Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

NOTE DU TRADUCTEUR

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Habent sua fata libelli. Les livres ont leur destinée. Celui du pasteur Lüthi, Das ewige Jahr, m'a été remis un jour par une diaconesse de Saint-Loup, originaire de la Suisse allemande, accompagné de ces mots : Il vous intéressera.
Et il m'a intéressé ! Tellement que je l'ai traduit pour mon plaisir, gagné par son ton naturel, par ses images rustiques et son réalisme inattendu. Il a été traduit déjà en danois et en hollandais. L'auteur insiste pour que nous sachions bien que ce sont là des prédications, qu'il veut nous faire entendre la parole de Dieu. Et nous l'entendons, comme on l'entend dans les paraboles du Maître.

Pour simple que soit son langage, M. Lüthi vous gagne par sa sincérité. Il vise droit au but et vous fait réfléchir. On admire la manière dont il s'y prend, tous les trésors qu'il a découverts au village, au temps de sa jeunesse, avant d'être devenu pasteur dans une grande ville.
Et j'ai pensé que d'autres lecteurs, ignorant la langue de nos Confédérés de la Suisse allemande, auraient plaisir et profit à entendre M. Lüthi. La Concorde a accepté d'habiller son livre en français. Le voici sous un titre un peu différent de son titre allemand. Puisse-t-il rencontrer bon accueil chez nous.

À la mémoire de mes parents,
W. L.




AVANT-PROPOS


Nos ancêtres faisaient précéder leurs écrits officiels de ces mots : Au nom de Dieu. Amen. À l'origine, c'était plus qu'une formalité, c'était un aveu de l'impuissance humaine et un témoignage de foi en la toute-puissance de Dieu.
Ces sentiments sont demeurés dans l'âme de notre peuple, à la ville et à la campagne ; ils y sommeillent tout au moins. La preuve en est que cette antique formule a passé dans le langage populaire et que nous l'y rencontrons à chaque pas.

On commence la nouvelle année à la garde de Dieu. On accompagne le fils partant pour l'étranger ou la fille qui se marie d'un : A la garde de Dieu ! Et le travail de chaque jour débute souvent avec un silencieux : À la garde de Dieu !

Ce livre vous parlera de la faiblesse humaine et de la puissance de Dieu. Il évoque nombre de besoins matériels et rappelle aussi où se trouve l'unique véritable secours.
Son contenu se rapporte aux quatre saisons. Certaines méditations traitent de ce que le paysan appelle une année, une de ces années qui, avec sa succession de semailles et moisson, froid et chaud, été et hiver, jour et nuit, se grave dans l'esprit du campagnard de telle manière que, jusqu'à l'âge le plus avancé, il la conserve en sa mémoire avec toutes ses diverses particularités.

Outre cette année temporelle, il existe encore une année éternelle. Celle-ci ne dépend pas du cours des astres, mais du plan salutaire du Créateur. Les saisons de cette année-là ne s'appellent pas printemps, été, automne et hiver, mais bien Noël, Vendredi saint, Pâques, Ascension et Pentecôte.

Ce livre est une tentative de considérer l'année ordinaire du campagnard à la lumière de l'année révélée de Dieu. Ce qu'on voudrait prêcher ici, malgré son parfum rustique, ne provient ni du champ ni de l'homme, mais de la Bible. D'où le titre principal du livre :L'année éternelle. Mais cette année veut, comme le levain se mêle à la pâte, pénétrer au sein de la vie de tous les jours. Le lecteur attentif apercevra bientôt combien l'année éternelle ne touche pas seulement à l'année ordinaire, mais s'y engrène, pour ainsi dire. Ce sont donc bien des prédications qu'on trouvera ici.

Elles ne sont pas prononcées du haut de la chaire, mais inspirées au pasteur quand il rencontre ses paroissiens à leur travail, ou le soir, la journée finie. Mais que ce soit en robe et rabat, ou du haut d'un échafaudage qu'il s'adresse à sa paroisse (voir p. 78), il demeure prédicateur, porteur d'un message dont seule l'expression peut varier. Oui, jusque dans le secret de son cabinet, le pasteur s'entretient avec sa paroisse, Et c'est pourquoi, bien que n'étant pas des prédications proprement dites, ces entretiens portent tout de même le sous-titre quelque peu inaccoutumé de : Prédications pour la semaine.

Et maintenant, ces feuillets, jusqu'ici dispersés, vont sortir de presse et affronter le grand public. Au moment où j'envoie cet enfant à l'étranger, je cherche un mot qui rende ma pensée et mes sentiments. je n'en trouve pas de plus grand et de plus profond que précisément ce soupir d'un peuple qui peine, qui connaît l'impuissance humaine et croit à la toute-puissance de Dieu, qui connaît l'angoisse, mais garde l'espoir :

À la garde de Dieu !
WALTER LÜTHI.




LES FLEURS

Gen. 1: 28.


Tout le long du village, chaque maison est garnie de fleurs. Sur la galerie et au bord de la fenêtre, au soupirail de la cave et dans la moindre fente de la muraille, au coin du jardin comme sur le fût de la fontaine, partout où la plus petite place s'y prête, vous apercevez des fleurs, ce qui m'étonne toujours à nouveau. Car les fleurs exigent du temps et des soins. Elles doivent être soignées, elles aussi, et cela d'une main attentive, sinon elles dépérissent et meurent. La femme qui fait au four, lave, raccommode, repasse et tricote, qui s'occupe des marchés, trouve encore le temps de cultiver des fleurs. Elle est surchargée de devoirs innombrables et pressants et accepte encore un travail qui n'est pas nécessaire ! Elle doit s'occuper de tout et pourvoir à tout, veiller sur les petits pois et sur les haricots, la salade et les épinards nécessaires au ménage, soigner aussi ses poulets, ses porcs et ses petits enfants ! Et elle trouve encore le moyen de cultiver des fleurs !

Le paysan n'est donc pas cet être avide de gain que se représentent certains oisifs, mais il possède un sens inné du beau, de l'art, qui sommeille peut-être en lui, mais qui s'affirme magnifiquement au sein de son labeur quotidien. Celui qui serait tenté de croire que l'amour des fleurs n'est qu'une faiblesse du sexe féminin n'a qu'à regarder les hommes quand, au printemps, les cerisiers, les poiriers, les pommiers fleurissent dans leurs vergers. Le paysan sait bien que ces bouquets-là exhalent un parfum et ont un éclat que le plus beau bouquet de jardinier, ornant le plus magnifique vase de Chine, ne parviendra jamais à égaler !

Mais le sens du beau est sobre et réfléchi chez le paysan. Il ne sera jamais un adorateur des fleurs, il vit trop près de la création et est trop instruit des choses de la nature. Il sait que la fleur se flétrit et qu'aux brises de mai succède le mois de juin. Il ne se désole pas de ce que la fleur passe, c'est là pour lui chose toute naturelle. Il sait quel malheur ce serait, pour nous autres humains, si l'année entière n'était qu'un mois de mai. La fleur doit se flétrir, elle n'est pas son propre but. Dans les intentions du Créateur toute fleur est passagère. Elle doit remplir une tâche et puis disparaître tout simplement, faire place à ce qui doit venir après elle. Le paysan sait que toute fleur est condamnée à mourir pour que le fruit vive. Le Créateur n'a pas destiné son oeuvre à fleurir seulement, mais à fructifier. C'est le fruit qui importe et pour le paysan, l'automne a plus de prix que le plus merveilleux mois de mai.

Il connaît les secrets de la volonté créatrice. Et c'est pourquoi il répond aux intentions du Créateur en ne cultivant pas son jardin afin de le voir fleurir au cours de l'année entière. Que d'autres s'accordent ce luxe, lui veut en tirer des légumes. Il ne fume, ne nettoie et ne taille pas ses arbres fruitiers pour pouvoir se réjouir quelques jours de leur belle floraison (et il en a pourtant grande joie !), mais pour pouvoir, en automne, y appuyer son échelle et en récolter les fruits. Oui, quelque plaisir qu'il ait de voir fleurir ses arbres, il aime les voir défleurir rapidement. Les longues, trop longues floraisons ne promettent pas de riches récoltes : longue floraison, petite récolte.

Celui qui n'a que des préjugés et ignore la vérité dira que cette façon d'interpréter la volonté créatrice n'est que pur égoïsme et grossier prosaïsme. Mais le paysan en sait davantage sur les mystères de la création de Dieu que maint pauvre homme moderne, étranger à ces secrets. Et c'est pourquoi il ne peut s'associer au culte de la fleur, si en vogue aujourd'hui. Il ne sera pas de ceux qui surestiment la fleur et lui attribuent une valeur personnelle. Il n'a pas de goût ni de temps à perdre à un jeu frivole et léger.

Ce culte de la fleur me semble être plus qu'une faiblesse innocente et passagère de l'humanité actuelle. Il me paraît avoir un arrière-fond spirituel sérieux. On dirait que l'homme se considère lui-même comme une sorte de fleur, s'aligne sur le plan de la fleur et ne s'estime pas, lui et ses semblables, comme valant plus qu'une fleur. N'est-il pas vrai que (et malheureusement la campagne, elle aussi, est déjà profondément atteinte) ce n'est plus l'homme portant du fruit, mais l'homme brillant comme la fleur, qui est devenu aujourd'hui l'idéal humain ? L'homme beau et de joyeuse mine, qui à soixante ans paraît n'en avoir que vingt. Nous voulons rester jeunes et beaux, et c'est pour cela que nous nous mettons du rouge aux joues, que nous teignons nos cheveux, brunissons notre peau, nous coupons la barbe, raccourcissons nos tresses et nous habillons de vêtements aux vives couleurs. Nous avons méconnu le vrai rôle de la fleur et notre idéal serait de rester toujours une fleur.

Nous avons peur du fruit, car il fait tomber les pétales des fleurs. Voilà pourquoi notre si brillante génération se distingue par sa terreur du fruit. L'avenir fera connaître si cette crainte mène au salut ou à la perdition.




FLEURS ET FRUITS

Mat. 7: 15-23 ; 21: 18-22 ; Luc 13: 6-9 ; Gal. 5. 22.

Notre Seigneur a toujours puisé le sujet de ses paraboles dans l'oeuvre du Créateur.
Derrière le monde visible et tangible, il a toujours discerné le monde invisible. Et quand il en entretenait ses disciples, il utilisait avec prédilection une comparaison tirée de l'oeuvre du Créateur.

Le lecteur des évangiles ne peut s'empêcher de remarquer que le Maître n'emprunte qu'une seule fois une parabole au domaine, pourtant si varié et si riche, de la flore palestinienne. Il nous fait admirer le lis des champs, vêtu plus somptueusement que Salomon dans toute sa gloire. À côté de cette unique parabole tirée du monde des fleurs, celles provenant du monde des fruits occupent une grande place. La plante qui donne le fruit lui sert toujours à nouveau de comparaison avec l'homme et sa position dans le royaume de Dieu. Est-ce pur hasard que le cep, le figuier, le champ de blé produisent des plantes où la fleur disparaît presque complètement derrière le fruit, qui seul importe ? Comme un paysan, connaissant les lois de la nature créée de Dieu, attend de ses arbres qu'ils portent du fruit, le Maître attend que l'homme nouveau, l'homme membre du royaume de Dieu, porte les fruits de l'Esprit. Non pas seulement les fleurs, mais les fruits de l'Esprit.

Le jugement est prononcé avec une clarté parfaite sur l'homme dont la vie consiste uniquement en sentiments, pensées et paroles. Nous avons entendu la parole du Baptiste, celle de la hache mise à la racine de l'arbre qui ne porte pas des fruits dignes de la repentance. La parabole du figuier stérile, que son propriétaire voulait faire arracher, est connue aussi. Nous nous souvenons surtout de ce figuier, au bord de la route qui conduit à Jérusalem. Jésus a faim, mais l'arbre où il croit pouvoir cueillir du fruit n'en porte point. Et alors la sainte colère contre une piété qui ne porte que des fleurs et pas de fruits semble s'enflammer une fois encore, la dernière, dans le coeur de Jésus et il maudit le figuier.

Plus tard, le message de l'apôtre Paul est du même ordre. Il n'a laissé ignorer à aucune de ses communautés qu'elle avait été créée de Dieu, sauvée par Jésus-Christ et appelée à faire partie du nouveau royaume, afin de prendre une part active à la vie de l'Eglise, à la sainte Cène, à la prière et au chant des psaumes, comme au soin des pauvres et des faibles, dont il s'agit de porter en commun les fardeaux. Il expose en détail aux Galates ce qu'il entend par fruit : « Les fruits de l'Esprit ce sont l'amour, la joie, la paix, la patience, la bienveillance, la fidélité, la douceur, la maîtrise de soi ». Et il fait savoir aux Romains qu'il a souvent projeté d'aller chez eux « afin de recueillir des fruits, comme chez d'autres nations ».

Il est très significatif que les actes et les oeuvres que le Maître réclame et attend de la communauté soient appelés des fruits. Qu'est-ce donc qu'un fruit, sinon un mystère ? Je m'en suis rendu compte une fois de plus, tout récemment, en voyant sur une table une coupe contenant une orange, une pêche et une poire faites de main d'artiste. Mais quelles misérables copies des fruits qui sont nés et ont grandi au sein du mystère, de ces fruits qu'aucune main d'homme ne peut créer !

Ce que notre Maître appelle fruit et qu'il attend de ses disciples est aussi mystérieux que les fruits de la terre. Aucune action humaine, même pas un bienfait que nous accordons, n'est un fruit au sens où Jésus entend ce mot. Ce que nous produisons, fabriquons, selon notre pouvoir et notre raison, ce que nous accomplissons par notre intelligence et notre volonté, tout cela ressemble, dans le cas le plus favorable, à ces fruits artificiels que j'ai vus dans la coupe. Des fruits qui ne sont pas des fruits, mais des oeuvres d'art humaines.

Mais voici qu'une question se pose à nous - s'il en est ainsi, le Maître ne nous demande-t-il pas l'impossible ? Comment peut-il exiger de nous des fruits, des fruits authentiques, puisque le Créateur seul est capable d'en produire ?

En fait, si cette exigence du Sauveur était tout ce que nous savons de lui, ce serait une exigence cruelle. Mais nous savons, et c'est pour nous un sujet de joie, que longtemps avant d'exiger quelque chose de ceux qui ne possèdent rien, il leur a lui-même accordé ses bienfaits.




DE TOI DÉCOULE TOUTE VIE

Apoc. 22:1-5 ; Ps. 1: 3.

Dans le chant de la landsgemeinde d'Appenzell éclate encore le sentiment des rapports qui unissent la créature au Créateur. Je sais qu'on peut le chanter avec des coeurs de néo-païens. Nous n'ignorons pas que l'esprit moderne est étranger à ce que l'Écriture sainte nous révèle en Jésus-Christ. Mais cela nous empêcherait-il de chanter cet hymne dans l'esprit de la révélation biblique ? De le chanter comme des hommes qui connaissent la parabole du cep et des sarments, où notre Sauveur nous dit : « Celui qui demeure en moi porte beaucoup de fruits, car hors de moi vous ne pouvez rien faire ? » Nous élevons nos yeux vers le Créateur de toutes choses, tel qu'il se révèle à nous en Jésus-Christ le Sauveur, quand nous chantons :

De toi découle toute vie
Qui traverse en mille canaux
Tous les mondes,
Répétant d'une seule voix :
Nous sommes l'oeuvre de tes mains.

Nous mettons ici le doigt sur un point douloureux. Toutes les voix ne s'accordent pas aujourd'hui pour redire : Nous sommes l'oeuvre de tes mains. Nous sommes forts de notre propre force. Nous ressemblons au sarment qui a eu la folie de s'imaginer qu'il pouvait se libérer du cep et porter du fruit sans souche-mère et sans racines. Ce n'est pas sans raison que le Maître, dans sa parabole, nous avertit par sept fois que nous devons demeurer en lui. Mais nous nous sommes détachés et avons dédaigné l'avertissement sept fois répété. Nous avons détruit les cellules et les artères nourricières qui nous unissaient à Dieu et c'est pourquoi la puissance d'en haut ne peut plus, en mille canaux, arroser l'univers. Les canaux, et surtout le fleuve qui a nom Jésus-Christ, sont comblés. Voilà pourquoi nous sommes atteints de dépérissement et que tant de branches de notre économie nationale sont malades.

L'Eglise, elle aussi, est atteinte et semble être devenue stérile parce qu'elle a laissé combler les mille canaux et se dessécher le seul grand courant de la vie. Elle aussi, et elle peut-être la toute première, a oublié que toute vie découle de lui et que sans lui nous ne pouvons rien faire ; que tout ce que nous faisons sans lui, nous imaginant que c'est quelque chose, n'est rien, moins que rien !

Le résultat de ce développement nous apparaît aujourd'hui en son effroyable nudité. On voit où aboutissent l'arrêt des mille canaux et la séparation du sarment d'avec son cep. Les plans de quatre ou cinq ans sont les grandioses tentatives des hommes de créer des fruits sans cep, des fruits artificiels. L'idéal de ces plans, pour autant que nous puissions les comprendre. serait de créer un homme dans un laboratoire de chimie. Le néo-païen chanterait notre chant en ces termes :

De moi découle toute vie
Qui traverse en mille canaux
Tous les mondes,
Répétant d'une seule voix :
Nous, sommes l'oeuvre de nos mains.

Cette tentative est la ruine d'une Église. Elle est vieille, faible et stérile, cette Église. Cette vieille mère est reléguée dans un coin par ses assaillants et nous regarde, le visage couvert de rides ensanglantées. Mais nous savons que la grâce de Dieu peut déposer dans le sein d'une Sara ou d'une Elisabeth chargées d'années une vie nouvelle, inouïe et bien réelle. Nous croyons que Dieu bénira le sein stérile de l'Eglise dès qu'elle sera où il veut qu'elle soit. Et c'est là qu'elle se trouve quand elle sait, dans l'humilité, que toute vie découle de lui et de lui seul.

Quelle vie sera une vie authentique ? Quel fruit demeurera vivifiant par delà les temps et les siècles ? Ceux que nous autres, hommes modernes, (et non seulement les Russes !) nous créerons suivant des plans habiles, à grand renfort de réclame, ou ceux que sans bruit, dans l'ombre, Dieu fait naître mystérieusement dans le sein de la pauvre vieille Église ? Le temps le fera connaître. Nous pouvons attendre, car nous croyons, selon la parole du Maître, qu'ils se reconnaîtront à leurs fruits.

Il est question, au dernier chapitre de l'Apocalypse, d'un fleuve découlant de Dieu et de son Fils pour arroser le monde. On y lit textuellement ces paroles : Sur les deux bords du fleuve se trouve l'arbre de vie, qui donne douze récoltes.

Oh ! n'est-ce pas, voilà ce qu'il faudrait ! Un arbre de vie, voilà ce que nous devrions être. Non pas un arbre sec, mais un arbre planté au bord des eaux courantes, portant des fruits en leur saison. Et pas non plus des pousses exubérantes, comme il en croit au bord de l'eau, mais des arbres portant du fruit, plantés au bord du fleuve qui découle de Dieu et du Sauveur, de nos jours encore comme à travers les âges. Des arbres donnant douze récoltes.

Notre désir serait non de fleurir seulement, mais de porter des fruits, non pas une fois seulement, mais douze fois et même trente, soixante, cent fois.




LE CEP

Jean 15: 1- 8.

Trois choses m'ont frappé en regardant un cep dans la vigne de mon voisin. Comme au début de l'année, le vieux vigneron était occupé au provignage, enlevait la terre autour des ceps et mettait à nu les racines, je demeurai surpris du développement mystérieux et de l'entrelacement des racines dans la terre. Le provignage est la vieille et excellente manière de rajeunir les ceps fatigués, en couchant en terre deux forts rejetons d'une mère saine et vigoureuse, qui pousseront rapidement des racines d'où naîtront deux nouvelles plantes.

D'année en année, au cours de toute une existence mon voisin a toujours renouvelé ainsi ses ceps bien-aimés, atteints par l'âge ou le gel, comme un capitaine renforce ses régiments affaiblis après une sanglante bataille. Et maintenant le vieux vigneron s'est endormi du dernier sommeil. L'automne après sa mort, la vigne a été arrachée et transformée en champ de trèfle. À cette occasion, d'innombrables racines furent mises au jour. le champ tout entier ressemblait à un immense filet de racines entrelacées.

On était en hiver quand j'appris pour la première fois à connaître le cep, personnellement, pour ainsi dire. En hiver, une ferme est déjà nue et déserte, mais une vigne ressemble à un champ couvert d'ossements. Comme des bras desséchés, aux mains noueuses, les ceps dépouillés se dressent au sein du tapis de neige qui les entoure. L'écorce filandreuse, si différente de celle des arbres, qui enveloppe le bois dur du cep comme un pauvre habit de mendiant, augmente encore cette impression de mort.

Puis le printemps revint et enleva le linceul. Le voisin tailla les sarments de l'année précédente. La vie s'écoula goutte à goutte de ces blessures, le cep pleura et saigna. Mais les semaines suivantes des miracles apparurent dans le cimetière, une vie puissante jaillit du lugubre squelette. Des bourgeons riches de sève et des feuilles vertes poussèrent ; un grandiose feuillage, si puissant que le cep disparaissait sous lui. Il fallut plus tard supprimer les sarments les plus vigoureux et les pousses trop exubérantes. Et, au bout de quelques mois, des grappes dorées et magnifiques apparurent sous leur abri vert.

Ce qui s'est passé là est un miracle. La main noire et desséchée de l'hiver précédent a offert aux hommes un trésor vivant, et sur le sol le plus ingrat, Dieu, le Créateur, a fait mûrir le plus savoureux et le plus noble de tous les fruits.

Le Maître s'est comparé lui-même à un cep dans son discours d'adieu aux disciples. La puissance de l'image qui apparaît dans cette comparaison est saisissante. Surpris, nous écoutons.

Je suis le cep. je revois le puissant réseau des racines dans la vigne de mon voisin. Notre Maître ne tire pas sa vie de lui-même. Ses racines plongent profondément dans le monde de son Père. Sa force et sa toute-puissance, sa sagesse et sa bonté ont leur source dans ce monde d'où il provient lui-même. Il vit parce qu'enraciné dans l'éternité et il n'en fait pas mystère. Il ne guérit aucun malade, ne pardonne à aucun pauvre pécheur, ne rompt pas le pain à ses disciples sans s'être entretenu auparavant avec son Père qui est aux cieux.

Je suis le cep. je vois en pensée la vigne du voisin, en plein hiver. jamais parole plus humble que celle du Maître s'appelant lui-même un cep, n'est sortie d'une bouche humaine. Nous reconnaissons en cette comparaison le Sauveur en forme de serviteur, le serviteur de Dieu, dont il est dit : « Il n'avait ni beauté ni éclat pour attirer nos regards, ni rien, dans son aspect, qui pût nous le faire aimer ». Et le temps vint où il mourut et fut mis au tombeau, enveloppé d'un linceul... et il n'y eut plus trace de vie en lui. Le cep en hiver !

Je suis le cep. Et devant nos yeux apparaît la vigne du voisin, au printemps, en été et en automne. Nous la voyons pleurer et saigner, nous voyons jaillir de son sein une puissance » de vie et mûrir les plus doux et les plus nobles de tous les fruits. Parabole du message de Pâques : Le troisième jour, il est ressuscité... le plus grand de tous les miracles !

« Je suis le vrai cep et mon Père est le vigneron. Il retranche tout sarment qui ne porte pas de fruit en moi et il émonde tout sarment qui porte du fruit, afin qu'il en porte encore davantage. Je suis le cep, vous êtes les sarments. Celui qui demeure en moi et en qui je demeure, porte beaucoup de fruits ; car, hors de moi, vous ne pouvez rien faire. »




UN REPRÉSENTANT DES PAYSANS

Marc 15: 21.

Les classes et les professions les plus diverses sont représentées dans l'histoire de la Passion de notre Seigneur. Avant toutes les autres, celles des pharisiens, des scribes et du clergé de la ville, nous dirions aujourd'hui les prêtres et les savants. Les hommes politiques et les chefs ne manquent pas. Pilate et Hérode sont leurs dignes représentants. Voici les bourgeois de la capitale, et même leurs femmes et leurs filles. La plupart sont des artisans. Les domestiques sont représentés par Malchus et la servante de la cour du grand prêtre. Des policiers et des huissiers sont chargés du transfert du prisonnier. Un officier romain, un capitaine, est de garde près de la croix, et Joseph d'Arimathée, un honorable membre du Sanhédrin, préside à l'ensevelissement de Jésus.

Il est question enfin d'un nommé Simon de Cyrène, qui rentre des champs. Nous avons donc un certain droit d'admettre que les paysans aussi ont eu un représentant dans l'histoire de la Passion de Jésus. Et c'est une place toute particulière que ce représentant occupe ici.

Le condamné doit porter lui-même, de la porte de la ville au lieu d'exécution, le bois auquel on va le clouer. Les valets du bourreau ont-ils eu quelque pitié pour leur victime, ou ont-ils estimé qu'elle n'avançait pas assez vite, bref, pour une raison quelconque, ils ont été amenés à venir en aide à Jésus. Aucun d'eux ne s'y prête, ce serait par trop attenter à leur honneur de bourreaux de toucher au bois infâme. Ils cherchent un porteur capable et ce paysan qui revient des champs est justement leur homme.

Il semble qu'aucun des disciples ou des partisans de Jésus ne se soit trouvé là pour lui rendre ce service d'ami, l'aider à porter sa croix. C'est pourquoi ce paysan rentrant des champs doit le faire. Simon de Cyrène apparaît ainsi, à première vue, comme l'unique rayon de lumière sur la voie douloureuse de Jésus. Le représentant des paysans nous semble donc une exception radieuse en face des autres professions. Avec lui, les paysans peuvent se glorifier d'avoir été les seuls à aider Jésus à porter sa croix.

Mais il est dit qu'il a fallu y contraindre Simon. Il a résisté à l'obligation qu'on voulait lui imposer. Il n'a, donc rien d'une exception lumineuse et Simon le paysan aura plus tard, comme tous les autres, des raisons suffisantes de songer avec confusion au jour où, en murmurant et en se rebiffant, il a rendu un léger service au Sauveur.

Voilà un homme qui porte, malgré lui, le fardeau qui lui a été imposé un bout de chemin. Ce Simon n'a rien d'un personnage imaginaire. joyeux, ne songeant à rien de fâcheux, comme Simon fait route en revenant des champs, nous marchons, sifflant un air et faisant de gais projets d'avenir. Mais avant que tu t'y attendes, la dure poigne de la vie t'a saisi et courbé sous la croix. Inutile d'essayer de te défendre, de crier, de jurer et de grincer des dents. En un clin d'oeil, te voilà à terre, les bras liés par l'appendicite, un deuil dans ta famille, la fièvre aphteuse à l'étable ou la grêle sur ton champ. Le fardeau pèse lourd, la sueur tombe de ton front et souvent même une larme secrète t'échappe, mais la vie te chasse à coups de fouet, en avant, en avant ! Pas de répit.

La vie ! Qu'est-ce que la vie qui s'applique à nous pousser de son poing implacable sous la croix ? Est-ce une troupe d'aides de bourreau et de brutes que nous appelons la vie ? Au fait, ils sont nombreux ceux qui portent leur fardeau comme Simon, comme si l'aide du bourreau le leur avait chargé sur les épaules. Ce n'est peut-être pas par hasard que ce fut ce Simon rentrant des champs qu'on rencontre ici et que cette tâche ait été imposée précisément à un paysan. Il me semble que d'année en année le nombre augmente de ceux qui, comme Simon, sont contraints de se courber sous la croix. J'en vois plus d'un, rentrant le soir des champs, fatigué et accablé de soucis, chargé d'un fardeau qu'il porte comme Simon de Cyrène en grinçant vainement des dents.

Je n'ai pas encore rappelé la fin de cette histoire. Simon ne s'est pas débattu tout le long du chemin contre la brutalité des aides du bourreau. En portant le bois maudit, il est devenu un disciple du Christ ainsi que ses deux fils, Alexandre et Rufus. Il a été saisi par celui qui s'avançait en silence et si dignement sous les coups et les plaisanteries des valets. La croix l'a rapproché du Sauveur et ce contact n'a pas été sans effet. Il a porté la croix jusqu'au lieu du supplice, mais là, il est devenu un autre Simon. Il a compris que ce n'avait pas été une puissance aveugle qui l'avait saisi d'une main rude et lui avait imposé son fardeau, mais la volonté de Dieu, qui devait l'amener au Sauveur.

Puisse ce Simon de Cyrène, qui revenait des champs et trouva le Sauveur, devenir un guide pour les paysans d'aujourd'hui.

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