Souviens-toi
de tout le chemin que
l'Éternel, ton Dieu, t'a fait faire pendant
ces quarante années.
Deut.
8.
2.
C'est en 1939, le 16 juillet, que La Maison
célébra le quarantième
anniversaire de sa fondation.
Ce fut une journée
magnifique, qui réunit les anciens
élèves de La Maison, dont plusieurs,
devenus pères et mères, vinrent avec
leurs enfants. Ils rendirent ainsi, par leur
présence, un témoignage à
l'oeuvre qui s'était accomplie en eux.
N'était-ce pas le couronnement du but
entrevu par M. Moreillon et poursuivi par celle qui
lui succéda ? Recréer les
familles détruites, et travailler à
la fondation de foyers chrétiens où
règnent l'ordre, l'économie, le
travail et surtout la crainte de Dieu.
Ce n'est pas à dire qu'il n'y
ait eu bien des déceptions, mais il faut
rendre gloire à Dieu pour le grand nombre de
ceux qui sont un sujet de joie et de
reconnaissance. Si d'aucuns n'ont pas
été aussi fidèles qu'on
l'avait espéré, ils ont cependant
gardé l'empreinte reçue à La
Maison.
« Vous savez, dit l'un
d'eux, victime d'une triste
hérédité, quand on a
été élevé à La
Maison, on a des principes ; je ne fume ni ne
bois... », et il encourageait au bien ses
camarades plus jeunes.
Un culte fut
célébré dans le temple, et ce
fut une joie pour tous ceux qui avaient connu et
aimé Charles Moreillon, de voir monter en
chaire, à cette occasion, le pasteur Richard
Moreillon et d'entendre son témoignage dans
cette église même où la voix de
son père avait si souvent
retenti.
Prenant pour texte :
« Le témoignage de Christ ayant
été solidement établi parmi
vous
(1
Cor. 1. 6) », il a
relevé deux qualités essentielles qui
donnent au témoignage que rend La Maison, sa
puissante et suprême valeur : la
prière qui relie au Père
céleste dont elle dépend, et
l'humilité qui permet à Dieu de
répondre et de bénir.
Soeur Cécile, rappelant le
but entrevu par le fondateur de La Maison, et la
bonté de Dieu au travers de ces quarante
années, dit entre autres :
« Avez-vous manqué
de quelque chose ? », demanda
Jésus à ses disciples. - De rien,
répondirent-ils. - D'une même voix,
nous proclamerons aussi : nous n'avons
manqué de rien !
Nous n'avons surtout pas
manqué d'enfants ! Que de pauvres
petits, dont le foyer fondé à la
légère s'est dissous. Autant de
petites victimes qu'il eût été
douloureux de refuser.
Il a aussi toujours
été pourvu au personnel, soit pour un
temps de longue durée, soit pour de plus
courts remplacements. C'est une grâce aussi
que, jour après jour, Dieu soutienne,
encourage, renouvelle les forces et bénisse.
C'est là l'expérience faite par nos
chères collaboratrices, à la
tâche depuis 23, 18, 15 ans ou moins.
Oh ! les miracles que Dieu peut accomplir en
ceux qui se confient pleinement en
Lui !
Les ressources, de même, n'ont
jamais fait défaut. Tout dernièrement
encore, lorsque chaque ménage était
invité à faire des
provisions, l'argent nécessaire nous est
parvenu à temps. « Avant qu'ils
crient, je les exaucerai », dit
l'Éternel.
Le 1er juillet, nous ne
possédions que 1 fr. 85. Une dame fort
pressée, montée à pied de
Begnins et devant y redescendre pour prendre le
train, nous apportait 1000 francs. Son neveu, alors
bambin de quatre ans, avait été
hospitalisé bénévolement
à La Maison plus de vingt ans auparavant.
Cette dame n'avait ni engagement, ni obligation
vis-à-vis de nous, mais depuis longtemps
elle avait résolu de rassembler cette somme
importante. Jusqu'ici, des devoirs de famille l'en
avaient empêchée. Depuis deux jours
seulement, les 1030 francs étaient au
complet. C'est pourquoi elle se hâtait de les
apporter, en donnant d'excellentes nouvelles du
cher blondin frisé qui, à La Maison,
n'avait pas été
oublié.
Nous étions émus en
face d'une telle délicatesse et, dans la
reconnaissance, nos coeurs s'élevaient au
« grand Éducateur » des
consciences.
Et l'acquisition de la
source !
Quel témoignage tangible de la bonté
de Dieu. Il faut beaucoup d'eau à La Maison.
Quel privilège de pouvoir en employer sans
compter, sans avoir à exercer une
surveillance compliquée dans ce vaste
domaine.
La santé
générale à La Maison est
habituellement excellente ; cependant, la
grippe nous a parfois visités. Nous avons
vivement apprécié les soins du
Docteur Francken. Nos enfants l'appellent
« le bon docteur ». Ils disent
vrai. Son dévouement, son
désintéressement n'ont pas de borne,
et dans des circonstances plus
particulièrement pénibles, nous avons
trouvé en lui l'ami plein de
compréhension et de sympathie.
Pendant les quatre dernières
années, les recettes se sont
élevées à 139 730 fr. 50 cts,
et le solde en caisse, au 12 mai 1939, est de 661
fr. 55 cts. Ces
chiffres ne sont-ils pas éloquents ?
Les recettes de la ferme et les modestes pensions
n'auraient jamais suffi à l'entretien d'une
telle maisonnée, si le Père
céleste n'avait incliné les coeurs
à se souvenir de La Maison.
La moyenne des enfants a
été d'environ 52, de 8 mois à
16 ans. Après leur sortie d'école,
nos jeunes filles désirent presque toutes
aller en Suisse allemande, nos garçons en
apprentissage. Des familles, des patrons
boulangers, charpentiers, maréchaux,
jardiniers et autres ont souvent pris plusieurs de
nos enfants, et l'entente est
généralement bonne.
En terminant son rapport, Soeur
Cécile fait éclater sa
reconnaissance : « Mon âme,
bénis l'Éternel ! Que tout ce
qui est en moi bénisse son saint nom ( Ps.
103. 1) ».
Puis, M. le pasteur G. Bugnion,
qui
fut un grand ami de M. Moreillon, rappela quelques
souvenirs personnels des débuts de La Maison
et du ministère de son fondateur.
Après un dîner en
commun, copieusement servi, réunissant amis
et anciens élèves, ce furent de
charmantes productions des enfants, petits et
grands, et les chants joyeux
résonnèrent sous le hangar
décoré de verdure et de drapeaux.
Deux des aînées firent revivre leurs
souvenirs.
Albertine, une enfant de la
première heure, actuellement à la
tête d'une belle famille de neuf enfants,
qu'elle et son mari élèvent dans la
crainte de Dieu, parla des temps
héroïques du
début :
« Autrefois »
... Dans les premiers temps de
La
Maison, je revois celle que nous appelions alors
« Soeur Cécile », nous
racontant toutes sortes
d'histoires merveilleuses. Oh ! les belles
heures que nous passions ainsi suspendues à
ses lèvres.
Maintenant nous revenons à
elle, nous, ses chères grandes, avec le
même désir de tout lui raconter et de
l'entendre encore.
Vous vous souvenez de sa
mère, que nous nommions
« grand'mère » ?
Comme elle était modeste en tout, facilement
contente, excepté devant le travail mal
fait. Malgré nos sottises, nous avions toute
sa tendresse.
Qui pourrait oublier tante
Laure,
nous rassemblant tous autour d'elle les dimanches
de pluie ? Avec quel brio, quel entrain nos
voix se mêlaient aux notes grêles de si
cithare. Cantiques, romances, chants patriotiques,
tout notre répertoire y passait ! Elle
est partie, chantant encore, et nous l'avons
pleurée...
Ne sommes-nous pas émues
aussi à la pensée de tante Alice,
recueillant chez elle la plus
déshéritée, la pauvre petite
Tinette, qu'elle aima au travers de tout comme sa
propre enfant ? N'avait-elle pas, dès
la première heure, donné à La
Maison sa fille unique, tante Amélie, pour
nous un modèle de conscience, de droiture,
de travail, de foi inébranlable et de
coeur ?
Qui donc parmi vous, chères
camarades, n'a été le
bébé chéri de tante Emma
Richard ?... Et qui d'entre nous ne trouve
encore aujourd'hui, auprès d'elle, l'accueil
chaleureux de la parole qui
encourage ?...
Les garçons de ce
temps-là, comme ceux d'aujourd'hui, avaient
une tante Ida ; quelle bonne éducatrice
elle était aussi ! Son grand calme
faisait impression.
Cela me remet en mémoire la
première visite de tante Alice Schenk
à La Maison. Notre maman, entourée de
deux fillettes, récurait le corridor
lorsque, se retournant, elle aperçoit une
personne, grande, à l'expression
sérieuse, qui lui demande :
« Puis-je voir Soeur
Cécile ? » Et celle-ci de
répondre : C'est moi ! -
Ébahissement ! Quels bons rires nous
avons faits ! Elle aussi, depuis lors, a
donné de son temps et de son coeur. C'est ce
que fit, à son tour, tante Louise Briggen,
notre cuisinière du premier moment ;
quel courage et quelle bonté
l'animaient.
Tante Berthe Blanc était la
maîtresse jardinière, ce qui ne
l'empêchait pas de mettre la main à
tout.
Un nom encore, celui d'un cher
instituteur, M. Blanc. Plusieurs d'entre nous ont
grandement bénéficié de son
enseignement, et trois de ses élèves
ne sont-ils pas devenus instituteurs à leur
tour ?
C'est ainsi que chacun, nous le
sentions, était heureux de mettre ses dons,
ses forces et son coeur au service de Dieu tout
d'abord, et au service de tous.
Nous subissions cette influence,
n'est-ce pas ? car à côté
des joies, il y avait aussi les peines. - Ah !
que les lessives étaient parfois
pénibles, quand, avec nos mains engourdies,
il fallait, par la bise, laver et étendre le
linge qui, du coup, gelait sur le cordeau. Et
quelle besogne ardue, pour les garçons, que
de charrier l'eau pour toute la maisonnée,
par n'importe quel temps !
Mais tout se faisait avec
vaillance,
bonne humeur, même avec joie.
C'étaient « les temps
héroïques » de La Maison, car
il y avait beaucoup d'ouvrage et peu de personnel.
C'était aussi la vie au jour le jour,
semée d'épreuves et de
délivrances. Que de fois, vous vous en
souvenez bien, la huche s'est trouvée vide,
et la caisse aussi. On se rappelait alors le mot du
vénéré Monsieur
Moreillon : « Si le Seigneur fait
attendre, c'est qu'Il veut donner
davantage » !
Un samedi soir, notre mère
rentre joyeuse de la petite épicerie :
Voyez, dit-elle, il fallait du sucre, du
pétrole et des allumettes ; j'ai pris
avec moi tout le contenu de la caisse : 2 fr.
65.
Eh bien ! le
croyez-vous ?
la somme s'est trouvée exacte et voici nos
provisions.
Un dimanche, nous nous
demandions
où nous prendrions le pain nécessaire
au déjeuner du lundi. Dans
l'après-midi, un monsieur arrive, tout
essoufflé, de la forêt où il
avait trouvé 3 fr. 65. Avant de prendre son
train, il venait nous apporter cette somme. Comme
il ne voulait pas avoir eu si chaud pour si peu,
disait-il, il y ajoutait 10 francs.
Nous n'avons pas toujours
compris,
n'est-ce pas, ce que nous devions à tant
d'amis connus et inconnus, ni su, par la suite,
placer toute notre confiance en Celui qui est
« l'auteur de toute grâce
excellente et de tout don
parfait ».
Que cette journée nous parle,
c'est le voeu de celle qui se dit : Votre
aînée.
Après Albertine, ce fut le
tour d'Hélène Chollet
« Aujourd'hui »
Ah ! la chère
Maison ! la joie de retrouver un foyer, de
pouvoir dire : notre Maison, nos champs, nos
vaches, ou bien cette belle jument et ce joli
poulain, ils sont à nous !
Quel privilège de
posséder une maman, la meilleure de toutes,
puisqu'à la tendresse, elle joint la
fermeté. Un papa dont nous aimons le bon
sourire, et dont nous admirons l'endurance au
travail et la connaissance si parfaite de tout ce
qui concerne la vie des champs. Quelle joie de
partir en promenade avec lui, alors qu'il mesure
son pas au nôtre !
Et les chers tantes,
institutrices,
instituteur, des aides momentanées qui
s'efforcent, non seulement de nous éduquer,
de nous instruire, de nous apprendre à
travailler, mais de nous élever
jusqu'à Dieu.
Tu as parlé, chère
Albertina, des « temps
héroïques » de La Maison. Il
est vrai que la vie nous a été
rendue, à nous, plus facile ! Plus
d'eau à aller chercher à la fontaine,
plus d'innombrables petites lampes à
nettoyer ; partout
l'électricité ! À la
cuisine agrandie, un auto-cuiseur où nous
n'avons qu'à puiser, tout chaud, le porridge
du déjeuner. C'est une heure de sommeil
gagnée !
Et les lessives, donc !
Plus
personne ne grelotte à la fontaine. Dans la
buanderie chaude, écoutez chanter les
fillettes dont les mains se démènent
pour parfaire le travail de la machine à
laver ; quelques tours d'essoreuse, et le
linge séchera rapidement...
Que de bienfaits ! Ne
les
devons-nous pas tous aux soins de notre Père
céleste ?
À mon tour de faire revivre
quelques figures aimées : tout d'abord
celle de notre chère grande soeur, Augustine
Burnet, rose et souriante, auréolée
de cheveux blonds ; ne la revoyons-nous pas,
trottinant sans bruit, répandant autour
d'elle une atmosphère d'apaisement ?
Lorsqu'elle dut s'arrêter, sa chambre devint
pour nous tous un vrai sanctuaire ; son
départ fut lumineux...
À peu de distance, vous le
savez, deux de nos chères camarades nous
quittaient aussi : Rosa Büchler et Rose
Rosier. Que leur vaillance devant la souffrance
nous a émus, et quel vide elles ont
laissé !
Il nous reste, hors de La
Maison, de
chaudes affections. Je nommerai d'abord tante
Jenny. Sous son extérieur un peu rigide,
nous, les filles, avions découvert un coeur
d'or. Vous rappelez-vous comment, après le
souper, nous nous accrochions à ses bras,
à ses jupes, réclamant une caresse ou
un baiser ; elle n'en était pas
prodigue ; nous sentions qu'elle ne
recherchait rien pour elle-même, Sa joie
n'était pas de recevoir, mais de donner.
Et tante Hélène, comme
elle savait développer et intéresser
ses garçons ! À l'atelier,
c'étaient de jolis travaux de
découpage, de collage, de peinture.
Maintenant, sur la terre lointaine, elle prie et
intercède encore pour la grande
famille.
Jour après jour, qui prie
encore pour nous, et nous suit avec une tendre
affection, c'est tante Elisabeth Hoffmann, la
délicieuse maman de la petite troupe des
bébés, puis celle de ses propres
enfants.
Qui ne se souvient du temps
d'épidémie ! Toute la
maisonnée au lit et M. Pillard, instituteur,
enfilant sa grande blouse d'infirmier,
préparant les tisanes, récurant les
escaliers, tout à la fois valet de chambre,
aide de cuisine... quel cumul de
fonctions !
M. Labarthe n'en eut guère
moins. Ne fut-il pas tour à tour, ou
simultanément, évangéliste,
jardinier, boulanger et coiffeur, comme M.
Lecoultre fut à son tour pasteur, horloger,
plâtrier-peintre, encadreur ? Tout cela
simplement, gaîment, avec la plus parfaite
bonne humeur.
Comment oublier Mlle Bolomey,
institutrice, se dépensant pour nous en
classe et hors de classe. N'était-ce pas
elle qui nous accompagnait à Luins pour la
vendange, ou bien pour cueillir cerises ou
pommes ?
L'un de nous n'a certainement
pas
oublié le jour où, arrachant de
vieilles racines, il se plaignait de cet ouvrage
pénible, et Mlle Bolomey,
encourageante : Si ce travail n'était
pas difficile, ce n'est pas à toi que maman
Sergy l'eût confié ! Le visage de
l'enfant s'éclaire et, plein d'un nouveau
courage, il reprend son labeur.
... Savez-vous ce qui est une
joie
pour moi quand je reviens à La Maison ?
C'est un bon morceau de pain! Du vrai pain, tel que
l'a voulu pour nous M. le docteur Francken ;
car vous savez qu'il nous aime,
et veille depuis tant d'années à la
santé de chacun, avec tout à la fois,
un intérêt et un
désintéressement complets.
Bien d'autres, dispersés dans
le vaste monde, même jusqu'en Afrique,
soupirent quelquefois : Ah ! La Maison,
qu'on y vivait tranquilles et sans souci,
entourés, consolés, portés par
tant de prières...
Après la charmante
évocation de ces souvenirs, les cadettes
entourent « maman Sergy »,
qu'on installe sur le podium pour lui remettre une
surprise... une clef d'or qui ouvre toutes les
portes. Cette clef, c'est l'amour, et elle se
trouve toujours dans la poche de maman Sergy. Et
chacun reprend en choeur le refrain du chant
composé par Mlle A. Pélaz :
- Nous bénissons à cette heure
- L'hospitalière demeure.
- Sous son toit, la paix demeure,
- 0 doux nom de « La Maison » !
Le moment le plus émouvant fut celui
où Mme Sergy présenta à
l'assemblée son fils cadet, M. Jean Sergy,
instituteur, qui allait devenir son collaborateur.
Élevé à l'école de sa
vaillante mère, il a appris à son
contact ce qu'est une vie de service et
d'entière consécration. La Maison
voit ainsi rajeunir ses forces pour continuer sa
grande mission.
Et tous ceux qui quittèrent
Burtigny ce jour-là, bénissaient le
Seigneur pour tout ce qu'ils avaient vu et entendu
des merveilles de Dieu.
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