LE SERMON SUR LA
MONTAGNE
Transposé dans notre langage
et pour notre temps
CHAPITRE II
LA MORALE NOUVELLE
(Matthieu V, 20-48.)
Dans le passage qui va nous occuper,
Jésus passe du principe
général qu'il vient de poser à
son application à la vie morale
personnelle.
Car je vous le dis, si votre justice ne
surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous
n'entrerez pas dans le royaume de
Dieu.»
Jésus n'entend pas ici
engager ses disciples à prendre le pas sur
les pharisiens et les scribes. Il leur propose une
justice de nature toute différente,
supérieure à celle 'que pratiquaient
les représentants officiels de la religion
et de la morale, et dont l'accomplissement
déborde l'idéal insuffisant auquel
avaient tendu jusque-là leurs efforts. Cette
justice nouvelle leur est indispensable pour entrer
dans le royaume de Dieu, car il y faut une morale
conforme à la nature de ce royaume,
c'est-à-dire portant le caractère de
l'être originel.
La morale des scribes et des
pharisiens visait à dompter
et à discipliner la
nature humaine encore barbare; celle du royaume de
Dieu est la morale spontanée de la nouvelle
créature. Là où elle
apparaît, se réalise le sens profond
des commandements, s'accomplissent la loi et les
prophètes là est le royaume de
Dieu.
Si l'oeuvre de Jésus avait
consisté, comme on l'enseigne, en une
obéissance qui satisfit pleinement aux lois
morales du mosaïsme, lui-même ne serait
point entré dans le royaume de Dieu, car il
n'aurait fait que porter à son point
culminant la morale de l'ordre ancien; il ne
l'eût pas accomplie. Son rôle a
consisté, au contraire, à
réaliser avec une splendeur immaculée
la vérité absolue de l'être
humain, et c'est là ce qui fait de lui la
pierre angulaire de l'humanité
nouvelle.
Si donc notre ambition se borne
à surpasser les plus honnêtes, les
plus austères, les plus pieux et les plus
nobles de nos contemporains, nous restons, quelque
excellents que nous puissions être
d'ailleurs, dans le domaine de l'ordre ancien, nous
n'avançons pas d'un pas sur la voie de la
véritable évolution humaine. C'est
une morale tout impulsive qu'il nous faut. Elle
n'aura ce caractère que lorsqu'elle sera,
non l'effet de notre travail sur nous-mêmes,
mais celui de notre nouveau devenir. Elle doit
être « le digne fruit de notre con
version». Alors elle sera du même coup
le témoignage du règne de
l'être originel en nous. C'est là ce
qui distingue l'état moral des satisfaits,
à quelque stade qu'ils soient parvenus, de
l'état moral des chercheurs, des «
devenants », quel que soit leur degré
de maturité.
Tout le passage suivant
(Matthieu, ch. 5, v. 20-48) traite de
cette morale nouvelle, et non pas d'une nouvelle
loi. Jésus y développe, sur certains
points spéciaux, ce qu'il entend par
«accomplir» les commandements, non point
les observer d'une
manière irréprochable, mais les
réaliser selon le principe posé plus
haut. Ne voir dans cet accomplissement qu'une
observation plus profonde, plus intérieure,
plus spirituelle de la loi, c'est prouver qu'on n'a
pas compris Jésus. il eût, dans ce
cas, réformé, non accompli. Il
eût renforcé les exigences de la loi,
il ne les eût point rendues superflues. Il
eût renchéri sur l'idéal des
pharisiens et des scribes, il l'eût
peut-être transfiguré et
élevé à l'infini, il
n'eût point révélé une
vie nouvelle devant laquelle pâlit cet
idéal, même porté à sa
perfection.
Les déclarations qui vont
suivre ne sont donc pas de nouveaux commandements.
On ne saurait exiger de personne une nature
spéciale portant ses fruits particuliers. Ce
que nous sommes ne dépend point de notre
volonté, et notre caractère
individuel se rit de nos efforts sur
nous-mêmes. On ne peut, dans ce domaine, que
nous éclairer et nous montrer la vole. C'est
ce qu'a fait Jésus dans les
béatitudes, dans les similitudes du sel et
de la lumière, et par toute la ligne de
conduite qu'il nous a tracée. Nous nous
sommes efforcés de suivre pas à pas
ses indications. Maintenant, il nous fait jeter un
coup d'oeil sur la terre nouvelle que Dieu nous
prépare. Il ne nous impose donc point de
nouveaux fardeaux, mais il nous découvre les
perspectives de l'évolution nouvelle qui a
commencé en nous.
Aussi ces instructions ne
sauraient-elles concerner tous les hommes
indistinctement, - sous peine d'être
taxées avec raison d'«exigences
insensées » et de « paradoxes
extatiques », - mais uniquement ceux qui
cherchent, ceux qui sont en marche. Dans cette
parole : « Mais moi je vous dis»,
l'accent tombe aussi bien sur le vous,
opposé aux autres hommes, que sur le moi,
opposé aux anciens. C'est dans ce
sens spécial qu'il faut
comprendre tous les développements
ultérieurs.
Jésus s'adresse à ceux
qu'il a salués dans les béatitudes et
leur apporte un message non moins joyeux. Il
étale à leurs yeux la beauté
et la richesse inépuisable des puissances
qui sont en germe en eux. Ils ne les
possèdent peut-être que comme un
talent qui leur est confié et qui doit
être mis en valeur. Mais avec la croissance
de l'être originel, l'aptitude se
développe et la capacité grandit, par
le fait seul de l'exercice et de
l'expérience. Le «pouvoir »
nouveau dont il s'agit ici ne peut procéder
que d'un état nouveau de la
personnalité, mais il en procède
directement.
Il ne s'agit donc point en
réalité dans ce qui va suivre des dix
commandements, mais de divers aspects de la morale
nouvelle et, qui plus est, non de son contenu, mais
de son essence, non du quoi, mais du comment.
Jésus veut faire ressortir le contraste
absolu que présentent la justice ancienne et
la justice nouvelle, qui confèrent chacune
à un acte moral identique un
caractère différent. Il ne fait
qu'emprunter au décalogue des
éléments de démonstration
familiers à ses auditeurs et des formules
connues qui leur rendent intelligibles les
vérités nouvelles qu'il veut mettre
en lumière. Ce ne sont donc là que
des exemples, dont chacun relève et illustre
un caractère spécial de la
moralité nouvelle mais est destiné
à éclairer du même coup tout le
champ de notre vie morale.
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