Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VIII

Dans la cure d'âmes.

suite

Un jour elle visitait une femme malade d'esprit et qui se croyait damnée.
« Tenez-vous à aller en enfer ? » lui demande Hanna Faust. La malade le nia de la façon la plus énergique, déclarant, au contraire, que tout son désir tendait vers Jésus.
« Dans ce cas n'ayez aucune crainte, s'écrie tante Hanna, le diable ne sait que faire des gens qui veulent aller vers Jésus, et il les jette hors de l'enfer. »
Cette affirmation tranquillisa visiblement la malade.

Un autre jour elle était au cimetière près des tombes de ses bien-aimés. Triste et abattue, elle se sentait débordée par sa tâche, à laquelle il lui semblait que ses forces ne suffisaient plus.
« Oh ! Seigneur, s'écrie-t-elle, il faut que tu m'aides, je ne puis plus continuer à travailler seule ».
À ce moment elle voit, à quelque distance, une jeune femme en deuil debout près d'une tombe. Elle s'approche d'elle et, tout étonnée, elle apprend qu'elle est toute seule et abandonnée, qu'elle se sent inutile et ne sait à quoi employer ses forces, n'ayant plus personne au monde qui s'intéresse à elle.
« C'est le Seigneur qui m'envoie près de vous, lui dit tante Hanna dont le visage rayonne de joie. Je cherche quelqu'un qui puisse m'aider, ne voudriez-vous pas lé faire ? »
Puis elle se met à lui expliquer ce qu'est son oeuvre et comment elle s'étend trop pour qu'elle puisse désormais l'accomplir seule. La jeune dame l'a accompagnée à l'Arrenberg et elle est devenue pour elle une précieuse collaboratrice.

Tante Hanna descendait de l'Elendstal, quand elle voit une femme assise tout au bas de la pente boisée que le chemin de fer longe. Il faut que je descende vers cette femme, pense-t-elle. Arrivée auprès de l'étrangère, elle découvre un visage ravagé par le chagrin et la souffrance. Tante Hanna s'assied à côté d'elle et se met à lui parler avec bonté. La femme répond à peine, mais finit par se laisser emmener à la Riemenstrasse. Là on lui donne à manger et enfin sa langue se délie, elle raconte une existence de souffrance, mais aussi de péché, et elle avoue cette chose horrible, que là-bas, dans le bois, elle attendait le passage d'un train, bien décidée à se jeter sous la locomotive, pour mettre un terme à sa misérable existence.

Il pleuvait, le vent soufflait en tempête, et tante Hanna jouissait de se sentir bien à l'abri dans sa maisonnette. Tout à coup elle entend une voix intérieure qui lui dit :
« Va voir la famille H. »
Tout son être se révolte à cette pensée et elle s'écrie :
« Comment Seigneur ! je devrais sortir par un temps pareil ! »
Mais rien n'y fait, la voix devient si impérieuse qu'elle est obligée de se mettre en route. En arrivant chez les gens en question, elle les trouve tous assis autour de la table, mais elle sent bientôt, avec son tact si affiné, qu'il se passe quelque chose d'anormal et que ses hôtes sont la proie de pensées sombres et mauvaises. Elle connaissait leur situation et, après avoir demandé tout bas le secours de Dieu, elle se mit à causer avec eux d'une façon toute simple et à leur rappeler les consolations et les promesses que le trésor de la parole de Dieu contient pour ceux qui sont travaillés et chargés. Lorsqu'elle se lève pour prendre congé d'eux, l'homme l'accompagne jusqu'à la rue, et là il sort de sa poche une corde qu'il lui tend en disant :
« Voyez Madame Faust, j'étais décidé à me pendre avec cette corde à un arbre, ce soir même, mais votre visite m'a sauvé. »
On se représente aisément qu'en rentrant chez elle tante Hanna ne se préoccupait plus guère du vent ni de la pluie.

Elle avait connu dans sa jeunesse une famille qui demeurait tout près de chez elle et dont la situation était des moins enviables. La femme ne s'entendait pas à tenir son ménage avec ordre et la mère d'Hanna lui venait en aide, dans la mesure du possible. Puis cette famille avait quitté le quartier, pour aller s'établir dans une autre partie de la ville. Les affaires de ces gens avaient périclité de plus en plus et tante Hanna avait fini par les perdre de vue. Mais un jour, alors que depuis bien des années elle n'avait plus entendu parler d'eux, ils s'imposèrent tellement à son souvenir, qu'elle ne cessa du matin jusqu'au soir d'être tourmentée à leur sujet. À la fin, n'y pouvant plus tenir, elle se décide à les aller voir sur l'heure et elle sort en avertissant son mari qu'elle ne rentrera peut-être qu'à une heure tardive. Elle entre chez ces gens et trouve le mari assis dans un coin et plongé dans de sombres pensées, les enfants réfugiés près de la mère le regardent d'un air craintif. Tante Hanna s'avance, mais personne ne prend garde à elle et ne songe à lui offrir une chaise. Elle s'assied, sans y être invitée, à côté de l'homme, auquel elle dit à brûle-pourpoint :
« Dites donc, vous n'avez pas l'air d'être de bonne humeur ! »
« Laissez-moi tranquille, Madame Faust », s'écrie-t-il brusquement !
« Non, je n'en ferai rien ! »
« Madame Faust, je vous le dis encore une fois, laissez-moi tranquille ! »
« Pas du tout, je vais vous raconter une histoire - vous la connaissez déjà, mais vous l'écouterez bien encore une fois. »

Et la voilà qui raconte tout simplement la parabole de l'enfant prodigue. Tandis qu'elle parle, les yeux de l'homme se remplissent de larmes. Après avoir longtemps causé avec lui, elle réussit à lui arracher la promesse qu'il ira, sitôt qu'elle sera partie, dans sa chambre et qu'il suppliera Dieu, à deux genoux, de lui faire grâce. Elle-même s'engageait à intercéder pour lui de la même façon, sitôt qu'elle serait de retour chez elle.

Lorsqu'elle sort de là, la femme la suit pour lui raconter que son mari s'était abaissé jusqu'à la frapper. Elle-même avait pris la résolution de le quitter encore ce soir-là, car il avait déclaré vouloir la tuer d'abord, les enfants ensuite, cette nuit même. Hanna Faust la pria de rester tranquillement auprès de son mari, car, disait-elle, elle avait la ferme confiance qu'un changement allait se produire chez lui. Le dimanche suivant le pasteur Rink devait présider une réunion ; Hanna, avait insisté d'avance auprès de l'homme en question pour qu'il y prît part et, vraiment, il se trouvait au nombre des auditeurs. À l'issue de la réunion, il vint vers elle et lui dit :
« Je ne vous en veux pas d'avoir raconté toute mon histoire à ce pasteur, j'en ai retiré une grande bénédiction. »
« Venez donc avec moi auprès de Monsieur le pasteur, » répond-elle.
« Monsieur le pasteur, vous ai-je jamais dit une seule parole au sujet de cet homme ? »
Rink put déclarer en toute sincérité qu'il n'avait jamais entendu parler de lui.

Cet homme s'est converti d'une façon absolue. Il racontait plus tard que des pensées d'assassinat s'étaient emparées de lui, au point qu'elles étaient devenues pour lui une véritable obsession. Il lui semblait être possédé par une puissance mauvaise, à laquelle il ne parvenait pas à se soustraire. Deux ans après ces événements, il mourait dans la foi vivante en son Sauveur. Hanna Faust put l'assister dans sa lutte dernière et fermer elle-même ses paupières fatiguées.

Tante Hanna visitait fréquemment une femme dangereusement malade, dont le mari était un socialiste militant. Elle avait bien vite remarqué que la malade était fort mal couchée et avait un besoin urgent d'un meilleur lit. Un jour elle demanda au mari s'il lui rendrait le service de transporter un lit à l'adresse qu'elle lui indiquerait. Il y consent volontiers et l'accompagne jusque chez elle. Là il charge le lit sur ses épaules et ils ressortent ensemble, tante Hanna marchant toujours à ses côtés. Quand il comprit que leur but était sa propre demeure et que le lit était destiné à sa pauvre femme malade, des larmes jaillirent de ses yeux. L'amour l'avait vaincu et il devait être désormais un homme différent de celui qu'il avait été dans le passé.

Une des plus belles victoires qu'il devait être donné à Hanna Faust de remporter, avait pour héros un anarchiste. Celui-ci avait pris part à l'attentat dirigé, lors de l'inauguration du monument de Niederwald, contre l'empereur Guillaume, - attentat qui avait été déjoué par une intervention providentielle, sans laquelle Guillaume 1er et tous les princes et grands personnages allemands, auraient infailliblement sauté. Le plan de toute l'affaire avait été combiné à Elberfeld, on avait même décidé de s'assurer de la force des bombes préparées en en lançant une contre un restaurant connu, à l'occasion d'un congrès de médecins. Là déjà, la main de Dieu avait empêché un grand malheur. L'anarchiste dont Hanna Faust devait avoir à s'occuper plus tard avait été fortement compromis dans cette affaire et s'était soustrait par la fuite à la punition certaine qui l'attendait. Après de longues années passées en Amérique, il était rentré en Allemagne, croyant sa vie désormais en sûreté, et s'était établi de nouveau à l'Arrenberg. C'était à l'époque où un ouvrier avait fait, un jour, à tante Hanna cette communication sensationnelle : la science avait découvert que l'âme n'était rien autre qu'un petit corps noir, de la grosseur d'un pois, placé dans la région de l'estomac. C'était l'époque aussi où une grande partie des ouvriers commençaient, sous la pression de la démocratie sociale, à tourner le dos, le sachant et le voulant, à la foi enseignée par la Bible.

Notre anarchiste était un des pires d'entre les promoteurs de ce mouvement. Il travailla avec un fanatisme aussi ardent qu'effrayant, à faire triompher les doctrines socialistes. Il prenait un plaisir diabolique à détruire, principalement dans les jeunes coeurs, jusqu'aux derniers vestiges de crainte de Dieu et d'amour pour sa parole et pour le Sauveur. Il était même allé jusqu'à parodier, de la façon la plus scandaleuse, dans une assemblée publique, le beau cantique qui commence par ces mots : « Jesus, meine Zuversicht » (Jésus, en qui je me confie).

Cet homme tomba gravement malade et tante Hanna ne l'eût pas plutôt appris qu'elle décida d'aller le voir. Elle mit sur l'heure son projet à exécution et ne chercha pas à faire autre chose qu'à lui témoigner de l'affection, de toutes sortes de façons. Elle lui rendait une foule de services, ne lui disant jamais un mot qui eût trait à la religion, et l'écoutait patiemment, quand il lui parlait en long et en large des merveilles du Nouveau-Monde. Elle attendait l'heure favorable. Un jour, il lui demanda avec une expression étrange :
« Madame Faust, que pensez-vous de l'âme humaine ».
Il n'entrait pas dans ses intentions d'entamer une discussion avec lui, aussi répondit-elle simplement :
« Un homme expérimenté, comme vous, doit en savoir beaucoup plus long sur ce sujet qu'une pauvre ignorante comme moi ».

Quatre semaines s'écoulent encore. Enfin elle l'entend gémir et crier à haute voix :
« Pourquoi faites-vous tout cela pour moi ? Mon Dieu, mon Dieu ! »
« Comment ? s'écrie tante Hanna, vous croyez qu'il existe un Dieu ? jusqu'ici vous aviez toujours soutenu le contraire ».
« Oui, oui, il y a un Dieu ! 0 effrayante éternité ! »
« S'il en est ainsi, vous pourrez trouver du secours. Voici une Bible, lisez donc le chapitre XV de St-Luc ! » Et tante Hanna s'en va, heureuse de ce que l'Esprit de Dieu avait commencé à agir dans ce pauvre coeur d'homme. Elle ne cessait de supplier Dieu de faire retrouver à cet enfant prodigue le chemin de la maison paternelle et la paix.

Quelques jours plus tard, elle revenait auprès de son malade et voyant sur son lit la Bible ouverte, elle lui disait :
« Avez-vous lu l'histoire de l'enfant prodigue ? ».
« Oui, je l'ai lue, mais pour moi il n'y a plus de salut possible ! »
Et le voilà qui se met à crier avec des accents désespérés :
« 0 Dieu, ô Dieu, ô effrayante éternité. »
« La grâce est toujours là, » s'écrie tante Hanna.
« La grâce ? Si vous saviez quel homme je suis, comment j'ai entraîné les autres et les ai détournés de la foi, vous ne diriez pas qu'il y a encore de la grâce pour moi. Oh ! il faut que je vous confesse mes crimes. »
« Non, non, pas à moi ! Envoyez chercher un pasteur ! supplie tante Hanna, dont la délicatesse féminine se refuse à entendre cette confession. »
« Je ne veux rien avoir à faire avec les pasteurs ! Mais aidez - moi donc, vous. Ça brûle là-dedans comme le feu de l'enfer. 0 Dieu ! 0 effroyable éternité ! »

En face de ce désespoir farouche, tante Hanna ne peut plus que dire à la femme du malade :
« prions ensemble. »

Les deux femmes s'agenouillent et Hanna Faust crie au Seigneur, elle l'implore avec instance, afin qu'il délivre, par la puissance de son sang répandu pour les pécheurs, cette âme captive. « Jésus est vainqueur ! » s'écrie-t-elle en se relevant et elle essaye encore de décider cet homme à faire chercher un ecclésiastique et à lui confier ses fautes. La lutte que se livrèrent, durant les jours qui suivirent, la lumière et les ténèbres dans le pauvre coeur torturé de ce malheureux fut terrible. On entendait ses cris d'angoisse par-delà la rue, jusque dans le café où se rassemblaient les adeptes des doctrines qu'il avait professées jusqu'alors.

Enfin, sa femme vint demander à tante Hanna d'envoyer un pasteur auprès de son mari. Mais à cause des membres du parti de celui-ci, qui demeuraient tout à l'entour et qui suivaient avec une attention surexcitée la marche de cette affaire, tante Hanna n'y consentit pas.
« Il faut que vous le fassiez chercher vous-même, répond-elle. Vous avez des enfants que vous pouvez envoyer de votre part. »
Ces gens suivirent ce conseil et un de leurs enfants alla prier un pasteur de venir voir son papa, le plus vite possible.
Un fidèle témoin de l'Évangile s'approche du lit et le malade peut décharger son coeur du poids qui l'oppresse et écouter d'un coeur avide le message magnifique du Sauveur, toujours prêt à avoir compassion de quiconque implore son pardon.

Parvenu à la foi entière, cet homme ne voulait plus rien avoir de commun avec ses anciens camarades. Il disait à ceux, - bien rares - qui venaient encore le voir :
« Vous m'avez menti et vous m'avez trompé, moi et bien d'autres. Ce que Mme Faust m'a apporté m'a donné le salut et la paix. »
Et quand il sentit venir sa dernière heure, il put dire à l'amie maternelle qui se tenait près de son lit :
« La société m'a rejeté, mais le Seigneur m'a gracié. Je suis libre ! »
Ce fut son cri de joie, peu avant sa fin.

Hanna Faust alla avec le pasteur au cimetière le jour de l'ensevelissement, qui nécessita la présence d'un grand nombre d'agents de police, car plus d'un millier de socialistes accompagnaient le défunt jusqu'à sa tombe, au bord de laquelle le pasteur raconta ce que le Seigneur avait accompli pour cet homme et comment il avait tellement transformé son coeur, qu'il n'avait plus pris son plaisir que dans l'assurance du salut par grâce.

Cet événement n'a pas seulement causé en son temps une énorme sensation, il a produit aussi sur beaucoup de coeurs une profonde impression. Un socialiste convaincu et violemment hostile au christianisme, en entendant raconter cette histoire en avait été tellement saisi, qu'il était resté longtemps silencieux, plongé dans ses réflexions. Tout à coup, il dit à ceux qui le soignaient - il était malade - :
« Je me demandé si Mme Faust viendrait aussi me voir ? »
On l'envoie chercher, elle accourt et bientôt elle peut amener auprès du malade un pasteur qui devient l'instrument de son salut.

L'éternité seule révélera le nombre des fils et des filles prodigues pour lesquels l'intervention fidèle et simple de tante Hanna a été la cause déterminante de la crise qui devait aboutir à leur entière conversion.

Mais ce n'était pas seulement dans les demeures, des pauvres que Hanna Faust exerçait son ministère spécial, elle faisait de la cure d'âmes également dans les demeures des gens riches et cultivés. Quand elle se présentait chez ses clients, avec ses paniers pleins de café, elle y trouvait la plus cordiale bienvenue. Presque partout elle se voyait accueillie par tous les habitants de la maison, maîtres et domestiques, comme une amie, et son arrivée était saluée avec la joie la plus vive. Elle était l'amie de tous ; souvent on la retenait pour avoir avec elle un moment de conversation intime ; bien des mères lui confiaient les secrets soucis de famille, qu'elles n'auraient dit à personne d'autre. On lui racontait beaucoup de choses, parce qu'on la savait d'une discrétion à toute épreuve et parce que cette femme simple et fruste avait toujours pour chacun une parole de consolation et savait tourner les regards vers les réalités éternelles. On aimait aussi à l'associer aux joies familiales, parce qu'elle avait le don de savoir se réjouir avec les heureux et de jeter sur leur bonheur un rayon de la lumière d'en haut. Aussi sont-elles nombreuses dans les rangs de la « société » les âmes qui regrettent amèrement le temps où tante Hanna venait parfois frapper à leur porte.

Elle a été également en bénédiction aux pasteurs avec lesquels elle était liée. Elle s'entendait si bien à trouver le mot juste, quand elle rencontrait l'un d'entre eux, dans un moment où il se sentait découragé et désemparé ! Ainsi, un jour elle avait rencontré le pasteur Rink et remarqué son front penché et son air soucieux, elle traverse la rue et l'aborde en lui disant, avec l'intonation pénétrante qui lui était propre :
« Regardons à Jésus. »
« Je vous remercie Hanna, répond Rink, c'est la parole dont j'avais précisément besoin. »

Elle a été une amie précieuse pour le bienheureux pasteur Neviandt qu'elle savait réconforter toujours, dans les heures sombres et pénibles qu'il traversait parfois. Combien de fois n'est-il pas resté debout à côté d'elle, devant son métier à tisser, et ne lui a-t-il pas raconté les doutes et les tentations qui assaillaient son coeur. Un jour qu'il lui exposait ses scrupules théologiques, il finit par s'écrier :
« Qu'est-ce donc qui me manque Hanna ? »
« Je le sais bien, M. le pasteur, mais je ne vous, le dirai pas. »
« Je vous en prie, chère Hanna, dites-le-moi au contraire, et aidez-moi à sortir de ma détresse. »
« Non, vous vous fâcheriez. »
Comme il insistait elle s'écrie enfin, en le regardant de ses yeux lumineux :
« Voyez-vous, Monsieur le pasteur, il faut que vous deveniez encore beaucoup plus bête que vous ne l'êtes... »

Neviandt trouva le conseil un peu dur ; il ne répondit pas grand'chose et s'en alla. Mais ces paroles ne cessaient de le hanter, et peu après il revenait voir Hanna et lui criait de la porte : « C'est fait, Hanna, c'est fait ! » C'était là, peut-être, le secret de la simplicité et de la profondeur de ces explications bibliques de Neviandt, qui ont été en grande bénédiction à tous ceux qui les ont entendues et dont le souvenir est encore vivant au milieu de nous.

Quand les pasteurs de la vallée prêchaient et annonçaient l'Évangile, elle les soutenait par ses prières et ses instantes intercessions. Le prédicateur de la cour de Berlin, Ohly, disait :
« Elle a été pour nous une protection, quand nous avons commencé les réunions de la rue de l'Aniline. »
Le pasteur Thyssen, cet ami déjà nommé ailleurs, a raconté le secours que tante Hanna lui avait prêté, - nous donnons ici son récit sans l'abréger :
« Tante Hanna n'était pas seulement une mère pour le peuple, elle était aussi la mère des candidats. Elle a assisté beaucoup d'entre eux lorsqu'ils faisaient leurs premières armes et je suis de ce nombre. Elle était toujours, il y a de longues années de cela, en quête d'hommes qui voulussent bien diriger les réunions bibliques de la rue de l'Aniline, aussi est-ce là que plus d'un candidat a débuté. Je m'y rendais avec elle, par une soirée pluvieuse. Mon coeur battait de plus en plus fort et mon courage baissait. Avec cela, il fallait régler mon pas sur celui insupportablement lent, de la vieille tante. Pourtant, tout en cheminant elle ne cessait de m'encourager dans son patois :
« Regardez seulement au Seigneur, pas à vous-même. Il vous aidera certainement. Par-dessus tout ne vous laissez pas aller à avoir peur, mon garçon ! »
Nous avancions donc, par saccades, car l'âge et la corpulence lui rendaient : la respiration pénible, - enfin, tout en écoutant les exhortations de tante Hanna, en implorant le secours de Dieu et en luttant contre mes propres pensées, j'étais arrivé au terme de notre longue course.

Les choses étaient bien telles qu'on me les avait décrites : une étroite salle, avec une chambre à coucher attenante, toutes les deux pleines de monde, une atmosphère étouffante, une buée lourde qui forme immédiatement un voile impénétrable sur les lunettes du pauvre candidat et lui soustrait si bien la vue de son auditoire, qu'il se voit, littéralement, seul en face de lui-même. J'étais placé entre deux fenêtres donnant sur la rue, tante Hanna avait eu soin de me mettre ainsi à l'abri de dangers et d'attaques possibles.

Ce faubourg était habité alors par une population violente. Je parlais depuis un quart d'heure à peine, quand on frappa à la fenêtre du dehors en même temps que retentissait une volée d'injures et de malédictions.
« Tenez-vous seulement tranquille un moment, » me dit tante Hanna, puis quand le vacarme a diminué, elle s'écrie : « Bon, à présent vous pouvez continuer ! »
La réunion s'acheva au bruit des grondements toujours plus lointains de l'orage qui s'était déchaîné devant les fenêtres et au milieu de l'attention silencieuse des assistants, que troublaient seuls parfois les vagissements d'un nourrisson. - La cordiale reconnaissance des braves gens qui dans leur grand désir d'échapper à l'incrédulité ambiante et de trouver le Sauveur, ne craignaient pas de venir respirer pendant une heure un air lourd et raréfié, récompensa amplement le pauvre candidat qui, tout trempé de sueur, se sentait pourtant heureux d'avoir pu tenir avec l'aide de Dieu, sa première réunion. »

Avais-je donc tort de prétendre que tante Hanna possédait à un rare degré l'art difficile de la cure d'âmes ? Elle la pratiquait en hauteur et en profondeur et malgré l'extrême simplicité de ses vêtements, son patois et son humble situation, c'est dans ce domaine-là que Dieu l'a bénie de la façon la plus évidente.

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