Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

X

Beaucoup d'amis.

Pourquoi tante Hanna avait tant d'amis. Où il fallait les chercher. Libre parcours sur les tramways électriques. Le Bourgmestre lui fait place. Tante Hanna achète des pommes de terre et s'en va à Wesel. À fécale de la Bible. La clef des coeurs.

Tout ce que nous avons raconté jusqu'ici prouve surabondamment combien tante Hanna avait d'amis. Nous voudrions cependant glaner encore un peu dans le champ de ses amitiés, certains que nous sommes d'y trouver quelques épis dignes d'être ramassés.

Beaucoup d'amis ! Et des ennemis, en avait-elle aussi ? Il y eut des moments dans sa vie où elle fut exposée aux jugements défavorables du monde ; bien des gens l'ont haïe à cause du témoignage qu'elle rendait à Jésus, mais elle a fini, à force d'amour, par vaincre l'hostilité de la plupart d'entre eux. À la fin de sa vie elle jouissait de l'affection et de la confiance générales. Le cercle de ses amis s'étendait bien loin au-delà des limites d'Elberfeld, et la nouvelle de sa mort a ému bien des coeurs, répandus sur toute la surface de l'Allemagne.

Qu'était-ce donc qui la rendait si précieuse aux yeux de tant de personnes ? Son amour, son grand amour ? Certainement, mais cet amour avait sa source dans sa profonde humilité. Dieu élève ceux qui s'abaissent. Elle s'était fait deux devises qu'elle répétait souvent et qui sont bien comme le mot d'ordre de toute sa vie : « Il faut apprendre à se courber » et « Il faut devenir comme une natte sur laquelle chacun puisse essuyer ses pieds ». Ces deux paroles contiennent tout le secret de sa personnalité. Elle n'était pas devenue humble sans peine et sans effort, au contraire elle avait un caractère entier et autoritaire et une grande tendance à dominer sur les autres. Elle n'a pas réussi toujours à briser sa volonté propre et à céder, et elle en a souvent souffert. Mais elle a voulu apprendre l'humilité à l'école de Dieu, et ceux qui l'ont approchée de plus près ont pu constater combien elle était devenue, avec les années, plus douce, plus indulgente, plus souple, plus humble en un mot. Et Dieu fait grâce aux humbles.

Nous ne voulons point passer ici sous silence un des fruits de cette humilité, nous tenons au contraire à l'accentuer tout particulièrement, afin qu'il serve d'exemple à nos femmes et à nos jeunes filles chrétiennes. Nous voulons parler de l'extrême simplicité qu'elle avait conservée dans son costume. Il nous semble que le christianisme est en train, dans notre vallée, de devenir plus apparent que profond. Il en résulte que nos milieux chrétiens sont exposés à se laisser envahir par l'esprit du jour, et que cet esprit déteint sur leur manière de vivre. L'antique simplicité de nos pères disparaît. Quiconque rencontre, le dimanche, les jeunes filles faisant partie de nos sociétés chrétiennes est singulièrement impressionné par les belles robes, les chapeaux voyants, les bagues, les chaînes d'or et autres élégances qu'elles arborent. Hommes et femmes mettent leur plaisir à se vêtir de façon à se faire passer pour plus qu'ils ne sont. On se demande avec étonnement, si notre génération ne connaît plus cette parole de l'Évangile :
« Ayez, non cette parure, qui consiste dans les cheveux tressés, les ornements d'or, ou les habits qu'on revêt, mais celle qui convient à la personne cachée dans le coeur, parure incorruptible d'un esprit doux et paisible, qui est d'un grand prix devant Dieu ? »
Est-il juste que les chrétiens ne se distinguent en aucune façon, dans leur tenue extérieure des gens du monde ? Hanna Faust aurait pu être tentée d'abandonner sa simplicité, car elle frayait avec des hommes et des femmes appartenant à la société la plus distinguée, mais elle a porté jusqu'à la fin de sa vie modeste son petit foulard croisé autour du cou, sa robe sans garniture, comme aussi elle a toujours parlé de préférence son patois du pays de Berg. Elle est restée vraiment la femme du peuple, et c'est à cause de cela précisément que beaucoup de gens l'aimaient.

Il n'y avait qu'à la suivre dans ses courses à travers la ville, pour se rendre compte de sa popularité. Chargée de ses paniers, voilà qu'elle rencontre une dame élégante, celle-ci s'arrête, lui tend la main et cause un moment avec elle, au bord du trottoir. Un instant plus tard, c'est une pauvre femme pâle et décharnée, qui ne voudrait pas passer à côté de tante Hanna sans en recevoir quelques bonnes et encourageantes paroles. Chacun la salue elle ne rencontre que des visages qui sourient à son approche. Elle monte en wagon à la gare principale d'Elberfeld, et le chef de gare s'étonne de l'empressement que les employés mettent à aider la vieille femme et à lui procurer une bonne place. Il exprime même son approbation.
« Oh ! ils en font tous autant, lui crie tante Hanna ».

Le cercle de ses amitiés s'étendait jusqu'au plus haut magistrat de la ville. Le Bourgmestre et conseiller intime Jaeger lui témoignait une grande bienveillance et rendait hautement témoignage au bien qu'elle faisait. « Mme Faust m'épargne plusieurs gardes-police », avait-il coutume de dire. Il a souvent déclaré qu'elle aurait mérité la plus vive reconnaissance de la part de la cité d'Elberfeld, alors même qu'elle n'aurait rien accompli d'autre que d'avoir sorti de la boue une femme si dépravée qu'elle était presque descendue au niveau de la bête et d'en avoir refait, avec l'aide de Dieu, une personne respectable. C'est grâce à son initiative que la compagnie des tramways avait délivré à Mme Faust un permis général de libre parcours. Le Bourgmestre l'avait mise un jour dans un grand embarras ; elle venait d'entrer dans une des voitures du tram où il se trouvait justement. À peine l'a-t-il aperçue qu'il se lève en s'écriant :
« Prenez ma place, Madame Faust, il faut que vous puissiez vous asseoir, vous qui êtes obligée de tant aller et venir ».
Rien n'y fit, elle dut bon gré malgré prendre la place qui lui était offerte. « Oh ! comme j'avais honte devant tous ces gens ! » disait-elle plus tard, en racontant cette aventure.

M. Jaeger était aussi venu la surprendre à l'Elendstal, à l'occasion d'un des anniversaires de l'empereur. Ceux qui ont entendu alors le discours humoristique avec lequel elle le présenta à la foule des assistants ne l'ont pas oublié. Si elle n'a pas manqué d'envieux, toujours à l'affût de difficultés à lui créer, elle a toujours trouvé auprès de lui l'appui le plus ferme et le plus efficace. Elle pouvait lui parler ouvertement de tout ce qui la préoccupait. Ainsi, un jour qu'elle avait pu constater la puissance des moyens de destruction dont disposaient les mécontents, elle alla le voir le coeur lourd.
« Monsieur le Bourgmestre, lui dit-elle, il se passe de tristes choses dans notre peuple, - ils ont découvert qu'avec 27 Groschen ils peuvent fabriquer des cartouches capables de faire sauter une maison, - qui sait quand ils commenceront à s'en servir, ce sera peut-être plus tôt qu'on ne le pense, car leur fureur contre le gouvernement et contre les riches est très grande. je vous en conjure, n'opposez aucun obstacle à qui que ce soit qui voudrait travailler à ramener notre peuple à la foi et au christianisme, vu que c'est l'incrédulité seule qui est cause de toute cette haine. »
N'était-ce pas là un vrai conseil de Salomon, bon à être médité de nos jours par tous les représentants de n'importe quel gouvernement ? Chaque année, à Noël, Hanna était invitée à amener chez le Bourgmestre une troupe d'enfants pauvres, qui y étaient comblés de cadeaux. Ce qui prouve d'ailleurs, mieux que tout le reste, à quel point elle était considérée comme une amie par le premier fonctionnaire de la ville et par sa famille, c'est le fait qu'elle était du nombre de ceux qui l'assistèrent à son lit de mort.

Elle avait de nombreux amis au dehors d'Elberfeld ; au premier rang de ceux-ci se trouvaient les membres dispersés de l'ancienne « Compagnie » qu'elle aimait à aller voir de temps à autres. Elle avait fait écrire une fois à l'un d'eux, qui habitait Wesel, pour lui annoncer sa visite, mais elle ajoutait qu'elle ne pouvait en fixer le jour, vu qu'il fallait, avant de partir, qu'elle se procurât des pommes de terre pour ses pauvres.

Mais le temps passait et elle n'avait pas encore de pommes de terre. Fort en peine, mais poussée par un pressentiment irrésistible, elle s'était dirigée vers une certaine rue de la ville, et tout en marchant elle se met à dire : « Seigneur, aide-moi donc, j'aimerais tant aller à Wesel, donne-moi de quoi acheter des... », ici quelqu'un frappe très fort à une fenêtre, c'est un riche particulier qui fait signe à tante Hanna de monter chez lui, - ... « de quoi acheter des pommes de terre », achève-t-elle en entrant dans la maison. Le Monsieur qui la reçoit lui raconte qu'il était assis à son bureau et que trois fois déjà il avait été poussé à courir à la fenêtre, sans comprendre pourquoi. À la troisième fois il l'avait aperçue et il avait compris ce qu'il avait à faire. Tout en parlant il remettait 200 Marks à Hanna, qui n'en revenait pas d'étonnement. Elle avait maintenant de quoi acheter des pommes de terre en suffisance, et rien ne s'opposait plus à ce qu'elle allât passer à Wesel une journée délicieuse auprès de ses vieux amis.

Elle attirait souvent, par l'accord qui existait entre ses convictions et sa vie, ceux-là même qui se tenaient soigneusement éloignés du christianisme du Wuppertal. La Bible reste le livre qui donne la vraie distinction, et l'Esprit de Dieu demeure le meilleur des éducateurs. Cela s'est manifesté d'une façon grandiose chez Hanna Faust. À part quelques rares billets qu'elle avait adressés à des amis très intimes, on ne retrouverait guère quelques lignes écrites par elle, mais elle n'en possédait pas moins une noblesse et une culture qu'elle avait acquises à l'école de la Parole de Dieu et qui la rendaient capable de considérer toutes choses à la lumière de l'éternité et de juger, avec un tact très sûr, des affaires qui auraient été, sans cela, en dehors de sa portée intellectuelle.

Ses amis lui donnaient volontiers ce dont elle avait besoin pour son travail, mais elle ne voulait rien recevoir des autres. Il lui arrivait même de refuser certains dons avec une fierté pleinement justifiée, comme elle le fit de celui que voulait lui remettre un vieux monsieur, chez lequel elle était allée collecter pour l'Elendstal. Il avait commencé par lui expliquer, dans un long discours, comme quoi il était absolument opposé à toutes les réunions, fêtes, sociétés chrétiennes et autres choses de ce genre. Les gens, disait-il, n'avaient qu'à aller à l'église, cela suffisait. Elle essaya de lui faire comprendre que les habitants de la pauvre vallée n'auraient guère le courage de se rendre à l'église dans leurs vêtements en loques, et que d'ailleurs il y avait aussi des vieillards parmi eux. Enfin, il poussa vers elle d'un air revêche un billet de 10 thalers. Non, lui répondit-elle, vous ne me le donnez pas de bon coeur, je ne puis accepter des dons de ce genre.
Le monsieur voulut insister, mais en vain, tante Hanna n'emporta pas son argent.

Que ses amis se soient recrutés surtout dans les rangs des pauvres et des misérables, aurions-nous besoin de l'affirmer ? Si la petite maison de la Riemenstrasse pouvait parler, combien de conversations ne répéterait-elle pas, dans lesquelles de pauvres âmes chargées racontaient leurs souffrances ?

Bien qu'elle ne fût pas de ceux qui croient ne pouvoir faire un pas sans qu'il leur ait été indiqué par une révélation spéciale, elle n'en était pas moins en communion constante avec le Seigneur, et toujours elle s'efforçait de discerner ses voies. Elle regardait tous ceux avec lesquels elle était mise en contact comme placés par Dieu lui-même sur son chemin, afin qu'elle leur fit du bien. Quand on considère les autres à ce point de vue-là, on se fait des amis et on se crée des amitiés qui résistent à l'épreuve du temps. « Tante Hanna possédait la clé des coeurs, et quand cette clé lui faisait défaut, elle suppliait Dieu de la lui donner, et il a bien souvent exaucé sa prière », a dit quelqu'un.

Peu de gens ont fourni au même degré qu'elle la preuve de cette vérité, que l'amour de Christ jette à la lettre un pont sur les fossés qui séparent les couches sociales. Lorsque cette simple femme du peuple est morte, son cercueil a été entouré d'une foule d'amis de toutes classes : savants et ignorants, gens simples et gens distingués, pauvres et riches, jeunes et vieux étaient là confondus, et on sentait que tous avaient été unis à elle par les liens d'une profonde affection. Dieu l'avait bénie en lui accordant beaucoup, beaucoup d'amis.

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