Conciliation
de la
divinité de Christ avec l'abaissement de son
existence terrestre.
- Mais voici que la raison, élevant
la voix, nous demande : Quoi, Christ serait-il
lui-même Dieu ? Comment le
Créateur du ciel et de la terre aurait-il pu
passer une trentaine d'années ici-bas,
aurait-il pu travailler une trentaine
d'années comme ouvrier charpentier ?
Quoi, il aurait manié le rabot et la scie
pour faire des portes et des fenêtres il
aurait reçu des commandes et discuté
des prix Il aurait, sur ses gains, pourvu à
son entretien et à ses
vêtements ?
Celui qui sait tout de toute
éternité, par qui et pour qui toutes
choses furent créées, se serait assis
le soir, après journée faite, devant
la maisonnette de Joseph, écoutant les
propos de son entourage, entendant leurs
raisonnements prétentieux, leurs plaintes et
leurs murmures contre Dieu et les hommes ? Il
se serait ainsi trouvé là, assis au
milieu de ces gens, lui Dieu en
personne !
Celui à qui appartiennent la terre et
tous les astres aurait attendu comme un homme
quelconque qu'on lui payât sa
journée ! Le Tout-Puissant se serait
assis épuisé de fatigue et
altéré, sur le bord d'un puits, et
aurait attendu qu'on voulût bien lui donner
à boire ! Il aurait permis que des
êtres humains fussent témoins de ses
angoisses, de ses soupirs et de ses pleurs !
Il aurait fini par succomber de douleur, de
fièvre et de soif, et cloué sur le
bois !
On reste confondu quand on se met en
présence de toutes ces scènes, et la
raison humaine se trouve à bout. Oui,
assurément, elle le serait, mon
frère, et nous l'y laisserons.
Nous savons bien que Dieu nous a
donné la raison pour tout ce qui concerne
notre existence terrestre : pour bâtir
et pour planter ; pour prendre femme et pour
donner en mariage ; comme pour tout ce que
l'homme peut avoir à faire sur cette terre
et ce qui peut s'y passer encore. Ce don de Dieu
qu'est la raison est bon et suffisant pour ces
choses ; pour tout cela notre raison est bonne
et utile. Et pourtant, même pour ces
choses-là, elle ne porte ni aussi loin, ni
aussi haut, ni aussi profond que nous sommes
disposés à le penser, à le
croire.
Notre raison ! Mais elle est incapable
de saisir les choses les plus simples de la vie
terrestre journalière. Elle ne nous dit ni
comment il se fait que l'herbe croît, ni
comment ce morceau de pain, qui est sur ma table,
en quelques heures se transformera dans mon corps
en chair et en sang pour arriver à mon
cerveau, qui effectue le travail de ma
pensée !
Ma raison est également impuissante
à sonder les conditions essentielles de mon
existence. Elle ne saurait m'expliquer l'espace qui
me contient, ni ce qu'est le temps renfermant la
durée de ma vie, ni ce qu'est la
matière, ni ce qu'est l'esprit, et encore
moins comment mon âme habite dans mon
corps !
Ainsi ce monde que nous voyons et que nous
touchons, il est insaisissable et absolument
incompréhensible à notre
esprit ! Et nous voudrions saisir le Dieu
infini et lui commander ?
Or, s'il plaît à ce Dieu de
descendre dans la création, qui est son
ouvrage, pour la réconcilier avec
lui-même, comment peux-tu,
ô homme, toi infime grain de sable, simple
atome dans l'immense univers, prétendre
enseigner à ton Créateur de quelle
manière il aurait dû s'y prendre pour
demeurer raisonnable au point de vue de ta
raison ? Comment oses-tu même
t'écrier : Non, cela ne se peut !
Dieu ne peut pas !
L'oeuvre
mystérieuse de la
Rédemption.
- Renoncez donc, ô hommes !
à une prétention aussi
insensée. Avouons qu'il s'agit ici, non pas
d'un fait ordinaire, qui rentre dans la
catégorie des choses limitées,
finies, accessibles au jugement de l'intelligence
et acceptables pour la raison. Lorsque un Dieu se
fait homme et le Créateur créature,
il est évident que pareille chose doit
dépasser notre raison et surpasser toute
pensée humaine. Si nous pouvions concevoir
un tel fait et en comprendre le
« comment », il cesserait
aussitôt d'être un acte divin. C'est
bien alors que l'on aurait raison de n'y pas
croire, car un Dieu que je comprendrais,
celui-là serait nécessairement aussi
petit, aussi limité que
moi-même : ce qui veut dire qu'il ne
serait plus Dieu !
Mais non ! Avouons que c'est là
un mystère, le mystère des
mystères. Il n'en est pas de plus grand aux
cieux des cieux ! Il faut croire cela par le
coeur et le contempler par l'esprit.
Dieu est-il tout-puissant ? À
cette question chacun répond :
Certainement il l'est, car sans cela il ne serait
pas Dieu ! Et alors pourquoi, lorsqu'il
plaît à ce Dieu tout-puissant de
prendre la forme humaine, même celle du
serviteur, et de s'abaisser jusqu'à la mort
de la croix, pourquoi dirions-nous aussitôt
que cela n'est pas convenable, que c'est chose
impossible ? Voudrions-nous donc lier la
toute-puissance divine à
notre faible raison et lui prescrire ce qu'il lui
est permis de faire et jusqu'où elle doit
aller ? lui dire ce qui est divin et ce qui ne
l'est pas ?
Si Dieu est capable d'un petit miracle, il
peut aussi en faire un grand, puisque après
tout il n'y a pas de grands et de petits miracles.
- Et si c'est bien lui qui a créé ce
monde, qui est-ce qui lui défendrait de s'y
montrer aussi, et cela sous la forme qu'il lui
plaira ?
Le
mode
d'opération de la rédemption du monde
résultant de la toute-science de
Dieu.
- Qu'on veuille bien nous dire, d'ailleurs,
sous quelle forme le Fils de Dieu eût
dû apparaître lorsqu'il résolut
de sauver le monde et de le réconcilier avec
lui-même ? Est-ce sur les nuées
avec des flammes de feu et des milliers d'anges, de
la même manière dont il reviendra pour
le juger ? Alors il n'eût sans doute pas
été difficile de le reconnaître
pour le Fils de Dieu, et même toute
créature humaine se fût courbée
dans la poussière devant lui.
Mais Dieu avait résolu de soumettre
les hommes à cette unique et grande
épreuve, savoir : de croire en Lui, non
pas à cause de sa gloire et de sa puissance
extérieures et visibles, mais par amour
pour la vérité sortant de sa
bouche. Car c'est bien à cela que se
reconnaissent ceux qui sont de la
vérité, et nés de Dieu :
en ce que, même sous cette forme sans
apparence, ils entendent la voix de
Dieu.
La venue du Seigneur en gloire n'eût
point atteint ce but. Le jour viendra bien,
où tous les rois et princes et peuples de la
terre se tiendront tremblants devant Lui et
croiront en Lui : mais cette foi-là,
les démons l'ont aussi et ils en tremblent,
car ce n'est pas la foi qui sauve.
Les
deux oeuvres
divines de la création et de la
rédemption sont les effets de la puissance,
de la sagesse et de la justice de
Dieu.
- Quel bonheur donc pour nous que le
Seigneur ne soit point apparu, dès la
première fois, comme Dieu, avec toute sa
justice et comme un feu consumant ! Et
comment, dans ces conditions, notre
rédemption eût-elle pu
s'opérer ? Dieu a fondé jadis et
édifié l'univers, par sa
toute-puissance, sur le principe de la justice, de
la même manière qu'il a posé,
comme fondement de l'existence des choses visibles,
le fait que 1 + 1 = 2 et 2 x 2 = 4. D'une
façon tout aussi absolue il a ordonné
que la faute et son châtiment fussent
liés l'une à l'autre par une loi
éternelle. Aussi sûrement que celui
qui se lance dans le feu se brûle, que celui
qui se précipite dans l'abîme se tue,
que celui qui tombe à la mer se noie :
tout aussi certainement toute faute commise se
venge, et cela non pas uniquement, non pas
principalement sur cette terre.
La punition du pécheur, ce n'est pas
d'être poursuivi par un Dieu dur, impitoyable
et irrité, qui se plairait à le
tourmenter alors que, sans cela et malgré sa
faute, il eût pu continuer à vivre
tranquille et heureux.
Non pas ! mais c'est que par sa propre
faute il allume en son être, en son
âme, qui est une partie de Dieu, la
colère divine. C'est lui, et non pas Dieu,
qui est furieux contre lui-même. C'est lui
qui se sépare de Dieu et non pas Dieu qui se
sépare de lui. C'est lui, pécheur,
qui hait Dieu, et non pas Dieu qui le hait. De
sorte qu'en se détournant de la source
éternelle de toute vie, il se
précipite lui-même, le malheureux,
dans la mort éternelle. La loi de Dieu est
vie et félicité. Tout
péché viole la nature, est la
négation de la nature, partant un
suicide.
Mais Dieu qui a posé sur la justice,
sur ce principe éternel, les fondements de
sa création, n'est pas homme pour se
repentir. Il demeure fidèle à
Lui-même et Il garde sa Parole. Il n'est pas
ce que tant de milliers de gens en pensent, qui du
moins vivent comme s'ils le croyaient : un
homme bon, mais faible, qui consent à des
mensonges, qui s'irrite bien contre les hommes,
chaque fois qu'ils dépassent les bornes de
son indulgence, mais qui dit en fin de compte -
« On ne saurait pourtant être trop
sévère envers cette race de gens
faibles ; il faut user d'indulgence à
l'égard de leur faiblesse. »
Nous ne voudrions pas d'un pareil Dieu, car
notre âme a soif de justice. Elle ressent
l'injustice profondément, et elle
réclame d'une façon absolue que le
juste reçoive sa récompense et le
méchant sa punition, de telle sorte que
l'une et l'autre soient mesurées avec
justice et équité. Sans cette
sanction les assises fondamentales du monde
spirituel seraient ébranlées.
À la vérité, la plupart
des hommes se figurent que pour Dieu, il suffit
d'une repentance sincère et de la
sérieuse résolution de renoncer au
péché, pour qu'il soit
satisfait.
Mais que diraient ces mêmes gens, se
fondant sur leur sentiment le plus profond de
justice, et sur la voix de leur conscience, quand
devant des juges de cette terre quelqu'un viendrait
tenir ce langage :
« J'avoue devant vous que l'an
dernier j'ai commis plusieurs meurtres ; mais
comme, dès lors, je n'ai tué
personne, et que je n'ai pas l'intention de
renouveler de pareils actes, je demande à
être libéré,
complètement et honorablement, de tout
châtiment. »
N'a-t-on pas souvent vu, au contraire, tel
meurtrier que des juges humains avaient
gracié, chercher désespérément
la mort, poussé par sa conscience
tourmentée, qui lui criait que son sang
pourrait seul expier son crime
sanguinaire ?
0 hommes insensés ! Est-ce que
Dieu, qui est la justice même, de qui seul
vous tenez votre idée de justice, qui
réside en vous, est-ce que Dieu serait moins
juste que vous ? Non certes, tout le repentir,
toute la bienfaisance, tout le renoncement au mal
que témoigneraient tous les hommes de la
terre ; tout cela n'effacerait pas un seul des
péchés de votre âme, ni de la
mienne !
L'humanité entière serait
incapable de réparer, fût-ce
après quelques milliers d'années, un
seul petit mensonge que j'aurais commis dans mon
enfance ? Et toutes les larmes et toutes les
oeuvres de pénitence n'y changeraient jamais
rien !
Justice
et
équivalence dans l'expiation du
péché, telle est la loi de
l'« équité ».
- Le péché ne peut être
expié que par un châtiment
équivalent à la faute. Telle est la
loi divine et fondamentale de l'univers, qui est
gravée dans notre conscience humaine avec un
burin de diamant. Et parce que toute offense,
envers un Dieu infini et absolu, est par là
même infinie et absolue, il doit en
être de même pour la peine qui la
sanctionne. La grandeur du châtiment peut
seule donner la mesure de l'étendue de la
faute, de la gravité de la coulpe.
Il est vrai que l'Ancien Testament nous
montre ce même Dieu pardonnant leurs
péchés aux hommes pieux et craignant
Dieu de l'ancienne alliance. Il semblerait alors
que ce fût là par pure grâce et
miséricorde. Par la voix du prophète
Ezéchiel
(Ezéch.
18 : 22), il
promet au méchant qu'il vivra s'il se détourne de
ses
péchés. Mais pour celui qui ne se
contente pas de l'appui de quelques passages
isolés de la Bible, pour celui qui, au
contraire, embrasse l'ensemble de sa doctrine et
envisage, dans son entier, le service sacerdotal,
dont la loi est toute pleine, celui-là ne
tardera pas à reconnaître que si, dans
tel cas, Dieu a usé de miséricorde,
c'était précisément en vue
du sacrifice expiatoire de Christ,
résolu avant la création du
monde, mais alors encore caché, du moins
en partie, aux saints hommes de l'ancienne
alliance.
En effet, de même que la mort de
Christ a eu son efficace expiatoire en faveur de
nos péchés actuels, qui
étaient alors encore dans l'avenir, et
qu'elle a exercé son effet par avance, par anticipation, sa
mort sanglante a
également opéré sur les
péchés antérieurs d'une
façon rétroactive, pour
l'expiation de toutes les fautes et transgressions
commises dans les siècles
précédents, depuis la chute de
l'homme au paradis.
C'est ce que dit l'apôtre Pierre, dans
sa première épître en ces
termes : « Vous avez
été rachetés par le sang
précieux de Christ, comme d'un agneau sans
défaut et sans tache, prédestiné avant la fondation
du monde, et manifesté à la fin des
temps. »
(1
Pierre 1 : 19-20.) Et
Jean-Baptiste résume toute la coulpe et tout
le pardon en cette affirmation d'une portée
infinie : « Voici l'Agneau de
Dieu qui ôte le péché du
monde ! »
(Jean
1 : 29.)
Objections
faites aux
conditions de la venue de Christ au monde.
- Mais, dira-t-on peut-être, Christ
eût au moins pu naître dans une
condition plus relevée, et se
présenter sous des dehors d'une apparence
plus digne, en quelque sorte. Pourquoi a-t-il fallu
qu'il vînt au monde au sein d'une famille
d'ouvriers, de prolétaires, comme on dit de
nos jours ? Pourquoi dut-il vivre dans la
société de gens qu'aucun homme bien
né et cultivé ne rechercherait ?
Pourquoi aller manger et boire en compagnie
d'usuriers et de femmes de mauvaise vie ?
Pourquoi n'arriva-t-il pas revêtu de
la qualité de prince ou de fils de roi,
même comme empereur romain, pour venir
s'établir au sein de l'humanité, pour
en être reconnu comme le plus haut
placé et le plus puissant des
hommes ?
Voilà ce que bien des gens estiment
comme une situation plus digne de Dieu, le
père du Messie. Voilà ce qui nous
eût paru, à nous aussi, plus
acceptable pour le Sauveur du monde. L'on se figure
que, dans de telles conditions, le Christ eût
exercé plus d'influence, gagné plus
d'adhérents, et sa parole de
vérité obtenu plus
d'autorité.
S'il eût disposé du pouvoir
d'un empereur romain, par exemple, ses paroles
auraient pu réprimer le mal plus
efficacement, et ses actes d'autorité
auraient fait triompher le bien par des lois et des
institutions divines. Et quelle admirable influence
civilisatrice et réformatrice sa
présence dans ce monde n'aurait-elle pas
exercée, et cela sans de grands
efforts !
Réponse
à ces objections.
- Eh bien ! ceux qui font pareil
raisonnement montrent par là qu'ils n'ont
que des pensées humaines, et qu'ils n'ont
pas la pensée de Dieu. Nous leur
répondrons tout d'abord que Dieu ne fait pas
grande différence entre un roi et un
mendiant. Devant Lui, tous les hommes sont
égaux, quelles que soient les distinctions
que les hommes établissent entre eux, en ne
jugeant d'habitude que d'après les
apparences et les dehors.
Aux yeux du Seigneur, toutes les
différences de positions sociales sont fort
peu de chose. La puissance et les richesses
terrestres sont devant Lui comme de la
poussière et de la balle. Les titres et les
plus hautes dignités de ce monde ne sont que néant devant Lui,
de sorte qu'il
eût été indigne de Christ de se
revêtir de ces misérables oripeaux. De
tout temps les hommes les meilleurs et les plus
grands ont reconnu la vanité de ces
conditions extérieures, de ces apparences
passagères. Voilà pourquoi nous
admirons les hommes qui, comme un Socrate et un
Diogène, comme aussi Elie et Jean-Baptiste,
ont témoigné leur mépris pour
les richesses terrestres et la puissance
mondaine.
En effet, l'homme ne possède, au
fond, et réellement, que ce qu'il est en
lui-même. Cela seul lui appartient et lui
demeure. Ce qu'il tient de ses circonstances, de
ses titres et dignités, et l'influence qu'il
peut exercer de ce chef, tout cela disparaît
avec ses titres, changera suivant ses
circonstances. Cela ne lui appartient pas
véritablement, car ces choses n'ont pas de
durée éternelle.
Mais il y a encore autre chose, un autre
argument à
considérer : c'est que Christ
n'était point venu au monde pour donner, en
qualité d'empereur, des lois romaines
à l'empire romain, lois qui ne devaient
avoir qu'une utilité temporaire. Elles
devaient un jour faire place à d'autres
lois, à cause des changements qui se
produiraient dans l'état social du
monde.
Ce que Jésus a voulu par-dessus tout,
c'est d'apporter, lui en tant qu'homme, à
l'humanité égarée les
paroles éternellement vraies de la vie
éternelle. C'est pourquoi il fallait
qu'il vînt ici-bas comme un simple homme,
sans revêtir aucune fonction ni
dignité, sans position et sans aucun titre
officiel. « Les paroles que je vous dis
sont esprit et vie. »
(Jean
6 : 63.)
Quant à sa situation personnelle, ses
conditions d'existence matérielle, ses
aises : tout cela ne pouvait qu'être
absolument indifférent au Fils de Dieu,
à cette heure solennelle où il
résolut de sauver le monde et de quitter
« la gloire qu'il avait auprès du
Père avant que le monde fût
fait »
(Jean
17 - 5), quand il
résolut de venir séjourner dans la
sombre caverne qu'est cette terre malade et
souillée, et cela pour se charger d'un
fardeau tel que l'était pour lui la vie
terrestre. Cette oeuvre-là dépasse
toutes les idées que nous voudrions nous en
faire.
Cela étant, lorsque le Sauveur du
monde résolut de revêtir la nature
humaine, il était pour le Christ assez
indifférent de venir en ce monde sous la
figure d'un pauvre ou sous celle d'un homme riche,
comme une personne de haute ou bien de basse
condition, avec le titre d'empereur ou sous les
dehors d'un mendiant, et cela pour ne passer que
trente-trois ans sur cette terre.
Pour mieux rendre notre pensée,
figurons-nous ce que nous éprouverions quand
nous serions exilés et obligés de vivre parmi les
Papous, dégradés jusqu'à
l'état bestial, et cela pendant trente-trois
années. Dans une situation pareille, peu
nous importerait d'avoir ou non le droit de porter
autour du cou un collier de perles de verre bleu,
ce qui, chez ces gens, passe pour le plus bel
ornement et le plus grand honneur.
D'être privé de mets
délicats ou de beaux vêtements, de se
passer d'une garde d'honneur et des courbettes de
courtisans flatteurs, n'est pas ce dont le Christ a
souffert le plus. Ne savait-il pas ce qui se
passait en tout coeur d'homme, et combien sont
trompeuses toutes ces manifestations de respect
hypocrite dont les grands de ce monde sont les
objets ?
Ce qui fut le plus douloureux pour le
Sauveur du monde, c'était surtout le triste
spectacle du péché des hommes. C'est
là le lourd fardeau qui oppressait son
âme durant sa vie terrestre. Et quand il
voyait ce monde, qu'il était venu sauver, ne
lui prodiguer que moqueries et mépris ;
et d'autre part ses disciples eux-mêmes
donner tant de preuves de leur aveuglement et de
leur incrédulité, on comprend que sa
douleur s'exprimât un jour, en soupirant, par
ces paroles mémorables : « 0
gens de petite foi ! o race incrédule
et perverse ! Jusqu'à quand serai-je
avec vous ! » Telle fut
assurément la source de ses pleurs sur la
Jérusalem rebelle et le sort lamentable qui
l'attendait.
Supposition
de la
venue de Christ en puissance dans ce monde.
- Il faut encore réfléchir
que, si le Christ fût venu dans ce monde pour
y vivre en homme puissant et influent, nous
eussions sans aucun doute été assez
aveugles pour dire à propos de lui :
« Certes, quand on
jouit à souhait de tout ce que la terre peut
offrir, il n'est pas difficile de s'y conserver pur
et sans péché. Cet homme n'a eu
aucune tentation. Mais si, comme moi, il avait eu
à lutter contre mille difficultés,
dans des soucis continuels, il n'eût sans
doute pas su faire mieux que tous les autres ;
il n'aurait pu vivre dans ce monde de cette vie
pure et divine qui l'a signalé à ses
contemporains ! »
Et que seraient devenus les pauvres, les
délaissés, les méprisés
de ce monde, ceux-là mêmes qui ont le
plus besoin de consolation ? tous ces gens qui
forment hélas ! la grande
majorité des humains. Car il ne faut pas
oublier que notre humanité ne renferme
qu'une minorité de ces gens cultivés,
amateurs des beaux-arts et des sciences, que l'on
est convenu d'appeler « la bonne
société ». Non, devant
Dieu, la véritable humanité a de tous
temps été représentée
par ces millions de gens ignorant les questions
d'art et de science, dont le front est
habituellement courbé vers la terre par ceux
qui travaillent à la charrue ou à
l'établi qui manient, jour après
jour, la hache ou le ciseau pour gagner
péniblement leur pain quotidien ! Tous
ces gens-là ne connaissent ni
théologie ni philosophie. Ils ne savent que
soupirer dans leur détresse en
s'écriant : « Mon
Dieu ! » tout simplement, se
consolant par là comme un enfant qui compte
sur le Bon Dieu » pour être
secouru.
C'est pour sauver cette
humanité-là que Christ est venu au
monde. Et quel salut eût pu lui apporter un
empereur ou un roi vêtu de pourpre ? Un
tel Sauveur lui serait demeuré beaucoup trop
étranger et éloigné. Il
n'eût pu lui servir de modèle par sa
vie, et sa personne n'aurait pu ni réjouir
l'humanité, ni la consoler, comme le pouvait
un homme du peuple.
Nous avons donc ici la preuve que Dieu fait
sagement et complètement tout ce qu'il fait.
Et quand Il résolut de se faire homme, Il a
aussi voulu l'être tout à fait. Il a
accepté l'existence humaine la plus humble,
avec toutes ses privations et ses souffrances. Il a
condescendu à s'abaisser jusqu'aux
conditions les plus humiliantes de la
pauvreté, de la nécessité et
du dénuement.
Et tout cela pour nous délivrer de
nos péchés !
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