Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

UN REGARD PAR-DESSUS LA HAIE

Mat. 26: 36-46 ; Luc 22: 40-46 ; II Cor. 12: 1-10.

Chaque année, dès le premier printemps déjà, la bonne ménagère, en pensée d'abord, puis armée de sa pioche et de son râteau, commence à s'occuper de son jardin. Si, au cours de l'hiver, il a été assez abandonné, il attire de nouveau l'attention sur lui. Et dans les jours et les semaines qui vont venir, plus d'un regard furtif glissera par-dessus les haies des jardins des voisines, non pas pour admirer les perce-neige et les crocus, le poirier du Japon et les narcisses, mais par pure curiosité. « Elle a vraiment déjà des haricots et ses pois commencent déjà à grimper ». Et c'est une nouvelle compétition entre les jardins et les maîtresses de maison. Chacune tient à honneur que son jardin ne soit pas moins beau que celui de sa voisine.

Il est un autre jardin qui, à cette même époque, s'impose à notre attention. Il a sa place dans l'histoire de la Passion de notre Maître et son nom est Gethsémané.
Quelqu'un, dans ce jardin, lutte avec la mort, alors que ses trois compagnons luttent contre le sommeil. Ce combat de Jésus ressemble à celui que tout homme soutient contre la mort, mais il en diffère cependant. C'est qu'ici la mort s'attaque à celui qui lui a arraché plus d'une victime et qui a dit de lui-même : Je suis la vie. C'est pourquoi la lutte qui se déroule en Gethsémané est incomparablement plus horrible qu'une simple lutte humaine, et notre regard dans ce jardin n'est réellement qu'un regard par-dessus la haie. Nous assistons à un combat, mais nous ne pouvons que pressentir sa signification la plus profonde.

Dans son angoisse mortelle, Jésus crie à son Père. Sa prière n'est pas calme, mais pressante, presque violente. « Il arriva qu'étant en agonie, il priait plus instamment. » L'angoisse et le trouble le poussèrent à assaillir son Père céleste. Comme un homme qui tente de renverser un obstacle, par trois fois et trois fois encore, sans y parvenir, Jésus invoque son Père : Père, s'il est possible ? ... Père, n'est-il pas possible ?... Père, s'il est possible ? ...

Et la réponse est : Non. Et le Seigneur s'incline devant ce non. L'angoisse disparaît. Il ne tremble et ne se tourmente plus.

Il serait certes bien osé de comparer nos angoisses et nos détresses à l'angoisse de Jésus à Gethsémané. Elle est haute la haie qui nous sépare de lui. Et pourtant j'aimerais dire que, en quelque mesure, nous autres hommes pouvons aussi passer par des temps et des heures qui nous rapprochent de Gethsémané. Chaque lourde peine qui nous atteint peut devenir pour nous comme un Gethsémané humain qui nous force à lutter avec Dieu par la prière, à crier à Lui pleins d'angoisse et à accepter enfin sa réponse, qu'elle soit un oui ou un non.

L'apôtre Paul parle d'un semblable Gethsémané humain. Il souffre d'un mal qui le torture. Il l'appelle une écharde dans sa chair. Ce mal, il ne l'a pas accepté sans combat. Il souhaiterait en être délivré. Par trois fois, il a supplié Dieu de lui accorder la santé. Il n'a de cesse qu'il reçoive une réponse d'en haut. Elle vient et c'est non ! « Ma grâce te suffit, car ma puissance s'accomplit dans la faiblesse. » Dès lors l'apôtre se soumet et cette soumission est bénie.

Une certaine piété affirmait qu'il était impie de lutter contre la pauvreté, la maladie et la crainte de la mort. Nous devrions accepter toute épreuve sans résistance, comme voulue de Dieu. Cette piété-là ne connaît pas de Gethsémané. Elle est à ce qu'il semble plus pieuse que celle de Jésus, supérieure à celle de Paul. À Gethsémané, Jésus demande la vie et Paul a demandé la santé.

Nous osons demander à Dieu de bien vouloir nous épargner la mort, ou celle d'un des chers membres de notre famille, de nous pardonner une faute, de nous délivrer de notre maladie de poitrine, de nos douleurs d'estomac ou de reins. Et cela pas une fois seulement. Dieu sait combien nous tenons à la vie et à la santé.

Oui, il ne nous est pas seulement permis de lutter contre les peines de tous les jours, c'est notre devoir de chrétiens. On rencontre souvent des malades auxquels on se sentirait pressé de crier : Non ! Ne te soumets pas ! Défends-toi ! Lutte contre les progrès du mal ! Tu l'as laissé devenir maître absolu de ton corps et, ce qui est plus dangereux, de ton âme. Tu as laissé l'esprit de la maladie dominer toute ta vie spirituelle. Tu as ouvert et livré jusqu'au dernier repli de ton âme à la maladie et tu lui as soumis toute ta maison et tous les tiens. Ta maladie, tu l'as laissée devenir trop puissante, trop importante, trop tyrannique. Et ce n'est jamais la volonté de Dieu.

Mais ce qui importe dans cette lutte contre la maladie et la mort, c'est qu'on y entende ces mots - Père, que ta volonté s'accomplisse et non la mienne, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. La prière du Maître, là-bas, de l'autre côté de la haie de Gethsémané, est, si l'on ose dire, la prière modèle pour ceux qui souffrent et pour les leurs. Elle nous découvre l'étroit chemin tracé entre la soumission inerte et la révolte. Tu oses, tu dois te dresser contre toute détresse terrestre, mais jamais sans un regard pardessus la haie, jamais autrement que dans l'esprit de Gethsémané.

Le paysan d'aujourd'hui n'a pas à lutter seulement pour la santé de membres de sa famille atteints par la maladie, mais chaque jour pour assainir des conditions défavorables, Il n'est pas de famille, de communauté, de société, d'association, de ferme, de vigne, de champ de pommes de terre, d'écurie, où il ne s'agisse de lutter contre toutes sortes de maux. Quand il a fallu, dernièrement, tuer la vache du voisin, j'ai vu souvent de la lumière dans l'étable à minuit encore, et pendant de longues nuits d'angoisse j'ai entendu la porte de l'écurie s'ouvrir et se refermer. Lutte d'une semaine entière pour la santé et pour la vie.

Puisse ce combat économique, cette lutte pour l'existence auxquels la paysannerie est astreinte, comme ce fut le cas il y a cinquante ans pour les ouvriers de fabrique, être supportés dans l'esprit de Gethsémané, dans l'esprit d'une persévérance ferme, qui ne se laisse pas décourager à la première déception, mais qui recommence jusqu'à trois fois, dans l'esprit d'une humble soumission à la volonté puissante de Dieu lorsqu'elle nous conduit par d'autres chemins que nous ne le pensions.

Voici devant nous la couronne des travaux de l'été, une couronne où les épines ne manquent pas. Les travailleurs arroseront de leur sueur les champs et les jardins. Si le Tentateur s'approchait, jette un regard par-dessus la haie d'un certain jardin. Là aussi il en est un qui lutte et mène une dure bataille. Il a éprouvé tout autrement que nous ce qu'est une sueur amère. N'est-il pas écrit à son sujet : « Sa sueur devint comme de grosses gouttes de sang qui tombaient à terre ? » Et les épines de sa couronne sont bien différentes des nôtres.




VICTOIRE DE PÂQUES

II Cor. 4: 7-11.

Elle fut jadis une fille de paysan à son aise et était de ces femmes dont on murmure sur leur passage, avec un regard qui en dît long : Elle a connu des jours meilleurs. Comme le petit cheval que son maître avait vendu ralentissait son allure chaque fois qu'il passait devant la maison de son ancien propriétaire, il lui arrivait aussi de s'arrêter, en allant en journée, quand elle passait près d'un des champs qu'elle avait autrefois apportés en dot à son mari. Elle essuyait ses yeux du coin de son tablier et disait à sa petite-fille : « Tu vois, le Pré de l'alouette nous a appartenu un jour ! » Ou bien : « Quel magnifique blé dans le Champ du chêne ! Il serait encore à nous, si le père... ». Et elle n'achevait jamais sa phrase devant sa petite-fille.

Ce père avait aussi été jadis un brave homme, travailleur et économe, et il aurait pu laisser un bon souvenir à sa femme, à ses enfants et à ses petits-enfants. Mais il avait dissipé leur bien. Par son ivrognerie, il leur avait arraché la chemise du corps et toute nourriture de la bouche. Pour boire, s'il l'eût pu, il les aurait privés de la lumière du soleil et dépouillés de toute joie. Il leur aurait arraché même leur âme.

Il avait une fois vendu une génisse au prix de septante-cinq écus, enveloppé cet argent dans son mouchoir et serré celui-ci dans la poche de sa vieille blouse bleue. Au retour, il entra dans la dernière auberge qui se trouvait sur son chemin. Bientôt il y eut grand bruit dans la salle à boire. À la tombée du jour, on y entendit un accordéon qui accompagnait de joyeuses chansons, et le lendemain matin, quand la paysanne entra à l'écurie, elle trouva son mari étendu à la place qu'avait précédemment occupée la génisse. Il n'avait plus que trois ou quatre écus dans sa blouse et la Saint-Martin allait être là dans huit jours...

Cette femme est morte à l'âge de septante-neuf ans, il y a quelques années, comme les cloches sonnaient pour le culte du Vendredi saint. Sa vie et sa mort ont été pour moi un inoubliable sermon de Pâques. Quand j'étais enfant, que de fois j'ai souhaité rencontrer le Ressuscité et ses deux disciples sur le chemin d'Emmaüs ! Je n'aurais jamais songé alors que je verrais un jour la victoire du Christ briller sur le visage ridé d'une femme qui avait subi de dures épreuves.

Cette vie qui s'éteignait à Vendredi saint n'a cependant pas été qu'une longue souffrance. Les épreuves de cette femme ont creusé de profonds sillons dans le chemin de sa vie. Mais elle connaissait Celui qui est plus puissant que toutes les sombres puissances à l'oeuvre ici-bas. Elle savait quelle victoire le Maître a remportée au matin de Pâques et cette victoire s'est manifestée clairement dans sa vie à elle.

Il y a une détresse qui nous apprend à blasphémer. Oui, chaque épreuve tente de nous séparer toujours à nouveau de Dieu et de nos semblables. Mais cette femme n'a pas désappris la prière. Pendant ses dernières années, elle a beaucoup prié, souvent à haute voix, sans qu'elle s'en rendît compte. C'est un miracle aux yeux de Dieu qu'une créature prie, les yeux inondés de larmes, avec un coeur qui saigne, un estomac malade, et que son esprit, son âme qui soupire sache retrouver le sentier qui mène à Dieu. C'est là un fruit du triomphe de notre Seigneur à Pâques.

Il y a dans ce monde des chardons et des épines qui font mourir le froment. Mais le plus inextricable buisson d'épines n'a pu étouffer l'âme de cette femme. Son âme a survécu. Quand on entrait chez elle le dimanche, on la trouvait, cette femme de septante-neuf ans, plongée dans sa lecture. Elle, que sa surdité séparait presque complètement du dehors, vivait d'une vie intérieure. Elle aimait surtout les écrits religieux. Le combat pour l'existence, que je ne puis me représenter nulle part plus effroyable que dans la vie de cette femme, n'est pas parvenu à étouffer la faim et la soif de son âme. C'est un miracle aux yeux de Dieu, le miracle de Pâques.

Il est des gens, j'en ai connu et vous aussi, dont la vie fut atroce. Elle les a meurtris de corps et d'âme. Et ils ont fini par mourir comme une créature quelconque périt en enfer ou dans la profondeur des bois. Mais cette femme qui, aux côtés de son mari, a eu une dure existence, est morte en enfant de Dieu. Elle s'est endormie en soupirant - Seigneur, aie pitié de moi ! C'est un miracle à nos yeux, la victoire de Pâques.

Comme le soleil brille sur un champ de blé ravagé par la grêle, ainsi la victoire du Ressuscité éclate dans cette vie humaine.
Elle aurait pu prendre la fuite, mais elle ne s'est pas enfuie, elle a tenu ferme jusqu'à la fin.
Elle aurait pu désespérer, mais elle n'a pas désespéré.
Elle aurait pu se laisser tomber à terre, mais elle est restée debout.

Écoutez ce que dit saint Paul : « Car nous qui vivons, nous sommes sans cesse livrés à la mort à cause de Jésus, afin que la vie de Jésus soit aussi manifestée dans notre chair mortelle ».




C'EST À CAUSE DES ENFANTS

Ps. 127: 3; Eph. 6: 4.

Je l'ai rencontré là-bas, en France, dans une de mes visites aux fromagers et paysans émigrés.

Une ferme au milieu des forêts. Les enfants de la maison, que je connais pour les avoir vus déjà, sont partis au lever du soleil pour faire la longue route qui mène à l'école, l'école française laïque. Ils ont de six à neuf ans.

Cet émigré, qui appartient au petit nombre de ceux qui ont réussi dans leur entreprise, a accompli depuis une année un travail incroyable. Avec deux domestiques tchécoslovaques il a empierré un terrain long de 600 mètres pour y établir un chemin conduisant chez lui, arraché des haies et nettoyé des champs qui étaient recouverts de pierres. Ses prairies, d'un vert splendide, montent jusque vers la forêt. Les traces de l'engrais qui les a arrosées, pour la première fois peut-être depuis la création du monde, sont visibles. Cet homme est de ces vaillants qui changent les déserts en lieux habitables, de ces pionniers qui soumettent la terre que Dieu a formée à l'esprit humain, selon la volonté du Créateur. C'est ainsi que les moines irlandais ont arraché jadis, dans notre patrie, des champs et des prés à la forêt vierge et semé le bon grain en terre païenne et dans des coeurs de païens.

Comme ce vaillant homme m'accompagnait encore un bout de chemin, je lui dis que ce devait être vraiment un merveilleux sentiment de savoir que ce terrain d'ici à la forêt et jusqu'au marais là-bas, tout ce domaine, avec cette maison aux tuiles rouges au centre de la propriété, lui appartenait, à lui et à ses enfants.
- Oui, oui, me répondit-il, sans doute... Mais... et une ombre passa sur son énergique visage, si seulement il était chez nous !

Et de la main il fit un geste, que je compris sans peine, du côté des montagnes bleues, qui se dressaient là-bas, à l'horizon.
Au bout d'un instant, il reprit :
- Savez-vous, c'est à cause des enfants.

Puis il garda le silence. Il se détourna, ce qui ne m'empêcha pas de voir qu'il essuyait ses yeux avec sa main. Dans la suite de notre entretien, j'appris à l'aimer et à l'apprécier toujours plus.
- Les enfants, poursuivit-il, grandissent sans instruction biblique et cela n'est pas bien. C'est aussi ce qui me tourmente toujours à nouveau. On est si abandonné ! On ne peut atteindre le pasteur le plus rapproché sans automobile. Je compte bien envoyer mes petiots les uns après les autres pour un an en Suisse, chez une de mes soeurs, afin qu'ils puissent suivre un cours d'instruction religieuse. Mais qu'est-ce qu'une année, surtout pour des enfants qui n'ont pas d'école du dimanche, de catéchisme et auxquels on ne parle pas de religion en classe ?

Là-dessus, il m'exposa un plan tout en m'adressant une prière. Il avait souvent pensé que c'était son devoir, à lui, de donner aux enfants les indispensables connaissances religieuses élémentaires. Il l'avait tenté déjà, mais c'était difficile pour quelqu'un qui n'y était pas préparé. Il lui semblait que la tâche serait plus aisée s'il disposait d'images pour illustrer les récits. Ne pourrais-je pas lui procurer de ces récits, en langue française, et avec des images bien faites ? Il en supporterait volontiers les frais. Et ce disant il tirait un billet de 50 francs de son portefeuille.

Respect à chaque père, au pays comme à l'étranger, qui, à côté du domaine qu'il cultive avec intelligence, n'oublie pas de cultiver aussi les autres champs à lui confiés par le même Créateur, et qui sont le coeur de ses enfants. Respect au père qui sème en eux cette semence dont il est dit que quelques grains lèveront et porteront du fruit, les uns trente, d'autres soixante, quelques-uns jusqu'à cent pour un.




L'APPEL

Mat. 23: 37.

Tu connais l'instant où, après vingt et un jours d'incubation, l'oeuf éclate dans le nid de la couveuse, la coquille tombe et le petit poussin s'efforce de venir au jour. Ébloui par la lumière de ce monde, dans son vêtement de plumes tout neuf, il fait quelques mouvements maladroits et bientôt on le voit se précipiter à la recherche de sa nourriture.

Au moment où les poussins rejettent leur coquille et conquièrent la liberté, il se passe quelque chose encore, quelque chose de particulièrement émouvant. Un appel s'élève près d'eux, faible d'abord, toujours plus fort : l'appel de la mère.

Elle a fidèlement couvé ses oeufs, les a réchauffés et protégés par un instinct maternel mystérieux. Et aussi longtemps que les poussins ont été enfermés dans l'oeuf, ils ont dû se contenter bon gré mal gré de cette protection. Mais maintenant la coquille est tombée, ils sont libres. Et c'est pourquoi la mère les appelle. Venez ! crie-t-elle. Venez ici, venez là ! Elle les appelle ainsi pendant des semaines, d'une aube à l'autre.
Quand le danger apparaît, il n'y a pas seulement de la sollicitude, mais de la crainte dans cet appel de la mère. Que ne pourrait-il pas arriver à ces petits maintenant qu'ils sont libérés de la coquille, qu'ils se tiennent sur leurs propres pattes, qu'ils vont et viennent et peuvent tomber !

Chaque printemps, quand les poussins éclosent et que la poule les appelle, une jeune troupe humaine s'échappe aussi de la coquille protectrice. Et elle est là, en habits neufs, éblouie par la lumière de ce monde. Elle se livre à quelques sauts maladroits et part à la recherche de sa subsistance.

À ce moment retentit aussi ce mystérieux appel où l'on sent trembler la crainte et l'inquiétude. Ce sont les parents chrétiens, les moniteurs de l'école du dimanche, les pasteurs qui les appellent, ceux qui sont maintenant libérés de la coquille, qui vont et viennent à leur gré et... qui peuvent tomber.

Venez, n'allez pas là ! Tel est leur appel. Venez, n'allez pas là ! C'est ainsi que la vieille mère, l'Eglise, l'année durant, s'adresse avant tout à la jeune génération. Et sa voix tremble, car elle ne sait que trop bien que d'autres voix sont plus fortes. La société, le club, la fanfare, le parti, la patrie appellent.

Et l'ennemi tourne autour de ces jeunes, habile et rusé, comme un recruteur de la légion étrangère. Il offre de l'argent de poche, il attire et entraîne loin de Dieu, dans ces régiments d'où plusieurs ne reviennent plus à la maison, ou bien alors perdus pour le temps et pour l'éternité.

Nous serions tous impuissants en face de ce recruteur si, mais précisément si ! s'il n'en était un autre, venu d'ailleurs et qui tout autrement nous fait entendre son appel. L'appel de Dieu ! Ne l'entends-tu pas ? Ne l'as-tu encore jamais entendu ? Il s'adresse à nous, aujourd'hui, d'une voix particulièrement pressante, car nous sommes une génération qui a fait éclater la coquille, a couru à la recherche de sa subsistance et s'est dressée sur ses propres pieds. Voilà pourquoi retentit l'appel de l'éternité, l'appel vibrant d'une inquiétude pleine d'angoisse.

Si, au printemps, tu entends la poule appeler ses poussins au bord du ruisseau ou derrière la haie du jardin, souviens-toi de la parole qui fut adressée un jour à une génération méchante et qui pourrait être adressée à toi, à moi, à notre génération : « Jérusalem, Jérusalem, qui tues les prophètes et qui lapides ceux qui te sont envoyés, combien de fois j'ai voulu rassembler tes enfants comme une poule rassemble ses poussins sous ses ailes, et vous ne l'avez pas voulu ! »




LE CHAT

I Cor. 9:17.

Une seule chose importe : que tu admettes que ta vocation, comme celle de tes semblables, est voulue de Dieu, le Créateur. Nous lisons à la première page de la Bible - « Au commencement la terre était déserte et vide, il n'y avait ni lumière, ni végétaux, ni animaux, ni créatures humaines »... ni vocations. Alors Dieu fit entendre sa voix et on vit apparaître les végétaux, les animaux et les hommes. À chacun furent imposés son caractère, sa vocation, aux gouttes de pluie que j'entends tomber, aux géraniums qui fleurissent devant ma fenêtre, au chat en train de se frotter contre ma jambe, comme à moi-même, assis ici et qui écris.

La mission de la goutte de pluie est de tomber, celle de la fleur de fleurir. La tâche du chat est de faire la chasse aux souris et celle de l'homme de travailler. Telle est la volonté du Créateur. Quand une goutte de pluie préfère être un rayon de soleil et qu'un homme s'imagine être né pour une plus noble tâche que de travailler à la sueur de son front, ils transgressent la volonté du Créateur.

Sans doute toutes les fleurs ne fleurissent pas de la même manière, mais toutes doivent fleurir. Telle goutte de pluie ressemble à une brillante goutte de rosée, telle autre tombe en grosse averse ; l'une fait fructifier le champ du juste, l'autre amène la bénédiction sur le pré de l'impie, mais toutes doivent tomber. Les chats ne chassent pas tous au même endroit. Le chat du pasteur chasse dans la cave de la cure, celui du paysan dans celle de son maître et le chat du château dans sa cuisine aristocratique, mais l'un comme l'autre, tous doivent faire la chasse aux souris. C'est là leur vocation. Tous les hommes n'ont pas le même champ de travail : l'un est occupé à sa table à écrire, un autre à l'entreprise du Grimsel ; celui-ci travaille de sa tête et de ses mains, cet autre de sa tête et de ses jambes et cet autre encore de ses mains, de ses jambes et de sa tête. La plus grande diversité règne en ce domaine, mais chacun de nous doit travailler, c'est pour cela que nous avons été créés.

Il est indifférent à la volonté créatrice que tu travailles ici ou là et à quel genre de travail tu es voué. Ce qui seul importe à Dieu c'est que tu accomplisses une tâche dans ce monde. Dieu ne fait aucune différence entre travailleurs, pas plus qu'entre chats pastoraux, campagnards ou aristocratiques. À ses yeux, ce ne sont que des chats destinés à faire la chasse aux souris. Et nous ne sommes que des hommes qui devons travailler, et vaillamment, de toute notre force, afin que la terre, ainsi qu'elle y est destinée, soit cultivée et soumise aux hommes.

Toutes les autres questions, à quoi, où et quand je travaille, ne sont, de ce point de vue-là, que d'importance secondaire. Peu importe donc quelle est ta vocation. Il ne te sera pas demandé en premier lieu, au dernier jugement, si tu as été vacher ou ministre des affaires étrangères, mais si tu as été obéissant envers Dieu. Tout ce que Dieu exige de toi c'est ton obéissance.

C'est elle qui te distingue des autres créatures. La goutte de pluie est faite pour tomber, mais nous autres hommes pouvons faire autre chose que de travailler et d'obéir à Dieu. Nous pouvons nous révolter contre la volonté de Dieu, lui obéir ou lui désobéir. La façon dont cette obéissance ou cette désobéissance se manifestent dépend des circonstances. (Voir les deux exemples à la fin de cette méditation !) Ce qui seul importe c'est que tu sois soumis à la volonté de Dieu dans le choix de ta vocation, dans ton apprentissage et son plein exercice, et même si tu es appelé à en changer.

On peut considérer la vocation non plus du point de vue du Créateur, mais de celui de la créature, et se placer loin de Dieu, qui réclame notre obéissance, pour écouter la créature avec toutes ses tendances, ses penchants et ses désirs. La créature devient la mesure de toutes choses et au lieu de l'obéissance voici qu'apparaît l'agrément personnel. On fait la distinction entre vocations nobles ou vulgaires, propres ou salissantes, rentables ou non rentables, idéales ou matérielles ; les unes procurent, dit-on, de merveilleuses satisfactions, alors que d'autres seraient affreusement décevantes. Maintenant se manifeste le mécontentement, peut-être très fondé, de celui qui, malgré ses dons éminents, n'a pu entrer dans la carrière désirée. Ailleurs, voici l'élève de l'école des beaux-arts, ou le médecin, ou le missionnaire, qui vous entretient de sa vocation, la plus noble de toutes, de ce ton arrogant et blessant qui vous fait honte et chagrin de n'avoir pu devenir ni artiste, ni médecin, ni missionnaire, parce que Dieu a aussi besoin d'hommes qui amènent le fumier nécessaire aux pommes de terre de l'artiste. En d'autres termes, voici de vulgaires chats paysans, des chats distingués, de pieux chats ecclésiastiques, alors qu'aux yeux du Créateur il n'y a que des chats qui, obéissant à sa volonté, chassent simplement et parfaitement les souris, n'importe où.

Obéissance ou agrément personnel, c'est entre ces deux pôles que nous sommes placés pour apprécier notre vocation. Qu'il s'agisse de ma vocation ou de la tienne, de celle d'une diaconesse ou de celle d'une ouvrière, le devoir est de renoncer à notre agrément personnel, même pieux, pour obéir à Dieu, de nous laisser libérer de notre moi... pour servir Dieu et notre prochain.

Le jeune fils de mon voisin mène, ces jours-ci, un rude combat entre l'obéissance et l'agrément personnel. Il a dix-sept ans, est robuste, intelligent, c'est un garçon richement doué. Dès sa sortie de l'école, il exprimait le voeu de devenir vétérinaire. Son petit frère pourrait plus tard cultiver le domaine paternel. Et voici que le père meurt après trois jours de maladie. La mère reste seule avec cinq enfants. Il est l'aîné, mais ne veut pas travailler à la campagne, il veut devenir vétérinaire. En d'autres termes, il veut laisser en plan sa mère et ses petits frères pour satisfaire son ardent désir. J'ignore ce qu'il va faire. Il doit prendre une décision. Sera-ce obéissance ou agrément personnel ?

Un de mes amis est ingénieur et excelle en son art. Il y a quelques années, nous nous rencontrions souvent à Zurich. Il travaillait dans une entreprise de réputation mondiale et j'étais étudiant en théologie. Il était malheureux dans sa vocation, parce que sa spiritualité et son idéalisme ne pouvaient s'y développer, et il me disait trois fois heureux d'avoir choisi la vocation la plus idéale de toutes, comme il me le répétait alors.

Dernièrement nous nous sommes revus en tram. Je lui demandai timidement, craignant de raviver une plaie, s'il était aujourd'hui plus satisfait de sa vocation. Et il me répondit d'une voix parfaitement calme : Le tramelot qui me conduit est peut-être terriblement mécontent de son métier. Pourtant il me conduit et très bien, quand même. Et j'accepte son sacrifice et cent sacrifices pareils chaque jour. Ne devrais-je pas, moi aussi, offrir mon sacrifice pour l'édification purement matérielle de notre civilisation ?

C'était là une tout autre note que quelques années auparavant. Mon ami a pris sa décision. Il y a neuf ans, il était sous le signe de l'agrément personnel, aujourd'hui il s'est placé sous celui de l'obéissance.

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