Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

LETTRES

Mars 1930 à Septembre 1932

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Quatre mois se sont passés : huit semaines d'hôpital, après l'opération ; celle-ci extrêmement sérieuse, mais le redressement a été merveilleux. Le calme, la patience, la sérénité de la malade ont impressionné tous ceux qui l'ont visitée. Les Soeurs elles-mêmes, qui en voient tant, parlent d'elle avec admiration, aujourd'hui encore. Puis trois semaines à la campagne, dans un beau coin du Surrey, pour se préparer au voyage. La Suisse enfin, les bords du Léman, Lausanne, qu'elle connaissait peu. Elle y est reçue à bras ouverts dans une maison amie qui, bientôt, sera pour elle comme un second foyer, une retraite où plus d'une fois elle accourra se réfugier, telle une colombe blessée, quand les choses iront mal.

 

Lausanne, 17 mars 1930.

Le soleil brille à nouveau sur ce lac et ces montagnes inouïs de beauté. Ce sont les teintes du soleil couchant ! Lausanne laissera dans mon coeur une impression incomparable de beauté et d'amour. Je te dis cela, chéri, parce que je sais que cela te fera plaisir et que, grâce à toi, j'ai de bons amis. - Mais, malgré tout, j'ai besoin de mon home. Je voudrais partir d'ici et rentrer tout droit. Combien je serai reconnaissante et avec quelle joie je reprendrai le manche de la charrue !

 

Lausanne, 22 mars 1930.

C'est pourtant merveilleux ce qu'il y a de bonté et d'affection dans ce monde. Je remercie Dieu tous les jours pour les bénédictions et les découvertes que m'a values ma maladie. Non, le monde n'est pas sec, ce n'est pas un monde sans coeur !

... Si, par la grâce de Dieu, je rentre à Londres guérie, combien j'aimerais donner à cette paroisse encore quelques bonnes années de travail, afin que je puisse Lui rendre un peu de ce que j'ai reçu d'expériences et d'amour pendant ces mois de maladie ! Il me semble un peu que j'ai perdu ma vie jusqu'à présent, travaillant parce que j'avais du plaisir à travailler, presque en égoïste, et que maintenant seulement je vais la commencer, donnant par reconnaissance d'avoir tant reçu des hommes et de Dieu, aimant par reconnaissance d'avoir été tant aimée ! Si Dieu le permet, comme cela sera beau et bon de retravailler ensemble et de former nos enfants pour Son service.

 

Clarens, 26 mars 1930.

Je profite de cette période de détente et de repos pour plus de recueillement, de prière et c'est si bon et bienfaisant. Il faut, il faut absolument, pour pouvoir « vivre », garder te contact avec Dieu. C'est inutile de vouloir toujours aller, et aller, ... on en meurt. Il faut quelquefois s'arrêter et prendre le temps de rentrer tout au fond de soi-même pour trouver Dieu. Je le sens tellement ! Ces derniers mois, depuis mon opération, j'ai tellement plus de joie et de paix intérieures. Que Dieu me donne, pour moi-même, mais aussi pour toi et pour mes enfants, de garder ce contact, quand je serai rentrée à Londres ! Puis, cette affection dont je suis entourée de tous les côtés, depuis quelques mois, me fait plus de bien que je ne saurais le dire. Que Dieu me donne d'apprendre à mieux aimer moi aussi !

Son cas réclamait une surveillance médicale très stricte, crainte de récidive. À sa grande joie, la première visite au spécialiste de Genève ne révéla rien de suspect.

 

Genève, 2 avril 1930.

J'étais prête à tout et j'avais et j'ai remis ma vie complètement entre les mains de Dieu, mais je t'assure que je ne me sentais pas très vaillante, ces derniers jours... et encore ce matin, quand je me suis dirigée chez R... (pour les radiographies). Mais c'est passé maintenant.
... Pour cette fois-ci encore, c'est la délivrance et mon coeur est allégé, surtout allégé de pouvoir te l'écrire !
... Voilà une page de ma maladie tournée pour l'instant. Combien je remercie Dieu !

 

Lausanne, 6 avril 1930.

Me voici de nouveau dans mon Lausanne que j'aime tant, entourée de beauté et d'amour. Tout mon être se détend et il y fait si bon ! Hier, quand je suis arrivée, après une journée de vendredi aussi pluvieuse qu'une journée peut l'être à Genève, le soleil m'a reçue et les montagnes étaient dans leur magnificence. Chaque fois que je revois cette vue, celle que l'on a de cette maison, mon âme en est remplie, soulevée. C'est comme si j'avalais une grosse bouffée d'air pur des hauts sommets. Mais ce qui est mieux encore, c'est d'arriver et de se sentir attendue, désirée, aimée, de sentir qu'on n'est pas de trop, mais au contraire que lorsqu'on était absente, la place a été vide. Tu penses, si cela fait du bien ! ...

... Combien je rends grâces à Dieu, tous les jours, d'avoir trouvé ces amis que j'aime tant ! Mais je dois dire que tout le monde a été pour moi, en Suisse, d'une bonté indicible...

... Quelle joie de me dire que je vais de nouveau pouvoir travailler et essayer de rendre en amour et en activité tout ce que j'ai reçu. je trouve que ma position est si enviable. Jamais je n'ai ressenti dans le coeur une paix comme maintenant. Que Dieu veuille me la conserver

Le médecin a autorisé le retour à Londres. Elle s'en réjouît énormément et quitte Lausanne vers mi-avril, s'arrêtant chez sa soeur aînée, près de Montbéliard. Elle écrit de là à son amie.

La maison amie

Vieux-Charmont, 15 avril 1930.

Je ne fais que témoigner d'une expérience que Dieu m'a permis de faire, bien tard dans ma vie, mais si lumineuse : Dieu m'a envoyé une épreuve, c'est vrai, mais Il en a tellement adouci l'aiguillon, que je n'ai plus senti l'épreuve, mais l'Amour immense de Dieu qui m'enveloppait et venait répondre enfin, et d'une façon merveilleuse, aux prières angoissées d'une âme qui sentait tout lui échapper, prières que j'avais fait monter vers Lui pendant les mois qui avaient précédé ma maladie. Dans tout cela, voyez-vous, je ne suis rien, rien, rien du tout. Demandez à Dieu pour moi que cette expérience ne perde pas de sa luminosité, et qu'elle reste ma force dans les jours sombres, tristes, difficiles, et m'aide à donner, donner toujours plus, aimer, aimer toujours plus.

Elle reprend, pour son mari, un thème qui lui semble essentiel.

 

Vieux-Charmont, 16 avril 1930.

Oui, chéri, c'est vrai, j'en fais l'expérience tous les jours : pour vivre, pour donner quelque chose qui vaille, - je ne parle même pas de la paix qui en résulte pour notre âme - pour donner au monde l'amour et la foi dont il a besoin, il faut pouvoir prier, méditer, penser, rentrer au fond de soi-même où, là seulement, nous trouverons Dieu et retrouverons le contact avec Lui. Et pour cela, surtout avec le tourbillon qui nous entoure, et nous tire au dehors, il faut du temps. Dire quelques mots ou beaucoup de mots de prière, lire à la va-vite un passage de la Bible, ce n'est pas cela. C'est du superficiel. Il faut prendre le temps de descendre tout au fond de nous-mêmes... Cela a été une telle joie pour moi, pendant ces semaines écoulées, depuis ce fameux 18 novembre, de pouvoir prendre le temps nécessaire pour trouver ce contact avec Dieu, et je tremble devant mon retour à Londres, à l'idée que je ne saurai plus prendre ce temps ! Par le recueillement et la prière, j'ai laissé le contact se faire mieux. Dieu a pu, peut-être, un peu mieux agir par moi. je le crois et je Lui en dis merci tous les jours, car je sais bien que ce n'est pas moi qui agis - je me sens moins que rien, si je regarde à moi-même - c'est bien Sa force qui agit par moi. Mais si je perds « le » contact, je perdrai Sa force aussi. Qu'il m'aide à trouver le moyen !...

Le voyage est interrompu à Versailles, chez son autre soeur. Une nouvelle crise de douleurs intolérables la terrasse.

J'aimerais mieux remettre au monde six enfants, que de passer par où j'ai passé, ces trois derniers jours,

écrit-elle, quand elle peut enfin reprendre la plume. Est-ce le mal qui revient ? Il y a eu une première alerte en Suisse, après la visite chez le spécialiste. On a parlé de grippe, alors. À Versailles on prononce le mot de névrite. À Londres, ces crises reviendront toutes les quatre semaines, sans que le chirurgien, qui l'a opérée, puisse se prononcer.

 

À son amie :

Versailles, 26 avril 1930.

Je ne croyais pas qu'on pût tant souffrir ! Ne parlez plus de ma vaillance, je n'ai pas été bien vaillante... et cela n'a duré que 3 jours ! Que ferais-je si Dieu m'appelait à souffrir des semaines et des années ? Combien j'ai encore à apprendre. Que Dieu me donne d'apprendre ma leçon, ma leçon de courage, d'humilité, de sympathie et d'amour... Il m'enseigne cette leçon avec tant de douceur et tant d'amour ! Jusqu'à présent, j'ai été préparée par une vie de bonheur et de bénédiction, et maintenant, doucement, en me portant dans Ses bras, par petites étapes, il m'enseigne ma leçon : ne me plaignez pas.

Quand la souffrance est là, ma chair gémit, mais mon coeur n'est pas malheureux, parce que je sens que le Père veut m'attirer à Lui davantage, et c'est si doux, si bon... « joie, confiance ! » Confiance, je l'ai, mais pas encore joie dans la souffrance !

Enfin, après quelques jours d'attente, elle peut rentrer à la maison.


Les lettres qui suivent (7 mai au 13 juin) sont toutes adressées à son amie.

 

Londres, 7 mai 1930.

Demandez à Dieu que je reste bien humble et bien fidèle à accomplir Sa volonté, que ce soit dans la lumière ou dans l'obscurité, dans la force ou dans la faiblesse. Il est si facile d'accomplir Sa volonté lorsque tout va bien, lorsque l'amour vous enveloppe de toute part : c'est si difficile lorsque les difficultés de tous les jours vous entourent, lorsqu'un brouillard vient se mettre entre l'âme et Dieu... je veux être fidèle...

 

Londres, 13 mai 1930.

Mon « Moi » va bien. Il a à lutter. Par moments, quand la fatigue me serre de trop près, la lutte est un peu dure, et le brouillard enveloppe mon âme et le découragement s'en mêle. C'est vers la fin de l'après-midi, vers le soir : par moments, le matin, quand je me lève, j'ai un peu peur de ce qui est devant moi, mais je sais bien que Dieu, le Père, est là quand même. Il faut bien que la foi serve à quelque chose : à quoi serait-elle utile si nous vivions toujours par la vue ? Je suis du reste entourée de tant d'affection, de tant de tendresse humaine, partout où je passe, que je sens qu'à travers tout, c'est bien encore l'amour de Dieu qui m'enveloppe.

 

Londres, 19 mai 1930.

Votre lettre m'est arrivée samedi matin, alors que depuis la veille je commençais une même crise que celle de Versailles. Elle a été forte, et j'étais sans courage... Oh, j'ai bien appris ma leçon ! je ne dois rien faire, pendant des mois encore, et regarder les autres travailler et s'éreinter.
... Je jouis ce matin intensément de toutes choses : c'est si exquis de ne plus souffrir.

 

Londres, 25 mai 1930.

Je n'entends que les oiseaux qui chantent, par une fenêtre ouverte, et au loin le son d'une cloche d'église. Si vous étiez ici, vous trouveriez une femme bien fatiguée et, ce qui est pire, bien déprimée. J'ai beaucoup de peine à réagir contre cet état de faiblesse et de fatigue extrême qui traîne depuis une semaine sans cause apparente, et dont je ne puis sortir... je n'ai rien de grave, mais c'est une affaire de patience, et j'en ai si peu ! Je ne veux surtout pas que vous me croyiez meilleure que je ne suis. Je ne suis qu'une pauvre misérable créature qui, portée par Dieu, est forte, mais, réduite à elle-même, est faible et sans courage. Malgré tout, je ne doute pas de l'Amour de Dieu, et compte sur lui.

J'ai lu avec beaucoup de joie le « Sadhou » (1). Qu'il fait bon de voir un homme de sa valeur spirituelle avoir une foi si simple et si large. Je me suis remplie du chapitre sur la paix parfaite qui remplit son âme. Comment atteindre cette paix parfaite, égale, sans aucun fléchissement malgré les circonstances extérieures ? Il me faut tellement lutter pour la conserver, cette paix : elle monte, elle descend, elle s'en va, elle revient... Ma prière est insuffisante sans doute !

 

Londres, 6 juin 1930.

J'écris, assise sur ma chaise longue au jardin, par une journée radieuse, à l'ombre de la gloire de notre jardin, un admirable hêtre roux dont l'ombrage couvre la moitié de notre grande pelouse. Il y fait délicieux, mais combien j'aimerais, au lieu de flâner, me remêler un peu à la vie de la maison... Je n'arrive pas à reprendre mes forces et j'ai peine à m'y habituer. Au tréfonds de moi-même j'accepte avec soumission toutes nos petites misères - avec reconnaissance même - mais la chair est faible, et prend quelquefois le dessus.
... 20 heures. Me revoilà au lit avec remontée de fièvre... Que Dieu me donne du courage... je le Lui demande tant.

 

Londres, 7 juin 1930.

Malgré mon dos qui me torture en ce moment, j'ai pu, tout à l'heure, plaisanter et rire avec mon pauvre mari. Mon dos est terrible, mais le moral est bon. Je sais que Dieu est avec moi, mais ne le sens pas toujours... Mais je ne murmure pas.

 

Londres, 13 juin 1930.

Quant à ma croix, comment m'en plaindrais-je ? Combien de fois ai-je lu cette parole de Jésus : « Que celui qui veut être mon disciple se charge de sa croix et me suive ». Et je me suis retournée, et j'ai cherché s'il n'y avait point de croix pour moi à porter, et maintenant que Dieu me juge digne d'en porter une, oh, en toute humilité, je Lui dis merci. Cette croix m'a rapprochée de Lui et puis il me semble que c'est enfin un appel direct qu'Il m'adresse. « Maintenant, J'ai besoin de toi, je te donne l'occasion de Me glorifier par la souffrance. Veux-tu le faire ? » Oui, je veux le faire avec joie, mais là où la vaillance manque, c'est que la peur me prend quelquefois. Aurai-je la force de Le glorifier jusqu'au bout ? Jusqu'à présent ce n'est rien, mais si Dieu allait me demander de souffrir physiquement, de plus en plus, sans espoir de guérison, s'Il allait me demander de quitter mes enfants - comme Il l'a demandé à ma mère à quarante-cinq ans -, ne succomberais-je pas ? Peut-être ma croix s'alourdira-t-elle ? Peut-être au contraire sera-ce la délivrance ? Que Sa volonté soit faite... en le disant, cela me soulage, et cela me fait humble. Ma vaillance, mon courage, il me faut tant et tant de fois aller les chercher auprès de Celui qui seul peut les donner... La seule prière qui m'aide et me rend la paix, c'est de dire à Dieu, chaque fois que le découragement me prend : « Père Céleste, que Ta volonté soit faite, mais donne-moi, quelle qu'elle soit : la vie, la mort ou la souffrance, la force de Te glorifier jusqu'au bout ». jusqu'à présent, cela m'a aidée bien des fois.

La malade s'affaiblit à vue d'oeil. Il faut faire quelque chose : le retour en Suisse est décidé. À peine à Lausanne, elle se sent mieux et écrit, tout heureuse à son mari.

 

Lausanne, 19 juillet 1930.

Je continue à me sentir extrêmement bien, à part encore un peu de fatigue. je dors comme un loir, mange beaucoup, n'ai mal nulle part, et chose extraordinaire qui ne m'est pas arrivée depuis des années, ma digestion va fort bien ! Oh ! si je pouvais rentrer « retapée » à Londres !

Mais une tentative de séjour à la montagne, à l'altitude modeste de Gryon, où trois des enfants l'ont rejointe pour leurs vacances - les autres ont les oreillons à Londres - déclenche une nouvelle crise, pire que toutes les précédentes et d'autant plus inattendue, qu'à Lausanne, elles avaient cessé. Aussi, c'est la descente d'urgence dans la plaine, en automobile, étendue sur une civière. Elle fait escale quelques jours dans la chère maison de Béthusy, à Lausanne. Pendant ce temps, son père meurt, à Paris, dans sa quatre-vingt-dixième année, une dizaine de jours après son beau-frère de Montbéliard. L'horizon est infiniment sombre. À Genève, où elle finit par arriver, elle est entre les mains de son beau-frère et du spécialiste, qui tenteront tout ce qu'ils pourront.

 

Lausanne, 3 septembre 1930.

Mon mari est maintenant à Montmorency. Ta chère lettre est venue m'aider à porter le poids de la journée qui commence. Les heures me paraissent si lourdes, et je me sens si peu de forces et de courage. Il m'aurait été moins douloureux si j'avais pu faire quelque chose pour mon pauvre cher père pendant ces derniers jours qui ont été pour lui une telle agonie physique et morale et même si j'avais pu partir avec mon mari hier soir, mais... Oh, combien je remercie Dieu que cet état n'ait pas duré. Il est bon de penser que son âme est maintenant libérée de sa prison, et est auprès de Celui qu'elle avait servi pendant tout son séjour terrestre avec tant de persévérance et de foi. Pour nous, c'est le centre qui disparaît, et je ne puis encore le réaliser.

 

Lausanne, 5 septembre 1930.

Les heures s'écoulent paisibles, mais lentes et lourdes et solitaires, malgré le soleil qui fait tout ce qu'il peut pour m'égayer. Mon père s'est endormi sans souffrances, dans son sommeil même, grâce aux soporifiques qu'on lui donnait.
Tu voudrais savoir comment je vais ? Je ne sais trop que dire. Évidemment, je vais mieux, mais je me sens si atrocement fatiguée... et déprimée. J'ai bien de la peine à porter mon corps, et mes nerfs vont tout de travers. J'arriverai bien jusque chez mon beau-frère qui trouvera peut-être quelque chose pour me remonter... Mais je reviendrai.

Au jour le jour, avec la lumière que Dieu nous donnera, nous verrons ce qu'il y a à faire.

 

Genève, 8 septembre 1930.

La seule chose qui m'a arrêtée pour écrire était une indicible fatigue... je me sentais si mal, sans pouvoir dire où j'avais mal. Mon beau-frère m'a fait une piqûre qui m'a presque instantanément calmée et depuis cela va réellement mieux.
... Depuis tant d'années, mon père nous servait de père et de mère à la fois, et je crois bien que c'est nous, ses plus jeunes enfants, sur qui il déversait toute sa tendresse dans ses lettres, tendresse qu'il savait si mal exprimer de vive voix. Et cette tendresse, cette sympathie, nous manque plus que des mots ne sauraient l'exprimer. Mais il est dans la Lumière, il sait, il voit ! Et de cela nous ne pouvons que remercier Dieu du fond de notre coeur. Sa vie spirituelle n'a pas été facile. Ce n'était pas un mystique, mais un chercheur, un lutteur, qui avait des périodes de brouillard, mais dont la foi n'a jamais flanché malgré tout, grâce à sa vie de prière.
Il nous a laissé un si merveilleux exemple.
... Tu ne peux pas m'éviter la douleur, non, c'est vrai : la douleur et la mort, nous devons y passer seuls ! Mais ne devons-nous pas tous porter notre croix ? Il me semble que c'est cela même qui nous rapproche de Dieu et nous fait sentir Son amour. je n'ai jamais senti le contact divin comme depuis ces derniers mois. Oh, il y a beaucoup, beaucoup d'ombres, de découragements et de larmes, mais je sais pourtant - si je ne le sens pas toujours - qu'Il est là.

 

À son mari :

Genève, 14 septembre 1930.

Que Dieu te garde et te donne la paix dans ton coeur ! Je suis pourtant dans Ses mains et Il nous aime. Je crois qu'Il me donnera d'accepter Sa volonté. Pour l'instant, je le fais avec larmes, mais, sois tranquille, Il me donnera de le faire avec joie. À toi aussi.

 

À son amie

Genève, 14 Septembre 1930.

Je passe par les grosses eaux et je sens ta tendresse qui me porte, m'encourage... je crois que Dieu me donnera d'accepter Sa volonté avec un coeur paisible.
Demande à Celui qui tient ma vie dans Sa main de me conserver le calme et la sérénité. D'un instant à l'autre le calme peut m'abandonner, et il ne le faut pas. Demande à Dieu qu'Il me donne cette certitude que ce n'est que Sa volonté seule qui agira, et que Sa volonté sera la bonne. J'ai peur de la solitude des jours qui viennent, peur de ma pensée vagabonde alimentée par des nerfs malades et que ne dirige plus une volonté, malade, elle aussi... j'ai besoin de tes prières... Le docteur craint quelque chose de grave... je le saurai sans doute cette semaine, et alors, eh bien ! alors, ce sera la lutte des docteurs pour conserver mon corps et la lutte dans mon âme pour trouver la paix

 

Genève, 15 septembre 1930.

Qu'il est dur de dire « Oui » avec joie. J'ai confiance de recevoir la force, mais elle n'est pas encore venue, et c'est bien sombre. Quand je pense à mon mari, à mes petits... je ne souffre presque pas. Tout le monde est très bon et fait ce qu'il peut.

 

À son mari :

Genève, 15 septembre 1930.

Ne sois pas en souci pour moi, en tous cas pour le moment. Tu sais que tout ce qui peut être fait est fait pour moi, et, pour le reste, je crois fermement que ma vie est entre les mains de Dieu et qu'Il sait ce qu'Il a fait ! C'est vers Lui seul que je me tourne. Ou bien Il demandera le grand sacrifice et me donnera la force de l'accepter, et à toi aussi, chéri ; ou bien Il nous donnera la délivrance ... ! Pour le moment, c'est l'attente, l'indécision ... et c'est la nuit et la détresse ; mais bientôt nous verrons clair... Aide-moi à être courageuse, et, de mon côté, je veux t'aider moi aussi, mon chéri ! Que de tendresses et de prières nous entourent !

 

Genève, 18 septembre 1930.

Tu vois que chacun fait tout ce qu'il peut ! Évidemment, ce n'est pas toi, ce ne sont pas mes petits chéris, ce n'est pas Mme B... La croix est un peu lourde, mais nous la porterons ! Il nous la faut porter avec l'aide de Dieu. Chéri, mon chéri, prends courage, j'ai besoin de ton courage, et puis, nous ne sommes pas seuls !

 

Genève, 19 septembre 1930.

Prends courage et regardons en haut, avec larmes peut-être, mais en haut ! J'ai de la peine à voir le soleil, mais peut-être qu'il viendra. Je veux le croire !

 

À son amie

Même jour.

Au milieu de l'après-midi m'arrive ma soeur Jeanne pour rester avec moi jusqu'à dimanche, quand arrivera Zabeth, ma fille.
Tout le monde est si, si bon pour moi. J'ai honte de moi-même d'oser me laisser aller encore au découragement... Dieu est bon !

 

À son mari :

Genève, 20 septembre 1930.

Autant il est faux de fermer les yeux sur ce qui est, - et tu sais certes que je ne le fais pas ! - autant il ne me semble pas juste de dire tout de suite : tout est perdu ! Tant que les médecins jugent bon de me soigner, et tant que Dieu est là, il y a de l'espoir. Ne crois-tu pas que c'est ainsi qu'il faut regarder les choses pour le moment ? Que Dieu nous donne la force de considérer toute chose à Sa lumière, c'est-à-dire avec intelligence, foi, soumission ! Ah ! je n'y suis pas encore, et comme tu le dis, mon inactivité est ma pire ennemie. Qu'il est difficile, pendant ces heures où je suis toute seule, étendue, de ne pas laisser ma pensée marcher, mon imagination travailler ! Mais, je sais que tu penses à moi et m'aides à regarder en haut.

 

À son amie :

Genève, 20 septembre 1930.

Quel curieux et rude apprentissage que la maladie, surtout quand il faut le faire tout d'un coup... Ah ! si j'avais su autrefois, combien en aurais-je pu aider d'autres davantage. Ces longues heures passées à ne rien faire, parce qu'on ne peut rien faire, et à se dire que demain et les jours suivants seront identiques ! C'est le matin, au réveil, que la dépression s'empare de l'âme. Mais si mes paroles sont le résultat d'une souffrance intérieure, ce n'est pas une plainte. Dieu soit béni pour les vingt et une belles années que j'ai derrière moi.

 

À son mari :

Genève, 21 septembre 1930.

En écrivant la date ci-dessus, tout d'un coup je réalise ce qu'elle signifie pour nous : le 21 septembre 1909 ! Voilà vingt et un ans que nous arrivions à Londres, et que ces vingt et un ans ont été pour nous de belles années, riches, heureuses, remplies de bénédictions ! Il fait bon y penser. Pourtant, Dieu ne nous a pas abandonnés pendant ces vingt et un ans ; pourquoi nous abandonnerait-Il maintenant ? Non, vois-tu, Dieu nous tient, me tient encore dans Sa main, et Il peut toutes choses, me rappeler à Lui, ou me rendre la vie ! ...

On va tenter un traitement de rayons X, à doses massives, sur une partie du corps. Le spécialiste ne se fait pas d'illusions. « Un palliatif », a-t-il dit, car il y a des métastases dans tout le système ; néanmoins, on l'appliquera à tout hasard. Médicalement parlant, la malade semble perdue. Entre eux, les médecins ont parlé de Noël comme du terme ultime.


1. B -H. Streeter et A.-J. Appasamy : Le Sadhou, Paris, 1930. 
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