La méthode de tante Hanna. Pourquoi
faites-vous de la peine à cette femme ?
Des pauvres dans toutes les classes. On bande les
yeux de madame Faust. Parmi les
démocrates-socialistes. Un socialiste
vaincu. D'où provenaient les dons ?
« Je me réjouis de ce que les
modes changent si souvent. » Tante
Hanna donne
une fête à l'occasion d'une noce
d'or.
Le travail parmi les pauvres n'en reste
pas moins la partie prédominante de la
grande activité, si bénie,
qu'exerça tante Hanna. Elle l'a accompli
dans le but très précis de leur faire
comprendre l'étendue de l'amour de
Jésus pour les pécheurs. Ce qu'elle
désirait par-dessus tout, c'était de
surmonter le mal par le bien ; qu'elle ne
l'ait pas fait sans être en bute à
beaucoup de critiques et d'attaques, qui s'en
étonnerait ? Ces attaques ne partaient
point de ceux auxquels elle
faisait du bien, - les désappointements
qu'ils lui causaient, l'ingratitude qu'elle
rencontrait ne la troublaient guère, - mais
des rangs même de ses amis, et c'est
là ce qui les rendait
particulièrement pénibles. La
vérité exige que nous en fassions
mention ici.
On lui a reproché d'avoir secouru
les pauvres à l'aventure, sans plan bien
défini, de s'être trop peu
inquiétée de savoir s'ils
étaient dignes ou indignes de l'être,
de s'être laissée trop souvent
« mettre dedans » par eux. Il
se peut qu'en effet elle ait manqué de
prudence et qu'il eût mieux valu, pour
certains pauvres, qu'elle se fût
livrée à une enquête à
leur endroit. Mais ne peut-on pas se demander si
beaucoup de ceux qui prétendent faire oeuvre
d'amour n'étouffent pas cet amour sous les
enquêtes et les interrogatoires, tellement
qu'on n'en discerne plus guère les
traces ? Si Jésus voulait
procéder de même envers nous, nous
serions, certes, vis-à-vis de lui en
mauvaise posture. Tante Hanna ne se
résignait jamais à abandonner qui que
ce fût ; elle voulait faire du bien
même à l'homme le plus bas
tombé, pour le sauver si c'était
possible.
On a blâmé cette
fidèle servante du Seigneur, parce qu'elle
manquait d'ordre dans son travail ; elle
aurait dû, disait-on, tenir des comptes,
noter exactement ses recettes et
ses dépenses. La douleur de voir son
désintéressement mis en doute,
même dans les cercles qui lui étaient
les plus chers, ne lui a pas été
épargnée. Cela a été
vraiment pour elle une dure épreuve. Il se
peut encore qu'elle eût mieux fait d'avoir
une comptabilité en règle, pour
prévenir de pareils soupçons. Mais il
ne faut pas oublier que c'eût
été pour elle un travail des plus
difficiles, vu qu'elle savait à peine
écrire. « J'en suis restée
aux minuscules », disait-elle
elle-même. Quant à nous, nous sommes
heureux de pouvoir témoigner publiquement
ici, que son désintéressement et son
oubli d'elle-même ont été
entièrement authentiques et sincères.
Elle savait qu'elle marchait en la présence
de Dieu et que c'est à Lui qu'elle devait
rendre compte de sa gestion. Elle était une
de ces personnalités qu'on ne peut pas tout
à fait juger selon nos idées
mesquines et préconçues. Je ne puis
omettre ici un détail qui prouvera combien
elle pensait peu à elle : La robe
qu'elle portait toujours était si
usée qu'il devenait urgent de la remplacer.
Il y avait justement chez elle plusieurs
pièces d'étoffe et une de ses amies
lui dit :
« Hanna, tu peux bien en
prendre de quoi te faire une robe. »
Mais elle repoussa aussitôt cette idée
en disant :
« Non, non, on m'a
donné tout cela pour mes pauvres, cela leur
appartient. »
Lorsqu'en 1902 quelques-uns de ses plus
anciens amis lui remirent, pour fêter son
anniversaire, une somme d'argent, destinée
à l'achat de deux chaises, l'une pour
l'Elendstal, l'autre pour sa demeure habituelle,
elle s'écria : « À
l'Elendstal. je n'ai jamais le temps de m'asseoir,
et quand je suis à la maison et que je me
sens fatiguée, je puis m'installer sur mon
canapé, je n'ai pas besoin de
chaises. » Elle employa cet argent
à l'achat de tasses destinées aux
enfants de l'école du dimanche, qui en
furent enchantés.
Pour quiconque l'a vue aller et venir
dans ses pauvres vêtements, usés
jusqu'à la corde, et l'a contemplée
sur son lit de mort et dans son cercueil,
revêtue d'une robe presque misérable,
l'idée que cette femme aurait
travaillé pour son propre profit fait
sourire. Dieu d'ailleurs a tenu à ce
qu'honneur lui fût rendu, Il lui a si
manifestement attesté son approbation, que
tous les nuages se sont peu à peu
dissipés et qu'elle a pu jouir d'une
entière confiance de la part de tous ceux
qui la connaissaient.
Ses pauvres ! Où les
prenait-elle ? Elle ne mettait pas de limites
à sa charité et descendait jusqu'aux plus dégradés
et
aux plus misérables d'entre les
miséreux.
Là c'était une famille
où la gêne s'était introduite
parce que le père n'avait plus
d'ouvrage ; ici c'était une pauvre
femme dont le mari était un ivrogne et qui
manquait du nécessaire pour elle et ses
enfants ; là une veuve,
abandonnée de ses enfants, qui pleurait non
seulement à cause de leur dureté de
coeur, mais aussi parce qu'elle les savait sur une
voie de péché et de perdition ;
ici elle découvrait une malade absolument
solitaire, une malade entièrement
abandonnée, un prisonnier sortant de prison
et manquant d'un gîte et de vêtements
convenables. Qui donc pourrait
énumérer toutes les formes que
revêt la misère ? Quel que
fût le cas qui se présentât,
tante Hanna était toujours la confidente,
c'était toujours d'elle qu'on attendait le
secours. Et pour peu que cela fût possible,
elle aidait tous ceux qui s'adressaient à
elle, et elle le faisait de telle façon que
ceux à qui elle donnait comprenaient bien
que, par-dessus tout, elle cherchait à
gagner leurs âmes ; ils savaient que son
désir le plus ardent était de les
rendre heureux par la grâce de notre
précieux Sauveur, cette grâce qu'Il
nous a acquise par ses souffrances et sa mort. Et
c'était parce qu'elle savait trouver les
moyens de remédier
à tant de misères matérielles,
qu'on lui permettait si souvent de parler de la vie
éternelle.
Elle avait ses pauvres dans toutes les
classes de la société. Il lui
arrivait d'être appelée dans des
familles qui sauvegardaient si bien les apparences,
que personne ne se doutait des privations et des
détresses qu'elles cachaient. Elle en a
secouru beaucoup et le faisait avec joie. Elle
avait ses pauvres dans les pires bouges de la
ville, dans la plus basse des couches sociales, et
c'était pour elle le plus grand des bonheurs
que de pouvoir tendre la main à une pauvre
créature humaine enlisée dans la
boue, pour l'aider à en sortir. Il me
revient à la mémoire une personne qui
était connue dans toute la ville pour
s'être perdue corps et âme dans le
péché, et qui était devenue un
objet de moquerie pour les jeunes vagabonds de la
rue. Tante Hanna avait été saisie
d'une immense pitié pour cette pauvre
femme ; elle s'approcha d'elle, la prit chez
elle, et Dieu mit sur cette oeuvre le sceau de sa
bénédiction : cette personne est
devenue pour elle une aide précieuse et lui
tenait son petit ménage pendant les heures,
si fréquentes, où elle devait
s'absenter de sa demeure. Elle s'est occupée
de ses enfants qui, laissés à une
pareille mère n'auraient pas manqué de mal tourner
et les a
remis sur
la bonne voie. Qui pourrait les nommer tous, ceux
qu'elle a sortis de la pire misère par la
puissance de l'amour de Jésus et dont elle a
refait, même au point de vue matériel,
des hommes et des femmes respectables.
L'éternité les révélera
un jour. Une pareille oeuvre de charité
demandait beaucoup de force et de patience, mais
celle qui s'en est acquittée, au milieu de
beaucoup d'épreuves, pouvait au soir de sa
vie regarder les autres avec des yeux joyeux et
leur dire d'une voix encourageante :
« Ne nous lassons point de
faire le bien ».
Ses courses charitables l'exposaient
parfois à se trouver dans les situations les
plus étranges, devant lesquelles toute autre
femme aurait reculé avec effroi. Tout
près de l'endroit où la gare centrale
d'Elberfeld s'élève aujourd'hui,
là où s'étendent le long de la
Wupper de belles rues larges, bordées de
quais, se trouvait autrefois le plus mauvais
quartier de la ville, l'asile du vice et de toutes
les existences louches et craignant la
lumière. Un des habitants de ce quartier
arrive de nuit noire chez Mme Faust et la supplie
de venir avec lui : sa femme était
mourante et désirait ardemment la voir.
Seulement, elle devait consentir à ce qu'il
la conduisît dans sa demeure les yeux
bandés, il s'engageait de
son côté à la guider avec le
plus grand soin. Hanna Faust l'accompagna, comme il
l'en priait. L'homme l'introduisit dans une maison,
puis lui fit gravir une échelle. Une fois la
chambre où se trouvait la malade atteinte,
le bandeau fut enlevé de dessus ses yeux. Ce
qu'elle vit et entendit cette nuit-là
ébranla profondément son coeur
compatissant et il en resta longtemps
troublé. La femme lui dévoila, pour
soulager sa conscience tourmentée, des
terribles abîmes de péché et
confessa à la pieuse et vaillante femme
qu'elle avait mandée à son chevet,
des choses qu'elle n'aurait jamais
considérées comme possibles. Et dans
quel antre de vice et de misère se trouvait
cette mourante! Dans cette maison se
perpétraient des oeuvres de
ténèbres ; dans cette chambre
habitaient plusieurs familles. Des lignes,
tracées à la craie sur le plancher,
marquaient les limites de l'espace assigné
à chacune d'entre elles. C'était bien
là pour tante Hanna une occasion d'aider et
de consoler, et elle n'y a pas failli. Jamais elle
n'a raconté ce que la mourante lui avait
confié, ni parlé des
péchés qui se commettaient dans cette
maison - c'était pour elle le secret de la
confession.
Elle ne témoignait point,
cependant, son amour à ceux-là seuls
qui s'en réclamaient, et il lui arrivait d'avoir
affaire à des gens
fort récalcitrants et rébarbatifs. La
démocratie sociale avait répandu,
chez beaucoup de ses adeptes, ses doctrines
négatives et déjà alors son
inimitié envers Dieu et sa parole
éclatait au grand jour. Le travail que Mme
Faust accomplissait dans la paix offusquait ces
gens. Ils sentaient bien que toutes leurs phrases
à l'adresse de l'hypocrisie des
« mômiers » ne pouvaient
pas l'atteindre, aussi beaucoup d'entre eux la
détestaient-ils et auraient-ils aimé
entraver son oeuvre. Elle ne se laissait pas
arrêter par leur colère. Elle se
considérait comme ayant charge de leurs
âmes, aussi bien que de celles de n'importe
qui et souvent elle parlait avec une sincère
compassion de « ces pauvres
démocrates aveuglés ».
Combien elle se réjouissait, quand il lui
arrivait de pouvoir rendre à l'un d'entre
eux un service quelconque ! Là
même où l'on repoussait son amour avec
le plus d'animosité, elle ne se lassait pas
d'aimer, si humblement et avec une telle
persévérance, qu'on finissait par la
laisser agir.
Elle connaissait, entre beaucoup
d'autres, une famille où tout s'était
effondré parce que l'homme et la femme
suivaient des chemins différents. Le mari
était un socialiste convaincu ; il
buvait, courait les cabarets et se souciait peu du
sort des siens. À la
maison il faisait une fort étrange
application de ses belles théories sur la
liberté : quand sa femme prenait celle
de monter parfois jusqu'à l'Elendstal, afin
d'y voir des figures aimables et de puiser dans la
parole de Dieu le courage et les consolations dont
elle avait besoin pour surmonter sa misère,
il se fâchait, jurait, tempêtait et la
maltraitait de la façon la plus
grossière, pour lui faire passer l'envie de
retourner à sa maudite vallée. Sa
colère se tournait naturellement aussi
contre l'innocente Madame Faust qui,
prétendait-il, excitait sa femme contre lui.
Il est bien connu que les malheureux comme
celui-là haïssent et accusent de leur
malheur chacun, eux-mêmes exceptés.
Aussi l'homme en question avait-il juré, que
si jamais Mme Faust s'avisait de vouloir mettre les
pieds chez lui, il la jetterait en bas des
escaliers. Mais il ne devait pas en être
ainsi. Hanna Faust apprit un jour que ces gens
étaient fort pauvres et n'avaient rien
à se mettre, alors que l'hiver approchait.
Aussitôt, elle dressa son plan et fit un gros
paquet d'habits, qu'elle porta à la femme
pendant que l'homme était à son
ouvrage, hors de la maison. Elle le lui remit, en
lui disant que c'était un cadeau pour son
mari et qu'elle devait le lui donner en le saluant
cordialement de sa part. Lorsque l'homme rentra
chez lui, la femme lui tendit le
paquet en disant : « Tiens,
voilà ce que Madame Faust a apporté
pour toi. » Il défit la ficelle,
entr'ouvrit le papier et trouva un pardessus chaud,
encore en très bon état, deux paires
de souliers pour les enfants et plusieurs
écharpes et casquettes. Lorsqu'il vit toutes
ces richesses, il s'écria :
« Ce n'est pas pour moi,
peut-être pour quelqu'un des
« mômiers », car moi je
n'ai jamais fait que de jurer contre cette
femme ».
« Mais oui, c'est bien pour
toi, elle l'a apporté elle-même, et
elle m'a encore dit de bien te saluer de sa
part ».
« Eh ! bien, reprend le
mari, s'il est vrai que tout cela soit pour moi et
vienne de la dame Faust, je lui ai alors grandement
fait tort. je ne te défendrai plus d'aller
à l'Elendstal pour la réunion, et si
cela te fait plaisir, tu peux envoyer aussi les
enfants à l'école du
dimanche ».
Un moment après il ajouta :
« Pour moi je n'irai pas avec
vous, j'ai bien trop honte ».
Plus tard il y accompagna pourtant sa
famille et apprit à se réjouir des
belles assemblées de l'Elendstal.
Les pauvres comprenaient d'une
façon remarquable que chacun des dons de
tante Hanna avait sa source dans son coeur
compatissant et brûlant de l'amour de Christ.
Elle prenait aussi, fidèlement, part à ce qui
survenait
d'heureux ou de malheureux dans les familles
qu'elle visitait ; elle savait ce qui pesait
ici et là sur les coeurs et, toujours, elle
les exhortait à déposer leurs
fardeaux aux pieds, de Celui qui peut donner la
paix et la joie à ceux qui s'adressent
à lui dans leur détresse.
Où donc, n'étant
elle-même pas riche, prenait-elle tout ce
qu'elle distribuait ? Comment était-il
possible qu'un tel fleuve de bienfaits
découlât de ses mains ? C'est
qu'elle possédait un grand nombre d'amis et
d'amies, qui la mettaient à même de
faire du bien sans s'arrêter. Son commerce de
café la faisait entrer dans bien des
maisons, dans des demeures opulentes aussi bien que
dans d'autres plus modestes, et presque partout, on
lui remettait quelque chose pour ses pauvres, soit
en argent, soit en nature, vêtements hors
d'usage ou objets de tous genres. Puis n'avait-elle
pas un Dieu infiniment riche, qui lui manifestait
son secours, même au point de vue
matériel, d'une façon souvent
extraordinaire. Quelle n'avait pas
été sa joie quand, vers la fin de sa
vie, après avoir recommandé au
Seigneur, dans une prière fervente, une
misère particulièrement pressante,
elle avait reçu 50 francs sans indication
d'envoi ! jamais elle n'a appris le nom du
donateur ;
mais elle
les acceptés avec une grande reconnaissance,
comme venant de la part du Seigneur.
Un jour qu'elle parcourait la ville
ayant, selon sa coutume, un panier pesant à
chaque bras, elle s'était sentie
irrésistiblement poussée, au moment
même où elle allait enfiler une rue,
à revenir sur ses pas pour en prendre une
autre. À peine s'y était-elle
engagée, qu'elle rencontre une amie qui
arrête en lui disant :
« Que je suis heureuse de te
voir, Hanna, il y a longtemps que je voulais te
donner quelque chose pour tes pauvres. »
La pièce d'or qu'elle tendait
à tante Hanna fit comprendre à
celle-ci pourquoi elle avait dû passer par
cette rue, plutôt que par une autre. Quel
bien n'allait-elle pas lui permettre de
faire ! Elle exprimait le bonheur et la
reconnaissance que lui causaient de pareilles
expériences en s'écriant, les larmes
aux yeux :
« Oh ! mon Dieu est un
Dieu fidèle ! »
Une autre fois, elle monte dans le
tramway électrique. Vis-à-vis d'elle
est assis un monsieur qu'elle ne connaît pas.
Tout à coup il lui dit :
« Madame Faust, vous avez
besoin de tant d'argent pour vos pauvres et vous ne
venez jamais m'en demander. je vous donnerais
pourtant volontiers quelque chose. »
Oh ! je me rendrai chez vous de
grand coeur, puisque vous me le
permettez ».
Le monsieur se nomme et le lendemain
elle va frapper à sa porte. Non-seulement il
lui donna de l'argent pour ses pauvres, mais comme
elle lui racontait qu'elle collectait aussi en
faveur de la construction à
l'Arrenberg d'une maison contenant diverses
salles de réunion, il lui fit pour cette
oeuvre un don considérable, qu'elle ne
s'attendait nullement à recevoir, Elle
remercia du fond du coeur son Dieu, qui prenait
soin d'elle d'une si admirable façon. Les
mains qui s'ouvraient à sa demande et lui
donnaient ce dont elle avait besoin étaient
ainsi infiniment nombreuses.
Mais aussi savait-elle tirer parti de
tout ce qu'on lui donnait ; rien
n'était si minime ou si dénué
d'utilité pratique apparente, qu'elle ne
parvînt à s'en servir pour faire
plaisir à quelqu'un. Nous avons
déjà mentionné
l'étonnante variété des objets
qu'elle amoncelait à la Riemenstrasse, pour
les distribuer ensuite. Un jour un de ses amis
découvre dans sa petite chambre des pauvres,
une robe de noce blanche, garnie d'une profusion de
dentelles et, en outre, plusieurs robes et
chapeaux, d'une grande élégance et
encore en fort bon état.
« Mais Madame Faust,
s'écrie-t-il, qu'allez-vous faire de toutes
ces belles nippes ? Prétendriez-vous
les faire porter par vos
pauvres ?
« Tout cela tombe on ne peut
mieux, me répond-elle en souriant, je
connais justement une pauvre modiste qui a
été longtemps malade, c'est à
elle que je donnerai la robe de noce, elle s'en
servira pour confectionner une foule de belles
choses ! Les autres toilettes iront à
des pauvres honteux de position distinguée.
Vous ne vous figurez pas les misères
cachées qui existent parfois dans ces
sphères-là et combien une robe
élégante et un chapeau comme ceux-ci,
y sont reçus avec
reconnaissance. »
Un jour cette femme, si
extraordinairement simple dans son
extérieur, disait à ce même
ami :
« Je me réjouis tant de
ce que la mode change si souvent. »
« Mais, tante Hanna,
s'écrie-t-il d'un air étonné,
en quoi la mode vous concerne-t-elle, vous qui
portez toujours la même
robe ? »
« Voyez, répond-elle,
je vais tous les deux ou trois mois chez mes riches
amis, demander des vêtements pour mes pauvres
et on me donne ceux qui sont démodés,
c'est pourquoi j'aime tant les changements de
mode. »
Le samedi soir sa petite chambre
ressemblait à un grand dépôt de
victuailles. Les clients affluaient et recevaient,
sans avoir à les payer, de la viande, du
pain, des pommes de terre, des légumes et
toutes sortes d'autres choses encore.
Si elle cherchait toujours à
faire luire aux yeux de ceux qu'elle assistait la
grâce de Jésus, elle
s'efforçait, également, de ne pas
limiter ses bienfaits au domaine matériel et
de temps à autres, pour peu que cela lui
fût possible, elle s'arrangeait de
façon à procurer aux pauvres un
plaisir spécial. Ses envois de fleurs, ses
« oeufs frais de l'Elendstal »,
n'ont pas encore été oubliés
par beaucoup de ceux qui en furent les
destinataires.
Il y avait à l'Arrenberg un vieux
couple, qui gagnait péniblement sa vie en
récurant, et qui habitait une petite
mansarde dans une maison dont le
rez-de-chaussée était occupé
par un cabaret. Les deux vieux allaient atteindre
leur cinquantième anniversaire de mariage.
Un lundi matin, leurs parents se
présentèrent chez le cabaretier et
lui racontèrent qu'ils désiraient
préparer une belle noce d'or pour faire une
surprise aux chers vieillards.
« Si vous voulez avoir une
belle fête, adressez-vous à Madame
Faust, leur dit le cabaretier, personne ne s'entend
comme elle à organiser des choses de ce
genre. »
Aussitôt la parenté des
vieux époux prie le cabaretier d'aller
lui-même demander à Mme Faust son
concours. Le cabaretier y consent et s'en va,
dès le lendemain, raconter l'histoire
à tante Hanna.
« Oui, répond-elle, je
m'en chargerai, mais si nous voulons que ce soit
une
belle
fête chrétienne, il faut que vous vous
engagiez à vous soumettre entièrement
à ce que j'aurai
décidé. »
« Nous nous y conformerons
entièrement, assure le cabaretier. Si
c'était moi qui organisais cette fête,
elle serait certainement manquée, tandis
qu'elle sera magnifique si c'est vous qui vous en
chargez. »
Tante Hanna se rend tout d'abord chez le
bourgmestre qui lui remet le don d'honneur
usité en pareil cas ; il promet, en
outre, de collecter auprès de ses
connaissances afin de former un petit capital dont
les jubilaires auront les intérêts. Et
il prie, lui-même, la première des
sociétés de chant d'Elberfeld de bien
vouloir chanter, la veille du grand jour, quelque
chose aux deux bons vieux, auxquels une pareille
attention ne manquera pas de causer une joie
extrême. Tante Hanna avait de son
côté convoqué d'autres
sociétés et jamais encore l'Arrenberg
n'avait entendu une sérénade
comparable à celle qui y fut donnée
ce soir-là. Une foule considérable
était venue l'entendre, mais tout se passa
dans un ordre parfait et sans le moindre accroc. La
plus belle surprise était cependant
réservée pour le lendemain. Tout
l'Arrenberg était convié à
venir prendre le café dans le bâtiment
destiné aux réunions
chrétiennes, et personne ne manqua à l'appel. Quant
aux héros
de la journée, on les fit chercher par des
voitures, eux et leurs amis de noce ! Qu'on se
figure leur étonnement, lorsqu'ils se
trouvèrent en face de l'immense
assemblée réunie en leur
honneur ! Il s'y trouvait des gens appartenant
aux tendances les plus diverses, mais ils se
réjouissaient tous d'un même coeur.
Tante Hanna avait demandé une contribution
à un homme riche, qui ne donnait
guère pour des oeuvres spécifiquement
chrétiennes, et en même temps elle
l'avait invité à assister à la
fête. Il avait répondu :
« Au point de vue religieux je
suis d'un avis diamétralement opposé
au vôtre, chère Madame Faust, mais il
me plaît de vous voir vous occuper ainsi des
pauvres, et si cela m'est possible je
viendrai. »
Il arriva, vraiment, dans son bel
équipage et se plut tellement dans cet
entourage inaccoutumé, qu'il y resta fort
longtemps. Une société de chant,
recrutée dans les rangs des
démocrates-socialistes, déclara
vouloir se produire aussi à la fête.
Au premier abord tante Hanna hésitait
à accepter ce concours compromettant, mais
ces hommes lui ayant promis de se conformer
à ses désirs, concernant la nature de
leurs chants, elle céda et les socialistes
purent se faire entendre. La fête eut un
succès complet, les deux bons vieux
rayonnaient et n'en revenaient
pas de plaisir à la vue de tout ce que la
chère Mme Faust avait préparé
pour eux. Mais le fait le plus étrange,
celui dont on parla le plus longtemps à
l'Arrenberg, fut qu'un affreux ivrogne, qu'on ne
voyait jamais autrement qu'ivre, passa toute cette
journée sans boire, grâce à des
amis qui allèrent le chercher chez lui le
matin et ne l'y ramenèrent que le soir.
Celui qui sème l'amour
récoltera aussi l'amour. Tante Hanna, par le
moyen de son travail parmi les pauvres, a
semé l'amour à pleines mains, mais il
lui a été donné d'en pouvoir
faire une ample moisson.
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