en plein milieu de son discours, quand le garde-forestier Wichtel l'interrompt et commence à parler :
- Camarade ! Tu as été assassiné, égorgé par la main infâme d'un scélérat. Mais tu es mort martyr de la nouvelle Allemagne qui s'éveille. Tu es tombé pour ta foi, et ta foi est la seule vraie...

À ce moment, le pasteur se redresse, s'éloigne à reculons de la tombe ouverte, se retourne et quitte le cimetière. Le maire, qui a observé cela, le suit ainsi que moi et quelques autres. Nous descendons lentement la rue de l'église sans échanger une parole et lorsque nous arrivons au presbytère, le pasteur prie le maire et moi d'entrer avec lui un moment.
Il nous introduit dans son bureau et d'abord il reste silencieux. Nous voyons à quel point il est ému. Au bout d'un moment, il dit :
- J'ai confiance en vous, Monsieur le maire.
- Et moi aussi, j'ai confiance en vous, Monsieur le pasteur, lui déclare le vieux Rocker. J'en ai vu de toutes sortes dans ma vie et depuis trente ans que je suis maire de ce village, mais ce qui s'est passé tout à l'heure, cela dépasse les bornes !

Alors le pasteur se tourne vers moi :
- Et toi, Peter, qu'est-ce que tu en dis ?

J'ai éclaté :
- Tu ne dois pas avaler cela, Stefan Alors il m'a expliqué :
- Il ne s'agit pas de moi, il ne s'agit pas non plus de politique, je ne m'occupe pas de cela, ce n'est pas mon affaire. Mais l'avenir m'inquiète. Notre Église est coupable et ce n'est pas d'aujourd'hui mais depuis longtemps. Elle a été tout au monde : bourreau au service de l'État, soutien du trône, société de bienfaisance, association pour l'encouragement des aspirations religieuses, mais ce qu'elle a été le moins, c'est d'être l'Eglise.
Et à présent qu'elle commence à se rendre compte que le toit brûle et que la situation devient sérieuse, à présent qu'elle commence çà et là à annoncer l'Évangile, on ne la croit plus. Et moi, comme pasteur, je dois prendre cela pour moi. Pourquoi me croirait-on plus que les autres ? Je tombe dans ce village, parmi ces gens dont aucun ne me connaît sauf toi, Peter. Ici comme partout, les esprits bouillonnent, on voit les défauts de la vie politique, chacun veut les guérir à sa façon, les opinions s'entrechoquent, on se prend aux cheveux, on n'en veut plus démordre, comme des chiens qui se disputent un os. Si donc quelqu'un se lève et s'écrie : « Regardez en haut, levez vos yeux vers les montagnes d'où vous viendra le secours ! », on se moque de lui : « D'en haut ? Ici-bas est le rôti et c'est de cela qu'il s'agit. » Que chaque tige de blé, que toute force et toute santé, que l'existence du peuple et de l'État, qu'enfin toute vie est un don d'En-Haut, qui est-ce qui le reconnaît encore ?
« Mais voici la chose, n'est-ce pas, vous comprenez !

En venant à Lindenkopf je n'ai pas traversé des océans pour annoncer l'Évangile à des peuples païens, à des hommes qui jusqu'à maintenant ont vécu dans l'ignorance, non, je suis en plein milieu de mon peuple, parmi des gens tous baptisés. À la Réforme, ce peuple a accepté le Christ et l'a reconnu pour son Seigneur. Des fleuves de bénédictions ont passé au cours des siècles sur mon peuple ; et maintenant l'heure est peut-être venue, par la faute de l'Eglise, par notre faute à nous, mauvais ministres de la Parole de Dieu, mais aussi par entêtement et présomption, par attachement aux biens éphémères, par mépris envers la foi de nos ancêtres, peut-être pour toutes ces raisons, l'heure est venue où ce peuple rejette le Christ, son Seigneur, le Seigneur du monde entier.
Est-ce qu'on ne doit pas trembler ? Si quelqu'un n'accepte pas le Christ quand il lui est annoncé, Dieu pourra peut-être passer sans rien lui dire et le laisser dans son aveuglement. Mais celui qui a été donné à Dieu par le baptême et qui le repousse, prononce son propre jugement. En face de cela, je n'ai pas le droit de me taire.
« Je suis moi-même un élève, un ignorant. Où est la foi, où sont les lumières auxquelles je pourrais faire appel si le choc se produit ? Je n'ai rien que la prière : Seigneur, je crois, viens en aide à mon incrédulité !

Ici, le maire l'interrompt :
- C'est vous que j'attendais, Monsieur le pasteur ! Moi et d'autres encore ici et là. Je veux de nouveau entendre la Parole de Dieu, il me tarde de l'entendre. Non seulement en cachette, quand je suis dans ma chambre et que j'ouvre ma Bible, mais en public et dans les réunions des chrétiens ! comme cela se doit. Et je veux vous dire encore ceci, Monsieur le pasteur : parlez, prêchez, annoncez librement - nous en avons besoin, il nous le faut !

Le pasteur s'est tu un moment, puis il a dit :
- Savez-vous ce que cela signifie, Monsieur le maire ?

Celui-ci a dit en riant :
- Oui, que vous êtes dans une maison de verre, que vous venez de provoquer leur fureur et qu'ils vont vous lancer des pierres, Monsieur le pasteur.
- Nous avons perdu l'habitude de la peur, n'est-ce pas, Peter ? répond le pasteur crânement, mais nous vérifions la parole « Il faut qu'on vous haïsse à cause de mon nom. Mais celui qui persévérera jusqu'à la fin sera sauvé ».
- Vous n'êtes pas seul, Monsieur le pasteur, a dit le maire.

Le pasteur s'est levé et lui a tendu la main. Puis il a demandé :
- Vous connaissez vos gens, que vaut le conseil presbytéral, peut-on s'y fier ?
- Dans le conseil presbytéral tel qu'il est à présent, tous sont sûrs. Le meunier est têtu, mais fidèle. Rautter a été fanatisé, mais au fond il est solide ; il ne faiblira pas quand il aura compris et il comprendra bientôt. Le fermier de la Tourbière est un pauvre diable, mais il est persévérant. Le boulanger Schlegel n'a pas de grandes lumières, mais c'est un brave garçon et il tient ses promesses.
- Je dois encore ajouter ceci, dit alors le pasteur si l'un des politiciens du village nous écoutait, il pourrait croire que nous voulons fonder un nouveau parti, par exemple un parti clérical. Il ne s'agit pas de cela, vous le savez bien. Je ne veux pas de séparatistes, mais des auditeurs de la Parole de Dieu et je ne veux pas qu'on croie en moi, mais en l'Évangile. Tout à l'heure, je prétendais que je ne me mêle pas de politique, c'est exact. Mais on ne peut pas annoncer l'Évangile sans parti pris, en ne se souciant que de l'âme et en envoyant au diable le corps et tout ce qui y touche : famille, maison, école, gouvernement - non, c'est impossible. Et le maire a affirmé :
- Sur ce point nous sommes d'accord.

Et ensuite nous sommes partis tous les deux. En route, le vieux Rocker me dit encore :
- Dresse bien l'oreille, Holzschuh, le temps est à l'orage.

Depuis ce jour, les nationaux-socialistes ont fait courir le bruit que le pasteur avait refusé l'enterrement religieux à leur camarade du parti. Et cette calomnie a été ajoutée plus tard à son acte d'accusation.



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