Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

APRÈS UNE CHUTE DE GRÊLE

Ps. 73 ; Lam. 3: 28, 29.

On m'a rapporté qu'un petit garçon de notre village, après la chute de grêle qui a dernièrement frappé notre contrée, avait ramassé un grêlon presque aussi gros qu'une noix, l'avait bien examiné en secouant la tête, puis avait tourné ses regards du côté du ciel et demandé à son père : Qui est-ce donc qui, là-haut, peut les serrer si fort ?

C'est là une question d'enfant, rempli d'effroi en face du terrible spectacle de pierres, de pierres dures tombant des nuées. Et cette vision est pour eux une énigme troublante.

Cette question d'enfant est moins stupide qu'elle ne le semble de prime abord. Nous autres adultes ne nous la sommes-nous pas posée aussi pendant les jours et les nuits de douleur que nous venons de passer ? Nous aussi nous nous sommes trouvés en face de l'énigme et avons tenté de résoudre le problème de la grêle. Troublé moi aussi, j'ai ouvert mon livre de géologie et y ai trouvé toutes sortes d'explications scientifiques et de théories sur la grêle, introduites par ces mots : une forme rare et encore insuffisamment connue des précipitations.

Je ne doute pas qu'on ne découvre un jour une théorie irréprochable de la grêle. Mais il n'en grêlera pas moins, que nous connaissions un peu plus tôt ou un peu plus tard l'origine des grêlons. Le garçonnet terrifié, demandant qui pouvait bien les serrer si fort, et Monsieur le professeur de la station météorologique de Zurich, quand il grêle, doivent, impuissants tous deux, laisser passer l'orage. Monsieur le professeur n'y peut pas plus que le jeune garçon et que nous tous.

Et voilà ! Pendant ces rapides et pourtant si affreusement longues minutes où l'ouragan était déchaîné et où les pierres mitraillaient le sol, coupant ici un bourgeon, écrasant ailleurs le coeur d'une plante, abattant une pomme encore verte, oh ! alors, tous, grands et petits, pauvres et riches, impies ou croyants, intelligents ou pas, nous nous sommes reconnus impuissants vis-à-vis d'une puissance supérieure.

Mais quand nous nous sommes trouvés, pour évaluer les dommages subis, devant des champs et des jardins dévastés, une nouvelle question nous a assaillis. Ce n'était pas un produit de notre cerveau, comme l'autre, non, elle montait des mystérieuses profondeurs de notre âme. Elle nous a tout d'abord effrayés, mais ne nous a laissé aucun répit que nous ne lui ayons livré passage. Et alors ce cri a jailli du fond de notre être : Quelle est cette puissance, plus puissante que nous, entre les mains de laquelle nous nous sentions alors que les grêlons faisaient rage ? Est-ce un esprit malin ? Un tyran aveugle et cruel ? Ou bien... en définitive serait-ce Dieu ? Est-ce Dieu qui nous a bombardés à coups de pierres ? Qui a brisé nos fenêtres, ravagé nos champs de froment, abîmé nos arbres et les ceps de nos vignes pour des années ? Non, non ! Ce qu'il y a de plus intime en nous se révoltait à l'idée d'associer Dieu aux grêlons et de prononcer son saint nom.

Et notre âme s'écriait encore : S'il est le Dieu tout-puissant, il aurait pourtant pu empêcher cela, il aurait pu diriger les pierres meurtrières sur le lac ou sur des rochers stériles, où elles n'auraient causé aucun mal.

Et la question la plus amère était enfin celle-ci : Pourquoi précisément sur notre village, qui a déjà été atteint il y a deux ans ? Pourquoi pas sur le riche village voisin ? Et pourquoi une fois de plus sur mon champ, tandis que celui de mon voisin, à peine distant de cinquante mètres du mien, a de nouveau été épargné ? L'ai-je mérité plus que lui ? Et comment, somme toute, l'absolue stupidité de cet orage de grêle s'accorde-t-elle avec la toute-science, la miséricorde infinie et surtout avec la justice de Dieu ?

Je n'ai ni réponse, ni explications à donner à toutes ces questions. Mais dans ces terribles minutes, un souvenir de ma toute première enfance a surgi en moi et m'est apparu aussi nettement que s'il datait d'aujourd'hui. C'était pendant la fenaison. J'ai vu un propriétaire dont sept chars de beau trèfle, bien sec, étaient chargés et se trouvaient les uns dans le pré, les autres sur le chemin et le reste dans la cour de la ferme. Soudain, avec une rapidité inexplicable, une pluie torrentielle s'abattit sur nous. L'homme était là, devant sa grange. je le vois encore, ses deux poings menaçant le ciel, proférant un horrible juron. Jamais un éclair, ni un coup de tonnerre, ni la grêle n'ont terrifié mon âme comme ce juron. Plus tard, cet homme s'est adonné à la boisson.

La chute de grêle est un malheur. Le poing dressé contre le ciel en est un second. Lequel des deux est le plus grand ? Dieu, qui tient en ses mains la grêle et le soleil, veuille nous protéger de la grêle et... du poing dressé contre Lui.

Qu'il nous préserve de faire d'un malheur terrestre, que nous ne pouvons détourner, mais qui est passager, un deuxième malheur, un malheur éternel.




NOUS L'AVIONS BÂTIE

Ps. 127: 1, 2.

Schiller raconte qu'un des trois premiers Confédérés, Werner Stauffacher, s'était fait construire un jour une nouvelle et magnifique maison. Un tilleul était planté devant. Un soir, Stauffacher était assis sous ce tilleul, contemplant d'un oeil joyeux et rêveur le travail de ses mains, heureux d'avoir achevé son oeuvre, d'en avoir fini avec les fatigues de la construction et d'avoir si bien réussi.

Et comme il était là, dans la paix du soir, voici venir par la route de Küsnacht le bailli Gessler, à cheval et suivi de sa garde de corps. Il s'arrête devant la maison et la regarde d'un oeil sombre, Stauffacher se lève et le salue comme il se devait. Gessler le connaissait bien, il lui demande cependant d'un ton brusque : A qui cette maison ? Et Stauffacher de lui répondre habilement : Cette maison, Monsieur le bailli, appartient à mon seigneur, l'empereur, et vous et moi la possédons en fief.

Réponse pleine de sens et de sagesse. Stauffacher était sans doute un homme libre et vivait comme tel sur son domaine et sur sa terre libres. C'est pourquoi cette maison neuve lui appartenait et à nul autre. Il l'avait bâtie, peut-être même avec des pierres à lui, du bois de sa propre forêt, avec son intelligence et la force de ses bras. Il aurait donc été en droit de répondre : Cette maison, Monsieur le bailli, m'appartient à moi, Werner Stauffacher. Mais non, il s'appelle modestement vassal et dit : Elle ne m'appartient pas, ni à vous, Monsieur le bailli, elle n'appartient à aucun de nous, mais à quelqu'un de plus grand et de plus puissant que nous deux, elle appartient à l'empereur.

Nous aussi, chers amis, sommes réunis ce soir devant une maison neuve. Ce n'est pas un événement pour la famille seulement qui l'a fait bâtir, mais pour toute notre localité, car il n'arrive pas souvent en dix ans qu'une nouvelle maison s'élève dans ce village. À la vue de ce haut pignon, toutes sortes de pensées et de sentiments s'éveillent en nous. Avant tout, nos coeurs sont remplis d'une joyeuse reconnaissance, exempte de toute jalousie, en cet instant, ici, sous le ciel étoilé. La joie que nous procure le travail, la joie du travail accompli par nos mains n'est-elle pas l'une des plus belles, des plus vraies, des plus grandes de notre existence terrestre ? Nous devrions, dans des occasions comme celle-ci et dans d'autres semblables, lui accorder une place bien plus large et plus grande encore.

Nous nous réjouissons tous que l'un des nôtres, à une époque difficile, où la volonté de détruire semble souvent plus forte que celle de construire, ait eu le courage de bâtir. C'est là l'antique coutume des Confédérés : ne pas perdre la tête aux heures critiques, ne jamais reculer, découragé, en mettant les mains dans ses poches ; au contraire, se lancer à l'attaque des difficultés avec décision, mais sans imprudence.

Cette volonté de construire est sacrée en tant et pour autant qu'elle nous est dictée par le Créateur. je l'ai remarqué une fois de plus aujourd'hui au rucher : avec quel art l'abeille ne construit-elle pas son rayon de miel ! Nul architecte ne saurait tracer ses plans avec plus d'exactitude ! Pensez encore à l'hirondelle, hôte de nos demeures ! Elle maçonne son nid à rendre jaloux un maçon de profession. Et la corneille au sein des forêts bâtit son nid sans tenons, sans clous et sans marteau. L'habileté avec laquelle la souris des champs creuse sa cave n'est pas moins admirable. Tous ces creuseurs, maçons et charpentiers ont été créés par le même Créateur que nous et, comme nous-mêmes, ont été dotés de ce sens mystérieux, celui de construire. Et voyez ! Sans se lasser, dans les bonnes comme dans les mauvaises années, ils construisent leurs demeures de terre, de pierre et de bois. Nous autres hommes leur serions-nous inférieurs ?

Nous nous réjouissons de ce qu'une famille de notre village a de nouveau un solide abri protecteur. Combien cela n'est-il pas précieux sur notre planète si changeante, avec ses grosses chaleurs et ses froidures, sa pluie et sa neige ! Si en famille qui s'aime, vous allez bientôt habiter sous ce toit et que la pluie vienne battre vos fenêtres neuves, que les vents d'automne et d'hiver balayent le pays, que vous pensiez alors

Je ne suis jamais mieux
Que quand je suis chez moi !

oh ! alors, soyez reconnaissants du toit qui vous abrite et prêts en tout temps à partager cet abri avec le voyageur qui vient par le chemin et qui, lui, est sans toit. Et vous, les ouvriers, avez le droit de vous réjouir avant tout de pouvoir, comme collaborateurs de Dieu, procurer aux hommes protection et asile. Y a-t-il oeuvre plus importante et plus noble que précisément celle-ci ? Et serait-ce pur hasard que celui que nous appelons tous notre Maître ait appartenu à un corps de métier, et précisément à celui de charpentier ?

Assurément cette noblesse de votre profession oblige, comme toute noblesse. Faites honneur à votre métier par du travail solide ! Dans l'île de Saint-Pierre, au bout de la digue, il y a une pierre où l'ouvrier qui a travaillé à cette digue a gravé son nom, il y a de cela des siècles. Ces vieux maîtres osaient signer leur oeuvre. Ils ne redoutaient pas le jugement de dizaines et de centaines d'années. Comme leurs employeurs, ils étaient pénétrés de l'assurance que si Dieu ne bâtit la maison, celui qui la bâtit travaille en vain. Qui sait si ce n'est pas cette assurance qui fut le secret de leur supériorité ?

Nous voulons nous réjouir aussi de ce que, jusqu'à ce jour, le travail se soit poursuivi sans accident. Ce n'est pas toujours le cas. Un de mes plus impressionnants souvenirs de jeunesse est celui d'une planche tombée du troisième étage sur la tête d'un ouvrier travaillant dans une école. je sortais précisément par le portail et accourus voir. Il eut le crâne ouvert et sa cervelle rejaillit au loin. C'était un père, soutien de famille. Ainsi nos ouvriers ne savent jamais, le matin, quand ils quittent la maison, s'ils y rentreront le soir sur leurs pieds. Plus d'un déjà a versé son sang et est resté gisant comme un héros sur le champ de bataille de la construction humaine. Ce sont des héros obscurs, dont le sacrifice n'est pas moins grand que celui, bien trop vanté, des héros de la guerre.

Et maintenant un mot encore à la famille qui, Dieu voulant, va bientôt être chez elle sous ce toit. Si, à l'avenir, un soir, après le travail, ou un dimanche après-midi, vous êtes assis devant votre nouvelle maison, et qu'un étranger vous demande en passant à qui elle appartient, vous répondrez qu'elle est à vous. Vous en avez le droit sans conteste. Elle est l'oeuvre de votre volonté et de votre énergie. Mais n'oubliez jamais la sage réponse de Werner Stauffacher : Cette maison appartient à quelqu'un de plus grand et de plus puissant que nous ; nous ne la possédons qu'en fief. C'est la maison de notre souverain seigneur et maître, la maison de Dieu.

Cette pensée vous oblige à posséder comme si vous ne possédiez pas et elle est avant tout un avertissement et un sacrifice. Et pourtant le sentiment que vous n'êtes que des pèlerins ici-bas, des hôtes de passage, seul vous assurera la vraie, la joyeuse paix sous ce toit. Celui-là seul qui sait : Cette maison est à Dieu ! y habite réellement en sécurité.

Et c'est notre voeu le plus sincère, plus encore, notre prière : Que cette maison soit celle de Dieu ! Qu'il en dispose, qu'elle soit à son service, qu'elle soit là pour l'honorer. Qu'il fasse reposer sa main sur elle de jour et de nuit, qu'il la protège contre l'eau et le feu. Qu'il soit lui-même le paratonnerre sur le toit et le gardien du seuil.

Si un jour l'épreuve venait frapper à votre porte, vous pourrez l'attendre, consolés, puisque c'est la maison de Dieu. Et si la discorde ou quelque autre tyran humain s'approchait et demandait entrée, allez à sa rencontre avec ce cri de guerre : C'est la maison de Dieu !

Et ainsi vous pourrez grisonner et vieillir ici. Quand l'heure du grand repos s'approchera, alors que vous serez assis devant la maison, comme votre vieux père l'était il y a peu d'années encore, et que la mort vienne frapper à la fenêtre, ce vous sera une grande et suprême consolation d'oser dire :

Je le savais dès le début,
Je ne suis ici que fermier.
Cette maison est à mon Dieu.




QUERELLES D'HÉRITAGE

Gen. 27 ; Mat. 19: 29.

Il est insensé et absurde de pouvoir devenir possesseur de biens que d'autres ont gagnés. On pourrait écrire maint récit humoristique sur l'absurdité de cette institution. Et on n'y a pas manqué. L'oncle ou la tante à héritage, qu'on entoure de flatteries et de petits soins, sont figures bien connues au théâtre. Mais quand la question d'héritage s'insinue dans la vie de chaque jour, son action est moins innocente. Le vieil Isaac en a fait l'expérience.

Isaac a deux fils aux vastes espoirs et une femme des plus intelligentes. Il considère ses biens comme un don de Dieu, en quoi nous estimons qu'il a parfaitement raison. Mais voici qu'un jour l'idée de l'héritage commence à s'agiter dans la tête des membres de sa famille, et dès ce moment le diable est déchaîné autour d'Isaac.

C'est Jacob, le plus jeune des fils, qui en est la première victime. L'histoire du plat de lentilles est bien laide. Jacob a volé son frère.

La mère, Rebecca, est la seconde victime de la diabolique puissance. Elle n'entend pas que son fils préféré n'hérite que des biens matériels de son père. Et l'esprit d'héritage est si violent qu'il fait de la femme un serpent pour son mari, du frère un renard pour son frère.

Et ainsi une troisième victime est assurée au démon. Ésaü pleure et laisse échapper des jurons : Plus on est parent et plus c'est maudit ! Dès lors, quand il va à la chasse, armé de son arc et de son carquois, il songe à sa vengeance. On a peur de lui. Les jours approchent, se dit-il, où l'on devra mener deuil sur mon père, et alors je tuerai mon frère Jacob. C'est ainsi que la soif de l'argent, qu'accompagnent le mensonge et la ruse, conduit avec une effroyable logique au meurtre d'un frère.

Cette famille vivait il y a quelques mille ans. Qu'on ne vienne plus me dire que la Bible est un livre démodé. Les agissements de la famille d'Isaac, en matière d'héritage, pourraient occuper aujourd'hui encore la justice de paix. Jacob, ni Rebecca, ni Ésaü ne sont morts. Les enfants qui, du vivant de leurs parents, louchent vers leur héritage, nous sont connus, et ceux qui se prennent aux cheveux sur la tombe de leurs parents encore bien plus.

Quiconque vit un an au village n'y aperçoit que paix et union parfaites. Mais celui qui y demeure plus longtemps apprend peu à peu à connaître les oppositions secrètes, les sourdes inimitiés familiales et les courants contraires. Une grande partie des haines de village remontent à un partage quelconque. L'histoire peut dater de cinquante ans. On ne l'oubliera pas, même s'il ne s'agissait que d'une demi-douzaine de draps ou d'un lopin de terre à propos duquel on ne parvenait pas à s'entendre.

Je connais des pères et des mères qui redoutent de mourir parce qu'ils ont peur de ce qui arrivera ensuite, non pas au ciel, mais sur la terre ! Je connais des familles qui redoutent tout changement, que ce soit par mariage, naissance ou décès, parce que la succession en serait menacée. Il y a plus de familles qu'on ne croit qui soupirent sous la malédiction et l'oppression du démon de l'héritage.

Je sais bien que l'affaire n'est pas si simple. Bien des pères et mères ne se risquent pas à songer de leur vivant à un partage, parce qu'ils ne le pourraient pas avec la meilleure volonté du monde. Et ils renvoient jusqu'à ce qu'un matin ils ne se réveillent plus. Le partage n'est pas toujours aussi simple qu'on le raconte à propos d'un chef Boer. Deux jeunes gens, à qui leur père avait laissé des terrains considérables, ne parvenaient pas à se les partager en paix. Ils se rendirent auprès du magistrat, en le priant d'aplanir leur différend. Il leur fit donc cette sage proposition : Que l'un de vous partage le domaine de la manière qu'il estimera juste et équitable. L'autre pourra choisir à son gré la part qu'il voudra. Ainsi le différend fut réglé, car celui qui opéra le partage se garda bien d'en faire des parts inégales.

Mais le partage n'est pas toujours aussi aisé. On ne peut pas partager la maison paternelle en six. Un seul doit en assumer la charge. Et maint petit champ est déjà si morcelé, ensuite des éternels partages antérieurs, qu'on ne peut pas le diviser encore. La prudence pas plus que la justice humaines ne suffisent alors. Dans la plupart des cas, il y faut de l'amour et de la bonne entente. C'est lors d'un héritage que frères et soeurs apprennent à se connaître vraiment. On constate alors si les parents, dès le premier souffle de leurs enfants, les ont dirigés vers l'amour ou vers l'égoïsme. Il ne faut pas s'étonner si celui qui, pendant sa vie, a entassé des biens par soif de posséder voit ses enfants disperser après sa mort ce qu'il a amassé, et cela dans le même esprit dont il a été animé.

Notre Maître miséricordieux, lui aussi, a parlé un jour d'héritage. Il donne aux siens cet enseignement : « Quiconque aura quitté frères ou soeurs, ou père, ou mère et enfants, ou champs ou maisons, à cause de mon nom, recevra beaucoup plus et il héritera la vie éternelle ». Il n'a pas dit : Celui qui amasse des maisons ou des champs, mais celui qui aura quitté, celui-là héritera. Il en est un qui nous a délivrés aussi du diabolique esprit d'héritage. C'est lui, le bon Berger qui a donné sa vie pour ses brebis.




DEUX PLAIGNANTS

Eph. 6:5-10.

Pendant toute l'année, j'entends des maîtres se plaindre de leurs domestiques. Les plaintes des domestiques à l'adresse de leurs maîtres ne manquent pas non plus. J'en suis arrivé de plus en plus à la conviction que la question des domestiques est un des plus importants problèmes qui se posent à vous. Nous voulons l'examiner sous ses deux faces au nom de la justice et de la vérité. Car il présente bien deux côtés différents, celui des maîtres et celui des serviteurs. Et il doit y avoir un moyen de résoudre le problème, de tenter tout au moins de le rendre moins aigu.

Puisque les plaintes proviennent des deux parties et qu'ainsi il y a deux plaignants qui s'accusent réciproquement, nous allons procéder comme le juge de paix. Nous donnerons tout d'abord à chacun pleine liberté d'exposer son cas, tel qu'il lui apparaît.

Donc la parole est au maître. Une plainte toujours répétée est que personne ne veut plus travailler à la campagne. Il leur répugne de faucher l'herbe dans la fraîcheur du matin et de décharger les chars dans la chaleur du soir. On méprise l'habit de mi-laine et les pommes de terre bouillies. L'habit de fin drap avec le pli au pantalon, la journée de huit heures et la cuisine plus délicate des cuisiniers des villes attirent les domestiques loin de la terre. Avant de s'engager, le vacher demande s'il y a l'eau courante à l'écurie et le faneur si l'on possède un monte-charge.

Je sais un charretier qui a quitté une excellente place pour aller travailler aux C.F.F. comme ouvrier de la voie. Chaque dimanche il revient au village, fait une conférence à ses anciens patrons et, vers le soir, se vante dans les auberges de jouir maintenant de son dimanche, de ses soirées et d'avoir les mains pleines d'argent. Il n'aura pas besoin, quand il sera vieux, d'être hospitalisé à l'asile des vieillards, on prendra soin de lui. Bien fous ceux qui se laissent écorcher plus longtemps chez lés paysans.

Les maîtres se plaignent de ce qu'on ne peut plus avoir confiance quand on engage un ouvrier. Le mal est grand surtout avec les faneurs et les ouvriers saisonniers. On entend dire : je suis allé à Berne, j'en ai engagé un, lui ai remis 5 francs d'arrhes, payé à manger et il m'a fait faux bond. Ou bien : Il a plu pendant trois semaines, j'ai payé et nourri mon faneur pendant ce temps et au premier beau jour il a déguerpi. Récemment, un personnage, muni d'une valise, monta en tempêtant dans le train et, jusqu'en ville, entretint les voyageurs de sa dernière prouesse : le matin, à cinq heures, il avait brûlé la politesse à son vieux. Il avait fait semblant d'aller à l'herbe : le nez que ferait le patron quand il viendrait avec le char et ne trouverait personne !

Il n'en va pas mieux de la bonne volonté et de l'obéissance, surtout chez les plus jeunes domestiques. Un tout jeune vacher m'écrivait, une fois, tout crûment, qu'il avait quitté sa place, sinon il aurait certainement, un jour, serré le maître contre le mur : le gaillard n'exigeait-il pas que tout se fît comme il l'entendait !

La situation du maître est particulièrement fâcheuse quand son domestique est l'habitué d'une des auberges. On peut se figurer l'inquiétude qu'il éprouve quand il sait, un dimanche soir, qu'une vache fraîchement vêlée est confiée à un vacher qui vient de sortir de l'auberge, ou quand, un lundi matin, il voit partir le charretier à moitié endormi sur la faucheuse. je connais le cas d'un maître qui a vu la plus belle bête de son écurie conduite à la boucherie parce qu'un dimanche soir le vacher, dans une crise de rage, l'avait frappée à la tétine. Un autre a joué aux cartes au cabaret, jusque vers six heures. En sortant le fumier, il manqua la planche et se cassa le coude gauche, de sorte qu'il a été estropié pour le reste de sa vie. L'assurance paie.

Telle est à peu près la question des domestiques, considérée du point de vue des maîtres. je comprends qu'un jeune homme, fils unique de paysan, ait hésité à succéder à son père, surtout à cause des domestiques.

Voyons maintenant l'autre face de la médaille ! La parole est au domestique. Une fille de paysans est aux annonces, elle épouse un gentil et intelligent domestique. Comme une traînée de poudre, en un clin d'oeil, le bruit court et de bouche en bouche on entend répéter : Rien qu'un domestique ! La condition des domestiques est trop peu considérée, à de rares exceptions près.

Un petit domestique qui aime la lecture et souhaiterait parfaire son instruction, se plaint de n'avoir pas de lumière dans sa chambre. En l'engageant, le maître avait promis d'y pourvoir, mais il n'en a plus jamais été question.

Je sais des maîtres très intelligents, qui ont de la compréhension pour tout, sauf pour leur domestique et ses besoins. Quel esprit mesquin, étroit et sans coeur apparaît parfois à ce propos ! J'ai connu des maîtres qui croyaient très sérieusement que ce pourrait être nuisible à leur petit domestique s'ils lui accordaient congé tous les quinze jours, à huit heures du soir, pour assister à une soirée de lecture. J'ai appris à connaître des maîtres qui estimaient que c'était un luxe d'accorder, une fois l'an, deux jours de congé à leur domestique pour lui permettre de faire un beau tour dans les Alpes, et encore en s'abstenant de boissons alcooliques. Ils prétendaient que ce n'était pas pour les domestiques.

Des maîtres tout à fait coupables sont ceux qui ne fixent pas le montant du gage à l'entrée de leur domestique et ne règlent jamais un compte clair et net avec lui. Les vieux domestiques, qui ne sont plus en état de se défendre, en sauraient long sur ce sujet. J'en ai vu, de ces vieux, verser des larmes amères en face des injustices qu'ils devaient subir.

Ah ! la question du salaire ! J'ai placé une fois une forte fille pour un salaire mensuel de vingt-cinq francs. Au bout d'un certain temps, elle se plaignit à moi d'user tant de souliers et de vêtements, à la maison et aux champs, qu'elle ne pouvait plus y suffire. Et jamais de temps pour des raccommodages, sauf le dimanche. La femme du maître était une riche paysanne qui pouvait voir venir la Saint-Martin sans insomnies. je lui représentai qu'elle ne devait pas oublier que, pour les domestiques aussi, le fil, le cuir, la toile et les attaches à souliers étaient trop chers proportionnellement à leur salaire, et que ces inconvénients, gênants pour plus d'un maître, l'étaient bien plus encore pour les domestiques.

Ce fut en vain. « Elle aura le temps de raccommoder en hiver. » En parlant ainsi, la bonne femme ne pensait qu'à elle-même. Elle pouvait agir ainsi, parce qu'elle possédait des provisions dans des armoires et dans des coffres. Mais la jeune fille ne possède pas assez de linge pour ne raccommoder qu'en hiver. Et quant au gage, ses propres enfants n'en avaient pas eu un plus grand à l'étranger, jadis. Cette femme, qui devait certainement avoir obtenu à l'école la note un pour le calcul, commettait une faute d'arithmétique en ne considérant pas que vingt-cinq francs en 1914 valaient bien plus qu'en 1928 !

Une des peines, moins apparente, mais d'autant plus profonde, de la profession de domestique, c'est qu'ils n'ont pas de domicile leur appartenant. je m'en suis rendu compte un jour, auprès de l'un d'eux, atteint d'un cancer et possédant pourtant des économies assez importantes. Le quatre-vingt-quinze pour cent des domestiques de campagne renoncent à avoir une vie de famille à eux. On peut voir un autogarage près de plus d'une maison de paysan, mais pas de logement pour un domestique marié. Le domestique use sa force au service d'autrui, puis devient âgé et faible, ou malade et incapable de travailler.

Un maître alité reste le maître, parce qu'il est époux et père. Du fond de leur lit de malades, il en est qui continuent à diriger leur exploitation. On peut voir aussi des maîtres alcoolisés supportés pendant des dizaines d'années par une femme vaillante et de gentils enfants. Mais un domestique ne reste un domestique qu'aussi longtemps qu'il est capable de travailler. N'en a-t-il plus la force, en devient-il incapable, du coup il est sans occupation et il n'a pas de famille pour le soigner et lui venir en aide. Sa vie n'a plus de sens. Il ne compte plus. Le vide douloureux du sans-famille s'ouvre devant le domestique à bout de forces, même au cas où il posséderait quelques ressources.

On pourrait, je le sais, citer aussi des cas où la situation n'est pas si tragique, grâce à Dieu. Ceux que j'ai rappelés, pour en avoir été témoin, sont suffisamment graves et nous font voir la grande détresse des domestiques de campagne.

Un chapitre à part est celui des journaliers et des journalières de la campagne. On pourrait croire que cette profession est aujourd'hui près de disparaître. Le paysan en vient de plus en plus à compter les heures et les demi-journées comme on les compte dans l'industrie et le commerce. Voici un exemple. Un propriétaire demande un matin, à huit heures et demie, pendant la fenaison, à un journalier marié, s'il pourrait venir donner un coup de main. Il a quelques chars à rentrer et le temps paraît vouloir se gâter. L'ouvrier accepte, travaille jusqu'au soir à huit heures et demie et reçoit le salaire de trois quarts de journée, le maître lui faisant observer qu'il était dans son droit, que pendant la fenaison la journée commençait à quatre heures et non à huit heures et demie seulement. Mais le journalier ne peut s'en tirer dans ces conditions. Pendant un été pluvieux, il est malheureux parce que de plus en plus il n'est engagé que les jours où l'on peut travailler. S'il n'y a pas d'ouvrage, il peut rester chez lui. L'exploitation est trop peu rentable pour qu'il soit possible de payer la journée entière à des ouvriers qui n'ont travaillé que quelques heures seulement.

Entre temps, le journalier chôme. Ce chômage campagnard dont personne ne parle, on peut le constater abondamment, surtout pendant les étés pluvieux, Il conduit à la lente disparition des ouvriers journaliers, ou crée dans chaque village un grand nombre de pères de famille qui, et c'est facile à comprendre, deviendront très accessibles aux théories révolutionnaires.




DEUX HOMMES CONTENTS

Luc 7: 1-10 ; Gen. 24 ; Joël 3:1,2.

L'Écriture sainte nous indique comment il pourrait être mis fin à la situation défavorable des domestiques. Elle ne fait pas de théorie, mais montre, aux maîtres comme aux serviteurs, comment ils doivent se conduire, chacun à son poste. Elle est aussi en cette question spéciale qui se pose chaque jour, le chemin, la vérité et la vie. On l'a appelée une épée à deux tranchants, parce qu'elle frappe au point central du différend qui sépare les deux parties.

La Table (1) des devoirs de famille l'indique clairement. Saint Paul avertit les deux parties : Serviteurs, soyez soumis en toutes choses à vos maîtres selon la chair ! Mais aussitôt, il ajoute et l'on a à peine le temps de respirer entre les deux phrases : Vous, maîtres, accordez à vos serviteurs ce qui est juste et équitable !

C'est pourquoi on ne peut faire de la Bible le précis du communisme, ou s'en réclamer pour le maintien de l'esclavage, comme l'a fait une caste de maîtres qui s'estimaient être pieux. Essayons plutôt de nous représenter, par deux exemples vivants, tirés de la Bible, ce qu'est un maître et ce qu'est un serviteur.

Le capitaine romain dont parle Jésus est un maître selon le coeur de Dieu. Son serviteur est malade et le capitaine demande avec instance que Jésus vienne le guérir. Il est inquiet au sujet de son serviteur comme s'il était son fils unique ou le plus cher de ses frères. Ce maître ne considère pas son serviteur comme une machine, qu'on graisse afin qu'elle fonctionne bien, ou comme un automate, qu'on nourrit de pièces d'argent pour en obtenir la contre-partie. Non, mais il accorde à son serviteur quelque chose qui n'est exigé par aucun contrat de travail, qui vaut plus que de l'or et que recherchent en vain à travers le pays tant d'âmes de serviteurs : compréhension, sympathie, amour.

Que celui qui parmi vous, maîtres, désirerait collaborer réellement à la renaissance d'une bonne domesticité, imite le capitaine romain et traite son serviteur comme lui.

Le serviteur malade de ce bon maître m'émeut comme un triste symbole de la condition des serviteurs d'aujourd'hui. Maîtres, vos rapports avec vos domestiques se gâtent. Allez consulter le médecin pour le domestique du XXe siècle. Il est grand temps. Mais allez chez le bon, pas chez le meige ! (2) Sinon le mal s'aggravera encore et vous ne trouverez plus de bons domestiques !

Le pendant du tableau de ce maître qui prie pour son serviteur se trouve dans l'Ancien Testament chez un serviteur qui prie pour son maître. Vous le connaissez tous, ce domestique selon le coeur de Dieu. Il s'appelle Eliézer. Abraham, son maître, lui a donné la plus grande preuve de confiance qui puisse être accordée à quelqu'un. Eliézer est chargé de la tâche de chercher une épouse pour le fils unique de son maître. Le coeur vous saigne quand on songe à tous les maîtres qui, pleins d'inquiétude, doivent mettre leurs enfants en garde devant les propos des domestiques.

Voici Eliézer près du puits, à l'entrée de la ville étrangère. Ses lèvres s'agitent et il prie en son coeur : Éternel, sois favorable à mon maître Abraham ! Un serviteur priant pour son maître, idéal éternel d'un serviteur. Il a les mêmes pensées et les mêmes sentiments que le maître dont il mange le pain.

Un serviteur qui prie pour son maître prend aussi soin de son étable avec autant de dévouement que si elle appartenait à lui-même. Il laboure le champ étranger avec autant de soin que si la récolte devait être la sienne.

Serviteurs, voulez-vous faire quelque choses qui en vaille la peine pour vos maîtres ? Faites ce qu'a fait Eliézer. Les maîtres du XXe siècle ont terriblement besoin que quelqu'un prie pour eux. Ils connaissent les soucis d'argent et sont menacés d'appauvrissement spirituel. L'état de maître n'est pas moins malade que celui de serviteur.

Serviteurs, priez pour le maître qui souffre ! Il est grand temps. Sinon le mal s'aggravera encore et il n'y aura plus de bons maîtres dans le pays.

S'aimer les uns les autres comme s'aimaient ce maître et ce serviteur. Cet amour nous indique où se trouve le secours nécessaire à l'actuelle détresse des serviteurs. Mais notre amour humain est insuffisant. Le secours lui-même, le secours dans toutes les détresses d'ici-bas, a sa source non pas dans le coeur aimant de l'homme, mais dans le sein miséricordieux du Tout-Puissant.

Écoutez cette parole de la Sainte Écriture qui parle de secours : « Après cela, je répandrai mon Esprit sur toute créature : vos fils et vos filles prophétiseront ; vos vieillards auront des songes et vos jeunes gens des visions. Même sur les serviteurs et sur les servantes je répandrai mon Esprit, en ces jours-là. »

Primes aux serviteurs, écoles spéciales, organisations de partis, je ne veux rien mépriser. Elles rendent un service, en attendant mieux. Mais porter secours, un secours réel, et délivrer, cela n'est possible qu'à un nouvel Esprit, un Esprit divin chez les pères et mères de la campagne, chez les fils et filles de paysans, chez les serviteurs et les servantes campagnards.
Une Pentecôte sur toute l'humanité.
 


1 Appendice du catéchisme de Luther exposant les devoirs réciproques des membres d'une famille. (Trad.) 

2 Médecin ignorant ou charlatan.
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