Il faut cesser ton oeuvre si tu veux que Dieu fasse la sienne. Martin Luther.
Charles Moreillon demandait à Dieu des hommes et des femmes
animés d'un même esprit, d'une même foi, d'une entière consécration,
prenant un même intérêt à la vie spirituelle de La Maison. Il
écrivait :
- Il ne faut pas seulement aux enfants abandonnés,
orphelins ou vicieux, du pain et des vêtements, mais aussi et surtout
un milieu, un intérieur, sérieux, affectueux, chrétien. C'est
l'éducation qui leur manque le plus et c'est ce qu'on a le plus de
peine à trouver.
- La Maison est ouverte à tous, mais la puissance de son
action chrétienne dépendra toujours de la valeur de son personnel
fixe ; le personnel mobile n'étant là que momentanément et pour
être formé, toute la charge que le Seigneur fera reposer sur La Maison
sera sur les épaules du personnel à demeure.
- L'oeuvre que le Seigneur nous impose n'est possible que
par le renoncement complet à soi-même et le port de sa propre croix.
Voilà pourquoi il importe de bien prendre garde, et si le
Seigneur disait à Gédéon de ne choisir qu'un très
petit nombre de soldats triés avec soin par certaines épreuves, Il
nous dit aussi d'apporter le même soin dans le choix du personnel.
Une seule question se pose : Est-ce que je veux, oui
ou non, consacrer ma vie au service du Seigneur ?
Je tiens à vous dire ces choses maintenant. Dans le but
de réduire les questions diverses qui peuvent se poser dans les âmes
hésitantes, je dis à l'avance qu'il ne sera pas donné de gage fixe au
personnel fixe. Je me réserve de donner moi-même, sans aucune règle ni
obligation, quelque chose de temps en temps, à part le logement, la
nourriture et une partie du vêtement ; de cette manière la
question pécuniaire n'induira personne en tentation. Ainsi nous
pourrons avoir un personnel d'un dévouement absolu.
La vie en Christ est le mot d'ordre secret de chacun. La
gloire du Père par le salut des âmes et la sanctification de la vie de
tous, tel est le but de La Maison.
Il ne se passait guère de jour où M. Moreillon n'allât
pas consacrer au moins quelques instants à La Maison, soit pour donner
quelques instructions pédagogiques, soit pour étudier un fragment de
la Parole de Dieu, cultiver la vie spirituelle, encourager, prier avec
le personnel, semer un peu de joie et d'amour dans les coeurs des
petits et des grands. Sa seule présence faisait toujours du bien. Son
sourire si bienveillant et encourageant, son regard si pur, si saint,
si pénétrant, chassait toute mauvaise pensée, toute crainte et tout
doute quant à l'amour de Dieu.
Son grand désir était non seulement de fonder un foyer
chaud et sain pour de pauvres enfants, mais aussi de créer une sorte
d'école de diaconesses, afin de préparer des ouvriers pour le
service de Dieu. Aussi accueillait-on comme aides temporaires les
personnes désireuses de se rendre utiles. Plus d'une a demandé à
rester au service de La Maison.
Les collaboratrices qui partageaient les responsabilités
de cette grande tâche étaient tenues au courant des besoins de
l'oeuvre et de la situation financière. Sans cette connaissance elles
n'auraient pu se joindre à la prière d'une manière efficace. Mais M.
Moreillon leur demandait formellement de ne rien révéler au dehors,
surtout dans les moments d'attente, car c'était de Dieu seul que
devait venir le secours.
Une des règles de La Maison était de ne contracter aucune
dette, selon la déclaration de la Parole de Dieu : « Ne
devez rien à personnel (Rom.
13. 8) » .
Parmi les collaboratrices de la première heure, qui se
sont consacrées sans réserve au service de La Maison, il faut citer
tout d'abord, aux côtés de la directrice soeur Cécile, la jeune Amélie
Bichet, dont la mère avait accueilli les premiers orphelins. Sa santé
délicate la forçait à certains ménagements. Avant la fondation de La
Maison déjà, alors qu'elle était catéchumène de M. Moreillon, elle
avait dû se soigner et quitter Burtigny.
Voici une lettre de son pasteur à ce moment-là.
6 nov. 1896. - Tu fais donc de l'exercice corporel pour
te fortifier. Cela est bien. Que Dieu te bénisse dans tout ce que tu
fais. Mais j'aime à croire que tu ne négliges point pour cela
l'exercice spirituel, celui que nous avions entrepris dans nos leçons.
Il est de toute importance, car que pouvons-nous faire de bon en
réalité sans la prière ? C'est comme si nous voulions travailler
de nuit sans avoir allumé notre lampe. Si nous savons prendre
le temps de manger, nous devons prendre aussi le temps de prier ;
le temps de manger permet d'absorber la nourriture qui périt, tandis
que le temps consacré à la prière nous permet de trouver la nourriture
éternelle. Aussi, que te dirai-je, sinon ce que saint Paul disait à
Timothée, qui était au milieu des Grecs, les premiers gymnastes de ce
temps-là : « Exerce-toi à la piété, car l'exercice corporel
est utile à peu de chose, tandis que la piété est utile à tout, car
elle a les promesses de la vie présente et celles de la vie à venir (1
Tim. 4. 8). » Saint Paul ne veut pas dire par là que
l'exercice corporel ne serve à rien, mais que si l'on compare son
utilité à celle de la piété et de la prière, il est infiniment moins
important. Aussi je viens te recommander de ne négliger ni l'un ni
l'autre, de façon que tu nous reviennes le plus vite possible et en
bonne santé.
Au renouvellement de l'année, il lui écrivait : -
... Comme le temps, les heures, les jours, les années
s'envolent ! Au milieu de tout ce qui s'en va n'y a-t-il rien qui
demeure ? L'homme, hélas, vole vers la tombe ; il a devant
lui dans l'avenir terrestre les chagrins, les déceptions, les deuils,
la mort ! Que reste-t-il qui ne passe pas ? Puisque Dieu est
éternel et qu'Il est amour, nous pouvons avoir l'assurance que tout ce
qui est amour, amour divin, restera au delà des chagrins, au delà de
la tombe dans la vie où Dieu sera tout en tous.
Plus tard, alors qu'Amélie dut interrompre sa tâche pour
prendre un peu de repos, son pasteur lui écrivait : - Ton devoir
est de te reposer. Si notre Seigneur savait prendre le temps
nécessaire pour se retremper dans la communion avec son Père céleste,
à plus forte raison, nous qui sommes plus faibles, devons-nous le
faire avec le plus de soin possible.
Dans une autre lettre, riche en sollicitude paternelle et
en considérations extrêmement élevées sur le pourquoi des épreuves, il
écrit :
- Que chaque journée de ta vie soit marquée par une
victoire et que tu comprennes, mieux que jamais, le sens divin de
l'épreuve. Tu sais déjà qu'elle est permise par Dieu, puisque
« tous les cheveux de notre tête sont comptés et que pas un
passereau ne tombe à terre sans sa volonté ». Tu sais aussi quel
est le but que le Père poursuit par le moyen de l'épreuve, puisque tu
connais cette parole de Christ : « Tout sarment qui porte du
fruit, le Père l'émonde, afin qu'il porte encore plus de fruit (Jean
15. 2) ». Toute épreuve spirituelle ou matérielle a toujours pour
but la production plus abondante des fruits de la vie filiale.
Le Ried s. Bienne, 2 mai 1901. - Me voilà tout seul, bien
installé dans la chambre nommée Béthesda, et je pense tout
naturellement au malade paralysé que le Seigneur a guéri au réservoir
de Béthesda (Jean
5). Je me compare à ce pauvre malade et me reconnais en lui. Par
la grâce du Seigneur, il n'y a pas encore 38 ans que je suis paralysé
par Satan dans mon âme, mais en tous cas je l'ai été trop longtemps.
Le Seigneur qui m'a dit tant de fois comme au paralytique :
Veux-tu être guéri ? me le redit encore et j'attends de Lui seul
la parfaite délivrance dont mon âme a besoin.
Et je pense que toi aussi, chère soeur, tu te reconnais
bien faible devant ta grande tâche. Nos yeux sont paralysés pour voir
le mal tel qu'il est en nous, nos oreilles pour entendre les appels de
Dieu, nos coeurs pour croire et pour aimer. Quelle stérilité, quelle
apathie, quelle impuissance naturelle, quelle sécheresse ! Mais
pour ceux qui ont assez d'humilité pour croire qu'ils
sont aussi paralysés que le malade de Béthesda et que par eux-mêmes.
aucune délivrance n'est possible, mais qui essayent cependant de
croire à la parole de Jésus : Veux-tu être guéri ? il y a
une délivrance, une guérison, une rédemption complètes. Jésus ne sauve
pas à moitié, mais entièrement ceux qui se donnent entièrement à Lui,
qui Lui remettent tout et savent tout attendre de Lui.
Tante Amélie fut à plus d'une reprise arrêtée dans sa
tâche par la maladie ; elle accepta la volonté de Dieu avec une
entière soumission et mourut à l'âge de 38 ans dans une paix parfaite.
Mlle Emma Richard fut aussi une des premières à la
brèche. Voici quelques fragments de lettres échangées entre elle et M.
Moreillon au moment de sa demande d'admission.
- J'aime à croire que ce n'est pas de notre consentement
seulement dont vous vous contentez pour prendre une décision. Car nous
ne voulons que ce que Dieu veut. Qu'il veuille que vous le serviez,
c'est certain, mais que vous le serviez dans La Maison, c'est une
question bien sérieuse. Il faut un appel de Dieu très précis et une
entière consécration. Comprenez-vous toute l'étendue du mot
« consécration », et de ces deux mots : « entière
consécration » ? C'est l'abandon complet du coeur, du corps
et de la vie au Saint-Esprit (qui est une personne, j'en ai acquis
maintenant la conviction après une étude sur ce sujet).
Aucune réserve ne doit être apportée. Y a-t-il en vous
une réelle vocation, c'est-à-dire un appel et une pression
divine ? Est-ce par amour pour le Seigneur Jésus que vous vous
consacreriez aux soins des enfants ? Seriez-vous assez aimante
pour vous dévouer sans réserve ? Je crois que toutes ces
questions doivent être remises sur le crible du Seigneur qui saura
tamiser le bien et le mal. Il faut se dévouer 365
jours par année et ceux qui le font par devoir ne peuvent qu'être
écrasés. Je ne dis pas cela pour vous décourager, mais uniquement pour
vous inviter à tout remettre entre les mains du Seigneur.
À ces lignes Mlle Richard répondit :
- Votre lettre m'a donné beaucoup à penser. Cependant,
avant de vous demander d'entrer à La Maison, j'avais bien réfléchi et
demandé au Seigneur de me montrer si c'est bien là qu'il me voulait
pour son service. Depuis longtemps je me sens appelée à Lui abandonner
ma vie, mais plus particulièrement depuis ma visite à La Maison
l'année dernière. J'ai entendu là l'appel de Dieu. Pendant cette année
écoulée j'ai senti toujours davantage le désir de me consacrer à Lui,
sans avoir pesé toutefois ce que demande une consécration pleine et
entière, mais je sais aussi que le Seigneur est tout-puissant pour
faire son oeuvre en moi ; je me suis donnée à Lui et Lui demande
instamment qu'il me purifie et me sanctifie, afin que je puisse faire
toute chose joyeusement et par amour pour Lui. Je me sens en communion
d'esprit soit avec vous, soit avec les soeurs pour la vie spirituelle
et pour le travail. Que Dieu veuille me diriger et me montrer d'une
façon précise la voie où Il veut que je marche.
Mlle Richard, qui devint « Tante Emma »,
consacra dix années de sa vie à La Maison où elle laissa un souvenir
béni. Elle devint ensuite directrice du « Refuge » à Genève.
À la fin de sa vie, se sentant gravement atteinte dans sa santé, elle
désira beaucoup revenir à La Maison où elle fut entourée des plus
tendres soins jusqu'à son départ.
Mlle Laure Cousin, « Tante Laure », fit un
premier stage à La Maison en 1903, puis y revint
comme collaboratrice. Nous retrouvons dans son « journal »
des pages qui font pénétrer dans l'intimité de son âme et de la vie de
La Maison :
Serrières, 14 juin 1903. - Je serais heureuse de passer
quelque temps dans votre Maison où j'aimerais tant être instruite par
le Seigneur dans l'exemple de la pratique de la vie, dans la charité
et dans l'union avec votre personnel en activité.
Je ne connais pas encore cette vie consacrée au Seigneur,
ce travail fait par Lui et pour Lui seul, sans attendre des hommes ni
gages ni récompense ; je suis attirée de ce côté-là, aussi je
suis certaine que si c'est bien l'Esprit de Dieu qui me pousse à vous
faire cette demande, il vous sera possible de me recevoir...
3 août 1903. - Dès mon arrivée, Soeur Cécile qui est la
directrice de toute cette grande maisonnée, m'a prié de donner un coup
de main à la cuisine, ce que j'ai fait avec plaisir, mais sans grande
connaissance. Je fais de mon mieux, comme pour le Seigneur et non pour
les hommes.
Nous avons en tout 17 filles, 23 garçons et 16 tout
petits.
Parmi les aînées, plusieurs jeunes filles se sont données
au Seigneur ; leur conduite et leur travail témoignent qu'elles
désirent servir Jésus joyeusement et prouver leur reconnaissance
envers notre bon Père céleste, qui pourvoit à tous les besoins de La
Maison.
Ces besoins sont grands, très grands, aussi je
m'imaginais que les personnes à la tête de La Maison devaient être
saisies d'angoisse quand la caisse est vide et... les provisions au
bout. Mais Soeur Cécile me dit que c'est toujours merveilleux comme le
Seigneur donne, au moment voulu, juste l'argent voulu pour les besoins
pressants.
M. Moreillon m'a dit que le Père, qui connaît chacun des
besoins de sa Maison, tient quelquefois sa main
comme fermée mais pleine, jusqu'à ce que tous, enfants et grands,
prient et que leurs prières deviennent plus conscientes, surtout de la
part des enfants qui oublient vite que tout leur vient directement de
la main de leur Père céleste.
Hier M. Moreillon, au culte du soir, faisait ressortir la
nécessité de nous tenir constamment dans la présence du Seigneur, afin
d'être rendus capables, calmes et sages, même dans les détails du
travail. C'est si vrai, qu'il ne sert de rien de s'énerver parce que
tout va de travers, ou de prendre peur ou aussi de se dépenser
inutilement, se chargeant d'un excès de travail, alors que tout irait
mieux, si nous étions tellement dans la présence du Seigneur, qu'au
moment voulu Il nous montrerait une issue, nous permettant d'accomplir
la tâche plus rapidement et avec moins de fatigue.
17 août 1903. - Ce soir tous sont invités à se réunir
pour demander au Seigneur son secours, car la caisse est vide et il y
a plusieurs notes à payer.
Une dizaine de nos grandes filles sont présentes, un seul
garçon s'est joint à nous ; cela nous peine de ne pas voir tous
nos grands s'unir d'un seul coeur pour demander avec nous la
délivrance.
M. Moreillon invite chacun à rappeler un verset de la
Bible contenant une promesse, une invitation à demander toutes choses.
La Parole de Dieu est si riche ! Après s'être arrêté surtout sur
« demandez » et « en mon nom », nous prions ;
oh ! combien il est précieux de savoir que Dieu nous
entend ! qu'il nous attend, et que nous pouvons compter sur Lui.
L'argent, Dieu n'en manque pas, mais c'est nous qui ne
sommes pas toujours prêts. Le Seigneur arrête la dispensation des dons
matériels jusqu'à ce que nous soyons dans les dispositions voulues
pour les recevoir.
Souvent nous mettons, par un manque de confiance, de
charité, de persévérance, par la dissipation de notre temps - ou plus
encore de nos paroles - un empêchement à la bénédiction de Dieu.
Je n'ai jamais compris si bien jusqu'à ce soir, que
l'enfant de Dieu qui veut se consacrer à son service, n'a plus le
droit de rien distraire ni de ses biens, ni de son temps, ni de ses
dons, rien, mais tout doit être au service du Maître.
18 août. - Ce même garçon présent hier soir à la réunion
de prières, nous a fait une surprise ! Descendu à Rolle, pour des
commissions, il a profité de vendre une vieille cuvette de montre en
argent, ce qui lui a rapporté de quoi acheter un kilo de sucre, et 20
cts lui sont restés. Il a rapporté son sucre avec les autres
provisions et avec joie l'a donné à Soeur Cécile. Cette attention nous
a réjouis. J'aime à croire que son action lui a procuré la joie que
Dieu met au coeur de celui qui donne gaiement. La veille, une fillette
avait déjà remis pour le vendre, un petit bracelet en argent qu'elle
avait reçu d'une amie : « On ne porte pas des machines comme
ça à La Maison », m'avait-elle dit ! Oh ! non, bien sûr
que nous leur préférons les ornements incorruptibles d'un esprit doux
et paisible.
20 août. - Aucun secours n'est venu, sinon quelques
francs par des amis de passage ; les jardins pourvoient presque
entièrement à notre alimentation, et c'est bien heureux que sous ce
rapport tout rende plus qu'on n'attendait.
22 août au matin. - Un besoin d'intercession toujours
plus grand se fait sentir pour supplier notre Père céleste d'avoir
pitié de nous. C'est le jour où il faudrait payer
les ouvriers, acheter quelques provisions indispensables, et nous
n'avons toujours point d'argent. Mais c'est le matin et il ne faut que
peu de temps au Seigneur pour nous envoyer un secours d'argent, et
c'est avec confiance que nous attendons sa délivrance.
... Oh ! Dieu, nous ne voyons pas d'issue, mais nous
voyons ta main de Père qui aime s'ouvrir, et nous te supplions de
pourvoir ; tu le feras, nous le savons, pour ta gloire.
Pour moi, je te bénis de ce que tu me fais entrer avec
les soeurs et les enfants dans une plus réelle communion avec toi,
apprenant pour la première fois à m'attendre à toi avec foi.
22 août, au soir. - M. Moreillon a reçu 30 francs de
petites filles riches de Genève ; c'est donc assez pour les
besoins pressants. Gloire à Dieu.
Après avoir quitté momentanément la Maison pour chercher
la volonté de Dieu à son égard, Tante Laure écrit : - Le Seigneur
est bon, Il a tracé ma route et rendu claire sa volonté à mon égard.
Je me trouve de par Lui engagée définitivement dans La Maison.
Il m'a dit : « Que t'importe, toi
suis-moi ».
Peu avant une fillette disait dans sa prière si
confiante : « Envoie-nous Tante Laure ! » et j'ai
répondu du coeur : Oui, Jésus, si c'est ta volonté.
Août 1907 (quatre ans se sont écoulés). - Est-ce à dire
que nos enfants, parce qu'ils ont été un temps plus ou moins long dans
La Maison, sont tous des flambeaux prêts à porter la lumière de Jésus
dans le monde ? Cet honneur est offert à tous, mais trop rares
sont ceux qui l'acceptent, aussi de jour en jour davantage avons-nous
à intercéder pour que le Saint-Esprit fasse en leur coeur cette oeuvre
de purification et de sanctification en Jésus. Il
faut nous réjouir par la foi de ce que ces enfants, après avoir tout
reçu directement de Dieu, viendront aussi en retour Lui offrir leur
vie.
1910. - J'ai vécu des jours bien sombres à cause de la
méchanceté de nos grands garçons ; il me semble que je suis
labourée d'épreuves et cela, joint à un dépouillement par lequel mon
Maître juge bon de me faire passer, me pousse en avant dans le chemin
étroit où l'on marche seul avec Jésus. Mais que dire de la fidélité et
de l'amour infini de notre Père céleste !
Nous avons 60 enfants, et chausser, vêtir, nourrir tout
ce petit monde, ce sont jour après jour des délivrances merveilleuses,
petites et grandes. Dieu ne regarde pas à nous-mêmes, pour nous bénir,
Il dit : « C'est pour l'amour de moi, pour l'amour de moi,
que je veux agir ». « Quand les montagnes chancelleraient,
mon alliance de paix ne chancellera pas (Esaïe
48. 11 et 54.
10) », et j'ajoute : « Non pas à nous, Éternel,
non pas à nous, mais à ton nom donne gloire ! (Ps.
115. 1) ».
« À Celui qui peut faire infiniment au delà de tout
ce que nous demandons... à Lui soit la gloire ( Ephés.
3. 20-21). »
- Dans les derniers mois de cette année notre tendre Père
a fait passer comme à nouveau bien des âmes par une nouvelle
naissance ; dans ce chemin j'ai aussi appris à ne plus mettre ma
confiance dans aucune oeuvre qui soit le produit de ma bonne volonté
ou de mes efforts propres, mais à regarder seule possible et vraie, la
vie de puissance par Christ demeurant en moi. Je pourrais ajouter que
j'ai eu la folle et pauvre ambition de compter sur des fruits de mon
service, et cela trop particulièrement, en sorte qu'au bout de
plusieurs années, j'ai dû constater que je ne
pouvais pas convertir un seul de mes chers garçons. Oh ! quel
long tunnel j'ai passé pendant ces derniers deux ans, avec des
« à quoi bon ? »... « Je ne puis pas », et
voici, dans sa grande miséricorde, Jésus a rayonné en mon âme ;
Il m'a accordé de saisir avec une foi ferme et inébranlable sa
puissance de résurrection, et je puis dire en vérité, sans plus rien
attendre de moi ni des autres, la parole de Paul : « Je puis
tout par Christ qui me fortifie (Philipp.
4. 13) ». Rien n'est impossible à Dieu. 0 gloire, honneur,
louange à notre Dieu et Père !
Après 18 années d'une vie entièrement consacrée à Dieu
dans la tâche difficile de l'éducation des garçons aînés, Tante Laure
mourut subitement en 1921, en pleine activité, à l'âge de 49 ans. Son
départ creusait un vide immense dans La Maison et fut un coup
douloureux pour Soeur Cécile si intimement liée à elle.
Elle avait appris mieux que personne cette vie de foi
entièrement dépendante de Dieu, à laquelle elle aspirait à son entrée
à La Maison.
À son décès on trouva dans son porte-monnaie 40
centimes : c'était tout ce qu'elle possédait ! Elle avait
tout donné, et vivait sans inquiétude, dans une parfaite confiance que
son Père céleste ne l'abandonnerait jamais. « Je me confie dans
la bonté de l'Éternel éternellement et à jamais (Ps.
52. 10). »
Un mot encore sur une des enfants de La Maison qui devint
une précieuse collaboratrice.
Augustine, avec sa soeur Amélie, furent après la mort de
leur mère - une vraie chrétienne - soustraites à un père buveur. Elles
avaient 10 et 12 ans et très vite Augustine se donna à Dieu,
tout entière et sans retour. Sa frêle santé - elle souffrait d'un vice
au coeur dès sa naissance - ne lui permit pas de poursuivre un
apprentissage de couturière ni de prendre un service au dehors. Elle
resta donc à La Maison où elle eut une influence bénie sur les
enfants. Remarquablement douée, d'une vie spirituelle profonde, elle
exerçait, par sa seule présence, une douce autorité. Il lui suffisait
d'entrer dans une chambre où régnait un bruit assourdissant pour que
le calme et le silence s'établissent aussitôt. Elle travaillait à La
Maison lorsque Renée van Berchem (plus tard Renée de Benoît) vint y
faire un stage, dans l'été 1909. Ces deux âmes étaient faites pour se
comprendre et pour s'aimer, unies dans un même amour pour leur
Sauveur.
Dieu reprit Augustine à Lui à l'âge de 38 ans. - Au cours
de sa dernière maladie, elle a été merveilleusement soutenue, écrit
Soeur Cécile, et a rendu un beau témoignage. Le docteur lui-même a
dit, après avoir fait une ponction : « C'est une
sainte ». Les angoisses, les étouffements, qui vont si souvent
avec l'hydropisie, lui ont été complètement épargnés. Elle était si
paisible et si joyeuse, accueillant chacun avec un sourire. Sa soeur
Amélie a pu venir de Hambourg. Elles ont été si heureuses d'être
ensemble !
Au commencement de janvier, Augustine s'est rendu compte
que ses jours étaient comptés. Bien des petites choses de son enfance
lui sont revenues à la pensée ; elle a désiré les dire, s'en
décharger et depuis lors, ce fut le plein repos, la paix parfaite, un
vrai rayonnement de tout son être, se réjouissant d'une joie ineffable
et glorieuse à la pensée d'être auprès de son Sauveur. C'était le
triomphe sur la mort. « La mort a été engloutie
dans la victoire. O mort, où est ta victoire ? ô mort, où est ton
aiguillon ? (1
Cor. 15. 54-55) »
La dernière nuit de sa vie, elle a apporté à haute voix
au Seigneur tous ceux des enfants qu'elle avait plus particulièrement
sur le coeur. Elle chanta encore cette strophe de cantique :
Dans le pays là-haut - Où je serai bientôt,
Rien ne ternira plus - Le bonheur des élus.
Au matin, c'était le 30 janvier 1926, tout à coup, sa tête s'inclina
et l'instant d'après elle avait quitté cette terre.
Elle a rejoint Renée dans le séjour de la lumière et
elles chantent toutes deux la gloire de Celui qui les a rachetées.
Nous n'avons parlé que des collaboratrices que Dieu a
reprises à Lui. D'autres encore se sont consacrées sans réserve à leur
tâche auprès des orphelins ; elles ne sont pas nommées ici, mais
leurs noms et les noms de toutes celles qui viendront dans la suite
combler les places vides, sont inscrits dans le Livre de Vie. Elles ne
perdront pas leur récompense.
Dieu seul sait ce que furent pour la vie et le
développement de La Maison, ces fidèles collaboratrices ne demandant
rien pour elles-mêmes, s'attendant joyeusement à Lui pour tout ce qui
leur était nécessaire.
« Dieu n'est pas injuste pour oublier voire travail
et l'amour que vous avez montré pour son nom (Hébr.
6. 10). »
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