LE GLAIVE
sous LA CROIX
En Finlande avec
les Volontaires suédois
- PARU EN ALLEMAND
- (TRADUIT DU SUÉDOIS)
- A
- L'EVANGELISCHER VERLAG A. G.
- ZOLLIKON - ZURICH
-
- TRADUCTION FRANÇAISE
- DE
- CHARLES BRÜTSCH
- ET
- DAVID FRANCEY
Imprimé par
- les Imprimeries Réunies
- (Maison protestante)
- Valence-sur-Rhône
Ouvrage visé par la Censure
AVANT-PROPOS
L'ouvrage que voici n'est point ce qu'il est
convenu d'appeler un ouvrage d'édification.
Il vous place d'emblée dans les
brutalités de la vie réelle, telle
que la vivent les soldats de ce temps au milieu du
fracas des armes et du tonnerre des
bombardements.
Cette vie est celle que chaque
aumônier militaire est appelé à
partager avec la troupe qui lui est
confiée'.
L'auteur, le pasteur Akerhielm, est un
soldat ou plus exactement un officier de
réserve de l'armée suédoise.
Et c'est en soldat qu'il fait connaître
à ses camarades soldats le message de
l'Évangile. Le ton de ses exhortations est
vif, direct, pour tout dire : militaire. Ce
n'est point, certes, le genre
« gnan-gnan ». qu'on a parfois
reproché à la prédication
chrétienne.
Articles, conférences ou
méditations sont courts, originaux,
vécus. Chacun a son caractère propre.
Au plaisir que l'on aura à les lire, on peut
se représenter l'intérêt que,
dans le feu de l'action, des soldats prenaient
à les entendre. Car c'est un art difficile
que de savoir capter l'intérêt du
soldat ! Ces méditations pleines
d'idées neuves sont enrichies de petits
tableaux pris sur le vif ; elles nous font
connaître un aspect nouveau de la
piété scandinave : l'alliance si
caractéristique de la valeur
guerrière et de la foi, cette foi robuste et
simple des légionnaires d'un autre
âge. Instinctivement, l'on évoque les
reîtres de Gustave Adolphe combattant pro
aris et focis ou, plus près de nous, les
arquebusiers confédérés
conduits par un Ulrich Zwingli. Casque,
épée et Bible en mains - tels
paraissent être en raccourci
les symboles de cette foi virile et forte.
Chez nous aussi, de tels accents doivent
être entendus.
La tourmente qui dévaste l'Europe
et va sans doute gagner la planète
entière n'épargnera personne, - dans
ses biens, ni dans son âme. C'est pourquoi,
il faut retenir de ces expériences d'un
lutteur, qui toujours reçut de Dieu le
message topique, un enseignement qui
« plaque », mieux encore :
un mot d'ordre solennel.
- Pour le droit et la
vérité,
- Pour la patrie et l'humanité,
- Pour ceux dont les jours vont finir,
- Pour ceux dont le jour doit venir,
- Pour les peuples et pour les rois,
- Il n'est d'espoir que dans la Croix.
- Sois fidèle, tu seras fort,
- Sois fidèle jusqu'à la
mort
INTRODUCTION
« Le
chrétien ne doit jamais recourir au
glaive pour détendre sa propre vie
et sa propre cause. Mais il lui est permis
de s'en servir pour autrui lorsqu'il
s'agit de s'opposer à la
méchanceté et de
détendre la foi. »
LUTHER.
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On sait en quoi consista la première
réaction des gouvernements scandinaves
lorsqu'en l'automne de 1939 se
déchaîna sur l'Europe le conflit qui
dure encore : avant toutes choses, maintenir
la neutralité.
Une telle attitude s'imposait.
De par sa situation géographique
et politique, la Scandinavie n'appartenait à
aucun des deux camps ennemis. Elle n'avait pas
été préparée à
la lutte. Sa puissance militaire était trop
réduite pour qu'on pût l'utiliser dans
un but offensif et l'opinion publique n'entrevoyait
même pas la possibilité d'une
intervention armée. Ses dirigeants avaient
su se dégager à temps des conventions
que la Société des Nations imposait
à ses adhérents. Ainsi, nulle
divergence sur les principes régissant la
politique extérieure.
Il en était tout autrement pour
les individus.
Quoique neutres, ils se devaient de
prendre position en face d'événements
aussi tragiques. On assista, dès lors, au
triomphe de l'opportunisme auquel se complaisent
les âmes mercenaires, les profiteurs et, tout
autant, les masses apeurées et dociles.
Après avoir gémi sur les malheurs de
la guerre, on calculait les chances de celles des
parties belligérantes dont on souhaitait la
victoire. N'est-ce point là
l'échappatoire habile de qui veut par-dessus
tout éviter les complications ?
Pour ceux, toutefois, qui n'abordaient
pas à la
légère le
problème de la guerre, mais sentaient en
eux-mêmes l'impérieux besoin de
définir leur position à son endroit,
la tâche ne laissait pas d'être ardue.
Le problème surgissait à nouveau,
pour la solution duquel les siècles ont
peiné en vain ; plus insoluble que
jamais, il ne s'en imposait pas moins à
quiconque demeure conscient de sa
responsabilité. L'individu doit-il refuser
le service militaire, doit-il accepter de le subir,
ou au contraire l'accomplir avec
enthousiasme ? Telles étaient les
questions auxquelles une réponse devait
être donnée.
La tendance, qui voit dans l'État
l'incarnation la plus haute de l'esprit du
siècle et dans le nationalisme une question
de convenance, ne survivait qu'au sein des classes
bourgeoises dont la formation intellectuelle
s'était opérée
antérieurement à 1914 Demeurée
entièrement étrangère à
la jeunesse, elle gardait de puissants soutiens
dans la presse et la littérature.
Les masses populaires, elles,
inclinaient plus ou moins vers le pacifisme et
faisaient de la paix un idéal qu'on ne
discute pas. Cette position s'accordait à
merveille avec la politique de neutralité
qui dura jusqu'en 1939 et elle eut pour
adhérents, outre ceux dont la
sincérité ne fait pas de doute, bon
nombre d'opportunistes sachant escompter les
profits faciles d'un conflit qui ne les atteignait
pas (1).
Pour étayer leurs points de vue
respectifs, nationalistes autant que pacifistes
avaient recours aux arguments d'ordre religieux. De
tout temps les pacifistes ont puisé des
arguments dans le Sermon sur la Montagne ;
mais ne connaît-on pas aussi l'exemple du Bon
Berger donnant sa vie pour ses brebis ? De
plus, les interventionnistes chrétiens
pouvaient invoquer l'autorité de Luther qui,
en 1526, avait écrit que la guerre et
l'emploi des armes étaient d'origine divine.
Il est vrai que cette thèse du
Réformateur n'était point le fruit
d'une théorie politique, car, trois ans
auparavant, n'avait-il pas déclaré
aux victimes des persécutions religieuses
« qu'il est agréable à Dieu
que nous considérions comme seigneurs
miséricordieux ceux qui sont des bourreaux
et que nous nous prosternions devant eux en les
servant en toute
humilité ? »...
Or, les « bourreaux de
Dieu » n'ont pas cessé
d'être à l'oeuvre sur cette terre.
Pour ceux qui basent leurs jugements sur des
considérations humanitaires, le sang qui
coule et les cris des victimes ne peuvent avoir
qu'un sens très clair : le croyant doit
voir, dans les événements qui se
déroulent, un jugement de Dieu. S'il faut
choisir entre les deux extrêmes du pacifisme
et du nationalisme, on ne peut échapper
à cette évidence.
Mais à ce point de vue d'ordre
moral s'en est opposé un, tout
différent, grâce à quoi les
controverses ont pris une actualité
infiniment plus grande.
Les événements actuels ont
à leur origine une conception
métaphysique selon laquelle la constitution
des États, la lutte pour l'existence, la
conquête et la guerre sont tout simplement
des fonctions de l'espèce humaine. Ce sont
là, déclarent les partisans de ces
doctrines, des manifestations de la vie qu'on ne
doit pas juger au nom d'un facteur moral plus qu'on
ne le fait pour des constatations d'ordre
matériel, comme en présentent la
stratification géologique ou
l'évolution du règne animal.
Le monde moral, - toujours selon ces
doctrinaires - ce monde dans
lequel l'individu doit faire ses preuves, est
plutôt l'oeuvre de la collectivité, de
l'État qui combat : aussi, dans l'ordre
politique tel qu'il est constitué, le devoir
de chacun est-il de se montrer obéissant en
tant que sujet et vaillant en tant que soldat.
L'attitude qui découle d'une telle
conception ne saurait, il est vrai, constituer une
base suffisante pour un absolu d'ordre moral, mais
elle représente une ligne de conduite si
claire qu'elle offre à la jeunesse sensible
à des considérations
idéalistes des perspectives que celle-ci
peut envisager avec sérieux. Toutefois il
convient de reconnaître qu'avec une telle
conception du monde, disparaît toute
considération d'ordre chrétien.
Aussi bien au point de vue politique
qu'au point de vue moral, les Scandinaves se
trouvaient donc divisés, en l'automne de
1939, en deux camps bien distincts : les uns
se réclamant du pacifisme et du principe de
neutralité, les autres penchant vers un
dynamisme d'ordre politique sous sa forme la plus
moderne. Numériquement, le premier groupe
l'emportait de beaucoup.
Entre ces tendances, aucune conciliation
possible, car ni l'une ni l'autre des deux
solutions ne saurait enserrer, même
approximativement, les problèmes dans toute
leur étendue. Certains de leurs aspects,
acceptables pour le chrétien, étaient
incompatibles en tant que solutions globales.
Fallait-il choisir entre une abstention totale et
une intervention également totale ?
Personne à ce jour n'avait encore
répondu à la question : - Y
a-t-il un devoir national basé sur
l'obligation morale et
chrétienne ?
C'est à ce moment - 30 novembre
1939 - qu'éclata la guerre
russo-finlandaise. Il est superflu d'en rappeler la
cause originelle : la Finlande ne pouvait de
bon gré consentir à la cession des
territoires que l'on exigeait d'elle. C'est
pourquoi elle fut attaquée par l'Union des
Républiques soviétiques dont la
population est quarante-cinq fois plus grande que
la sienne.
La Finlande était en état
de légitime défense.
Mais, en ce qui concerne le peuple
suédois, le moment était venu de
préciser sa position. Jusqu'alors latent, le
problème d'ordre moral apparut tout à
coup en pleine lumière ; il passa du
domaine de la théorie à celui de la
pratique : l'heure de la décision avait
sonné.
Nous devons à la guerre
finlandaise de nous avoir fait voir plus clair en
nous-mêmes. Elle fut, à proprement
parler, un moyen de nous éduquer. Non pas en
ce sens que la diplomatie suédoise eût
à modifier son orientation, car le navire de
l'État devait frayer sa voie à
travers les récifs (qui demeurent invisibles
aux profanes) de la politique des grandes
puissances. Et pas non plus dans ce sens que la
nation, comme telle, en soit venue à
résipiscence, car, il faut le constater,
l'opportunisme est la règle de vie le plus
profondément enracinée dans la nature
humaine. Mais en ce sens que notre peuple
s'éveilla de sa torpeur et entendit un
appel.
Or, on doit le souligner, cet appel fut
écouté de plusieurs.
Pour apprécier à sa juste
valeur l'intervention des Volontaires
suédois en Finlande, rappelons-nous que,
depuis le congrès de Vienne, la Suède
n'a été entraînée dans
aucun conflit armé et que, pour la
génération actuelle, et cela
jusqu'à l'hiver 1939-40, participer à
une guerre était chose inconcevable. Il faut
aussi comprendre qu'aux yeux des Suédois
d'aujourd'hui la seule pensée d'un
accroissement territorial semble une
absurdité. N'a-t-on pas vu se récuser
la Suède lorsqu'en 1919 la
Société des Nations voulut lui
confier la garde de l'archipel d'Aland ? Tout
but de guerre autre que sa propre défense ne
pourra donc jamais se présenter à
elle. Militarisme et impérialisme sont ici
phénomènes inconnus.
Aider le « frère
finlandais », tel a été le
seul mobile qui conduisit en Finlande des
Suédois en armes.
Obligation purement morale
puisque son désintéressement
était total : défendre la
Suède sur les bords du lac Ladoga est une
considération qui a pu se présenter
lorsqu'on envisagea la question d'une guerre
préventive aux côtés de la
Finlande, mais elle n'a pas joué lors du
départ des Volontaires.
De quoi s'agissait-il ? De secourir
un peuple frère.
Non pas à cause des liens
existant entre les deux peuples, puisqu'ils avaient
été brisés depuis 1809 ;
non pas à cause d'un apparentement de race,
puisque les remous de la guerre linguistique
n'avaient pas été sans laisser de
l'un et de l'autre côtés de la
Baltique, des germes d'animosité. Mais
plutôt à cause de la communauté
de destin de deux peuples qui, de tout temps,
auront à partager un sort commun dans la
région nordique, ou, pour mieux dire, sur
les rives du golfe de Botnie. Et, avant tout, parce
que l'attaque était menée par
l'ennemi héréditaire de la culture
scandinave : la Russie.
La paix à tout prix, d'accord,
mais pourtant pas au prix de la domination
russe ! - telle est la formule pacifiste dans
sa version suédoise. Vous ne trouverez chez
nous qu'un seul moyen d'obtenir l'unanimité
des sentiments : évoquer le spectre
moscovite. C'est sur cet
élément-là que le
déclenchement de la guerre finlandaise a
fait porter l'accent. Et l'on a vu converger sur le
champ de bataille, la triple fraternité
d'une patrie, d'une culture et d'une foi
communes.
Nous sommes en présence de
quelque chose de plus qu'une constellation
accidentelle de la politique mondiale née de
l'actuelle tempête. Un fruit a mûri que
nous avons cueilli et conservé.
Quelle qu'ait été la
dureté de son sort, on voit, ayant en mains
ce trésor, se dresser aujourd'hui dans le
nord de l'Europe un peuple qui a vaincu. C'est en
effet sous ce titre que l'aumônier du corps
franc suédois, le pasteur Hans Akerhielm, a
publié les exhortations et les
appels qu'il fit entendre
à l'occasion de cette crise. Une fois la
guerre terminée, il a pu
déclarer : « Le peuple qui
vainquit l'a fait grâce à sa foi, et
quiconque ne partage pas cette foi ne peut pas
comprendre une telle victoire ».
C'est pour cela que nous avons à
apprendre quelle est la foi qui, ici, a
remporté la victoire.
On lira plus loin les fragments de ces
récits relatifs à la guerre de
Finlande. Ils font passer sous les yeux du lecteur
un tableau de la tension intime devant laquelle a
été placé le chrétien
conscient de sa responsabilité à
l'égard de Dieu, aussi bien à titre
de combattant que de directeur spirituel. N'entrons
pas ici dans le sujet : les pages qui suivent
parlent un langage suffisamment
éloquent.
Encore un mot
d'avertissement !
En entrant dans la lutte, les Finlandais
qui subirent leur martyre de cent jours à la
frontière de Carélie. ainsi que les
Volontaires suédois qui, au plus fort de la
bataille, couvrirent de leurs corps le front du
Nord, n'ont pas abandonné le camp des
nations sur l'étendard desquelles flottent
les mots de neutralité,
d'indépendance et de liberté.
Mais, à ces notions abstraites,
ils ont donné une interprétation plus
moderne, plus véridique, plus actuelle. Trop
longtemps la neutralité a passé pour
un alibi des petits peuples devant leurs
obligations politiques et cela jusqu'au moment
où l'histoire mondiale a, de la vie des
États européens, brutalement
balayé les quiètes idylles. En
vérité, ne nous reste-t-il comme
alternative que le passage de l'un à l'autre
camp ?
Du fait qu'une décision nous fut
imposée, la guerre de Finlande nous a fait
comprendre qu'il existe une neutralité
active, une neutralité qui ne choisit pas
comme objet préféré
« l'éternel
néant », la dernière issue
de Méphisto, mais qui, parce que la
liberté est un devoir, se
sent dépendante des vérités
fondamentales de la vie.
Une neutralité qui exclurait
toute éventualité de guerre ne serait
ni plus ni moins qu'un sauf-conduit accordé
à des conquérants étrangers.
La neutralité active ne tolère pas
que le droit doive le céder à la
force. Elle choisit la voie du Droit, de l'Entente,
de la Paix portés à leurs
extrêmes limites. Elle reconnaît
l'existence d'une limite jusqu'à laquelle on
peut chercher à s'entendre mais
derrière laquelle il ne reste qu'une seule
issue (ultima ratio) : les canons !
Nous en sommes responsables
vis-à-vis de notre liberté et si nous
perdons celle-ci sans avoir lutté pour elle,
c'est que nous n'en sommes pas dignes, tout
simplement. Car en fin de compte rien n'est plus
vrai que ces vers du poète :
Celui-là seul mérite la
liberté et la vie
Qui, chaque jour, les conquiert à
nouveau.
Professeur BERTHOLD JOSEPHY.
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