Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre XI

QUARANTIÈME ANNIVERSAIRE

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Souviens-toi de tout le chemin que l'Éternel, ton Dieu, t'a fait faire pendant ces quarante années.
Deut. 8. 2.

C'est en 1939, le 16 juillet, que La Maison célébra le quarantième anniversaire de sa fondation.

Ce fut une journée magnifique, qui réunit les anciens élèves de La Maison, dont plusieurs, devenus pères et mères, vinrent avec leurs enfants. Ils rendirent ainsi, par leur présence, un témoignage à l'oeuvre qui s'était accomplie en eux. N'était-ce pas le couronnement du but entrevu par M. Moreillon et poursuivi par celle qui lui succéda ? Recréer les familles détruites, et travailler à la fondation de foyers chrétiens où règnent l'ordre, l'économie, le travail et surtout la crainte de Dieu.

Ce n'est pas à dire qu'il n'y ait eu bien des déceptions, mais il faut rendre gloire à Dieu pour le grand nombre de ceux qui sont un sujet de joie et de reconnaissance. Si d'aucuns n'ont pas été aussi fidèles qu'on l'avait espéré, ils ont cependant gardé l'empreinte reçue à La Maison.
« Vous savez, dit l'un d'eux, victime d'une triste hérédité, quand on a été élevé à La Maison, on a des principes ; je ne fume ni ne bois... », et il encourageait au bien ses camarades plus jeunes.

Un culte fut célébré dans le temple, et ce fut une joie pour tous ceux qui avaient connu et aimé Charles Moreillon, de voir monter en chaire, à cette occasion, le pasteur Richard Moreillon et d'entendre son témoignage dans cette église même où la voix de son père avait si souvent retenti.

Prenant pour texte : « Le témoignage de Christ ayant été solidement établi parmi vous (1 Cor. 1. 6) », il a relevé deux qualités essentielles qui donnent au témoignage que rend La Maison, sa puissante et suprême valeur : la prière qui relie au Père céleste dont elle dépend, et l'humilité qui permet à Dieu de répondre et de bénir.

Soeur Cécile, rappelant le but entrevu par le fondateur de La Maison, et la bonté de Dieu au travers de ces quarante années, dit entre autres :

« Avez-vous manqué de quelque chose ? », demanda Jésus à ses disciples. - De rien, répondirent-ils. - D'une même voix, nous proclamerons aussi : nous n'avons manqué de rien !

Nous n'avons surtout pas manqué d'enfants ! Que de pauvres petits, dont le foyer fondé à la légère s'est dissous. Autant de petites victimes qu'il eût été douloureux de refuser.

Il a aussi toujours été pourvu au personnel, soit pour un temps de longue durée, soit pour de plus courts remplacements. C'est une grâce aussi que, jour après jour, Dieu soutienne, encourage, renouvelle les forces et bénisse. C'est là l'expérience faite par nos chères collaboratrices, à la tâche depuis 23, 18, 15 ans ou moins. Oh ! les miracles que Dieu peut accomplir en ceux qui se confient pleinement en Lui !
Les ressources, de même, n'ont jamais fait défaut. Tout dernièrement encore, lorsque chaque ménage était invité à faire des provisions, l'argent nécessaire nous est parvenu à temps. « Avant qu'ils crient, je les exaucerai », dit l'Éternel.

Le 1er juillet, nous ne possédions que 1 fr. 85. Une dame fort pressée, montée à pied de Begnins et devant y redescendre pour prendre le train, nous apportait 1000 francs. Son neveu, alors bambin de quatre ans, avait été hospitalisé bénévolement à La Maison plus de vingt ans auparavant. Cette dame n'avait ni engagement, ni obligation vis-à-vis de nous, mais depuis longtemps elle avait résolu de rassembler cette somme importante. Jusqu'ici, des devoirs de famille l'en avaient empêchée. Depuis deux jours seulement, les 1030 francs étaient au complet. C'est pourquoi elle se hâtait de les apporter, en donnant d'excellentes nouvelles du cher blondin frisé qui, à La Maison, n'avait pas été oublié.
Nous étions émus en face d'une telle délicatesse et, dans la reconnaissance, nos coeurs s'élevaient au « grand Éducateur » des consciences.

Et l'acquisition de la source ! Quel témoignage tangible de la bonté de Dieu. Il faut beaucoup d'eau à La Maison. Quel privilège de pouvoir en employer sans compter, sans avoir à exercer une surveillance compliquée dans ce vaste domaine.

La santé générale à La Maison est habituellement excellente ; cependant, la grippe nous a parfois visités. Nous avons vivement apprécié les soins du Docteur Francken. Nos enfants l'appellent « le bon docteur ». Ils disent vrai. Son dévouement, son désintéressement n'ont pas de borne, et dans des circonstances plus particulièrement pénibles, nous avons trouvé en lui l'ami plein de compréhension et de sympathie.

Pendant les quatre dernières années, les recettes se sont élevées à 139 730 fr. 50 cts, et le solde en caisse, au 12 mai 1939, est de 661 fr. 55 cts. Ces chiffres ne sont-ils pas éloquents ? Les recettes de la ferme et les modestes pensions n'auraient jamais suffi à l'entretien d'une telle maisonnée, si le Père céleste n'avait incliné les coeurs à se souvenir de La Maison.

La moyenne des enfants a été d'environ 52, de 8 mois à 16 ans. Après leur sortie d'école, nos jeunes filles désirent presque toutes aller en Suisse allemande, nos garçons en apprentissage. Des familles, des patrons boulangers, charpentiers, maréchaux, jardiniers et autres ont souvent pris plusieurs de nos enfants, et l'entente est généralement bonne.

En terminant son rapport, Soeur Cécile fait éclater sa reconnaissance : « Mon âme, bénis l'Éternel ! Que tout ce qui est en moi bénisse son saint nom ( Ps. 103. 1) ».
Puis, M. le pasteur G. Bugnion, qui fut un grand ami de M. Moreillon, rappela quelques souvenirs personnels des débuts de La Maison et du ministère de son fondateur.

Après un dîner en commun, copieusement servi, réunissant amis et anciens élèves, ce furent de charmantes productions des enfants, petits et grands, et les chants joyeux résonnèrent sous le hangar décoré de verdure et de drapeaux. Deux des aînées firent revivre leurs souvenirs.

Albertine, une enfant de la première heure, actuellement à la tête d'une belle famille de neuf enfants, qu'elle et son mari élèvent dans la crainte de Dieu, parla des temps héroïques du début :
« Autrefois »
... Dans les premiers temps de La Maison, je revois celle que nous appelions alors « Soeur Cécile », nous racontant toutes sortes d'histoires merveilleuses. Oh ! les belles heures que nous passions ainsi suspendues à ses lèvres.
Maintenant nous revenons à elle, nous, ses chères grandes, avec le même désir de tout lui raconter et de l'entendre encore.
Vous vous souvenez de sa mère, que nous nommions « grand'mère » ? Comme elle était modeste en tout, facilement contente, excepté devant le travail mal fait. Malgré nos sottises, nous avions toute sa tendresse.

Qui pourrait oublier tante Laure, nous rassemblant tous autour d'elle les dimanches de pluie ? Avec quel brio, quel entrain nos voix se mêlaient aux notes grêles de si cithare. Cantiques, romances, chants patriotiques, tout notre répertoire y passait ! Elle est partie, chantant encore, et nous l'avons pleurée...

Ne sommes-nous pas émues aussi à la pensée de tante Alice, recueillant chez elle la plus déshéritée, la pauvre petite Tinette, qu'elle aima au travers de tout comme sa propre enfant ? N'avait-elle pas, dès la première heure, donné à La Maison sa fille unique, tante Amélie, pour nous un modèle de conscience, de droiture, de travail, de foi inébranlable et de coeur ?

Qui donc parmi vous, chères camarades, n'a été le bébé chéri de tante Emma Richard ?... Et qui d'entre nous ne trouve encore aujourd'hui, auprès d'elle, l'accueil chaleureux de la parole qui encourage ?...

Les garçons de ce temps-là, comme ceux d'aujourd'hui, avaient une tante Ida ; quelle bonne éducatrice elle était aussi ! Son grand calme faisait impression.
Cela me remet en mémoire la première visite de tante Alice Schenk à La Maison. Notre maman, entourée de deux fillettes, récurait le corridor lorsque, se retournant, elle aperçoit une personne, grande, à l'expression sérieuse, qui lui demande : « Puis-je voir Soeur Cécile ? » Et celle-ci de répondre : C'est moi ! - Ébahissement ! Quels bons rires nous avons faits ! Elle aussi, depuis lors, a donné de son temps et de son coeur. C'est ce que fit, à son tour, tante Louise Briggen, notre cuisinière du premier moment ; quel courage et quelle bonté l'animaient.
Tante Berthe Blanc était la maîtresse jardinière, ce qui ne l'empêchait pas de mettre la main à tout.

Un nom encore, celui d'un cher instituteur, M. Blanc. Plusieurs d'entre nous ont grandement bénéficié de son enseignement, et trois de ses élèves ne sont-ils pas devenus instituteurs à leur tour ?
C'est ainsi que chacun, nous le sentions, était heureux de mettre ses dons, ses forces et son coeur au service de Dieu tout d'abord, et au service de tous.

Nous subissions cette influence, n'est-ce pas ? car à côté des joies, il y avait aussi les peines. - Ah ! que les lessives étaient parfois pénibles, quand, avec nos mains engourdies, il fallait, par la bise, laver et étendre le linge qui, du coup, gelait sur le cordeau. Et quelle besogne ardue, pour les garçons, que de charrier l'eau pour toute la maisonnée, par n'importe quel temps !

Mais tout se faisait avec vaillance, bonne humeur, même avec joie. C'étaient « les temps héroïques » de La Maison, car il y avait beaucoup d'ouvrage et peu de personnel. C'était aussi la vie au jour le jour, semée d'épreuves et de délivrances. Que de fois, vous vous en souvenez bien, la huche s'est trouvée vide, et la caisse aussi. On se rappelait alors le mot du vénéré Monsieur Moreillon : « Si le Seigneur fait attendre, c'est qu'Il veut donner davantage » !

Un samedi soir, notre mère rentre joyeuse de la petite épicerie : Voyez, dit-elle, il fallait du sucre, du pétrole et des allumettes ; j'ai pris avec moi tout le contenu de la caisse : 2 fr. 65.
Eh bien ! le croyez-vous ? la somme s'est trouvée exacte et voici nos provisions.

Un dimanche, nous nous demandions où nous prendrions le pain nécessaire au déjeuner du lundi. Dans l'après-midi, un monsieur arrive, tout essoufflé, de la forêt où il avait trouvé 3 fr. 65. Avant de prendre son train, il venait nous apporter cette somme. Comme il ne voulait pas avoir eu si chaud pour si peu, disait-il, il y ajoutait 10 francs.

Nous n'avons pas toujours compris, n'est-ce pas, ce que nous devions à tant d'amis connus et inconnus, ni su, par la suite, placer toute notre confiance en Celui qui est « l'auteur de toute grâce excellente et de tout don parfait ».
Que cette journée nous parle, c'est le voeu de celle qui se dit : Votre aînée.

Après Albertine, ce fut le tour d'Hélène Chollet
« Aujourd'hui »
Ah ! la chère Maison ! la joie de retrouver un foyer, de pouvoir dire : notre Maison, nos champs, nos vaches, ou bien cette belle jument et ce joli poulain, ils sont à nous !

Quel privilège de posséder une maman, la meilleure de toutes, puisqu'à la tendresse, elle joint la fermeté. Un papa dont nous aimons le bon sourire, et dont nous admirons l'endurance au travail et la connaissance si parfaite de tout ce qui concerne la vie des champs. Quelle joie de partir en promenade avec lui, alors qu'il mesure son pas au nôtre !

Et les chers tantes, institutrices, instituteur, des aides momentanées qui s'efforcent, non seulement de nous éduquer, de nous instruire, de nous apprendre à travailler, mais de nous élever jusqu'à Dieu.

Tu as parlé, chère Albertina, des « temps héroïques » de La Maison. Il est vrai que la vie nous a été rendue, à nous, plus facile ! Plus d'eau à aller chercher à la fontaine, plus d'innombrables petites lampes à nettoyer ; partout l'électricité ! À la cuisine agrandie, un auto-cuiseur où nous n'avons qu'à puiser, tout chaud, le porridge du déjeuner. C'est une heure de sommeil gagnée !

Et les lessives, donc ! Plus personne ne grelotte à la fontaine. Dans la buanderie chaude, écoutez chanter les fillettes dont les mains se démènent pour parfaire le travail de la machine à laver ; quelques tours d'essoreuse, et le linge séchera rapidement...
Que de bienfaits ! Ne les devons-nous pas tous aux soins de notre Père céleste ?

À mon tour de faire revivre quelques figures aimées : tout d'abord celle de notre chère grande soeur, Augustine Burnet, rose et souriante, auréolée de cheveux blonds ; ne la revoyons-nous pas, trottinant sans bruit, répandant autour d'elle une atmosphère d'apaisement ? Lorsqu'elle dut s'arrêter, sa chambre devint pour nous tous un vrai sanctuaire ; son départ fut lumineux...

À peu de distance, vous le savez, deux de nos chères camarades nous quittaient aussi : Rosa Büchler et Rose Rosier. Que leur vaillance devant la souffrance nous a émus, et quel vide elles ont laissé !

Il nous reste, hors de La Maison, de chaudes affections. Je nommerai d'abord tante Jenny. Sous son extérieur un peu rigide, nous, les filles, avions découvert un coeur d'or. Vous rappelez-vous comment, après le souper, nous nous accrochions à ses bras, à ses jupes, réclamant une caresse ou un baiser ; elle n'en était pas prodigue ; nous sentions qu'elle ne recherchait rien pour elle-même, Sa joie n'était pas de recevoir, mais de donner.

Et tante Hélène, comme elle savait développer et intéresser ses garçons ! À l'atelier, c'étaient de jolis travaux de découpage, de collage, de peinture. Maintenant, sur la terre lointaine, elle prie et intercède encore pour la grande famille.
Jour après jour, qui prie encore pour nous, et nous suit avec une tendre affection, c'est tante Elisabeth Hoffmann, la délicieuse maman de la petite troupe des bébés, puis celle de ses propres enfants.

Qui ne se souvient du temps d'épidémie ! Toute la maisonnée au lit et M. Pillard, instituteur, enfilant sa grande blouse d'infirmier, préparant les tisanes, récurant les escaliers, tout à la fois valet de chambre, aide de cuisine... quel cumul de fonctions !

M. Labarthe n'en eut guère moins. Ne fut-il pas tour à tour, ou simultanément, évangéliste, jardinier, boulanger et coiffeur, comme M. Lecoultre fut à son tour pasteur, horloger, plâtrier-peintre, encadreur ? Tout cela simplement, gaîment, avec la plus parfaite bonne humeur.

Comment oublier Mlle Bolomey, institutrice, se dépensant pour nous en classe et hors de classe. N'était-ce pas elle qui nous accompagnait à Luins pour la vendange, ou bien pour cueillir cerises ou pommes ?

L'un de nous n'a certainement pas oublié le jour où, arrachant de vieilles racines, il se plaignait de cet ouvrage pénible, et Mlle Bolomey, encourageante : Si ce travail n'était pas difficile, ce n'est pas à toi que maman Sergy l'eût confié ! Le visage de l'enfant s'éclaire et, plein d'un nouveau courage, il reprend son labeur.

... Savez-vous ce qui est une joie pour moi quand je reviens à La Maison ? C'est un bon morceau de pain! Du vrai pain, tel que l'a voulu pour nous M. le docteur Francken ; car vous savez qu'il nous aime, et veille depuis tant d'années à la santé de chacun, avec tout à la fois, un intérêt et un désintéressement complets.

Bien d'autres, dispersés dans le vaste monde, même jusqu'en Afrique, soupirent quelquefois : Ah ! La Maison, qu'on y vivait tranquilles et sans souci, entourés, consolés, portés par tant de prières...

Après la charmante évocation de ces souvenirs, les cadettes entourent « maman Sergy », qu'on installe sur le podium pour lui remettre une surprise... une clef d'or qui ouvre toutes les portes. Cette clef, c'est l'amour, et elle se trouve toujours dans la poche de maman Sergy. Et chacun reprend en choeur le refrain du chant composé par Mlle A. Pélaz :

Nous bénissons à cette heure
L'hospitalière demeure.
Sous son toit, la paix demeure,
0 doux nom de « La Maison » !

Le moment le plus émouvant fut celui où Mme Sergy présenta à l'assemblée son fils cadet, M. Jean Sergy, instituteur, qui allait devenir son collaborateur. Élevé à l'école de sa vaillante mère, il a appris à son contact ce qu'est une vie de service et d'entière consécration. La Maison voit ainsi rajeunir ses forces pour continuer sa grande mission.

Et tous ceux qui quittèrent Burtigny ce jour-là, bénissaient le Seigneur pour tout ce qu'ils avaient vu et entendu des merveilles de Dieu.

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