L'anniversaire de l'empereur. Comme
quoi on voit un démocrate-socialiste s'y
associer. « Il n'est pas question de moi
dans la Bible ». Comme quoi un
« rouge » était
arrivé à changer de couleur.
L'incomparable hôtesse. Un charretier
reconnaissant. Le long des haies. Les
trouble-fêtes. Hanna Faust en vient pourtant
un jour à faire un discours. Les fruits
savoureux des fêtes. « Il y en a
toujours eu assez ». La caisse est
à jour.
Les fêtes de l'Elendstal !
Elles constituaient bien les points culminants de
l'existence de tante Hanna. Ses yeux brillaient de
joie quand la foule envahissait chapelle et
forêt - elle voulait que chacun se
sentît heureux, les enfants qui
s'ébattaient sous la ramée et les
grandes personnes qui chantaient des cantiques et
prêtaient l'oreille aux paroles de vie qui
leur étaient adressées du haut de
l'estrade.
Quelqu'un a prétendu, un jour,
que tante Hanna était tellement optimiste,
qu'elle trouvait à ses fêtes des
beautés et des splendeurs dont personne
d'autre qu'elle-même ne se doutait.
Peut-être était-ce vrai, mais
n'était-ce pas par un effet tout
spécial de la grâce de Dieu que sa
fidèle servante, toujours placée au
coeur du combat et au milieu des tribulations de la
vie, éprouvait un réconfort et un
rafraîchissement tout particuliers durant les
heures de fête de l'Elendstal ?
Elle tenait par-dessus tout à ce
qu'on distribuât avec zèle des
invitations pour ces solennités. Il lui
importait de ne pas réunir seulement les
âmes réveillées pour les
édifier ; elle voulait rassembler
également des gens encore étrangers
au Seigneur et à sa grâce.
Elle réussissait à amener
à la fête organisée en
l'honneur de l'anniversaire de l'empereur les gens
qu'on se serait le moins attendu à y voir.
Elle était certes une bonne
chrétienne, mais aussi une ardente patriote,
voir même une patriote exaltée, et son
amour pour « notre empereur »
et « notre
impératrice », ne connaissait pas
de bornes. Elle prenait résolument parti
dans les élections communales,
régionales ou générales, pour
les candidats gouvernementaux et jamais elle n'a pu admettre
que le premier
« vagabond » venu - et comme
elle accentuait cette épithète !
- eût le même droit de vote que M. le
conseiller de commerce Boeddinghaus, pour lequel
elle avait une vénération
particulière et d'autres hommes haut
placés et bien pensants. On ne saura jamais
chez combien d'hommes et de femmes,
révoltés contre tout ordre de choses
établi, elle a réveillé
l'amour de la patrie, du trône et de l'autel.
- Il est juste de dire que l'anniversaire de
l'empereur se célébrait alors d'une
façon beaucoup plus familière que ce
n'est le cas aujourd'hui.
Un orateur, qui avait été
chargé une fois de faire le discours,
raconte qu'on avait, à l'ouverture de la
cérémonie, baptisé trois
petits enfants dont, tout naturellement, la bonne
tante Hanna était marraine. Le discours en
l'honneur de l'empereur devait suivre
immédiatement, mais sur ces entrefaites un
violent orage avait éclaté. La pluie
tombait à torrents. La salle n'avait pas
encore de plancher, l'eau pénétrait
sous les parois et bientôt le sol
était transformé en un petit lac.
Mais l'assistance ne se laissa pas troubler pour si
peu. Chacun tira ses jambes sur son banc, et la
joie que leur causait l'impérial
anniversaire n'en fut diminuée en aucune
façon.
Les élèves des
écoles du dimanche dont s'occupait tante Hanna
étaient toujours invités à se
joindre, avec leurs parents, à la
célébration de cette fête. Un
dimanche, les trois enfants d'un menuisier arrivent
à l'école en pleurant à
chaudes larmes. Tante Hanna s'informe de la cause
de leur gros chagrin, et les voilà racontant
qu'ils voudraient tant aller à la
fête, mais que leur père le leur a
sévèrement défendu. Mme Faust
les console de son mieux et promet d'aller parler
au père. Comme elle se préparait, le
lendemain, à aller voir cet homme, on
chercha à l'en dissuader à tout prix
Il était si méchant, disait-on, qu'il
ne manquerait pas de lui faire du mal, tout au
moins de la jeter en bas de son escalier. Mais
tante Hanna avait son plan, tout
préparé. Elle avait justement besoin
de quelques bancs neufs pour l'école du
dimanche et elle s'en alla tout simplement prier le
menuisier en question de bien vouloir se charger de
les faire. Elle lui procurait ainsi un gain qui
n'était point à dédaigner.
Quant à la fête, elle eut soin de n'en
pas parler, mais l'homme donna de lui-même
à ses enfants la permission si ardemment
désirée. Bien mieux, comme il avait
été invité de la façon
la plus aimable, au dernier moment, à les
accompagner, on vit cette chose
étrange : le féroce
démocrate endosser son habit du dimanche et
se rendre à l'Elendstal
pour y célébrer la fête de
l'empereur.
Elle ne se laissait rebuter par rien
quand il s'agissait de décider les gens
à participer à cet acte de loyalisme.
Elle se trouvait une certaine année,
à la veille du grand jour, au milieu d'une
troupe d'ouvriers à chacun desquels elle
essayait de passer une carte d'invitation. Mais ces
cartes ne trouvaient pas de preneurs.
« Non, il n'est pas question
de cela pour nous, disaient ces hommes que
« l'autre » ait ou n'ait pas
d'anniversaire, peu nous importe. Mais vous, quand
vous aurez votre fête, invitez-nous seulement
et soyez sûre qu'aucun d'entre nous ne
restera à la maison ! »
« A quoi pensez-vous, mes
enfants ! - s'écrie-t-elle tout
indignée. Une vieille femme comme moi ne
mérite pas un pareil honneur. Il n'est pas
parlé de moi dans la Bible, tandis qu'il y
est question de l'empereur :
« Rendez à César
ce qui est à César ! Craignez
Dieu ! honorez le roi ! »
Elle fit tant et si bien que tous les
ouvriers parurent vraiment à l'Elendstal
pour célébrer la fête de
l'empereur.
Tante Hanna avait rencontré, au
cours de ses allées et venues dans la ville,
un « rouge » de la pire
espèce, auquel elle avait pris la
liberté de dire qu'il était un homme
perdu et qu'il devait se rappeler que Christ
l'avait
racheté par son sang, bien qu'il ne lui
rendît, en retour de son amour, que la plus
noire ingratitude. Ce discours rendit cet homme
furieux, mais Dieu gardait la femme sans
défense qui s'était exposée
à cette grande colère, aussi le
forcené ne lui fit-il pas de mal. Cependant,
cette discussion et la scène qui en
était résulté, l'avaient
tellement éprouvée et émue,
que sa soeur remarqua immédiatement,
lorsqu'elle arriva chez elle, qu'il devait
s'être passé quelque chose d'insolite.
Tante Hanna lui raconta sa rencontre avec cet
homme, bien connu comme un être dangereux.
À l'ouïe de ce récit, la soeur
fond en larmes et s'écrie :
« Hanna, Hanna ! Laisse
donc les gens en paix ! Tu ne peux pourtant
pas prétendre à les rendre tous
meilleurs. Combien souvent ne te l'ai-je pas
déjà dit, tu feras notre malheur
à tous, cet homme est capable de faire
sauter notre petite maison ! »
Elle était si effrayée que
tante Hanna, malgré son courage habituel,
finit par se laisser gagner elle-même par la
peur.
Mais les choses ne devaient pas tarder
à prendre une tournure inattendue. Une
grande fête s'approchait de nouveau et tante
Hanna avait eu soin de faire parvenir une
invitation à son terrible
« rouge ». Au jour fixé
un grand nombre de personnes avaient envahi
l'Elendstal, mais
tante
Hanna n'avait qu'une préoccupation : le
« rouge »
paraîtrait-il ? La fête avait
commencé et un orateur racontait justement
la conversion d'un homme très-bas
tombé, lequel, se sentant
profondément malheureux, s'était
tourné vers Jésus quand tante Hanna,
qui épiait anxieusement les abords de la
chapelle, découvrit tout à coup
l'hôte si impatiemment attendu. Appuyé
contre un des arbres de la forêt, il
écoutait, haletant, les paroles du
prédicateur, qui lui arrivaient
distinctement au travers des fenêtres de la
chapelle. Des larmes coulaient le long de ses joues
et il répétait :
« C'est comme moi, comme
moi ! »
Il était saisi et dès lors
il ne résista plus à la puissance de
l'Évangile.
Les fêtes religieuses de
l'Elendstal étaient un des sujets de
prière constant de tante Hanna. Elle ne
cessait de demander à Dieu de lui envoyer
les hôtes bien préparés
à recevoir le message du salut, et de le
supplier de faire servir ces réunions
à sa gloire et à l'avancement de son
règne. Elle priait pour les orateurs et pour
les auditeurs, afin que la semence et le terrain
dans lequel elle tomberait fussent également
bénis.
Elle était dans son
élément quand ses hôtes
arrivaient ; elle était partout
à la fois, distribuant des poignées de main,
s'informant de ceux-ci et de ceux-là,
s'ingéniant à procurer à
chacun une bonne place, dirigeant les pasteurs vers
la petite chambre construite au-dessus de la
chapelle où ils devaient, encore avant
l'ouverture de la réunion, boire d'excellent
café tout en admirant la vue magnifique qui
se déroulait devant eux. Elle finissait
toujours par y monter elle-même et s'asseyait
un instant pour raconter un peu ce qui se passait
en bas.
Bien souvent, nous rapporte le
missionnaire Steinsick qui, lorsqu'il était,
élève de la maison des missions lui
prêtait souvent son concours, bien souvent
elle me disait :
« Priez, frère
Steinsick, nous aurons aujourd'hui à notre
fête beaucoup de
démocrates-socialistes. M. le Bourgmestre
voulait m'envoyer des agents de police, mais je les
ai refusés, je ne veux pas infliger un
pareil affront à mon Sauveur ».
Elle avait toujours quelque chose
à arranger encore et s'agitait beaucoup. On
l'entendait soupirer et prononcer à
demi-voix de courtes prières. Puis tout
à coup, elle était comme
transformée. C'est qu'elle avait vu
paraître les premiers arrivants et la
voilà qui les recevait avec le visage le
plus gai et avec les paroles les plus joviales
qu'on puisse imaginer. Voilà toute une
famille qui s'avance ; le père regarde
autour de lui d'un air sournois,
son expression est des moins avenantes. Tante Hanna
va droit à eux, leur tend la main et
s'adresse à l'homme, naturellement dans son
dialecte :
« C'est joli à vous
d'être venu et d'avoir amené votre
femme et vos enfants. Combien en avez-vous ?
Sont-ils tous là ? Ainsi deux d'entre
eux vont déjà à
l'école ? Venez avec moi, mes enfants,
il y a une jolie place tranquille pour vous
là-bas autour de cette table. Il s'agit que
vous mangiez tant que vous pourrez, quand il n'y
aura plus de café et de pain on en
rapportera. Mais les petits pourraient bien
commencer par prendre tout de suite un morceau de
gâteau, et aussi un morceau de sucre, c'est
ça qui est bon, n'est-ce pas ?
J'espère qu'ils se portent tous bien, ces
enfants. Ah ! je vois M. Steinsick qui vient
ici, il m'aide chaque dimanche, c'est lui qui tient
l'école du dimanche ; il est à
la maison des missions et il va s'en aller
bientôt chez les païens, il va vous
raconter de belles histoires. Maintenant, il faut
que je m'en aille, mais je vous reverrai encore
plus tard, et surtout n'oubliez pas de manger
beaucoup ! »
Elle s'éloignait vite, car elle
venait d'apercevoir quelques jeunes gens qu'elle
accueillait comme s'ils avaient été
ses meilleurs amis, bien que toute leur attitude
indiquât qu'ils étaient venus
uniquement dans 'l'intention de
troubler la fête en faisant du tapage. Elle
leur serrait la main à tous en disant :
« Je suis heureuse que vous
ayez aussi voulu venir une fois ici. Entrez, je
vais vous chercher une bonne place. »
Elle les installait bien au milieu de la
salle, puis elle faisait un signe à quelques
amis qui s'empressaient de venir s'asseoir à
la même table qu'eux. Elle m'appela ensuite
et me présenta à ces jeunes
perturbateurs, après quoi elle leur fit
servir du café, « car ils devaient
avoir soif après leur longue marche,
heureusement qu'il y en avait en
abondance » ; tante Hanna
remplissait elle-même les tasses, y mettait
du sucre et les engageait à se servir de
nouveau, sans crainte d'épuiser les
provisions. Elle s'enquit ensuite de leur famille,
de leurs circonstances particulières, peu
à peu leurs figures s'éclairaient.
Elle les avait désarmés et la
réunion ne fut pas troublée.
On s'est souvent étonné de
ce qu'Hanna Faust ait pu, jusqu'à un
âge très avancé, supporter les
fatigues morales et physiques que lui
occasionnaient ces fêtes. Dieu soutenait et
renouvelait visiblement ses forces. Dimanche
après dimanche elle montait à
l'Elendstal, pour y poursuivre son oeuvre d'amour.
Pendant la semaine il fallait tout remettre en
ordre, relaver, récurer ; le mercredi
elle devait souvent recevoir des
écoles du dimanche qui avaient choisi
l'Elendstal comme but d'excursion. C'était
vraiment une tâche énorme qu'elle
avait assumée là.
Pendant les réunions, on ne la
voyait jamais, écouter tranquillement les
beaux chants et les allocutions. Elle qui aimait
tant, cependant, à prêter l'oreille
à la parole de Dieu, ne se donnait pas une
minute de repos. Ne s'agissait-il pas pour elle
d'être toujours à l'affût des
gens qui passaient, des pauvres surtout, qu'elle
réussissait à amener jusque dans la
chapelle, quelque déguenillés
fussent-ils.
Un certain dimanche, les femmes qui
aidaient à servir le café furent fort
effrayées par un homme en haillons, d'aspect
patibulaire, qui était assis à
proximité de la chapelle. Elles le signalent
à tante Hanna, qui prend une assiette pleine
de beurrées, et s'en va, avec le plus
parfait sang-froid, les offrir à l'individu
suspect. Celui-ci ne se fait pas prier et les
dévore à belles dents. Lorsqu'elle le
voit bien, et dûment rassasié, elle
lui conseille de faire un détour et d'entrer
dans la salle par la porte de derrière, pour
éviter que quelqu'un ne se moque de ses
vêtements sordides, puis elle lui explique
où il pourra trouver un coin, où il
entendra tout sans être vu par personne. Elle
lui recommande ensuite de
l'attendre quand la fête sera terminée
et de redescendre avec elle en ville où elle
lui donnera des vêtements afin qu'il puisse
se faire voir de chacun. Ainsi fut fait. L'homme se
rend dans la chapelle, puis, le soir venu ;
tante Hanna traverse la forêt aux
côtés de cet inconnu et se dirige avec
lui vers la Riemenstrasse. Arrivée chez
elle, elle lui remet de quoi se vêtir de pied
en cape et, avant de le laisser partir elle
l'exhorte sérieusement à se mettre en
quête de travail. Longtemps après,
elle se voit saluée d'une manière
particulièrement polie par un charretier qui
arrête ses chevaux et lui demande, du haut de
son siège, si elle ne le reconnaît
pas. Sur sa réponse négative il lui
dit qu'il est l'homme qu'elle a conduit dans la
chapelle de l'Elendstal et qu'elle a ensuite
habillé dans sa maison. Sa grande
charité envers lui l'avait tellement
touché que le lundi suivant il
s'était mis immédiatement à
chercher de l'ouvrage. Il en avait trouvé et
maintenant il avait une bonne place où il se
sentait très heureux. Et c'était
à elle seule, et à l'amour qu'elle
lui avait témoigné qu'il le devait,
répétait-il.
Quand tous les hôtes de la
chapelle étaient repartis et qu'il ne s'y
trouvait plus que quelques femmes occupées
à la remettre en ordre, on voyait souvent
paraître des cheminaux, qui étaient
venus chercher un abri pour la
nuit dans la forêt. Ils s'asseyaient -
parfois au nombre de cinq ou six - autour d'une
table, sans rien dire et la chère tante
Hanna, qui avait encore dans son coeur aimant une
place pour ces pauvres gens, leur servait
elle-même du café et des
beurrées sans négliger de leur
adresser quelques bonnes paroles destinées
à leur faire trouver le chemin du ciel.
Combien n'avait-elle pas à coeur
de voir ses fêtes se terminer sans que rien
ne les eût troublées ! Elle
demandait toujours au Seigneur de les
préserver de tout incident pénible.
Et pourtant il arrivait que tout ne se passât
pas sans encombres. Le temps pouvait parfois en
compromettre considérablement la'
réussite, et même constituer un
véritable danger. Nous nous souvenons entre
autres d'un orage épouvantable survenu
pendant que les enfants d'une des écoles du
dimanche d'Elberfeld se trouvaient à
l'Elendstal. La pluie tombait à torrents et
la force de l'ouragan menaçait de renverser
la chapelle, très légèrement
construite. Mais, Dieu, comme toujours, veillait
sur la maison qui résista, contre toute
attente, à l'assaut de la tempête. Il
arrivait aussi que des mauvais sujets vinssent
déranger les réunions, mais la joie
de tante Hanna était grande quand elle
réussissait à déjouer leurs mauvais desseins. Un
jour
deux vauriens arrivent, dans l'intention, hautement
affichée, d'empêcher le pasteur Ohly
de parler. Un gendarme se trouvait à
portée, prêt à
intervenir : « Le gendarme avait
déjà les menottes en poche, racontait
tante Hanna, il les faisait même sonner.
Alors je lui ai dit : Monsieur le gendarme,
commencez, je vous prie, par boire une bonne tasse
de café, après quoi je suis vite
allée parlementer avec mes deux mauvais
drôles.
« Voyons, mes garçons,
leur ai-je dit, pourquoi voulez-vous troubler le
cher pasteur Ohly, qui dit de si belles choses.
Allez vite à la maison pour que le gendarme
ne vous attrape pas, il a déjà les
menottes en poche ».
« Madame Faust, m'ont-ils
répondu, nous ferons ainsi parce que c'est
vous qui nous le dites, mais ce n'est au moins pas
par peur du gendarme. »
Elle avait ainsi évité le
scandale qu'aurait causé une arrestation
opérée à l'Elendstal.
Bien des voix diverses se sont fait
entendre pendant ces fêtes, les discours ont
varié selon les temps et les circonstances,
mais le même Esprit les a cependant toujours
inspirés et leur but a toujours
été - selon l'ardent désir de
tante Hanna - la gloire et la louange de notre
Sauveur bien aimé.
Le côté spirituel de ces
réunions demeurait l'essentiel aux yeux de
leur
promotrice, mais leur côté
matériel nécessitait beaucoup de
travail et n'était pas toujours sans soucis
et sans désagréments. Mais pour ces
choses extérieures tante Hanna s'en
remettait aussi à Dieu qui lui multipliait
son secours d'une façon souvent
merveilleuse.
C'était vers la fin de sa vie
qu'une Société de Cronenberg
s'était annoncée pour le dimanche
suivant. Ce jour-là il faisait une pluie
diluvienne. À deux heures tante Hanna avait
envoyé un messager à Cronenberg, pour
savoir si la Société en question
comptait venir malgré la pluie. Oui, tous
ceux qui en faisaient partie viendraient, lui
répond-on. Aussitôt on se hâte
de préparer à l'Elendstal 300
portions de café. À peine tout
était-il prêt, que l'on apprend que la
Société renonce à venir, la
pluie n'ayant pas cessé de tomber. Grand
émoi parmi les femmes et jeunes filles
réunies à la chapelle, elles se
lamentent à l'idée des 300 portions
de café qui vont être perdues. Mais
tante Hanna ne se laisse pas décontenancer
et déclare que certainement il y sera
pourvu. Elle ne se trompait point. Peu de temps
s'était écoulé quand arrive
une école du dimanche, ne comptant pas moins
de 160 enfants. La phalange enfantine et ses
conducteurs ne sont pas peu étonnés
de se voir accueillis à
bras ouverts par tante Hanna qui leur crie, avant
même qu'ils aient pu demander s'il y aurait
quelque possibilité d'avoir du
café :
« Soyez les bienvenus !
La table est mise pour 300 personnes ».
Un instant plus tard une bande
d'élèves missionnaires se
présentait à la porte de la chapelle,
puis, oh ! terreur, voilà la
Société de Cronenberg qui
paraît au bout du chemin ! La
difficulté était maintenant de savoir
comment caser tout ce monde. Le calme et le
savoir-faire de tante Hanna sauvèrent encore
une fois la situation, et en définitive,
petits et grands trouvèrent moyen de
s'asseoir.
L'inépuisable bonne humeur de
l'excellente femme lui était dans tous ces
cas difficiles d'une immense utilité.
C'était vraiment un don de Dieu. Ainsi, une
fois que le laitier avait tout simplement
oublié de fournir les trente ou quarante
litres de lait qui lui avaient été
commandés pour une fête, elle se tira
d'affaire en tenant à ses hôtes un
petit discours humoristique dans lequel,
après s'être excusée de
l'absence de lait, elle annonça d'un ton
solennel que pour le remplacer chacun serait
autorisé à mettre dans son
café un morceau de sucre
supplémentaire. Elle avait réussi
à faire rire les gens, leur
mécontentement s'était évanoui
d'avance.
On comprendra aisément qu'il se
trouvait souvent, parmi tant d'hôtes divers
des gens indiscrets et mal élevés. Le
sens pédagogique de Mme Faust trouvait
à s'exercer vis-à-vis d'eux. Elle
avait découvert que la consommation de sucre
était exagérée ;
après chaque fête les sucriers
étaient absolument vides. Il s'agissait
d'éduquer les gens et de leur apprendre
à se servir avec modération. À
la prochaine fête elle mêla dans de
grands pots le café, le lait et le sucre et
pria un des pasteurs présents de dire
quelques mots à l'assemblée pour
expliquer la raison de ce nouveau mode de
procéder. Mais il s'écria :
« Non, non, Madame Faust,
c'est à vous de le faire, vous vous en
tirerez beaucoup mieux que moi ».
Tout en parlant, il agitait sa sonnette,
puis il donnait la parole à Mme Faust. Sans
se laisser décontenancer elle explique, dans
son patois et avec son originalité
habituelle, qu'il faut être pratique dans ce
monde et simplifier les choses. En quelques mots
pleins de tact et de délicatesse, mais
cependant très compréhensibles, elle
touche en passant à la raison qui l'a
obligée aujourd'hui à cette
simplification. - À la prochaine occasion
elle dit à ses aides :
« Nous allons bien voir si ces
gens m'ont comprise ! »
Ils l'avaient comprise en effet, son
discours avait atteint son but. Elle put servir de
nouveau le café
comme elle en avait toujours eu l'habitude et le
soir il restait beaucoup de. sucre dans les
sucriers.
Dieu lui a accordé la joie de
voir de ses yeux des fruits tangibles du travail
qu'elle accomplissait avec tant d'amour à
l'Elendstal. Ainsi, il était arrivé
un jour qu'une bande d'ennemis
déclarés de l'Évangile avaient
pris part à une fête. Nul ne savait
quelle impression elle avait produite sur eux. Les
aides de tante Hanna n'étaient pas sans
inquiétude en pensant au long chemin sous
bois qu'elles devraient parcourir pour rentrer chez
elles. Tante Hanna les encourageait et marchait
bravement devant elles dans l'obscurité.
Tout à coup elle s'arrête. Elle venait
de découvrir dans un fourré des
formes indécises. Qui donc se cachait
là ? Elle invoque mentalement l'aide de
son Dieu, puis elle se dirige tout droit sur ces
hommes qu'elle n'avait fait qu'entrevoir. L'un
d'entre eux vient à sa rencontre et lui
saisit les deux mains en lui disant d'une voix
émue :
« Je vous remercie, Madame
Faust, je vous remercie ; vous êtes la
seule personne qui nous veuille du bien et qui nous
aime, nous autres pauvres gens, nous l'avons bien
senti là-haut. Nous étions
allés à la fête pour y faire du
scandale, mais nous ne l'avons pas pu. Où prenez-vous
cet
amour ? je
n'aime pas les
« mômiers », ce sont des
hypocrites, mais vous, vous êtes bonne pour
les pauvres et pour ceux que les autres
méprisent. Il y a longtemps que ma femme
désire aller aux réunions et mes
enfants à l'école du dimanche, mais
je le leur défendais. À
présent ils pourront y aller chaque
semaine ».
Lui-même se mit plus tard à
suivre les réunions.
Elle a fait également à
l'Elendstal, plus encore qu'ailleurs,
l'expérience de la bonté avec
laquelle le Seigneur pourvoit aux besoins
matériels de ses enfants. Elle voyait
parfois affluer les foules au delà de toute
attente, et ceux qui se pressaient dans la vaste
salle de l'Elendstal étaient presque tous de
pauvres gens doués d'appétits
énormes et bien décidés
à manger jusqu'à
satiété entière. Lorsque des
personnes qui lui prêtaient leur aide
manifestaient devant elle la crainte que les
provisions ne fussent pas suffisantes pour tant de
gens, elle répondait invariablement :
« Nous avons toujours eu
assez, nous aurons assez cette fois
encore ».
Et vraiment jamais sa confiance n'a
été trompée. Ce n'était
pas une petite affaire que de trouver de quoi payer
les frais de cette large hospitalité, car
les consommateurs que l'on restaurait gratuitement
lors des fêtes se comptaient souvent par
centaines.
Un lundi matin en bouclant ses comptes,
elle découvre qu'ils accusent, bien qu'elle
eût fait auparavant une collecte chez un
certain nombre de ses amis, un déficit de 18
marks (22 fr. 50). « Alors,
racontait-elle, je Lui dis : Vois-tu, j'ai
tant de travail sur les bras, et c'est pour Toi que
je l'accomplis ; je le fais de tout mon coeur,
mais Toi, Tu peux bien veiller à ce que ma
caisse soit à jour. Je ne veux pas faire de
bénéfice, mais je ne peux pas y
mettre du mien, je ne possède
rien. »
Elle ne devait pas tarder à avoir
honte de ce mouvement d'humeur. Tôt
après elle prenait, pour se rendre en ville,
le tramway électrique. « Quelle
chance de vous rencontrer Madame Faust,
s'écrie une jeune dame assise en face
d'elle, j'ai justement sur moi quelque chose qui
vous est destiné ». Elle lui
glissait dans la main, tout en parlant, une
pièce de 20 marks (25 fr.). Alors,
expliquait encore Hanna, j'ai dit à mon
Sauveur :
« Vraiment, ce n'est pas ainsi
que je l'entendais, je ne prétendais pas
à recevoir de Toi immédiatement cet
argent. Je ne t'en remercie pas moins mille fois. -
Ah ! il est fidèle, mon
Sauveur. »
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