Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

CHAPITRE XI

L'ÂME HUMAINE

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« Et l'Éternel Dieu forma l'homme, poussière du sol, et souffla dans ses narines une respiration de vie, et l'homme devint une âme vivante. » (Gen. II, 7.)


Nous avons parlé du corps humain comme d'un admirable édifice habité par la vie. Mais la merveille de la création, c'est l'âme humaine. Comment un souffle divin ne serait-il pas merveilleux, et n'aurait-il pas en lui les qualités et les forces du Dieu qui l'a communiqué à l'homme ? Comment cette âme aussi ne serait-elle pas faite « à l'image de Dieu ? » Dieu a-t-il des qualités, donc des passions et des sentiments humains ? Non, mais c'est l'homme qui en a de divins. Ou serait-ce nous qui nous serions donné les idées éternelles du bien, du beau et du vrai ? Est-ce nous qui nous sommes fait ce peu de charité, d'amour et de justice qui empêche le monde de périr ? Avons-nous de nous-mêmes ce désir insatiable de connaissance et de vie ? Notre volonté et notre imagination créatrice sont-elles de simples produits de notre cerveau ?

Non, ce sont là des étincelles du feu divin, des gouttes de la source éternelle, mais troublées en nous par le péché ; et même notre injuste colère n'est qu'un pâle reflet du juste courroux d'un Dieu saint qui ne saurait voir le mal sans le consumer.

Que ceux, « dont le Dieu de ce siècle a aveuglé l'entendement », se fassent un Dieu impersonnel qui ne sent rien, ne veut rien et ne peut rien ; ou d'autres un Bouddha qui contemple, avec un sourire béat et impuissant, la machine du monde mue par les forces de la nature, ils peuvent s'écrier : « Qu'est-ce que Dieu sait? Les nuages l'enveloppent et il ne voit pas. » (Job. XXII, 13.)

Mais l'esprit divin leur répond : « Comprenez donc, vous les stupides d'entre le peuple ! Et vous insensés, quand serez-vous intelligents ? Celui qui a planté l'oreille, n'entendra-t-il point ? Celui qui a formé l'oeil ne verra-t-il point ? Celui qui instruit les nations ne châtiera-t-il pas, lui qui enseigne la connaissance aux hommes ? - L'Éternel connaît les pensées des hommes et qu'elles ne sont que vanité. » (Ps. XCIV, 8-11.)

L'âme, cette grande inconnue que nous portons en nous, est le miracle que ceux qui le nient ont en eux-mêmes. Miracle ? Oui, car non seulement ni cette âme, ni ses manifestations ne peuvent être démontrées ni expliquées par la science, mais encore elles dépassent et contredisent toutes nos notions de la nature et de ses lois.

Chaque jour Dieu crée et jette cent trente mille de ces semences de l'éternité sur la terre et leur donne un corps. Le temps et le lieu où elles germent, décident (Eccl. IX, 11) selon la volonté de leur Créateur, de leur existence terrestre ; les unes deviennent des habitants des stations lacustres, ou des Scythes, ou des Huns d'Attila ; les autres, des philosophes grecs ou des sénateurs romains ; des mandarins chinois ou des gentlemen anglais ; ou des Esquimaux, ou des pirates malais, ou des littérateurs et poètes des salons parisiens ! Que d'individualités, que de personnalités différentes ! Et Dieu seul sait pourquoi, quand, où et comment Il a créé ces âmes ; il connaît tous les milieux, tous les facteurs, toutes les influences de leur vie, et Lui seul peut et veut un jour les juger avec justice.

Cette âme, avons-nous dit, est un miracle inexplicable. Le philosophe Kant l'a dit dans l'introduction à sa célèbre « Critique de la raison pure » : « Je ne comprends ni comment cette âme entre dans son corps, ni comment elle en sort ; ni même comment elle y demeure, c'est-à-dire comment un esprit immatériel agit sur la matière ». Car cette âme immatérielle se nourrit même de matière. Il est complètement incompréhensible que le morceau de pain ou de viande, qui était il y a peu d'heures sur ma table, soit maintenant le cerveau avec lequel je pense, le nerf avec lequel je sens la douleur, l'oeil avec lequel je vois le monde. Il est inexplicable que cette âme pense avec la matière ; et cela très lentement. Dieu l'a voulu ainsi pour qu'elle se meuve parallèlement au monde matériel, et pour ainsi dire emboîte le pas de la création qui l'entoure.

Il est puéril de dire que par la pensée l'homme se transporte en un instant où il veut, en Chine ou sur la lune. Qu'il veuille bien alors nous décrire ce qu'il voit là-bas ou là-haut ! Mais il ne fait que rassembler ses souvenirs, joue avec eux, et se représente la maison paternelle, comme il l'a vue avant son départ, ignorant qu'elle a brûlé il y a huit jours, ou que son père est mort et que ses frères sont dispersés. Si l'âme pouvait penser ici-bas avec la rapidité de la molécule d'hydrogène ou des ions décrits plus haut, observer et compter un quadrillion de leurs révolutions en une seconde elle vivrait aussi des milliers d'années dans cet espace de temps. Mais Dieu a coordonné avec une sagesse infinie sa création tout entière, et donné à l'homme la loi que son âme doit, pour exprimer la vie ineffable de l'esprit, emprunter des vêtements au monde visible, et n'exprimer ses idées abstraites qu'au moyen d'images concrètes : grand et petit, pesant et léger, clair et obscur, proche et éloigné, et même bon et mauvais, sont des représentations physiques d'abord, puis des idées morales.

Nous disons que cette âme est surnaturelle. Le regard, par exemple, contredit l'adage du naturaliste : une chose ne peut agir où elle n'est pas. Sans intermédiaire matériel, sans changement physique ou chimique dans l'oeil, l'âme lance par son moyen des regards de haine ou d'amour, de vénération ou de mépris, d'interrogation ou de défense, des regards fiers, humbles, inquiets, indifférents, et agit à distance sur une autre âme ! De même, quand cette âme quitte le corps, elle dément la loi si vantée de la permanence de l'énergie. Quand un athlète meurt subitement, frappé d'apoplexie, que devient sa force ? Une des manifestations de l'âme les plus inexplicables pour notre science, c'est le sommeil et le rêve. À des intervalles réguliers, le corps fatigué s'étend, perd l'usage de ses membres et s'endort, disons-nous. Alors l'âme s'en va silencieusement parcourir des royaumes inconnus, voir avec d'autres yeux que ceux du corps, et par une autre lumière que celle du jour, entendre avec d'autres oreilles et parler une autre langue, faite d'images et de hiéroglyphes. De ces abîmes elle rapporte des coquillages brisés on des épaves de quelque naufrage ; et parfois il semble qu'elle soit descendue jusqu'aux royaumes des morts; d'autres fois elle a vu, où et comment ? l'avenir et ses propres destinées ; car, qui oserait nier le songe prophétique dont la Bible et l'histoire citent de si nombreux exemples ? « Dans le songe, dans la vision de nuit, quand un profond sommeil tombe sur les hommes, quand ils dorment sur leurs lits : alors Dieu ouvre l'oreille aux hommes et scelle leur instruction, pour détourner l'homme de ce qu'il fait, pour le cacher de l'orgueil, pour préserver son âme de la fosse, et sa vie de se jeter sur l'épée. » (Job. XXXIII, 15-18.)

De même toute notre physiologie, toute notre psychologie ne savent nous dire comment les idées prennent naissance en nous. Elles surgissent à la surface ou tombent d'en haut, entrent et sortent, s'enchaînent malgré moi, et me mènent où je ne veux pas. Notre âme a des profondeurs plus insondables que celles de l'Océan.

La mémoire et l'oubli sont aussi deux facultés également remarquables, également inexplicables de l'homme. Qu'une âme puisse, dans sa tête et à l'aide de quatorze cents grammes de cervelle, retenir, fixer, emmagasiner les innombrables souvenirs de toute une vie, c'est là une grande énigme. Des flots de joie et de douleur ont passé sur cette âme, mille incidents divers, mille personnes étrangères sont entrées dans sa vie ; elle a accumulé des milliers de faits, de chiffres, de mots, de noms, et dans ses vastes entrepôts, dans ses archives, elle peut aller chercher les articles dont elle a besoin. Quelquefois elle ne réussit pas à les trouver, quoiqu'ayant conscience qu'ils sont là ; mais où ?... puis, peu à peu, avec les années, les images s'effacent, se confondent et se perdent dans le lointain. Et cet oubli aussi est un bienfait du Créateur. Il est bon pour nous, faibles humains, que le fleuve du temps emporte tant de choses, de faits et d'idées qui nous accableraient ; tant de chagrins et de soucis qui nous écraseraient de leur poids s'ils étaient ensemble toujours et constamment présents. Il est bon que le jour d'hier emmène avec lui son fardeau ; « À chaque jour suffit sa peine », nous dit un Sauveur compatissant.

Mais pouvons-nous vraiment oublier ? ou l'oubli n'est-il qu'un brouillard, un voile bienfaisant, qui nous cache dans cette vie des faits trop divers, des horizons trop étendus et trop multiples, afin que nous puissions avec quelque liberté d'esprit vaquer au présent ? Le fait déjà le prouve ; car, au déclin de la vie, le vieillard évoque les scènes longtemps oubliées de sa jeunesse, revoit les lieux où s'est écoulée son heureuse enfance, entend de nouveau la voix d'une mère, morte il y a longtemps... Des somnambules, des aliénés, des moribonds, nous ont révélé une puissance plus étonnante encore et presque absolue de la mémoire.

De fait il n'est pas possible que l'âme humaine oublie, et le jour viendra où, des profondeurs de notre passé, ressusciteront en nous tous nos actes, nos paroles et nos pensées mêmes, afin d'être jugés et de recevoir leur récompense ou leur condamnation. Il est contraire à l'essence même d'une âme immortelle, qu'elle ne sache plus ce qu'elle a pensé, dit ou fait. Elle ne serait alors plus que le produit, toujours changeant, toujours fugitif du petit cercle des idées et des événements du jour. Mais Jésus nous dit que « les hommes rendront compte au jour du jugement de toute parole oiseuse qu'ils auront prononcée » - et oubliée ! Donc en ce jour-là ils s'en souviendront. Quand « les livres seront ouverts » (Apoc. XX, 12), tous les brouillards du passé s'évanouiront ; tout deviendra clair et présent, et toute âme humaine, en présence de sa vie entière, confessera : Oui, J'ai fait cela ! j'ai dit cela ! j'ai pensé cela ! - « Il n'y a rien de caché, dit Jésus, qui ne doive être révélé. »

Que sommes-nous en vérité ? Que serions-nous, dégagés de tant d'influences, de circonstances, de milieux qui nous moulent et nous façonnent ? que serons-nous, quand ils disparaîtront un jour ? Nous nous croyons libres et nous sommes esclaves ; nous portons des chaînes et nous ne les sentons pas ; les fers dorés de la richesse, les chaînes d'argent de la vocation, de la position sociale, les liens de soie, si doux et si forts de la famille, de la parenté, des amis, des connaissances, de leurs louanges et de leurs blâmes. Nous sommes les enfants de nos parents, les jeunes gens et les jeunes filles de notre éducation, les citoyens de notre pays, les hommes de notre siècle, de notre peuple ; nous portons les caractères de notre race dans notre esprit et dans notre figure, dans notre langue et notre style, dans nos opinions politiques et religieuses, dans notre conception de la vie ; et, le dirons-nous ? nous portons l'empreinte de Dieu même ! Le courant nous emporte doucement avec nos semblables, et ni eux ni nous ne nous en apercevons ; nous ignorons ce que nous sommes. Quand le saurons-nous quand nous verrons-nous nous-mêmes, diamants transparents et indestructibles de l'éternité, portant le « nouveau nom que personne ne connaît, sinon celui qui le reçoit ? » (Apoc. II, 17.) 0 Dieu, quand nous rendras-tu libres ?

Jetée dans ce monde, où elle entre en pleurant et qu'elle traverse comme un courrier, cette âme se laisse leurrer par les choses visibles et passagères ; y cherche son bonheur ; voudrait les posséder ; et à peine croit elle s'être arrangé ici-bas une demeure que déjà l'âge vient ; les yeux se troublent ; les bras perdent leur force et la tête se penche vers la tombe ; il faut tout quitter et s'envoler en pleurant vers des rivages inconnus. Cette âme vit dans le passé et ce passé lui échappe ; chose étonnante, elle ne sait plus ce qu'elle a dit, ce qu'elle a fait ; elle vit dans le présent, sur le tranchant d'un rasoir, dit l'Arabe, dans une illusion qui, à peine saisie, glisse, s'échappe et tombe dans les abîmes du passé ; elle vit dans l'avenir toujours inconnu, toujours voilé et flotte entre la crainte et l'espérance ; notre coeur, dit saint Ambroise, n'est pas en notre pouvoir. Cette âme aime le monde et le méprise ; elle s'aime soi-même par-dessus tout et ne peut supporter, Pascal l'a dit, d'être une heure seule avec elle-même ; elle donnerait tout pour sa vie, et souvent elle jette avec dégoût loin d'elle ce don suprême du Créateur.

Quelles contradictions ! Sa chute seule les explique. Qu'elle est petite et qu'elle est grande, faible et puissante, cette âme, quand comme celle d'un Alexandre, d'un César, d'un Napoléon, elle dirige les destinées de millions d'hommes, ou que, comme celle d'un Attila, d'un Gengis-Khan ou d'un Tamerlan, elle passe en ouragan à travers le monde, ravageant des pays, détruisant des peuples, laissant des déserts sous ses pas ; ou bien enfin quand, comme celle d'un Luther ou d'un Voltaire, elle sème dans des milliers d'âmes la vérité ou le mensonge, loue Dieu on le blasphème ! Quelle trace laissera un jour, la tienne, après que tu auras passé, comme le sillage du vaisseau, qui vient se briser au rivage quand le navire a déjà disparu à l'horizon ?

Que sont les conquêtes de la science, les triomphes de l'art, toutes les organisations politiques, législatives et religieuses, qu'est l'histoire du monde et de l'humanité, sinon la manifestation, la révélation permanente d'une âme divine, immortelle, qui ne saurait être satisfaite avant d'être retournée à son origine, dans le sein même de Dieu ? Pourquoi l'homme ne se contente-t-il pas d'une crèche bien remplie, comme l'âne ou le boeuf ? Parce qu'il est créé à l'image de Dieu.

Nous en trouvons une autre preuve dans la conscience, cette voix de l'Esprit en nous. Car, vérité trop méconnue, l'homme n'est point seulement corps et âme, mais une trinité de corps, esprit et âme (I Thess. V, 23: Col. II, 11). L'âme peut pécher ; l'esprit, né de Dieu (I Jean III, 9 ; V, 4) ne pèche pas ; et c'est sa voix incorruptible qui en nous reprend l'âme quand, séduite par la chair et le diable, elle oublie son origine divine et veut se plonger dans la poussière et la boue de ce monde déchu. Comme devant Dieu le mal ne saurait subsister, de même l'esprit divin en l'homme réprouve le mal et le juge impitoyablement. Plus d'une fois un criminel, après dix ou douze ans d'impunité, s'est livré lui-même à la justice, pour faire taire cette terrible voix de la conscience qui, jour et nuit, lui reprochait son crime. Ou voyez tel homme, possesseur d'une fortune mal acquise ; aux yeux du monde il a tout ce qu'on peut souhaiter : une demeure somptueuse, une table richement servie, tous les conforts, toutes les jouissances que peut procurer la fortune ; ses amis l'honorent, le flattent, vantent ses grandes qualités, son esprit, sa générosité, et il n'est pas loin de les croire. Mais quand, après le festin, les amis sont partis et qu'il reste seul, il roule dans son esprit, la nuit sur sa couche, de nouvelles spéculations pour ne pas entendre la petite voix importune qui dans le silence murmure incessamment : tu es un voleur !

Pour qu'il exprimât toute sa vie, pour qu'il révélât et communiquât à son semblable ses joies et ses douleurs, ses souhaits et ses ordres, bien plus, pour qu'il louât et bénît son Créateur, celui-ci a fait à l'homme le don sublime de la parole, le créant ici aussi à son image. « Dieu dit », c'est ainsi qu'Il se révèle. « Et Adam donna des noms à tous les animaux, et aux oiseaux des cieux et à toutes les bêtes des champs. » Par là il montre sa haute intelligence de la création et du langage, et Dieu lui-même confirme par son arrêt cette parole de l'homme (verset 19). Car le vrai nom est une grande chose, comme la Bible le prouve : voyez le changement significatif d'Abram en Abraham, de Saraï en Sarah, de Jacob en Israël, et le nouveau nom promis aux élus (Apoc. II, 17). L'animal le plus intelligent, le chien le plus fidèle n'a jamais su nommer par un simple monosyllabe le maître à qui il appartient.

La parole ! Avec les lèvres et la langue l'homme fait vibrer un peu d'air ; ces vibrations vont frapper l'oreille de son semblable qui sent et pense avec celui qui lui a parlé, et ainsi ces deux âmes vibrent à l'unisson. Par quelques ondes d'air mises en mouvement nous accomplissons les meilleures et les pires choses : nous consolons d'autres âmes ou y jetons le désespoir, réveillons la foi, l'espérance et la charité, ou déchaînons les passions de la colère, de l'envie, du mépris, de la haine ; bien plus, nous pouvons avec elles amener des âmes à Dieu ou les en éloigner. Combien de sons nous faut-il pour tout cela ? Cinq voyelles et une vingtaine de consonnes (avec quelques modifications secondaires chez quelques peuples), suffisent, depuis six mille ans, aux peuples les plus cultivés de la terre, et leur suffiront jusqu'à la consommation des temps, pour exprimer tout ce que le coeur humain est capable de penser, de sentir, d'imaginer, de désirer ou de craindre. Dans ces vingt-cinq signes se trouvent en germe tous les documents, tous les ouvrages de littérature qui jamais ont été écrits ou qui le seront encore, tous les discours prononcés ou à venir, toutes les langues et tous les dialectes du monde. Il suffit d'arranger de telle ou telle manière ces vingt-cinq caractères d'imprimerie, pour dire tout ce que l'homme peut penser ; pour nier ou pour affirmer, pour énoncer des choses sages ou prêcher des folies ; pour faire du bien ou du mal ; pour sauver ou pour perdre des âmes. Bien des inventions ont été faites et le seront encore au cours des siècles, mais jamais l'homme n'inventera une nouvelle voyelle ou une nouvelle consonne : ce qui prouve qu'elles ne sont pas de simples accidents de la voix humaine, mais qu'elles sont basées sur des principes et des forces spirituelles appartenant aux profondeurs, aux racines mêmes de l'âme. Aussi les retrouve-t-on dans toutes les langues avec leur même signification typique, comme traces d'un seul et unique langage originel, intimement lié avec la nature et avec la figure humaines.

Il en est de même des formes du discours ; elles aussi ne sont point arbitraires, mais absolument données parle créateur et jamais l'homme n'en inventera d'autres. Les deux piliers de la langue, comme le disait déjà Aristote, sont le substantif et le verbe. Le substantif ou nom pose la substance, l'être, la personne ; c'est le rocher de granit ; il dit ce qui est, sans être borné par le temps ou l'espace. Le verbe dit ce que le substantif fait, ce qui s'est fait, se fait et se fera dans le temps, par une ou par plusieurs personnes. Ainsi quand la Parole divine créa le monde, elle prononça des substantifs nouveaux et jusqu'alors inconnus, même aux anges : terre, jour, nuit, mer, herbes, plantes, fruits, semence, poissons, oiseaux, animaux, hommes. Quand Elle vint en chair apporter à l'homme le salut et lui enseigner ce qu'il doit faire pour être sauvé, Elle ne prononça pas un seul nom nouveau. Après avoir déclaré qu'Il est le chemin, la vérité et la vie, Jésus se sert du verbe : « Celui qui croit en moi, encore qu'il soit mort vivra ; et quiconque vit et croit en moi, ne mourra point à jamais ; crois-tu cela ? » (Jean XI, 25, 26.) « Demandez et il vous sera donné ; cherchez et vous trouverez ; heurtez et il vous sera ouvert ; car quiconque demande, reçoit, et celui qui cherche trouve, et à celui qui heurte, il lui sera ouvert » (Matth. VII, 8).

La vraie instruction de l'homme consiste donc à reconnaître les formes et les êtres de la création et ce qu'il est lui-même, à chercher Dieu le Père en tout, et puis à apprendre dans la vie et la parole du Fils, ce qu'il doit faire pour être sauvé.

L'adjectif, qui s'enroule comme une plante grimpante autour du pilier de granit du substantif, le précise et l'orne, le colore, l'agrandit ou le diminue quand il est vrai. Quand il est faux, Voltaire a raison : « L'adjectif est l'ennemi du substantif. » Mais Dieu ramène toutes nos qualités à une seule. Il vit que tout était bon ! Pourquoi ? Parce que le bien est en soi et par soi-même absolument beau, et que hors de lui il n'y a point de beauté véritable ; voilà le principe de la vraie esthétique. Dans une parole admirable de profondeur Christ ramène tout le discours à « oui, oui » et « non, non » (Matth. V, 37). Apprenons à dire de tout notre coeur, en toutes choses « oui » au grand Dieu, en qui tout est oui et amen ! (2 Cor. I, 19, 20 ; Apoc. XXII, 20) et à dire « non » au créateur du non, au père du mensonge, quand il veut nous séduire ; voilà toute la science de la vie. Les cieux retentiront du Oui éternel du Père et les enfers du Non de ses ennemis.

Le pronom se promène dans la langue comme l'ombre mystérieuse du substantif ; il, lui, elle ! et l'on demande : qui donc ? Il partage l'humanité en moi, la personne, le centre ; toi, mon prochain ; lui, elle, eux tous ! L'adverbe, de peu d'apparence, a une grande portée. Il jette les faits ça et là, dans le passé ou le présent, les approuve ou les condamne - très bien, mal, autrefois, à présent, jamais, toujours, éternellement. Les conjonctions sont les cordes et les liens du langage ; et le "et" biblique exprime l'enchaînement des faits, où tout est à la fois cause et effet de l'histoire du monde ; celle-ci n'est, dit Molitor dans sa Philosophie de l'histoire, qu'une seule et même phrase. Enfin l'interjection montre qu'il y a des soupirs ineffables de l'esprit, des cris de douleur, de joie et d'admiration de l'âme, pour lesquels la langue humaine ne trouve pas de mots.

Mais l'humanité s'est servie de ce don divin de la parole pour offenser le Donateur, et « les pécheurs impies ont prononcé contre Lui des paroles dures » (Jude I, 15). Alors Jéhova descendit et « confondit le langage de toute la terre, afin qu'ils n'entendissent pas le langage l'un de l'autre ». (Gen. XI, 7.) D'où viennent tant de dissensions, de querelles, de haines parmi les individus ? de guerres de religion et autres parmi les peuples ? - De ce qu'ils n'entendent pas le langage l'un de l'autre !

La parole donnée à Adam aurait eu puissance sur toute créature, s'il n'était pas tombé. On en voit la preuve dans les grandes paroles avec lesquelles il fixe l'être de la femme et l'essence du mariage (Gen. II, 23, 24 ; III, 20).

Cette puissance continua encore quelque temps chez l'homme, quoique allant en décroissant. Avec la parole : « Maudit soit Canaan, il sera le serviteur des serviteurs de ses frères », Noé a fixé, selon la volonté de Dieu, les destinées d'une grande partie de l'humanité pendant de longs siècles ; car, de tout temps, l'Afrique a été le pays de l'esclavage. De même, après qu'Isaac eut béni Jacob, les pleurs et les lamentations d'Ésaü ne purent rien changer au fait accompli. La parole avait été prononcée, et Jacob conserva les prémices de la bénédiction paternelle ; pourtant Isaac donna à Ésaü l'épée et la liberté du désert, « la graisse de la terre et la rosée des cieux d'en haut ». Telle est la puissance de la parole inspirée par l'Esprit divin. Bien que l'on reconnaisse toujours la grandeur d'un homme à la grandeur de sa parole, où trouvera-t-on aujourd'hui un homme ou un chrétien qui ait puissance par sa parole de répandre bénédiction ou malédiction sur des peuples futurs, de déterminer d'avance les destinées de sa nation ou seulement de sa famille, de ses enfants ? Les anciens Grecs et les Romains respectaient plus que nous la parole ; ils faisaient grand cas d'une belle élocution et d'un discours clair et logique. Socrate pouvait dire : « Parle afin que je te voie », tandis que l'homme moderne souscrit trop souvent au mot de Talleyrand : « La parole est donnée à l'homme pour déguiser sa pensée ». Quels torrents de mots oiseux, frivoles, quand ils ne sont pas faux et mensongers, inondent au moyen de la presse le monde actuel !

Heureusement qu'à côté de ces sables mouvants de la parole humaine, nous avons le rocher immuable de l'éternelle Parole de Dieu. Et parce que de la bouche de Dieu est sortie la déclaration : « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur la terre entière » la pleine réalisation de cette parole, bien que différée par suite du péché, sera manifestée un jour glorieusement. Oui, un jour l'homme racheté par Jésus-Christ, « recréé » à l'image de Dieu, régnera sur la terre entière et sera même appelé à juger les anges (1 Cor. VI, 3). Sa parole acquerra de nouveau une puissance créatrice et judiciaire. Mais le plus noble usage qu'il en fera alors sera d'unir ses accents aux harmonies universelles, pour louer Celui « qui a créé toutes choses, et par la volonté de qui toutes choses subsistent et ont été créées ». (Apoc. IV, 11.)

« Toute chair est comme l'herbe et toute sa gloire comme la fleur de l'herbe. L'herbe est séchée, et la fleur est fanée ; mais la Parole de notre Dieu demeure éternellement. » (Es. IL, 8.)

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