Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Chapitre premier

L'APPEL DE DIEU

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- Charles Moreillon ; sa vision
- Cécile Burnet ; sa préparation


Tire de moi ta gloire en faisant de moi ce que tu voudras. Rien pour moi, tout pour toi. Frédéric Godet

En quittant le chemin de fer qui longe le lac Léman, peu après la petite ville de Nyon, vous trouvez à la station de Gland un tram électrique. Il vous conduit dans le beau village de Begnins, enfoui dans la verdure. De là, un autobus monte dans les localités éparses au pied du Jura et s'arrête tout d'abord à Burtigny, situé à 700 mètres d'altitude environ.

Avant d'entrer dans le village, à votre gauche, se dresse le clocher de l'église. Le vieux tilleul, plusieurs fois séculaire, étale ses larges branches sur la petite place devant le temple ; tout près de là, vous apercevez la cure aux volets blancs et verts, demeure du pasteur de cette grande paroisse. Les maisons, l'auberge, l'école, l'épicerie, la poste, s'étagent sur les deux côtés de la grand'route qui s'élève vers le Jura.

Si vous montez jusqu'à la lisière de la forêt toute proche, vous jouissez d'un panorama grandiose sur la contrée. Les bois, les ravins, les champs, les plaines, les villages entourés de leurs vergers, descendent en échelons successifs jusqu'au lac que vous voyez presque dans son entier, encadré par les montagnes de Savoie et la cime immaculée du Mont-Blanc.

Mais si la nature se révèle ici dans toute son harmonieuse beauté et la splendeur de sa gloire, autre chose nous invite à nous arrêter, car, cet humble village du canton de Vaud, pareil à tant d'autres, Dieu s'est plu à l'honorer en y suscitant une oeuvre de foi et d'amour dont le rayonnement s'étend au loin.

Une lumière ne peut être cachée. « On n'allume pas une lampe pour la mettre sous le boisseau (Matth. 5.15) », c'est pourquoi il est temps de raconter à ceux qui n'en ont pas encore entendu parler, les grandes choses que Dieu a faites en faveur de La Maison et des nombreux orphelins qui ont trouvé là le foyer familial et l'amour qui leur a manqué.

Avant de parler de quelques-unes des interventions de Dieu en faveur des enfants orphelins et abandonnés, il faut dire un mot de celui qui eut la vision de cette oeuvre de miséricorde et qui en a été le fondateur.

Charles Moreillon était un enfant du canton de Vaud ; il naquit le 9 novembre 1871, et fut élevé au sein d'une famille chrétienne, entouré de l'affection de ses parents et d'une joyeuse cohorte de sept frères et soeurs, dans la propriété de Mimoret, non loin de Burtigny.

Cette belle vie de famille, loin de le rendre égoïste, le poussa au contraire à penser aux enfants déshérités de ce monde, à tous ceux qui ne jouissaient pas des mêmes privilèges que lui et ignoraient le bonheur d'une heureuse enfance. Très jeune, il ouvrit son coeur à l'amour de Dieu ; il avait soif de connaître la relation de l'âme avec son Père céleste et ce fut poussé par ce désir qu'il entreprit des études de théologie, pensant qu'il apprendrait là le grand secret de la communion intime de l'âme avec Jésus-Christ, à laquelle il aspirait si ardemment.

Ce ne fut pas par les hommes qu'il devait découvrir ce mystère, mais par une révélation de Dieu lui-même, par le Saint-Esprit. Ah ! comme il a su dans la suite parler de cette vie « en Christ », qui devait devenir le ressort caché de son ministère. « Quand l'Écriture parle du baptême de Saint-Esprit et de feu, je puis rendre témoignage, à la gloire de Dieu, que j'en ai fait l'expérience », dira-t-il plus tard.

Charles Moreillon n'avait que 23 ans lorsqu'il fut installé comme pasteur de la paroisse de Burtigny, le 1er janvier 1895. Il avait épousé en 1894 Mlle Valentine Poudret qui allait partager son ministère et s'associer à toute son activité. Dans les années qui suivirent, une belle couronne de cinq enfants vint enrichir cet heureux foyer.

La vie religieuse de cette grande paroisse était fort négligée lorsque Charles Moreillon en prit la charge. Ni École du dimanche, ni groupement de jeunesse. Les cultes étaient peu fréquentés et le pasteur ne faisait point de visite. Tout était à créer. Avec zèle le jeune serviteur de Dieu se mit à l'oeuvre.

Il fonda l'École du dimanche, une section de la Croix-Bleue, un choeur paroissial. Doué pour la musique, il entraînait les jeunes avec son violon, pendant que Mme Moreillon tenait l'harmonium. Il donna lui-même des leçons de solfège à ceux qui le désiraient.
Il fit surtout beaucoup de visites, cherchant à encourager les parents à instituer le culte de famille dans leur foyer. Avec quel soin il instruisait ses catéchumènes, sentant toute sa responsabilité à leur égard. « Paissant le troupeau de Dieu qui était sous l'on peut s'attendre à la disparition de toute espèce d'idéal individuel et familial.
- Oh ! si vous saviez ce que c'est qu'une vraie famille. C'est l'oeuvre que Dieu a entreprise en appelant toutes les créatures à être ses enfants, et c'est l'oeuvre qu'Il nous appelle à fonder ici-bas. Faites tout ce que vous pouvez pour rendre la famille unie, sainte, joyeuse et forte, de telle sorte que chacun de ses membres s'y plaise et aime à y revenir.
- Qu'est-ce qu'une famille dont les membres ne prient pas les uns pour les autres ? Le salut des vôtres vous a-t-il sérieusement préoccupé ? Est-ce que votre affection pour eux a eu pour but premier de les arracher au péché, au monde, à la mort spirituelle ? Les avez-vous aimés de telle manière qu'en se sentant aimés par vous, ils se sont sentis en même temps aimés par le Seigneur ?

C'est sans doute la haute idée qu'il avait de la valeur de la famille qui a poussé Ch. Moreillon à s'occuper de beaucoup de ceux qui en étaient privés et qui n'ont jamais été aimés.
- Alors nous comprendrons, dit-il, que notre famille, c'est toute l'humanité ; alors aussi nous chercherons à réaliser jusqu'au bout cette justice du Royaume de Dieu qui consiste à donner à tous, et non seulement à ceux qui portent notre nom, l'amour qui leur a manqué. (Voir appendice a.)

Deux familles chrétiennes dans le village de Burtigny furent pour Charles Moreillon de précieux appuis dans le travail qu'il allait entreprendre. Ce furent Mme Bichet et sa fille Amélie, qui recevront dans leur maison les premiers orphelins, puis Mlle Beney et sa soeur Mme Burnet, dont la fille Cécile aura une si grande part de responsabilité dans La Maison.

Cécile Burnet fut élevée par sa mère, femme vaillante et courageuse, habituée aux durs travaux des champs, et d'une piété admirable. Sa tante, Mlle Beney, chrétienne vivante, exerça aussi une profonde influence sur l'éducation et le développement spirituel de sa jeune nièce.

Si nous remontons d'une génération plus haut, nous voyons dans le grand-père maternel de Cécile, M. Beney, un chrétien comme on aimerait en rencontrer beaucoup dans nos villages du canton de Vaud. Il habitait le Vully, près de Morat. Chaque soir, à la fin d'une journée de labeur, assis près du grand fourneau de molasse, entouré de ses six enfants, il ôtait respectueusement son bonnet de velours noir et lisait la Parole de Dieu dans la grosse Bible de famille, puis élevait son coeur dans la prière. Comme on touche du doigt la bénédiction qui repose sur les enfants et sur les enfants de leurs enfants de ceux qui gardent les commandements divins et qui donnent à Dieu la première place dans leur vie !

Cécile fut une élève assidue et bien douée. À 15 ans déjà, elle termina ses études avec succès. Elle vint à Genève où elle eut le privilège de faire son instruction religieuse avec le pasteur Louis Choisy. Après un apprentissage de couturière, puis de repasseuse, elle entra en place dans la famille du docteur Kummer. À 18 ans elle partit pour la Hollande. Sa tante, Mlle Beney, avait été institutrice dans une famille de l'aristocratie, et à son tour Cécile eut la charge de deux charmantes fillettes à qui elle enseigna le français et qu'elle eut la joie d'amener à la connaissance du salut en Jésus-Christ. Elle eut le privilège de faire de beaux voyages, visita Berlin, Londres, Paris, Venise. En été les vacances se passaient en Suisse, souvent à Montreux, ce qui lui donnait l'occasion de revoir Burtigny et les siens. Après quatre années vécues dans cette charmante famille, elle revint auprès de sa mère gravement malade.

C'est alors que Ch. Moreillon, de plus en plus préoccupé du triste sort des orphelins et des enfants moralement abandonnés, se sentit pressé par Dieu d'ouvrir une maison pour les accueillir et leur donner un foyer chrétien. À l'exemple de Georges Müller en Angleterre, il se proposait de s'appuyer sur Dieu seul pour recevoir de Lui toutes les ressources nécessaires. Il demandait tout d'abord une collaboratrice pour le travail qu'il allait entreprendre et vit en Cécile Burnet celle que Dieu avait préparée pour cette tâche.

Par son éducation familiale elle avait appris ce qu'est la vie à la campagne et connaissait les travaux du ménage et des champs. Son séjour à l'étranger révéla ses dons d'éducatrice. Elle eut l'occasion, par ses voyages et les relations de la famille où elle était fort appréciée, d'élargir son horizon. Elle acquit ce qu'elle avait déjà par nature, cette distinction, ce quelque chose d'indéfinissable qui inspire le respect, donne l'autorité et attire les coeurs. Par sa vie intérieure si profonde, sa relation avec Dieu, sa grande humilité, son amour, le don si complet d'elle-même, elle était bien la personne qualifiée pour se consacrer à l'enfance malheureuse. Elle partagea pleinement la vision de M. Moreillon « d'une marche par la foi ».

L'institut, qui devait porter le nom de « La Maison », prenait comme pierre angulaire sur laquelle elle allait être fondée, cette parole de Jésus : « Cherchez premièrement le Royaume de Dieu et sa justice, et toutes ces choses vous seront données par-dessus (Matth. 6. 33). »
- Nous voulons en tout chercher la volonté de Dieu ; avec sa force obéir à ses ordres et compter sur sa promesse : Les autres choses, les ressources, la nourriture, les vêtements, nous seront donnés par-dessus.
- Ce dont je me réjouis fort, écrivait Ch. Moreillon, c'est non seulement de m'occuper des êtres inutiles et malheureux, mais encore de montrer à ceux qui nous traitent d'exaltés, parce que nous nous confions uniquement aux promesses et aux ordres du Maître, que réellement il y a pour ceux qui se confient en Lui, un Dieu qui entend et qui délivre.
- C'est un peu nouveau pour nos populations que de marcher par la foi, en prenant au sérieux la Parole de Dieu, mais l'exemple convaincra mille fois mieux que les paroles. Nous avons nos ordres ; pour les accomplir nous avons nos promesses, et Celui qui les a faites est fidèle.

Voici quelques fragments de lettres adressées à Cécile peu avant la fondation de La Maison.
- Vous entrevoyez l'inutilité d'une entreprise ou d'une vie quelconque sans Christ. Aussi je viens vous dire que tout en persévérant dans la voie de l'humilité, il faut en même temps croire à l'action réelle et immédiate du Seigneur en nous.
- J'espère que vous profitez des circonstances, tout d'abord pour aimer les âmes que vous rencontrez... Faites-vous aimer de tous si possible, non pour vous mais à cause du Seigneur, et servez-vous de la confiance et de l'affection que l'on vous témoigne pour accomplir doucement mais sûrement votre tâche... Je vous ai dit que vous verriez des choses magnifiques, entre autres des épreuves dont l'issue sera toute à la gloire de Dieu.
- Il faut que la vie que Dieu vous prépare soit bien sérieuse dans son but et bien active dans la manière de la remplir pour que Dieu m'oblige à vous poursuivre ainsi que je le fais jusqu'à ce que vous soyez prête. Si cela parait à d'autres trop accablant, nous devons au contraire être reconnaissants envers Dieu de ce qu'il veuille bien nous honorer d'autant de confiance, et c'est déjà pour moi une immense récompense que Dieu ne me permette pas de perdre un seul jour de ma courte vie... Il veut que nous portions beaucoup de fruits, nous ne saurions trop nous en persuader.
- Maintenez-vous non seulement une âme forte, vivante, rompue à toutes les éventualités, préparée par bien des expériences et d'abondantes prières, mais maintenez-vous aussi une belle et forte santé...

La lettre qui suit nous montre l'humilité de ce serviteur de Dieu et combien il se sentait faible, incapable et indigne par lui-même.

14 mars 1898
. - Je ne suis qu'un homme misérable à qui Dieu, par une pitié qui ne se mesure pas, fait la grâce de subsister encore quoiqu'il ne le mérite pas. Je suis loin de glorifier Dieu comme je viens d'y inviter votre tante. Si vous saviez combien en réalité je me sens petit et faible. Pourquoi vous cacherai-je toute ma misère ? Vous croyez trouver en moi une conscience délicate et pourtant voyez quelle peine j'ai à tenir la balance de la justice parfaitement égale ; je ne sais pas aimer tous les hommes pareillement comme de vrais frères et soeurs. Vous croyez que mon intelligence peut vous venir en aide, hélas ! chère Cécile, mille fois non, car je ne prie pas assez. À peine puis-je suffire à mes besoins. Ah ! je suis loin d'être la lumière qui, mise sur le boisseau, doit éclairer toute la maison.

Pauvre paroisse que celle de Burtigny au point de vue de celui qui a pour mission de la faire vivre pour la gloire du Père ! Vous croyez que j'ai du coeur... non, je ne prie pas assez. Je n'ai pas non plus assez de volonté, je ne sais pas vouloir malgré tout. Et ma foi, quelle pauvre foi !
Si vous saviez combien ma tâche est grande ! Autrefois je me croyais fort, maintenant je sens toute ma faiblesse. Dieu m'appelle à le glorifier dans cette paroisse d'abord et je ne sais pas le faire. Il m'appelle ensuite à le glorifier avec les miens, et vous et d'autres, en venant au secours des orphelins malheureux, en venant en aide aux âmes égarées... Il m'appelle à être un instrument puissant de réveil dans notre pays, et je suis si mal préparé à cela.

J'essaie de me mettre à l'oeuvre ; je sais qu'avec Dieu je puis tout par Christ, mais la vie vraie, forte, pleine, débordante, éternelle, sainte, n'abonde pas en moi, des fleuves d'eau de la vie ne jaillissent pas de moi. Les âmes meurent autour de moi sans que je les amène à la vie par Jésus-Christ.
Et cependant Dieu ne diminue pas la tâche. Il m'appelle à le glorifier en relevant les âmes abattues comme la mienne. Je ne veux pas dire que je suis sans courage, mais je ne prie pas assez. Priez donc le Père au nom de Christ, afin que je sache prier avec puissance et alors la montagne ira d'elle-même se jeter dans la mer. J'ai plus besoin de vous que vous de moi...

Cette lettre nous permet de pénétrer dans cette âme qui avait de si profondes aspirations et un sentiment si grand de tout ce qui lui manquait.
Nous verrons dans la suite comment Dieu a répondu à ses aspirations et a fait de lui un des hommes de prière les plus puissants de notre pays.

Peu de jours après, il écrivait ceci :
- J'espère que vous n'avez pas cru que j'étais découragé. En effet je ne le suis pas, je ne l'ai jamais été et j'espère ne l'être jamais. Ce que je voulais dire, c'est que je sentais mieux la grandeur de la tâche dont Dieu me charge ; c'est aussi que je me rends compte de mon extrême faiblesse et enfin que, sachant que Dieu est la source en Jésus-Christ de tout ce dont j'ai besoin, je ne sais cependant pas assez vite et assez bien demander au Père au nom de Jésus-Christ, cette force vraiment colossale et inouïe. C'est afin que je n'apporte plus de retard dans la consécration de mon être tout entier, corps et âme, au service de la gloire du Père, que je vous ai dit ces choses en vous demandant de prier ardemment pour que Dieu agisse avec puissance et pour que, de mon côté, je n'oppose plus la moindre résistance. Je n'en ai jamais opposé en réalité, mais ce qui revient en somme au même, c'est que je ne me prépare pas assez à cette admirable tâche à laquelle vous êtes aussi appelée à travailler.

Ce qui me manque le plus, c'est l'Esprit de Dieu. Il me le faut, à moi le premier, pour pouvoir faire plus de choses, les faire plus vite et mieux. Tout cela ne dépend que de la présence de l'Esprit du Père descendant en moi. Il vous est nécessaire, comme à tous ceux que Dieu prépare avec vous à l'oeuvre qu'Il vous demande d'accomplir, mais il importe que moi le premier je sois abondamment baptisé de la force d'En haut. Oh ! si vous saviez comme cela va plus vite et mieux lorsque je sens un rayon de la grâce paternelle descendre du coeur divin et rayonner dans mon être ! Vous le sentirez aussi. Dieu ne mettra point de mesure à sa générosité si nous ne mettons pas non plus de mesure à notre amour, à notre confiance, à notre persévérance.

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