À son amie :
Genève, 22 septembre 1930.
Je suis indigne d'être entourée de tant d'amour, avec mon manque de patience, mon manque de courage, et ma foi si chancelante. Je sais bien que Dieu s'Il le veut, peut encore me rendre la santé, mais il me semble que c'est maintenant, dans l'indécision, alors que la volonté de Dieu ne s'est pas manifestée complètement, que l'acceptation de ma part de cette Volonté, quelle qu'elle soit, doit être pleine et entière. Que vaut une acceptation, alors que l'on ne peut plus faire autrement ?
À son mari :
Genève, 24 septembre 1930.
G... (le spécialiste) ne me laisse pas en
plan, et s'il me traite avec une telle
énergie, c'est qu'il espère bien
avoir un résultat ! Mon cas est
sérieux, c'est clair, mais pas
désespéré, et les hommes
feront tout ce qu'ils pourront. Pour le reste, que
la Volonté de Dieu soit faite !
... Je suis presque honteuse de
l'opinion que chacun se fait de moi ! Chacun
me place si haut, me croit si courageuse, si
soumise, si paisible... et si chacun pouvait
regarder au fond de mon coeur, qu'il y trouverait
de faiblesses, de tremblements, de larmes !...
et de luttes. Combien il serait plus simple de
déposer la lutte tout à fait, comme
une Elisabeth Leseur, de vivre au jour le jour et
de dire : Que m'importe que ce soit la vie ou
la mort ; je ne désire même pas
le savoir. Que Sa volonté se fasse
entièrement en moi et par moi !... Mais
j'ai encore bien de la peine à le dire. Oui,
je le dis en principe, mais en pratique, c'est plus
dur.
A son amie :
Genève, 30 septembre 1930.
Je sais que ma vie est entre les mains de Dieu,
et qu'Il fera de moi ce qu'Il voudra. Pourvu qu'Il
me conserve cette certitude que, quoi qu'il
m'arrive, c'est Lui qui me l'envoie, Lui qui le
veut pour moi. Qu'importe que la main soit lourde,
si c'est Sa main!
Or,
chose
étonnante, qui a surpris chacun et les
docteurs les tout premiers, les rayons X ont eu un
effet inespéré. La malade se reprend
à vivre. Elle peut enfin quitter
Genève, par ses propres moyens, et retourner
à Lausanne, où le mieux ira
s'accentuant.
Entre
temps, son
mari fait la navette entre Londres et la
Suisse.
À son mari :
Lausanne, 20 octobre 1930.
Comme j'ai pensé à toi, à vous tous, ces deux derniers jours : à ton voyage, à ton arrivée à la maison ces arrivées si joyeuses que je connais si bien à la joie des enfants, aux baisers que tu auras reçus ; puis aux préparatifs du samedi soir pour le dimanche, et enfin à cette journée de dimanche si pleine, si fatigante, si riche et si belle ! Comment ai-je pu jamais me plaindre de la fatigue de ces journées de dimanche ? Que ne donnerais-je, aujourd'hui, pour éprouver cette fatigue, résultat du travail pour les autres, de ce beau travail ! ... Oui, je considère les choses, en ce qui me concerne, exactement comme toi. J'ai cette curieuse impression que ma vie ne dépend pas des docteurs, mais d'une volonté et d'une puissance infiniment supérieures, la puissance et la volonté de Dieu. Ce sentiment est une grande source de force pour moi ; si je comptais sur les docteurs uniquement, je crois que le désespoir me prendrait...
Lausanne, 3 novembre 1930.
Ma santé continue à être
extraordinairement bonne, et même si cela ne
devait être que temporaire, combien j'en
jouis. Il y a des mois, pour ne pas dire des
années, que je ne me suis sentie aussi
pleine de vitalité : témoin ma
digestion qui est parfaite, et le temps que je puis
être sur mes jambes dehors, sans
fatigue.
... C'est bien exquis de ne pas
se
sentir fatiguée ! ...
... Mais le travail, le vrai
travail
que je pleure, « for which I am
longing », duquel j'ai la nostalgie,
c'est celui de Londres ! Tu comprends cela,
n'est-ce pas ? Je ne parle même pas de
la nostalgie du home, des enfants, de ceux que
j'aime là-bas... ! Pourtant, je puis
dire que je suis plus calme et plus paisible.
Oh ! il y a bien encore des moments de
détresse, mais, par la grâce de Dieu,
je réalise que Dieu, dans mon
inactivité extérieure, demande de moi
un plus grand travail, encore, que celui qu'Il a
jamais réclamé de moi : le travail de la
Patience,
de
l'Obéissance. Hier, subitement, pendant que
F... prêchait, j'ai réalisé le
travail pratique qu'Il me demande, pendant ces
longs mois d'oisiveté
extérieure :
1) Nourrir mon âme, par une vie
spirituelle, de prières surtout, de
lectures, infiniment plus intense que par le
passé ;
2) Action sur les
autres, par
la prière d'intercession et la
correspondance, toutes ces choses auxquelles je
n'ai pu me livrer que si superficiellement, dans ma
vie active de Londres. Que Dieu m'aide à
réaliser ce programme !
Lausanne, 8 novembre 1930.
Je tâche d'apprendre deux choses : la
Confiance et l'Obéissance ! Je crois
bien que c'est ce que Dieu veut m'enseigner par mon
épreuve actuelle. Qu'il me donne d'apprendre
ma leçon qui est difficile ! Un jour,
je crois que je la sais, et je me sens toute
calme... le lendemain, c'est à
recommencer : la crainte, la détresse
me reprennent. Les hauts et les bas ont aussi leur
raison d'être, je pense. N'est-ce pas pour
m'enseigner la fidélité, la
persévérance, l'intensité dans
la prière et la recherche du secours de
Dieu ? Plus je vais, plus je m'efforce de
tourner mes regards en haut, et de me remplir de
cette pensée, laquelle, je sais, est la
Vérité : ma vie n'est pas entre
les mains des docteurs. G... et tous les autres ne
sont que des instruments de Dieu, et il ne
m'arrivera absolument que ce que Dieu voudra :
Mort ou Vie ! Cette pensée me donne
tellement de paix. Si seulement elle ne voulait pas
être encore tellement vacillante en
moi !
Elle
doit aller se
présenter derechef au spécialiste,
à Genève.
Genève, 11 novembre 1930.
G... m'a trouvée « past all
expectations »... « Je ne puis
vous affirmer que nous ayons déjà la
victoire, m'a-t-il dit, mais je suis très
content ! » Chéri, c'est
pourtant un progrès sur son dernier
verdict !... je crois à la
prière. Ne crois-tu pas que c'est elle qui a
aidé C... ? Le jour où je
quittais Genève, il y a cinq semaines, avait
lieu quelque part, aux environs de Genève,
une réunion de femmes de pasteurs où
R... assistait. À la fin de la
réunion, Mme A. R... a pris la parole pour
dire : « En Suisse, en ce moment se
trouve Mme Hoffmann-de Visme, de Londres, qui est
très malade. Je vous demanderai de prier
pour elle ». Et elles ont prié
pour moi ! Ne vaut-il pas la peine de souffrir
comme j'ai souffert pour être l'objet de
manifestations pareilles ?... J'en ai le coeur
tout gonflé de reconnaissance, et je
t'assure bien que si Dieu m'accorde de pouvoir
retravailler pour Lui, avec quel amour je le
ferai
Et
c'est le retour
à Lausanne, une fois de plus.
Lausanne, 14 novembre 1930.
Je suis heureuse d'avoir pu te causer la joie de
t'envoyer de bonnes nouvelles. Moi aussi, certes,
j'ai le coeur qui déborde de reconnaissance.
je n'ai peur que d'une chose, c'est peut-être
d'avoir trop d'espoir, d'aller trop vite en
besogne. Mme Pieczynska, dans une de ses lettres
(1) (elle
avait
aussi des hauts et des bas, dans son état de
santé), dît à peu près
ceci : « Gardons-nous de notre
imagination qui voit tout de suite plus loin que le
moment même, et contentons-nous de remercier
Dieu pour les choses présentes. Que notre
imagination n'anticipe pas sur la volonté de
Dieu ! » Elle a raison. Que Dieu me
donne de prendre ce qu'Il m'envoie en mal ou en
bien selon Sa Volonté ! Le secret, je
crois, c'est de nous tenir tout, tout près
de Lui par la prière constante, de ne pas
nous relâcher dès que cela va mieux.
Crier à Lui dans la détresse, c'est
relativement facile, c'est naturel. Quand tout va bien,
comme la paresse alors
se
tient à la porte ! G... était
évidemment content, très content, car
il m'a même dit :
« Peut-être que je pourrai vous
envoyer passer les fêtes de Noël
à Londres ». Je ne compte pas
profiter de sa permission, mais il me semble que
lui, plutôt pessimiste, ne m'aurait pas
parlé ainsi, s'il n'avait eu quelque raison
d'espérer... Reste à savoir si les
prochaines radios révéleront quelques
points suspects. En attendant, je jouis
intensément d'être ici et de tout ce
qui m'est donné.
... Nous avons repris le tram
jusqu'à Saint-François, puis sommes
entrés chez Nyffenegger prendre une tasse de
thé. Hélas, à la table
à côté de la nôtre, se
trouvaient, avec papa et maman, deux petits
bonshommes de cinq à six ans environ, et
cela m'a donné du noir. Vois-tu, par moments
je suis distraite par la beauté de la
nature, la bonté de ceux qui m'entourent et
surtout la chaude affection qui m'enveloppe ici...
Mais la nostalgie n'est pas loin et il ne faut pas
grand'chose pour la faire remonter à la
surface. La vue d'un gentil petit garçon...
et ça y est ! Que dit mon petit
Guichon ? Que disent mes chéries ?
Oh ! si Dieu me permettait pourtant de les
élever, avec combien plus d'amour, et je
crois plus de sagesse, je le ferais
qu'auparavant !
Lausanne, 20 novembre 1930.
Certes, la journée du 18 novembre de
l'année dernière
(2)
n'a, pas
été oubliée ! Je puis
t'affirmer aujourd'hui, de tout mon coeur, que si
cette année, maintenant complètement
écoulée, a été remplie
d'inquiétudes, d'angoisses, de
détresse - et certes elle l'a
été ! - elle a été
aussi remplie de tant de
bénédictions, inconnues jusqu'alors,
que je ne voudrais pas en retrancher un seul jour,
de cette année. La grande
bénédiction a été le
développement de ma vie spirituelle, et le
sentiment inconnu, jusqu'alors, de la
présence constante de Dieu, du Père
qui aime et qui conduit jour après
jour.
La seconde grande
bénédiction :
l'expérience merveilleuse que j'ai faite de
la sympathie humaine, de l'amour qui vous entoure
dans l'épreuve. Si même je devais y
laisser ma vie, cela vaudrait la peine. Si Dieu
veut me rendre cette vie, oh ! alors, quelle
joie intense j'aurai à faire part à
d'autres de ces merveilleuses expériences,
qui ont suivi dans ma vie une période de
découragement, de sécheresse, de
doute ! Donc, jusqu'à présent,
tu as raison : si des vagues de nostalgie, de
détresse, me prennent quelquefois, ce sont
des « vagues », mais le fond
est paisible. Oh ! que Dieu veuille me
conserver cet état d'esprit, à moi et
à toi ! Avec quelle instance je le Lui
demande.
Combien je voudrais, dans ma
faiblesse, être pourtant un témoin
fidèle ! Pour le moment tout porte
à espérer une délivrance. Nous
verrons !
Lausanne, 22 novembre 1930.
Il y a une année aujourd'hui !
(3) Suis-je
mieux, suis-je moins bien aujourd'hui qu'il y a une
année ? Je ne sais, mais ce que je
sais, c'est que pendant cette année, Dieu
m'a parlé comme jamais auparavant, et m'a
conduite par la main avec amour, au jour le jour.
Quoi qu'il m'arrive, la seule chose que je Lui
demande et je sais que tu le Lui demandes pour moi,
c'est de me conserver cette certitude qui ne m'a
pas quittée toute cette année, que
tout ce qui m'arrivait venait directement de Sa
main et que Son but, en me faisant passer par
l'épreuve, était un but d'amour. Si
je devais perdre ce sentiment, que je crois
aujourd'hui être une réalité,
ce serait le désespoir. Mais pourquoi le
perdrais-je ?
... Inutile, chéri, de te
répéter combien je pense à toi
et aux enfants ! Oh ! oui, les vagues
s'agitent pour pas grand'chose : un petit
jersey bleu comme en porte Guy, vu dans une
devanture de magasin, suffit ! Mais le fond
est calme.
Lausanne. 24 novembre 1930.
Combien, dans nos Églises, comprennent ce
qu'est la vie chrétienne ? Non
seulement une vie de braves gens pieux qui viennent
à l'église et lisent leur Bible, mais
une vie de sacrifice ! Vois-tu, lorsque dans
le calme où je vis maintenant, je jette un
coup d'oeil en arrière sur mes vingt ans
d'activité à Londres, vingt
années que j'ai cru bien remplies,
fructueuses, il me semble maintenant qu'elles ont
été vides jusqu'à un certain
point, superficielles, incomplètes au point
de vue spirituel : certes, je me suis bien
agitée, j'ai donné, j'ai agi et
aimé, mais, tout cela, parce que cela
m'était naturel, sans effort, sans
difficulté. La souffrance, le sacrifice,
l'arrachement, le don douloureux et voulu de
moi-même ont manqué pour que le
ministère accompli par moi pendant ces vingt
années ait la saveur spirituelle, la
profondeur qu'il aurait dû avoir ! Me
comprends-tu ? Il me semble que, maintenant
seulement, après avoir passé par
l'épreuve, la souffrance, le sacrifice, dans
l'obéissance acceptée, je pourrai
peut-être enfin donner réellement un
petit quelque chose...
Sa
santé
s'affermissait de jour en jour. Le
spécialiste de Genève le constate
avec étonnement.
Lausanne, 26 novembre 1930.
Je suis complètement ahurie du peu de fatigue que me procurent ces sorties constantes et à pied, lorsque je pense à l'horrible fatigue que me causaient les sorties dans Londres, depuis bien des années ! Je te raconte cela parce que cela te donne une idée plus exacte de mon état de santé que tous les rapports que je pourrais t'en faire.
Genève, 30 novembre 1930.
Au moment où je t'écris - 5 h. 30
à Londres - peut-être êtes-vous
encore en train de contempler le beau gâteau
d'Odette entouré de ses treize bougies
allumées, ou peut-être bien
êtes-vous en train d'en croquer quelques
savoureux morceaux ? Mon coeur vole à
travers montagnes, plaines et mer pour aller vous
retrouver, retrouver ma petite Odette dont
l'arrivée, il y a treize ans et treize
heures, a tellement rempli mon coeur de joie !
Quand je regarde en arrière, que de joies
intenses et profondes m'ont apportées mes
enfants, combien plus de joies que de
soucis !
... En trois semaines, j'ai
augmenté de deux kilos trois quarts ;
les globules rouges aussi ont sensiblement
augmenté...
... C... est très content. Le
sang n'est pas encore ce qu'il devrait être.
Nous allons cesser l'arsenic (cacodyline) dont je
suis un peu saturée, et il va me recommander
d'autres piqûres et médicaments au fer !...
Voilà
à peu près tout. Je sais ce que tu
éprouves : sans doute, la même
chose que moi. Que Dieu soit béni !
À son amie :
Genève, 1er décembre 1930.
En rentrant, je me suis mise à genoux et
j'ai remercié Dieu du fond du coeur. Certes,
il serait doux de pouvoir me dire : je suis
guérie, complètement et
définitivement. Sans doute est-ce meilleur
qu'il en soit ainsi, pour ma vie spirituelle. Cet
état d'incertitude continuelle me tiendra en
éveil, moi qui si facilement me laisse aller
à la paresse, au sommeil spirituel.
« Veillez, je le dis à tous,
Veillez », tel était le texte du
sermon de M. d'E., dimanche. Dieu est bon !
cet acte de foi sans cesse
répété, chaque fois que j'irai
voir le docteur, me gardera du sommeil.
Certainement c'est bon pour moi. Mais quelle
délivrance de m'avoir permis de remonter la
pente comme je l'ai fait, de me donner l'espoir
que, peut-être, je pourrai à nouveau
un peu travailler.
Je regrette d'avoir manqué le
sermon de M. C. C'est une idée chère
à mon coeur, que celle du Dieu qui voit
tout. Pour moi, ce n'est pas terrifiant, je ne
demande qu'une chose, c'est qu'Il voie tout...
À son mari :
Genève, 2 décembre 1930.
... Oui, chéri, nous pouvons dire que les prières ont été entendues et qu'une délivrance nous a été accordée, et une grande, certainement bien inattendue de nous-mêmes et des docteurs, il y a deux mois ! Avant de partir chez G.... je me suis mise à genoux près de mon lit ; en rentrant de chez lui, j'ai fait de même. Certes, il eût été doux de pouvoir te dire : « Je suis complètement guérie, définitivement et complètement »... Mais, peut-être, l'état de chose actuel vaut-il infiniment mieux pour notre vie spirituelle ? N'est-ce pas « l'écharde dans la chair » comme pour Saint Paul et ne devons-nous pas apprendre à dire comme lui : « Ta grâce me suffit » ? Il est bon et même doux de se dire : J'ai encore en moi ce foyer malsain qui pourrait se rallumer et pourtant, malgré cela, Dieu me garde en santé, me fortifie... Et puis, ce danger que je porte en moi, ne me tiendra-t-il pas en éveil ? Chaque jour, à chaque instant, ne serai-je pas pressée de me tourner vers Celui dont la grâce seule (je le crois de tout mon coeur) me garde, jour après jour, de ce qui - humainement parlant - pourrait m'anéantir ? Subitement, complètement guérie, je L'aurais remercié dans une effusion de reconnaissance, puis, qui sait si peu à peu je n'aurais pas oublié... Ainsi, je n'oublie pas ! Me comprends-tu ? Oui, Dieu nous a accordé une grande délivrance, peut-être plus grande, telle qu'elle est, que si c'eût été la guérison complète du corps. Dis à chacun de ceux qui ont prié pour moi, que leurs prières ont été entendues et exaucées ! Ah ! chéri, après l'angoisse d'il y a deux mois, revoir devant moi la possibilité de pouvoir reprendre mon travail, de retrouver mes enfants, de les élever... peut-être, quelle délivrance ! Non, tout a été bien, et tout est bien. Tu es bien d'accord avec moi, n'est-ce pas ?
Lausanne, 5 décembre 1930.
Me voici de retour dans mon second home ! Qu'il y fait bon, qu'il y fait chaud ! Si tu avais vu avec quelle tendresse j'ai été reçue d'une part, avec quelle cordialité d'autre part, et quelle joie apparemment des deux côtés, tu en aurais eu du plaisir. Peut-on être béni plus que je le suis ? Trouver, partout où l'on passe, non seulement de la bonté, mais de la chaleur, de l'affection, et enfin trouver un home si chaud, si plein d'amour que seuls cette chaleur et cet amour me permettent de supporter l'absence, l'exil qui, sans cela, serait horrible, si horrible que je n'ose pas y songer, n'est-ce pas pourtant une bénédiction unique, alors que, certes, je ne le mérite pas mieux que beaucoup, beaucoup d'autres ? Et puis, enfin, la perspective que ces affreux jours de luttes et d'angoisses ne reviendront plus et que je pourrai reprendre ma place auprès de mes chéris, peut-être... ! C'est si bon.
Lausanne, 7 décembre 1930.
Contre toutes mes habitudes de me reposer
d'écrire le dimanche, je ne puis
m'empêcher de prendre la plume pour te lancer
quelques lignes, aujourd'hui. Midi vient de sonner
ici. Il est donc 11 heures à Londres. Tu
commences ton culte
(4)
devant une
église bondée, et je me sens si
près de toi, tellement au milieu de vous
tous, qu'il faut que je te le dise. Peut-être
le sens-tu ? Je sais que ton coeur aujourd'hui
est vraiment rempli de joie et de reconnaissance et
que c'est du fond du coeur que tu pourras le dire
tout à l'heure...
... Par instant, il me semble
que je
me réveille d'un affreux cauchemar. Tout me
parait si lumineux, comme le radieux soleil qui
nous enveloppe ici, aujourd'hui. Que Dieu te donne
une belle, belle journée, malgré le
travail et la fatigue, une belle
journée, au dehors et surtout au
dedans ! Je sais bien que je ne suis pas
laissée « en dehors » et
il m'est bien doux, je t'assure, de me sentir
entourée comme je le suis. Ce qui me vaut
tant d'affection de tous côtés, j'ai
peine à le comprendre - tu sais que mon
éducation ne m'a pas portée à
avoir une bien haute opinion de moi-même.
J'en suis émerveillée, émue,
reconnaissante, oh ! si reconnaissante !
Je la prends, cette affection, sans même
comprendre, et jamais je ne pourrai exprimer, par
des mots, le bien que cela me fait.
Lausanne, 18 décembre 1930.
Je me représente le sens dessus dessous des Hollies (5), en ce moment. Ah ! que ne donnerais-je pour sentir la grosse fatigue de Noël ! C'est une rude leçon d'obéissance par laquelle je passe. Dieu veuille que cela serve non seulement à moi, mais à d'autres !... Je t'assure qu'il me faut plus de courage pour supporter mon repos que la fatigue des années précédentes... Mais ce n'est pas une plainte, crois-le. Je ne regrette rien. Du reste, l'affection dont je suis entourée ici adoucit tellement l'épreuve. L'épreuve est là, mais Dieu me porte et l'adoucit par tous les moyens.
Lausanne, 21 décembre 1930.
Cette lettre sera ma lettre de Noël. Elle
sera courte parce que je veux que chacun de vous
reçoive quelque chose. Elle sera courte, en
paroles, mais combien pleine de sentiments, trop
intenses et trop profonds pour que je puisse te les
exprimer. Du reste, à quoi bon,
chéri, essayer ? Ne sais-tu pas tout ce
qui se passe au-dedans de moi en nostalgie,
craintes, détresse par instant, mais aussi
reconnaissance, joie, amour ; tant de
sentiments qui forment comme un fouillis au dedans
de mon âme et à travers lesquels je
n'arrive pas à mettre de l'ordre. Une seule
chose est claire et domine tout le reste... et est
cause de tout le reste. C'est l'amour que j'ai pour
vous, mes chéris, qui êtes loin, pour
mes enfants que je ne savais pas tant aimer !
Vois-tu, l'épreuve m'a aussi appris à
connaître le fond de mon coeur. Ah !
combien j'apprends ma leçon... mais elle
n'est sans doute pas encore sue
complètement... Pour le reste, que Dieu
Lui-même y mette de l'ordre ! J'ai
cherché à le faire et j'y renonce.
« Éternel, tu m'as sondée
et tu m'as connue ! Tu sais... »
C'est si bon
Ce matin, le pasteur F..., dans
sa
prière, a dit entre autres :
« Sanctifie nos
émotions ». Oui, c'est ce que je
Lui demande aussi. Que ces émotions ne
soient pas du sentimentalisme, mais une force de
vie, d'action, d'influence sur les autres. Ma
prière est que la souffrance par laquelle je
passe ne serve pas seulement à moi - ce
serait bien peu - mais serve à d'autres,
à mes enfants d'abord, puis à tous
ceux que je côtoie. Ne crois pas surtout que
je me plains, que je gémis, que je vais par
le monde avec une mine triste ! je n'en ai pas
la moindre envie. Ce serait bien vilain, du reste,
avec la bonté, la tendresse infinie dont je
suis entourée ici. Vraiment, je le
répète, je ne sais pas ce que je
serais devenue non seulement matériellement,
mais moralement et spirituellement, sans
l'atmosphère d'amour que je respire ici.
J'aurais sombré, peut-être, dans le
désespoir, ce que je ne fais pas, sois-en
sûr ! Ici aussi, il y a de la tristesse
avec tous tes enfants loin ! Ai-je besoin de
te dire que je vis avec vous en. ces jours de
fête ? Avec toi d'abord, car je ne sais
que trop ce qu'ils signifient pour toi de fatigue
physique, de tension nerveuse, spirituelle aussi -
mais de joie aussi !... Avec les enfants si
excités et joyeux... avec toute
l'Eglise...
Ai-je besoin de te dire que
j'assiste à tous vos cultes, services de
communion, réunions, etc., que je serai bien
présente, mercredi soir, à la maison
Dis-leur, à ceux qui seront
réunis dans le salon, le vestibule, la salle
à manger, sur l'escalier, autour de l'arbre,
que je suis là, que je partage leur joie,
mais que cette année je comprends les larmes
qui seront dans les yeux de beaucoup ! Joyeux
Noël quand même ! La distance ne
sépare pas. Qui sait si elle n'unit
pas ? Qui sait si, dans l'éloignement,
l'union spirituelle ne se fait pas plus intense,
plus vivante... ?
Lausanne, 25 décembre 1930.
J'ai à côté de moi, sans
compter la tienne, quarante-deux lettres et cartes,
reçues entre hier et aujourd'hui, remplies
d'affection, exprimée sous tant de formes
diverses, et de voeux de Noël. Je ne te parle
pas des paquets et des fleurs. Tu vois combien je
suis gâtée ! Ne valait-il pas la
peine de souffrir une fois de la séparation,
pour sentir tout cet amour ? Mais avant
d'entamer le travail de répondre à
tous ces témoignages qui, tous, me sont
allés au coeur, je veux venir causer un
moment avec toi, en cette après-midi de
Noël où tous, en famille, vous serez
réunis au salon devant le sapin
allumé. Oh ! combien J'y suis avec
vous ! Je me sens si, si près de vous,
extraordinairement près, en ce moment... je
l'ai senti hier soir, je l'ai senti ce matin, Il ne
vous faut pas être tristes de mon absence
parce que je suis là aussi ; mon corps
seul manque ! Ah ! je sais que tant que
nous sommes sur cette terre, notre pauvre corps est
une cause de bien grandes souffrances, et il m'est
dur, dur, dur plus que je n'aurais cru que ce
fût possible, d'être loin de corps de
vous tous - je sais ce qu'est le
Heimweh maintenant pour la première fois de
ma vie. Mais j'aurais à peine cru que l'on
pût se sentir si près les uns des
autres, même éloigné de
corps ! C'est pourtant l'union spirituelle qui
est la vraie et la seule durable, celle de la vie
éternelle !
J'ai l'air bien forte et bien
raisonnable. Hélas ! que je voudrais
être aussi forte que j'en ai l'air ! Je
t'assure que je dois refouler bien des larmes, ces
jours-ci : « L'esprit est prompt,
mais la chair est faible... » Mais
n'importe, je me sens près de vous et je
vous sens près de moi... La fatigue nous
fait voir tout en noir. Nous ne voyons plus que le
mauvais côté des choses : notre
volonté n'est même plus capable de
contrôler notre pensée, nos
sensations, et un flot d'idées folles,
irraisonnées, nous pénètre. Je
ne connais que trop bien cet état d'esprit
pour en avoir souffert presque jusqu'au
désespoir pendant deux années au
moins... Mais cela ne veut pas dire que tout va mal
parce que nous ne voyons que le mauvais
côté des choses !
... Devant Dieu, il y a bien,
bien
peu de différence entre notre
« very best » et notre
« very worst ». Si nous
comptions sur notre « very
best » pour avoir quelque influence sur
les autres, nous serions bien, bien
déçus, car notre « very
best », à la lumière
divine, est presque nul. Notre influence sur les
autres est due uniquement à ce que Dieu Lui-même
fait du
peu que nous donnons. Nous aurons beau donner ce
que nous croyons être du très bon, si
Dieu n'y met la main, ce sera nul. Nous pourrons
donner ce que nous croyons être du
très mauvais, si Dieu y met la main, cela
deviendra d'une richesse infinie !
Ce qui importe, en fin de
compte,
c'est de faire de notre mieux en ne désirant
qu'une chose : Le servir, en ne cherchant
qu'une chose : Sa présence, Sa force,
par la prière, le recueillement, un coeur,
un esprit toujours tendus vers Lui, même en
plein travail.
Ce qui importe, en somme, ce
sont
les rapports dans lesquels nous sommes avec Dieu.
De là découlera tout le reste. Je
crois que si ces rapports sont ce qu'ils doivent
être, notre travail - aussi mauvais
puisse-t-il nous paraître - sera du bon
travail béni. Il ne nous faut surtout pas
nous analyser sans cesse, analyser les
résultats extérieurs de notre
travail, etc. Cela est entre les mains de Dieu, qui
saura compenser là où nous manquons,
si nous avons remis toute notre activité
entre Ses mains.
Tu n'auras jamais trop de vie
intérieure, mais la vie intérieure ne
consiste pas uniquement en prières dites,
mais dans une attitude d'esprit constante,
même au milieu du travail. Une
expérience que je fais depuis que je suis
malade, expérience qui me renverse, qui me
remplit d'un étonnement toujours
renouvelé est que - en regardant en
arrière - plus il me semble que mon travail a été
insuffisant, superficiel, indigne de ce que
j'aurais dû donner, plus les
témoignages de reconnaissance m'enveloppent,
plus on me remercie de droite et de gauche pour ce
que j'ai fait, pour ce que j'ai donné
moralement et spirituellement ? N'est-ce pas
la preuve de ce que j'ai essayé de te
dire ? Dieu bénit notre travail et le
bénira encore, si nous l'accomplissons sous
Son regard.
Lausanne, 31 décembre 1930.
Juste quelques lignes, en cette fin d'année, pour te dire toute ma tendresse et combien je pense à toi ! Qu'apportera la suivante ? Dieu seul le sait. Qu'Il nous donne de tout remettre entre Ses mains avec confiance et paix !
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