Un jour elle visitait une femme malade d'esprit
et qui se croyait damnée.
« Tenez-vous à aller en
enfer ? » lui demande Hanna Faust.
La malade le nia de la façon la plus
énergique, déclarant, au contraire,
que tout son désir tendait vers
Jésus.
« Dans ce cas n'ayez aucune
crainte, s'écrie tante Hanna, le diable ne
sait que faire des gens qui veulent aller vers
Jésus, et il les jette hors de
l'enfer. »
Cette affirmation tranquillisa
visiblement la malade.
Un autre jour elle était au
cimetière près des tombes de ses
bien-aimés. Triste et abattue, elle se
sentait débordée par sa tâche,
à laquelle il lui semblait que ses forces ne
suffisaient plus.
« Oh ! Seigneur,
s'écrie-t-elle,
il faut que tu m'aides, je ne puis plus continuer
à travailler seule ».
À ce moment elle voit, à
quelque distance, une jeune femme en deuil debout
près d'une tombe. Elle s'approche d'elle et,
tout étonnée, elle apprend qu'elle
est toute seule et abandonnée, qu'elle se
sent inutile et ne sait à quoi employer ses
forces, n'ayant plus personne au monde qui
s'intéresse à elle.
« C'est le Seigneur qui
m'envoie près de vous, lui dit tante Hanna
dont le visage rayonne de joie. Je cherche
quelqu'un qui puisse m'aider, ne voudriez-vous pas
lé faire ? »
Puis elle se met à lui expliquer
ce qu'est son oeuvre et comment elle s'étend
trop pour qu'elle puisse désormais
l'accomplir seule. La jeune dame l'a
accompagnée à l'Arrenberg et elle est
devenue pour elle une précieuse
collaboratrice.
Tante Hanna descendait de l'Elendstal,
quand elle voit une femme assise tout au bas de la
pente boisée que le chemin de fer longe. Il
faut que je descende vers cette femme,
pense-t-elle. Arrivée auprès de
l'étrangère, elle découvre un
visage ravagé par le chagrin et la
souffrance. Tante Hanna s'assied à
côté d'elle et se met à lui
parler avec bonté. La femme répond
à peine, mais finit par se laisser emmener
à la Riemenstrasse. Là on lui donne
à manger et enfin sa langue se délie,
elle raconte une existence de
souffrance, mais aussi de péché, et
elle avoue cette chose horrible, que là-bas,
dans le bois, elle attendait le passage d'un train,
bien décidée à se jeter sous
la locomotive, pour mettre un terme à sa
misérable existence.
Il pleuvait, le vent soufflait en
tempête, et tante Hanna jouissait de se
sentir bien à l'abri dans sa maisonnette.
Tout à coup elle entend une voix
intérieure qui lui dit :
« Va voir la famille
H. »
Tout son être se révolte
à cette pensée et elle
s'écrie :
« Comment Seigneur ! je
devrais sortir par un temps
pareil ! »
Mais rien n'y fait, la voix devient si
impérieuse qu'elle est obligée de se
mettre en route. En arrivant chez les gens en
question, elle les trouve tous assis autour de la
table, mais elle sent bientôt, avec son tact
si affiné, qu'il se passe quelque chose
d'anormal et que ses hôtes sont la proie de
pensées sombres et mauvaises. Elle
connaissait leur situation et, après avoir
demandé tout bas le secours de Dieu, elle se
mit à causer avec eux d'une façon
toute simple et à leur rappeler les
consolations et les promesses que le trésor
de la parole de Dieu contient pour ceux qui sont
travaillés et chargés. Lorsqu'elle se
lève pour prendre congé d'eux,
l'homme l'accompagne jusqu'à la rue, et
là il sort de sa poche une corde qu'il lui tend en
disant :
« Voyez Madame Faust,
j'étais décidé à me
pendre avec cette corde à un arbre, ce soir
même, mais votre visite m'a
sauvé. »
On se représente aisément
qu'en rentrant chez elle tante Hanna ne se
préoccupait plus guère du vent ni de
la pluie.
Elle avait connu dans sa jeunesse une
famille qui demeurait tout près de chez elle
et dont la situation était des moins
enviables. La femme ne s'entendait pas à
tenir son ménage avec ordre et la
mère d'Hanna lui venait en aide, dans la
mesure du possible. Puis cette famille avait
quitté le quartier, pour aller
s'établir dans une autre partie de la ville.
Les affaires de ces gens avaient
périclité de plus en plus et tante
Hanna avait fini par les perdre de vue. Mais un
jour, alors que depuis bien des années elle
n'avait plus entendu parler d'eux, ils
s'imposèrent tellement à son
souvenir, qu'elle ne cessa du matin jusqu'au soir
d'être tourmentée à leur sujet.
À la fin, n'y pouvant plus tenir, elle se
décide à les aller voir sur l'heure
et elle sort en avertissant son mari qu'elle ne
rentrera peut-être qu'à une heure
tardive. Elle entre chez ces gens et trouve le mari
assis dans un coin et plongé dans de sombres
pensées, les enfants réfugiés
près de la mère le regardent d'un air
craintif. Tante Hanna s'avance, mais personne ne prend
garde à elle et ne
songe à lui offrir une chaise. Elle
s'assied, sans y être invitée,
à côté de l'homme, auquel elle
dit à brûle-pourpoint :
« Dites donc, vous n'avez pas
l'air d'être de bonne
humeur ! »
« Laissez-moi tranquille,
Madame Faust », s'écrie-t-il
brusquement !
« Non, je n'en ferai
rien ! »
« Madame Faust, je vous le dis
encore une fois, laissez-moi
tranquille ! »
« Pas du tout, je vais vous
raconter une histoire - vous la connaissez
déjà, mais vous l'écouterez
bien encore une fois. »
Et la voilà qui raconte tout
simplement la parabole de l'enfant prodigue. Tandis
qu'elle parle, les yeux de l'homme se remplissent
de larmes. Après avoir longtemps
causé avec lui, elle réussit à
lui arracher la promesse qu'il ira, sitôt
qu'elle sera partie, dans sa chambre et qu'il
suppliera Dieu, à deux genoux, de lui faire
grâce. Elle-même s'engageait à
intercéder pour lui de la même
façon, sitôt qu'elle serait de retour
chez elle.
Lorsqu'elle sort de là, la femme
la suit pour lui raconter que son mari
s'était abaissé jusqu'à la
frapper. Elle-même avait pris la
résolution de le quitter encore ce
soir-là, car il avait déclaré
vouloir la tuer d'abord, les enfants ensuite, cette
nuit même. Hanna Faust la pria de rester
tranquillement auprès de son mari, car,
disait-elle, elle avait la ferme
confiance qu'un changement allait se produire chez
lui. Le dimanche suivant le pasteur Rink devait
présider une réunion ; Hanna,
avait insisté d'avance auprès de
l'homme en question pour qu'il y prît part
et, vraiment, il se trouvait au nombre des
auditeurs. À l'issue de la réunion,
il vint vers elle et lui dit :
« Je ne vous en veux pas
d'avoir raconté toute mon histoire à
ce pasteur, j'en ai retiré une grande
bénédiction. »
« Venez donc avec moi
auprès de Monsieur le pasteur, »
répond-elle.
« Monsieur le pasteur, vous
ai-je jamais dit une seule parole au sujet de cet
homme ? »
Rink put déclarer en toute
sincérité qu'il n'avait jamais
entendu parler de lui.
Cet homme s'est converti d'une
façon absolue. Il racontait plus tard que
des pensées d'assassinat s'étaient
emparées de lui, au point qu'elles
étaient devenues pour lui une
véritable obsession. Il lui semblait
être possédé par une puissance
mauvaise, à laquelle il ne parvenait pas
à se soustraire. Deux ans après ces
événements, il mourait dans la foi
vivante en son Sauveur. Hanna Faust put l'assister
dans sa lutte dernière et fermer
elle-même ses paupières
fatiguées.
Tante Hanna visitait fréquemment
une femme dangereusement malade, dont le mari
était un socialiste
militant. Elle avait bien vite remarqué que
la malade était fort mal couchée et
avait un besoin urgent d'un meilleur lit. Un jour
elle demanda au mari s'il lui rendrait le service
de transporter un lit à l'adresse qu'elle
lui indiquerait. Il y consent volontiers et
l'accompagne jusque chez elle. Là il charge
le lit sur ses épaules et ils ressortent
ensemble, tante Hanna marchant toujours à
ses côtés. Quand il comprit que leur
but était sa propre demeure et que le lit
était destiné à sa pauvre
femme malade, des larmes jaillirent de ses yeux.
L'amour l'avait vaincu et il devait être
désormais un homme différent de celui
qu'il avait été dans le
passé.
Une des plus belles victoires qu'il
devait être donné à Hanna Faust
de remporter, avait pour héros un
anarchiste. Celui-ci avait pris part à
l'attentat dirigé, lors de l'inauguration du
monument de Niederwald, contre l'empereur
Guillaume, - attentat qui avait été
déjoué par une intervention
providentielle, sans laquelle Guillaume 1er et tous
les princes et grands personnages allemands,
auraient infailliblement sauté. Le plan de
toute l'affaire avait été
combiné à Elberfeld, on avait
même décidé de s'assurer de la
force des bombes préparées en en
lançant une contre un restaurant connu,
à l'occasion d'un congrès de
médecins. Là déjà, la main de Dieu avait
empêché un grand malheur. L'anarchiste
dont Hanna Faust devait avoir à s'occuper
plus tard avait été fortement
compromis dans cette affaire et s'était
soustrait par la fuite à la punition
certaine qui l'attendait. Après de longues
années passées en Amérique, il
était rentré en Allemagne, croyant sa
vie désormais en sûreté, et
s'était établi de nouveau à
l'Arrenberg. C'était à
l'époque où un ouvrier avait fait, un
jour, à tante Hanna cette communication
sensationnelle : la science avait
découvert que l'âme n'était
rien autre qu'un petit corps noir, de la grosseur
d'un pois, placé dans la région de
l'estomac. C'était l'époque aussi
où une grande partie des ouvriers
commençaient, sous la pression de la
démocratie sociale, à tourner le dos,
le sachant et le voulant, à la foi
enseignée par la Bible.
Notre anarchiste était un des
pires d'entre les promoteurs de ce mouvement. Il
travailla avec un fanatisme aussi ardent
qu'effrayant, à faire triompher les
doctrines socialistes. Il prenait un plaisir
diabolique à détruire, principalement
dans les jeunes coeurs, jusqu'aux derniers vestiges
de crainte de Dieu et d'amour pour sa parole et
pour le Sauveur. Il était même
allé jusqu'à parodier, de la
façon la plus scandaleuse, dans une
assemblée publique, le beau cantique qui commence
par
ces
mots : « Jesus, meine
Zuversicht » (Jésus, en qui je me
confie).
Cet homme tomba gravement malade et
tante Hanna ne l'eût pas plutôt appris
qu'elle décida d'aller le voir. Elle mit sur
l'heure son projet à exécution et ne
chercha pas à faire autre chose qu'à
lui témoigner de l'affection, de toutes
sortes de façons. Elle lui rendait une foule
de services, ne lui disant jamais un mot qui
eût trait à la religion, et
l'écoutait patiemment, quand il lui parlait
en long et en large des merveilles du
Nouveau-Monde. Elle attendait l'heure favorable. Un
jour, il lui demanda avec une expression
étrange :
« Madame Faust, que
pensez-vous de l'âme humaine ».
Il n'entrait pas dans ses intentions
d'entamer une discussion avec lui, aussi
répondit-elle simplement :
« Un homme
expérimenté, comme vous, doit en
savoir beaucoup plus long sur ce sujet qu'une
pauvre ignorante comme moi ».
Quatre semaines s'écoulent
encore. Enfin elle l'entend gémir et crier
à haute voix :
« Pourquoi faites-vous tout
cela pour moi ? Mon Dieu, mon
Dieu ! »
« Comment ?
s'écrie tante Hanna, vous croyez qu'il
existe un Dieu ? jusqu'ici vous aviez toujours
soutenu le contraire ».
« Oui, oui, il y a un
Dieu ! 0 effrayante
éternité ! »
« S'il en est ainsi, vous pourrez
trouver du secours.
Voici une Bible, lisez donc le chapitre XV de
St-Luc ! » Et tante Hanna s'en va,
heureuse de ce que l'Esprit de Dieu avait
commencé à agir dans ce pauvre coeur
d'homme. Elle ne cessait de supplier Dieu de faire
retrouver à cet enfant prodigue le chemin de
la maison paternelle et la paix.
Quelques jours plus tard, elle revenait
auprès de son malade et voyant sur son lit
la Bible ouverte, elle lui disait :
« Avez-vous lu l'histoire de
l'enfant prodigue ? ».
« Oui, je l'ai lue, mais pour
moi il n'y a plus de salut
possible ! »
Et le voilà qui se met à
crier avec des accents
désespérés :
« 0 Dieu, ô Dieu,
ô effrayante
éternité. »
« La grâce est toujours
là, » s'écrie tante
Hanna.
« La grâce ? Si
vous saviez quel homme je suis, comment j'ai
entraîné les autres et les ai
détournés de la foi, vous ne diriez
pas qu'il y a encore de la grâce pour moi.
Oh ! il faut que je vous confesse mes
crimes. »
« Non, non, pas à
moi ! Envoyez chercher un pasteur !
supplie tante Hanna, dont la délicatesse
féminine se refuse à entendre cette
confession. »
« Je ne veux rien avoir
à faire avec les pasteurs ! Mais aidez
- moi donc, vous. Ça brûle
là-dedans comme le feu de l'enfer. 0
Dieu ! 0 effroyable
éternité ! »
En face de ce désespoir farouche,
tante Hanna ne peut plus que dire à la femme
du malade :
« prions
ensemble. »
Les deux femmes s'agenouillent et Hanna
Faust crie au Seigneur, elle l'implore avec
instance, afin qu'il délivre, par la
puissance de son sang répandu pour les
pécheurs, cette âme captive.
« Jésus est
vainqueur ! » s'écrie-t-elle
en se relevant et elle essaye encore de
décider cet homme à faire chercher un
ecclésiastique et à lui confier ses
fautes. La lutte que se livrèrent, durant
les jours qui suivirent, la lumière et les
ténèbres dans le pauvre coeur
torturé de ce malheureux fut terrible. On
entendait ses cris d'angoisse par-delà la
rue, jusque dans le café où se
rassemblaient les adeptes des doctrines qu'il avait
professées jusqu'alors.
Enfin, sa femme vint demander à
tante Hanna d'envoyer un pasteur auprès de
son mari. Mais à cause des membres du parti
de celui-ci, qui demeuraient tout à l'entour
et qui suivaient avec une attention
surexcitée la marche de cette affaire, tante
Hanna n'y consentit pas.
« Il faut que vous le fassiez
chercher vous-même, répond-elle. Vous
avez des enfants que vous pouvez envoyer de votre
part. »
Ces gens suivirent ce conseil et un de
leurs enfants alla prier un pasteur de venir voir
son papa, le plus vite possible.
Un fidèle témoin de
l'Évangile s'approche du lit et le malade
peut décharger son coeur du poids qui
l'oppresse et écouter d'un coeur avide le
message magnifique du Sauveur, toujours prêt
à avoir compassion de quiconque implore son
pardon.
Parvenu à la foi entière,
cet homme ne voulait plus rien avoir de commun avec
ses anciens camarades. Il disait à ceux, -
bien rares - qui venaient encore le voir :
« Vous m'avez menti et vous
m'avez trompé, moi et bien d'autres. Ce que
Mme Faust m'a apporté m'a donné le
salut et la paix. »
Et quand il sentit venir sa
dernière heure, il put dire à l'amie
maternelle qui se tenait près de son
lit :
« La société m'a
rejeté, mais le Seigneur m'a gracié.
Je suis libre ! »
Ce fut son cri de joie, peu avant sa
fin.
Hanna Faust alla avec le pasteur au
cimetière le jour de l'ensevelissement, qui
nécessita la présence d'un grand
nombre d'agents de police, car plus d'un millier de
socialistes accompagnaient le défunt
jusqu'à sa tombe, au bord de laquelle le
pasteur raconta ce que le Seigneur avait accompli
pour cet homme et comment il avait tellement
transformé son coeur, qu'il n'avait plus
pris son plaisir que dans l'assurance du salut par
grâce.
Cet événement n'a pas
seulement causé en son temps une énorme
sensation, il a produit aussi sur beaucoup de
coeurs une profonde impression. Un socialiste
convaincu et violemment hostile au christianisme,
en entendant raconter cette histoire en avait
été tellement saisi, qu'il
était resté longtemps silencieux,
plongé dans ses réflexions. Tout
à coup, il dit à ceux qui le
soignaient - il était malade - :
« Je me demandé si Mme
Faust viendrait aussi me voir ? »
On l'envoie chercher, elle accourt et
bientôt elle peut amener auprès du
malade un pasteur qui devient l'instrument de son
salut.
L'éternité seule
révélera le nombre des fils et des
filles prodigues pour lesquels l'intervention
fidèle et simple de tante Hanna a
été la cause déterminante de
la crise qui devait aboutir à leur
entière conversion.
Mais ce n'était pas seulement
dans les demeures, des pauvres que Hanna Faust
exerçait son ministère
spécial, elle faisait de la cure
d'âmes également dans les demeures des
gens riches et cultivés. Quand elle se
présentait chez ses clients, avec ses
paniers pleins de café, elle y trouvait la
plus cordiale bienvenue. Presque partout elle se
voyait accueillie par tous les habitants de la
maison, maîtres et domestiques, comme une
amie, et son arrivée était
saluée avec la joie la plus vive. Elle
était l'amie de tous ; souvent on la retenait
pour
avoir avec elle un moment de conversation
intime ; bien des mères lui confiaient
les secrets soucis de famille, qu'elles n'auraient
dit à personne d'autre. On lui racontait
beaucoup de choses, parce qu'on la savait d'une
discrétion à toute épreuve et
parce que cette femme simple et fruste avait
toujours pour chacun une parole de consolation et
savait tourner les regards vers les
réalités éternelles. On aimait
aussi à l'associer aux joies familiales,
parce qu'elle avait le don de savoir se
réjouir avec les heureux et de jeter sur
leur bonheur un rayon de la lumière d'en
haut. Aussi sont-elles nombreuses dans les rangs de
la « société »
les âmes qui regrettent amèrement le
temps où tante Hanna venait parfois frapper
à leur porte.
Elle a été
également en bénédiction aux
pasteurs avec lesquels elle était
liée. Elle s'entendait si bien à
trouver le mot juste, quand elle rencontrait l'un
d'entre eux, dans un moment où il se sentait
découragé et
désemparé ! Ainsi, un jour elle
avait rencontré le pasteur Rink et
remarqué son front penché et son air
soucieux, elle traverse la rue et l'aborde en lui
disant, avec l'intonation pénétrante
qui lui était propre :
« Regardons à
Jésus. »
« Je vous remercie Hanna,
répond Rink, c'est la parole dont j'avais
précisément besoin. »
Elle a été une amie
précieuse pour le bienheureux pasteur
Neviandt qu'elle savait réconforter
toujours, dans les heures sombres et
pénibles qu'il traversait parfois. Combien
de fois n'est-il pas resté debout à
côté d'elle, devant son métier
à tisser, et ne lui a-t-il pas
raconté les doutes et les tentations qui
assaillaient son coeur. Un jour qu'il lui exposait
ses scrupules théologiques, il finit par
s'écrier :
« Qu'est-ce donc qui me manque
Hanna ? »
« Je le sais bien, M. le
pasteur, mais je ne vous, le dirai
pas. »
« Je vous en prie,
chère Hanna, dites-le-moi au contraire, et
aidez-moi à sortir de ma
détresse. »
« Non, vous vous
fâcheriez. »
Comme il insistait elle s'écrie
enfin, en le regardant de ses yeux lumineux :
« Voyez-vous, Monsieur le
pasteur, il faut que vous deveniez encore beaucoup
plus bête que vous ne
l'êtes... »
Neviandt trouva le conseil un peu
dur ; il ne répondit pas grand'chose et
s'en alla. Mais ces paroles ne cessaient de le
hanter, et peu après il revenait voir Hanna
et lui criait de la porte : « C'est
fait, Hanna, c'est fait ! »
C'était là, peut-être, le
secret de la simplicité et de la profondeur
de ces explications bibliques de Neviandt, qui ont
été en grande
bénédiction à tous ceux qui
les ont entendues et dont le
souvenir est encore vivant au milieu de nous.
Quand les pasteurs de la vallée
prêchaient et annonçaient
l'Évangile, elle les soutenait par ses
prières et ses instantes intercessions. Le
prédicateur de la cour de Berlin, Ohly,
disait :
« Elle a été
pour nous une protection, quand nous avons
commencé les réunions de la rue de
l'Aniline. »
Le pasteur Thyssen, cet ami
déjà nommé ailleurs, a
raconté le secours que tante Hanna lui avait
prêté, - nous donnons ici son
récit sans l'abréger :
« Tante Hanna n'était
pas seulement une mère pour le peuple, elle
était aussi la mère des candidats.
Elle a assisté beaucoup d'entre eux
lorsqu'ils faisaient leurs premières armes
et je suis de ce nombre. Elle était
toujours, il y a de longues années de cela,
en quête d'hommes qui voulussent bien diriger
les réunions bibliques de la rue de
l'Aniline, aussi est-ce là que plus d'un
candidat a débuté. Je m'y rendais
avec elle, par une soirée pluvieuse. Mon
coeur battait de plus en plus fort et mon courage
baissait. Avec cela, il fallait régler mon
pas sur celui insupportablement lent, de la vieille
tante. Pourtant, tout en cheminant elle ne cessait
de m'encourager dans son patois :
« Regardez seulement au
Seigneur, pas à vous-même. Il vous
aidera certainement. Par-dessus
tout ne vous laissez pas aller à avoir peur,
mon garçon ! »
Nous avancions donc, par saccades, car
l'âge et la corpulence lui rendaient :
la respiration pénible, - enfin, tout en
écoutant les exhortations de tante Hanna, en
implorant le secours de Dieu et en luttant contre
mes propres pensées, j'étais
arrivé au terme de notre longue course.
Les choses étaient bien telles
qu'on me les avait décrites : une
étroite salle, avec une chambre à
coucher attenante, toutes les deux pleines de
monde, une atmosphère étouffante, une
buée lourde qui forme immédiatement
un voile impénétrable sur les
lunettes du pauvre candidat et lui soustrait si
bien la vue de son auditoire, qu'il se voit,
littéralement, seul en face de
lui-même. J'étais placé entre
deux fenêtres donnant sur la rue, tante Hanna
avait eu soin de me mettre ainsi à l'abri de
dangers et d'attaques possibles.
Ce faubourg était habité
alors par une population violente. Je parlais
depuis un quart d'heure à peine, quand on
frappa à la fenêtre du dehors en
même temps que retentissait une volée
d'injures et de malédictions.
« Tenez-vous seulement
tranquille un moment, » me dit tante
Hanna, puis quand le vacarme a diminué, elle
s'écrie : « Bon, à présent vous
pouvez continuer ! »
La réunion s'acheva au bruit des
grondements toujours plus lointains de l'orage qui
s'était déchaîné devant
les fenêtres et au milieu de l'attention
silencieuse des assistants, que troublaient seuls
parfois les vagissements d'un nourrisson. - La
cordiale reconnaissance des braves gens qui dans
leur grand désir d'échapper à
l'incrédulité ambiante et de trouver
le Sauveur, ne craignaient pas de venir respirer
pendant une heure un air lourd et
raréfié, récompensa amplement
le pauvre candidat qui, tout trempé de
sueur, se sentait pourtant heureux d'avoir pu tenir
avec l'aide de Dieu, sa première
réunion. »
Avais-je donc tort de prétendre
que tante Hanna possédait à un rare
degré l'art difficile de la cure
d'âmes ? Elle la pratiquait en hauteur
et en profondeur et malgré l'extrême
simplicité de ses vêtements, son
patois et son humble situation, c'est dans ce
domaine-là que Dieu l'a bénie de la
façon la plus évidente.
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