Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE  (Jean 17.17)
Cela me suffit...
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Il est écrit:
TA PAROLE EST LA VERITE
(Jean 17.17)
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PROMENADES À TRAVERS LE PARIS DES MARTYRS
1523 - 1559


Athéniens de Paris, que vous soyez Parisiens de naissance ou d'adoption, on vous accuse - et, il faut l'avouer, le reproche n'est pas sans fondement, de vivre au milieu de la grande ville et de ne pas connaître la topographie de votre cité, le nom de vos rues, les souvenirs historiques qui se rattachent aux divers monuments, - toutes choses que les étrangers savent mieux que vous.

HOFFBAUER, Paris à travers les âges.

 

UNE PAGE DE PASCAL

« C'est une étrange et longue guerre, que celle où la violence essaie d'opprimer la vérité. Tous les efforts de la violence ne peuvent affaiblir la vérité et ne servent qu'à la relever davantage. Toutes les lumières de la vérité ne peuvent rien pour arrêter la violence, et ne font que l'irriter encore plus. Quand la force combat la force, la plus puissante détruit la moindre ; quand on oppose les discours aux discours, ceux qui sont véritables et convainquants confondent et dissipent ceux qui n'ont que la vanité et le mensonge : mais la violence et la vérité ne peuvent rien l'une sur l'autre. Qu'on ne prétende pas de là, néanmoins, que les choses sont égales : car il y a cette extrême différence, que la violence n'a qu'un cours borné par l'ordre de Dieu, qui en conduit les effets à la gloire de la vérité qu'elle attaque ; au lieu que la vérité subsiste éternellement, et triomphe enfin de ses ennemis, parce qu'elle est éternelle et puissante comme Dieu même. »

(Douzième Provinciale).


CHAPITRE 1er

Le Marché aux Pourceaux
(Avenue de l'Opéra).

 

La foule élégante qui promène avenue de l'Opéra sa curiosité ou son loisir ne se doute guère qu'elle foule l'endroit de Paris qui était il y a quatre siècles le plus repoussant et le plus sale de Paris, je veux dire l'emplacement de la Butte des Moulins et du Marché aux Pourceaux.
Les deux buttes dites des Moulins s'étaient peu à peu formées, pense-t-on, des terres extraites des fossés de Paris et des détritus que l'on n'avait pas alors la possibilité d'éloigner de la capitale.

Sur une pente de la butte qui se trouvait à l'est, à l'endroit où s'ouvrira plus tard la rue qu'Anne d'Autriche fera baptiser du nom de sa patronne, Ste-Anne, se trouvait la voierie basse, « la place au sang », c'est-à-dire l'endroit où se faisait l'abattage du bétail qui était débité, non loin de là, dans la grande boucherie St-Honoré près de l'Hospice des Quinze-vingts.
Il y avait là un réceptacle d'immondices dont on a retrouvé la trace en 1877 au cours des travaux entrepris pour l'alignement et le percement de l'Avenue de l'Opéra. Le conseil municipal d'alors se préoccupa des dangers que pouvait faire courir à la santé publique l'enlèvement « des gadoues noires et méphitiques retrouvées sous les démolitions, entre la rue Ste-Anne et la rue Traversière. » (1)

C'est là dès l'entrée de la rue Ste-Anne et dans l'espace compris entre l'avenue de l'Opéra, la rue Ste-Anne et la rue Thérèse, que se tenait le marché aux pourceaux. L'odeur de ce coin infect était telle qu'en 1571 Charles IX ne voulait pas habiter l'été le palais voisin des Tuileries avant qu'on ait pris des précautions pour atténuer les désagréments d'un tel voisinage.
La grande Butte des Moulins et le marché infect qui se trouvait à ses pieds appartenait à l'évêque de Paris et c'est là que s'exécutaient les arrêts de sa justice.
Tout ce quartier était bien fait d'ailleurs pour les bûchers et les pendaisons. Non loin de là, dans la direction de la Seine et près des Quinze-Vingts, sur la chaussée St-Honoré, il y avait l'échelle de justice qui a baptisé la rue de l'Échelle.

LES DEUX BUTTES D'APRÈS LE PLAN O. TRUCHET (1551)

LA BUTTE DES MOULINS, D'APRÈS LE PLAN GOMBOUST (1652).

 

Le marché aux pourceaux n'était pas ouvert à tous les criminels. On n'y exécutait jamais pour crime de meurtre ou de rapt, mais on y exécutait fort bien et indifféremment les voleurs, les faussaires, les faux-monnayeurs, les sorciers et sorcières, les hérétiques.
Comme l'Eglise a horreur du sang, l'évêque confiait aux gens du roi l'exécution de ses sentences. Les voleurs y étaient pendus, les faussaires et les hérétiques étaient brûlés ; quant aux faux-monnayeurs ils étaient bouillis vivants dans une grande chaudière (2).

Le marché aux pourceaux a eu l'honneur de voir brûler le premier martyr de la Réforme française.
C'était le 8 août 1523. On vit ce jour-là un tombereau à immondices conduire devant Notre Dame de Paris un pauvre moine ermite âgé au plus d'une quarantaine d'années. Il put une dernière fois attacher ses regards sur les pierres déjà vieillies de l'admirable édifice. On le contraignit d'entendre du dehors une messe expiatoire ; c'était « l'amende honorable » à laquelle tous les hérétiques étaient condamnés. Puis il fut replacé dans son tombereau et, à travers les rues étroites du Paris d'alors, il fut conduit, en sortant par la porte St-Honoré, jusqu'au pied de la Butte des Moulins, au marché aux pourceaux. Là, on lui coupa la langue ; après quoi, attaché au gibet par une chaîne de fer, il fut brûlé tout vif dans son habit d'ermite.

Quel crime atroce avait donc commis le malheureux et qui était-il ?
Il s'appelait Jean Vallière. C'était un ermite augustin de la petite communauté de Livry près de Pressy. Il était originaire d'Acqueville près Falaise (3). Il fut brûlé dit le moine Pierre Driart, « pour les blasphèmes et énormes paroles par lui dites à l'encontre de notre créateur Jésus et sa digne mère la Vierge Marie. Le Journal d'un bourgeois de Paris précise le « blasphème ». Jean Vallière aurait affirmé que « notre seigneur Jésus-Christ avait été de Joseph et de notre Dame conçu comme nous autres humains. »

Jean Vallière était tout bonnement un des premiers adhérents de ce qu'on appelait alors la secte luthérienne. L'esprit de la Renaissance avait pénétré dans beaucoup de couvents, et parmi les plus instruits, et les plus vivants des moines. Les Augustins surtout - l'ordre auquel appartenait Luther - se distinguaient par un « Modernisme » relatif. L'esprit d'Érasme avait pénétré à Livry même pendant que Jean Mauburnus en était l'abbé (4).

D'Érasme à Luther il n'y avait qu'un pas et beaucoup de moines parmi ceux qui désiraient la réforme de l'Eglise le franchirent. Il n'était pas douteux que Jean Vallière ait été de ceux-là. Preuve en soit ce que rapporte Pierre Driart tout de suite après le supplice de Jean Vallière. Il note que ce même jour le Parlement, ordonna de brûler grosse quantité des livres de Luther devant Notre-Dame sur un grand échafaud à ce préparé. » Il fut aussi fait cry » que, sous peine de confiscation de corps et de biens, nul ne fût si osé ni hardi de garder des livres de Luther, mais qu'on les mît tous au feu.

Jean Vallière est donc bien la première victime, de la Réforme naissante. On connaissait son supplice par la première édition du Journal d'un bourgeois de Paris et par la Cronique du roy Francoys 1er. On connaissait son nom, depuis 1895, par la publication de la Chronique parisienne de Pierre Driart. Nous avons trouvé depuis lors son jugement que l'on croyait perdu. Nous donnons ici ce document qui est le plus ancien texte aujourd'hui connu d'une condamnation prononcée par le Parlement contre les adhérents de la Réforme française.

 

Extrait des Registres de parlement

Veues par la court les charges et informations faites par le Juge et garde des prevostz et soubsbaillys de Precy (5) ou son lieutenant à l'encontre de Jehan Vallière soy disant hermite prisonnier en la Conciergerie du pallais pour raison des exécrables et detestables blasphèmes par luy dictz et professez de notre Saulveur et Redempteur Jhesucrist et de la glorieuse vierge Marie sa mère, les interrogatoires et confessions dudit Valliere, faictes par devant aucun conseiller dicelle court à ce faire commis par elle, comme les recollemens de tesmoings et confrontacions faictes auxdictes personnes et luy oy et interrogé en la dicte court sur les dits cas, lequel s'est advoué clerc et comme tel à Requis estre rendu à son ordinaire et, tout considéré, et arresté que ledit Vallière ne sera rendu comme clerc et ne joyra de privillège de cléricature, et au surplus, la court, pour raison desdicts cas, a condempne et condempne ledit Vallière a estre mené en un tombereau où l'on porte les immondices de la Ville, jusques devant l'église notre dame de Paris et illec requerir mercy et pardon à Dieu et à la Vierge Marie de sesdits blasphèmes et ce faict estre d'illec mené au marché aux pourceaulx et illec avoir la langue couppée et après estre brulé tout vif, son habit et son corps mis en cendre. Et a ordonné et ordonne ladicte court que le proces faict contre le dict Vallière sera bruslé et declaire ses biens confisquez. Fait et exécuté le huitième jour d'aoust l'an mil cinq cens et vingt-trois.
Ainsi signé Malon.

Collation est faite. LORMIER. (6)

Jean Vallière ne fut pas la seule victime brûlée au Marché aux Pourceaux par l'intolérance du temps.

Le 18 novembre 1534, un tisserand dont nous ne savons pas le nom, fit amende honorable, lui aussi, devant Notre-Dame. Puis, par la même route, il fut conduit au Marché aux Pourceaux. On lui coupa la langue après quoi il fut brûlé vif.

D'après Pierre Driart il se rétracta et mourut bon chrétien. Mais le brave moine prend souvent ses désirs pour des réalités et la rétractation du marchand est fort douteuse. On épargnait à ceux qui avaient fait quelque concession les souffrances d'être brûlé vif. On les étranglait préalablement. Et ce ne fut pas le cas du malheureux tisserand qui fût brûlé vif. Il est possible d'ailleurs de mourir « bon chrétien » sans croire à la messe.

La même scène se renouvela l'année suivante.
Le 5 mai 1535, veille de l'Ascension, deux hommes, dont l'un s'appelait Étienne Bénard, originaire des environs de Rouen, procureur du roi, et âgé de 40 ans environ, et l'autre, Marin Du Val, natif de Melun et couturier de son état, furent traînés sur une claie au parvis de Notre-Dame où ils furent contraints de faire amende honorable. Puis, on les mit dans un tombereau et on les conduisit au Marché aux Pourceaux. Là, ils furent pendus à des chaînes de fer et brûlés. Ils moururent « repentants et bons chrétiens », dit le Journal d'un bourgeois de Paris. C'étaient deux luthériens soupçonnés d'avoir trempé dans l'affaire des placards, c'est-à-dire d'avoir affiché dans Paris, à la fin de 1534, un factum violent contre la Messe.


Table des matières

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(1) Cf. Fournier, Histoire de la Butte des Moulins, Paris 1877. La rue Traversière est devenue la rue Molière. Comme elle conduisait à la Butte des supplices, elle s'appelait, sous Louis XIII encore, la rue de Malassis.
 

(2) « Deux faux-monnayeurs « boulus » (bouillis) au marché aux Pourceaux ; et à cet effet a été mise une grosse fontaine de cuivre à la chaudière, laquelle fut mise sur un fourneau de pierre ; fut brûlé un cent de bois de gros compte, une douzaine de bourée, une douzaine de cotterets et un gluy de feure. » Comptes de la prévôté de Paris, Sauval, III, p. 604.

(3) Et non de « Pressy près Falaise », comme le dit M. Doumergue d'après une indication de M. N. Weiss, Bull, 1894, p. 254.

(4) On a deux lettres d'Érasme à l'abbé de Livry, Cf. Gallia christiana nova, t. VII, fol. 281, 282. Cf. aussi la tentative de réforme de Livry, par Standonk.
L'ermitage ou l'abbaye de Livry a eu l'honneur de donner deux martyrs à la Réforme française : Vallière et Jean Guibert. Il ne reste plus rien aujourd'hui des anciens bâtiments de l'« ermitage ». Mais on y peut voir les restes attristés de l'abbaye où Mme de Sévigné allait si souvent se reposer des agitations de Paris auprès d'un oncle qui en était l'abbé. Elle a rendu avec une grâce incomparable les charmes de cette solitude. Pour aller à Livry, prendre, à la gare de l'Est, un billet pour Gargan où l'on trouve le train sur route de Livry. Descendre à la station Livry-Sévigné. L'abbaye tombée entre les mains de marchands de biens est toute proche.

(5) Le Journal d'un bourgeois de Paris, indique de même que Jean Vallière « se tenait près Pressy ». Il s'agit de Précy-sur-Oise. La note 4 de l'édition Bourrilly du Journal (p. 397), est donc erronée.

(6) L'échevin Pierre Lormier sans doute. Ce document se trouve dans Le livre rouge des maîtrises et mestiers. Arch. nat. sect. judiciaire, série Y 6.

 

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