Quatre mois se sont passés : huit semaines d'hôpital, après l'opération ; celle-ci extrêmement sérieuse, mais le redressement a été merveilleux. Le calme, la patience, la sérénité de la malade ont impressionné tous ceux qui l'ont visitée. Les Soeurs elles-mêmes, qui en voient tant, parlent d'elle avec admiration, aujourd'hui encore. Puis trois semaines à la campagne, dans un beau coin du Surrey, pour se préparer au voyage. La Suisse enfin, les bords du Léman, Lausanne, qu'elle connaissait peu. Elle y est reçue à bras ouverts dans une maison amie qui, bientôt, sera pour elle comme un second foyer, une retraite où plus d'une fois elle accourra se réfugier, telle une colombe blessée, quand les choses iront mal.
Lausanne, 17 mars 1930.
Le soleil brille à nouveau sur ce lac et ces montagnes inouïs de beauté. Ce sont les teintes du soleil couchant ! Lausanne laissera dans mon coeur une impression incomparable de beauté et d'amour. Je te dis cela, chéri, parce que je sais que cela te fera plaisir et que, grâce à toi, j'ai de bons amis. - Mais, malgré tout, j'ai besoin de mon home. Je voudrais partir d'ici et rentrer tout droit. Combien je serai reconnaissante et avec quelle joie je reprendrai le manche de la charrue !
Lausanne, 22 mars 1930.
C'est pourtant merveilleux ce qu'il y a de
bonté et d'affection dans ce monde. Je
remercie Dieu tous les jours pour les
bénédictions et les
découvertes que m'a values ma maladie. Non,
le monde n'est pas sec, ce n'est pas un monde sans
coeur !
... Si, par la grâce de Dieu, je
rentre à Londres guérie, combien
j'aimerais donner à cette paroisse encore
quelques bonnes années de travail, afin que
je puisse Lui rendre un peu de ce que j'ai
reçu d'expériences et d'amour pendant
ces mois de maladie ! Il me semble un peu que
j'ai perdu ma vie jusqu'à présent,
travaillant parce que j'avais du plaisir à
travailler, presque en égoïste, et que
maintenant seulement je vais la commencer, donnant
par reconnaissance d'avoir tant reçu des
hommes et de Dieu, aimant par reconnaissance
d'avoir été tant aimée !
Si Dieu le permet, comme cela sera beau et bon de
retravailler ensemble et de former nos enfants pour
Son service.
Clarens, 26 mars 1930.
Je profite de cette période de
détente et de repos pour plus de
recueillement, de prière et c'est si bon et
bienfaisant. Il faut, il faut absolument, pour
pouvoir « vivre », garder te
contact avec Dieu. C'est inutile de vouloir
toujours aller, et aller, ... on en meurt. Il faut
quelquefois s'arrêter et prendre le temps de
rentrer tout au fond de soi-même pour trouver
Dieu. Je le sens tellement ! Ces derniers
mois, depuis mon opération, j'ai tellement
plus de joie et de paix intérieures. Que
Dieu me donne, pour moi-même, mais aussi pour
toi et pour mes enfants, de garder ce contact,
quand je serai rentrée à
Londres ! Puis, cette affection dont je suis
entourée de tous les côtés,
depuis quelques mois, me fait plus de bien que je
ne saurais le dire. Que Dieu me donne d'apprendre
à mieux aimer moi aussi !
Son
cas
réclamait une surveillance médicale
très stricte, crainte de récidive.
À sa grande joie, la première visite
au spécialiste de Genève ne
révéla rien de
suspect.
Genève, 2 avril 1930.
J'étais prête à tout et
j'avais et j'ai remis ma vie complètement
entre les mains de Dieu, mais je t'assure que je ne
me sentais pas très vaillante, ces derniers
jours... et encore ce matin, quand je me suis
dirigée chez R... (pour les radiographies).
Mais c'est passé maintenant.
... Pour cette fois-ci encore, c'est la
délivrance et mon coeur est
allégé, surtout allégé
de pouvoir te l'écrire !
... Voilà une page de ma maladie
tournée pour l'instant. Combien je remercie
Dieu !
Lausanne, 6 avril 1930.
Me voici de nouveau dans mon Lausanne que j'aime
tant, entourée de beauté et d'amour.
Tout mon être se détend et il y fait
si bon ! Hier, quand je suis arrivée,
après une journée de vendredi aussi
pluvieuse qu'une journée peut l'être
à Genève, le soleil m'a reçue
et les montagnes étaient dans leur
magnificence. Chaque fois que je revois cette vue,
celle que l'on a de cette maison, mon âme en
est remplie, soulevée. C'est comme si
j'avalais une grosse bouffée d'air pur des
hauts sommets. Mais ce qui est mieux encore, c'est
d'arriver et de se sentir attendue,
désirée, aimée, de sentir
qu'on n'est pas de trop, mais au contraire que
lorsqu'on était absente, la place a
été vide. Tu penses, si cela fait du
bien ! ...
... Combien je rends grâces
à Dieu, tous les jours, d'avoir
trouvé ces amis que j'aime tant ! Mais
je dois dire que tout le monde a été
pour moi, en Suisse, d'une bonté
indicible...
... Quelle joie de me dire que je vais
de nouveau pouvoir travailler et essayer de rendre
en amour et en activité
tout ce que j'ai reçu. je trouve que ma
position est si enviable. Jamais je n'ai ressenti
dans le coeur une paix comme maintenant. Que Dieu
veuille me la conserver
Le
médecin a autorisé le retour à
Londres. Elle s'en réjouît
énormément et quitte Lausanne vers
mi-avril, s'arrêtant chez sa soeur
aînée, près de
Montbéliard. Elle écrit de là
à son amie.
Vieux-Charmont, 15 avril 1930.
Je ne fais que témoigner d'une
expérience que Dieu m'a permis de faire,
bien tard dans ma vie, mais si lumineuse :
Dieu m'a envoyé une épreuve, c'est
vrai, mais Il en a tellement adouci l'aiguillon,
que je n'ai plus senti l'épreuve, mais
l'Amour immense de Dieu qui m'enveloppait et venait
répondre enfin, et d'une façon
merveilleuse, aux prières angoissées
d'une âme qui sentait tout lui
échapper, prières que j'avais fait
monter vers Lui pendant les mois qui avaient
précédé ma maladie. Dans tout
cela, voyez-vous, je ne suis rien, rien, rien du
tout. Demandez à Dieu pour moi que cette
expérience ne perde pas de sa
luminosité, et qu'elle reste ma force dans
les jours sombres, tristes, difficiles, et m'aide
à donner, donner toujours plus, aimer, aimer
toujours plus.
Elle
reprend,
pour son mari, un thème qui lui semble
essentiel.
Vieux-Charmont, 16 avril 1930.
Oui, chéri, c'est vrai, j'en fais
l'expérience tous les jours : pour
vivre, pour donner quelque chose qui vaille, - je
ne parle même pas de la paix qui en
résulte pour notre âme - pour donner
au monde l'amour et la foi dont il a besoin, il
faut pouvoir prier, méditer, penser, rentrer
au fond de soi-même où, là
seulement, nous trouverons Dieu et retrouverons le
contact avec Lui. Et pour cela, surtout avec le
tourbillon qui nous entoure, et nous tire au
dehors, il faut du temps. Dire quelques mots ou
beaucoup de mots de prière, lire à la
va-vite un passage de la Bible, ce n'est pas cela.
C'est du superficiel. Il faut prendre le temps de
descendre tout au fond de nous-mêmes... Cela
a été une telle joie pour moi,
pendant ces semaines écoulées, depuis
ce fameux 18 novembre, de pouvoir prendre le temps
nécessaire pour trouver ce contact avec
Dieu, et je tremble devant mon retour à
Londres, à l'idée que je ne saurai
plus prendre ce temps ! Par le recueillement
et la prière, j'ai laissé le contact
se faire mieux. Dieu a pu, peut-être, un peu
mieux agir par moi. je le crois et je Lui en dis
merci tous les
jours,
car je sais bien que ce n'est pas moi qui agis - je
me sens moins que rien, si je regarde à
moi-même - c'est bien Sa force qui agit par
moi. Mais si je perds « le »
contact, je perdrai Sa force aussi. Qu'il m'aide
à trouver le moyen !...
Le
voyage est
interrompu à Versailles, chez son autre
soeur. Une nouvelle crise de douleurs
intolérables la terrasse.
J'aimerais mieux remettre au monde six
enfants, que de passer par où j'ai
passé, ces trois derniers jours,
écrit-elle,
quand elle peut
enfin reprendre la plume. Est-ce le mal qui
revient ? Il y a eu une première alerte
en Suisse, après la visite chez le
spécialiste. On a parlé de grippe,
alors. À Versailles on prononce le mot de
névrite. À Londres, ces crises
reviendront toutes les quatre semaines, sans que le
chirurgien, qui l'a opérée, puisse se
prononcer.
À son amie :
Versailles, 26 avril 1930.
Je ne croyais pas qu'on pût tant
souffrir ! Ne parlez plus de ma vaillance, je
n'ai pas été bien vaillante... et
cela n'a duré que 3 jours ! Que
ferais-je si Dieu m'appelait à souffrir des
semaines et des années ? Combien j'ai
encore à apprendre. Que Dieu me donne
d'apprendre ma leçon, ma leçon de
courage, d'humilité, de sympathie et
d'amour... Il m'enseigne cette leçon avec
tant de douceur et tant d'amour !
Jusqu'à présent, j'ai
été préparée par une
vie de bonheur et de bénédiction, et
maintenant, doucement, en me portant dans Ses bras,
par petites étapes, il m'enseigne ma
leçon : ne me plaignez pas.
Quand la souffrance est là, ma
chair gémit, mais mon coeur n'est pas
malheureux, parce que je sens que le Père
veut m'attirer à Lui davantage, et c'est si
doux, si bon... « joie,
confiance ! » Confiance, je l'ai,
mais pas encore joie dans la souffrance !
Enfin,
après quelques jours d'attente, elle peut
rentrer à la maison.
Les
lettres
qui suivent (7 mai au
13 juin) sont
toutes
adressées à son amie.
Londres, 7 mai 1930.
Demandez à Dieu que je reste bien humble et bien fidèle à accomplir Sa volonté, que ce soit dans la lumière ou dans l'obscurité, dans la force ou dans la faiblesse. Il est si facile d'accomplir Sa volonté lorsque tout va bien, lorsque l'amour vous enveloppe de toute part : c'est si difficile lorsque les difficultés de tous les jours vous entourent, lorsqu'un brouillard vient se mettre entre l'âme et Dieu... je veux être fidèle...
Londres, 13 mai 1930.
Mon « Moi » va bien. Il a à lutter. Par moments, quand la fatigue me serre de trop près, la lutte est un peu dure, et le brouillard enveloppe mon âme et le découragement s'en mêle. C'est vers la fin de l'après-midi, vers le soir : par moments, le matin, quand je me lève, j'ai un peu peur de ce qui est devant moi, mais je sais bien que Dieu, le Père, est là quand même. Il faut bien que la foi serve à quelque chose : à quoi serait-elle utile si nous vivions toujours par la vue ? Je suis du reste entourée de tant d'affection, de tant de tendresse humaine, partout où je passe, que je sens qu'à travers tout, c'est bien encore l'amour de Dieu qui m'enveloppe.
Londres, 19 mai 1930.
Votre lettre m'est arrivée samedi matin,
alors que depuis la veille je commençais une
même crise que celle de Versailles. Elle a
été forte, et j'étais sans
courage... Oh, j'ai bien appris ma
leçon ! je ne dois rien faire, pendant
des mois encore, et regarder les autres travailler
et s'éreinter.
... Je jouis ce matin intensément
de toutes choses : c'est si exquis de ne plus
souffrir.
Londres, 25 mai 1930.
Je n'entends que les oiseaux qui chantent, par
une fenêtre ouverte, et au loin le son d'une
cloche d'église. Si vous étiez ici,
vous trouveriez une femme bien fatiguée et,
ce qui est pire, bien déprimée. J'ai
beaucoup de peine à réagir contre cet
état de faiblesse et de fatigue
extrême qui traîne depuis une semaine
sans cause apparente, et dont je ne puis sortir...
je n'ai rien de grave, mais c'est une affaire de
patience, et j'en ai si peu ! Je ne veux
surtout pas que vous me croyiez meilleure que je ne
suis. Je ne suis qu'une pauvre misérable
créature qui, portée par Dieu, est
forte, mais, réduite à
elle-même, est faible et sans courage.
Malgré tout, je ne doute pas de l'Amour de
Dieu, et compte sur lui.
J'ai lu avec beaucoup de joie le
« Sadhou »
(1).
Qu'il fait
bon de voir un homme de sa valeur spirituelle avoir
une foi si simple et si large. Je me suis remplie
du chapitre sur
la
paix parfaite qui remplit son âme. Comment
atteindre cette paix parfaite, égale, sans
aucun fléchissement malgré les
circonstances extérieures ? Il me faut
tellement lutter pour la conserver, cette
paix : elle monte, elle descend, elle s'en va,
elle revient... Ma prière est insuffisante
sans doute !
Londres, 6 juin 1930.
J'écris, assise sur ma chaise longue au
jardin, par une journée radieuse, à
l'ombre de la gloire de notre jardin, un admirable
hêtre roux dont l'ombrage couvre la
moitié de notre grande pelouse. Il y fait
délicieux, mais combien j'aimerais, au lieu
de flâner, me remêler un peu à
la vie de la maison... Je n'arrive pas à
reprendre mes forces et j'ai peine à m'y
habituer. Au tréfonds de moi-même
j'accepte avec soumission toutes nos petites
misères - avec reconnaissance même -
mais la chair est faible, et prend quelquefois le
dessus.
... 20 heures. Me revoilà au lit
avec remontée de fièvre... Que Dieu
me donne du courage... je le Lui demande tant.
Londres, 7 juin 1930.
Malgré mon dos qui me torture en ce moment, j'ai pu, tout à l'heure, plaisanter et rire avec mon pauvre mari. Mon dos est terrible, mais le moral est bon. Je sais que Dieu est avec moi, mais ne le sens pas toujours... Mais je ne murmure pas.
Londres, 13 juin 1930.
Quant à ma croix, comment m'en
plaindrais-je ? Combien de fois ai-je lu cette
parole de Jésus : « Que celui
qui veut être mon disciple se charge de sa
croix et me suive ». Et je me suis
retournée, et j'ai cherché s'il n'y
avait point de croix pour moi à porter, et
maintenant que Dieu me juge digne d'en porter une,
oh, en toute humilité, je Lui dis merci.
Cette croix m'a rapprochée de Lui et puis il
me semble que c'est enfin un appel direct qu'Il
m'adresse. « Maintenant, J'ai besoin de
toi, je te donne l'occasion de Me glorifier par la
souffrance. Veux-tu le faire ? »
Oui, je veux le faire avec joie, mais là
où la vaillance manque, c'est que la peur me
prend quelquefois. Aurai-je la force de Le
glorifier jusqu'au bout ? Jusqu'à
présent ce n'est rien, mais si Dieu allait
me demander de souffrir physiquement, de plus en
plus, sans espoir de guérison, s'Il allait
me demander de quitter mes enfants - comme Il l'a
demandé à ma mère à
quarante-cinq ans -, ne succomberais-je pas ?
Peut-être ma croix s'alourdira-t-elle ?
Peut-être au contraire sera-ce la
délivrance ? Que Sa
volonté soit faite... en le disant, cela me
soulage, et cela me fait humble. Ma vaillance, mon
courage, il me faut tant et tant de fois aller les
chercher auprès de Celui qui seul peut les
donner... La seule prière qui m'aide et me
rend la paix, c'est de dire à Dieu, chaque
fois que le découragement me prend :
« Père Céleste, que Ta
volonté soit faite, mais donne-moi, quelle
qu'elle soit : la vie, la mort ou la
souffrance, la force de Te glorifier jusqu'au
bout ». jusqu'à présent,
cela m'a aidée bien des fois.
La
malade
s'affaiblit à vue d'oeil. Il faut faire
quelque chose : le retour en Suisse est
décidé. À peine à
Lausanne, elle se sent mieux et écrit, tout
heureuse à son mari.
Lausanne, 19 juillet 1930.
Je continue à me sentir extrêmement
bien, à part encore un peu de fatigue. je
dors comme un loir, mange beaucoup, n'ai mal nulle
part, et chose extraordinaire qui ne m'est pas
arrivée depuis des années, ma
digestion va fort bien ! Oh ! si je
pouvais rentrer
« retapée » à
Londres !
Mais
une
tentative de séjour à la montagne,
à l'altitude modeste de Gryon, où
trois des enfants l'ont rejointe pour leurs
vacances - les autres ont les oreillons à
Londres - déclenche une nouvelle crise, pire
que toutes les précédentes et
d'autant plus inattendue, qu'à Lausanne,
elles avaient cessé. Aussi, c'est la
descente d'urgence dans la plaine, en automobile,
étendue sur une civière. Elle fait
escale quelques jours dans la chère maison
de Béthusy, à Lausanne. Pendant ce
temps, son père meurt, à Paris, dans
sa quatre-vingt-dixième année, une
dizaine de jours après son beau-frère
de Montbéliard. L'horizon est infiniment
sombre. À Genève, où elle
finit par arriver, elle est entre les mains de son
beau-frère et du spécialiste, qui
tenteront tout ce qu'ils pourront.
Lausanne, 3 septembre 1930.
Mon mari est maintenant à Montmorency. Ta chère lettre est venue m'aider à porter le poids de la journée qui commence. Les heures me paraissent si lourdes, et je me sens si peu de forces et de courage. Il m'aurait été moins douloureux si j'avais pu faire quelque chose pour mon pauvre cher père pendant ces derniers jours qui ont été pour lui une telle agonie physique et morale et même si j'avais pu partir avec mon mari hier soir, mais... Oh, combien je remercie Dieu que cet état n'ait pas duré. Il est bon de penser que son âme est maintenant libérée de sa prison, et est auprès de Celui qu'elle avait servi pendant tout son séjour terrestre avec tant de persévérance et de foi. Pour nous, c'est le centre qui disparaît, et je ne puis encore le réaliser.
Lausanne, 5 septembre 1930.
Les heures s'écoulent paisibles, mais
lentes et lourdes et solitaires, malgré le
soleil qui fait tout ce qu'il peut pour
m'égayer. Mon père s'est endormi sans
souffrances, dans son sommeil même,
grâce aux soporifiques qu'on lui
donnait.
Tu voudrais savoir comment je
vais ? Je ne sais trop que dire.
Évidemment, je vais mieux, mais je me sens
si atrocement fatiguée... et
déprimée. J'ai bien de la peine
à porter mon corps, et mes nerfs vont tout
de travers. J'arriverai bien jusque chez mon
beau-frère qui trouvera peut-être
quelque chose pour me remonter... Mais je
reviendrai.
Au jour le jour, avec la lumière
que Dieu nous donnera, nous verrons ce qu'il y a
à faire.
Genève, 8 septembre 1930.
La seule chose qui m'a arrêtée pour
écrire était une indicible fatigue...
je me sentais si mal, sans pouvoir dire où
j'avais mal. Mon beau-frère m'a fait une
piqûre qui m'a presque instantanément
calmée et depuis cela va réellement
mieux.
... Depuis tant d'années, mon
père nous servait de père et de
mère à la fois, et je crois bien que
c'est nous, ses plus jeunes enfants, sur qui il
déversait toute sa tendresse dans ses
lettres, tendresse qu'il savait si mal exprimer de
vive voix. Et cette tendresse, cette sympathie,
nous manque plus que des mots ne sauraient
l'exprimer. Mais il est dans la Lumière, il
sait, il voit ! Et de cela nous ne pouvons que
remercier Dieu du fond de notre coeur. Sa vie
spirituelle n'a pas été facile. Ce
n'était pas un mystique, mais un chercheur,
un lutteur, qui avait des périodes de
brouillard, mais dont la foi n'a jamais
flanché malgré tout, grâce
à sa vie de prière.
Il nous a laissé un si
merveilleux exemple.
... Tu ne peux pas m'éviter la
douleur, non, c'est vrai : la douleur et la
mort, nous devons y passer seuls ! Mais ne
devons-nous
pas tous porter notre croix ? Il me semble que
c'est cela même qui nous rapproche de Dieu et
nous fait sentir Son amour. je n'ai jamais senti le
contact divin comme depuis ces derniers mois. Oh,
il y a beaucoup, beaucoup d'ombres, de
découragements et de larmes, mais je sais
pourtant - si je ne le sens pas toujours - qu'Il
est là.
À son mari :
Genève, 14 septembre 1930.
Que Dieu te garde et te donne la paix dans ton coeur ! Je suis pourtant dans Ses mains et Il nous aime. Je crois qu'Il me donnera d'accepter Sa volonté. Pour l'instant, je le fais avec larmes, mais, sois tranquille, Il me donnera de le faire avec joie. À toi aussi.
À son amie
Genève, 14 Septembre 1930.
Je passe par les grosses eaux et je sens ta
tendresse qui me porte, m'encourage... je crois que
Dieu me donnera d'accepter Sa volonté avec
un coeur paisible.
Demande à Celui qui tient ma vie
dans Sa main de me conserver le calme et la
sérénité. D'un instant
à l'autre le calme peut m'abandonner, et il
ne le faut pas. Demande à Dieu qu'Il me
donne cette certitude que ce n'est que Sa
volonté seule qui agira, et que Sa
volonté sera la bonne. J'ai peur de la
solitude des jours qui viennent, peur de ma
pensée vagabonde alimentée par des
nerfs malades et que ne dirige plus une
volonté, malade, elle aussi... j'ai besoin
de tes prières... Le docteur craint quelque
chose de grave... je le saurai sans doute cette
semaine, et alors, eh bien ! alors, ce sera la
lutte des docteurs pour conserver mon corps et la
lutte dans mon âme pour trouver la paix
Genève, 15 septembre 1930.
Qu'il est dur de dire « Oui » avec joie. J'ai confiance de recevoir la force, mais elle n'est pas encore venue, et c'est bien sombre. Quand je pense à mon mari, à mes petits... je ne souffre presque pas. Tout le monde est très bon et fait ce qu'il peut.
À son mari :
Genève, 15 septembre 1930.
Ne sois pas en souci pour moi, en tous cas pour le moment. Tu sais que tout ce qui peut être fait est fait pour moi, et, pour le reste, je crois fermement que ma vie est entre les mains de Dieu et qu'Il sait ce qu'Il a fait ! C'est vers Lui seul que je me tourne. Ou bien Il demandera le grand sacrifice et me donnera la force de l'accepter, et à toi aussi, chéri ; ou bien Il nous donnera la délivrance ... ! Pour le moment, c'est l'attente, l'indécision ... et c'est la nuit et la détresse ; mais bientôt nous verrons clair... Aide-moi à être courageuse, et, de mon côté, je veux t'aider moi aussi, mon chéri ! Que de tendresses et de prières nous entourent !
Genève, 18 septembre 1930.
Tu vois que chacun fait tout ce qu'il peut ! Évidemment, ce n'est pas toi, ce ne sont pas mes petits chéris, ce n'est pas Mme B... La croix est un peu lourde, mais nous la porterons ! Il nous la faut porter avec l'aide de Dieu. Chéri, mon chéri, prends courage, j'ai besoin de ton courage, et puis, nous ne sommes pas seuls !
Genève, 19 septembre 1930.
Prends courage et regardons en haut, avec larmes peut-être, mais en haut ! J'ai de la peine à voir le soleil, mais peut-être qu'il viendra. Je veux le croire !
À son amie
Même jour.
Au milieu de l'après-midi m'arrive ma
soeur Jeanne pour rester avec moi jusqu'à
dimanche, quand arrivera Zabeth, ma fille.
Tout le monde est si, si bon pour moi.
J'ai honte de moi-même d'oser me laisser
aller encore au découragement... Dieu est
bon !
À son mari :
Genève, 20 septembre 1930.
Autant il est faux de fermer les yeux sur ce qui est, - et tu sais certes que je ne le fais pas ! - autant il ne me semble pas juste de dire tout de suite : tout est perdu ! Tant que les médecins jugent bon de me soigner, et tant que Dieu est là, il y a de l'espoir. Ne crois-tu pas que c'est ainsi qu'il faut regarder les choses pour le moment ? Que Dieu nous donne la force de considérer toute chose à Sa lumière, c'est-à-dire avec intelligence, foi, soumission ! Ah ! je n'y suis pas encore, et comme tu le dis, mon inactivité est ma pire ennemie. Qu'il est difficile, pendant ces heures où je suis toute seule, étendue, de ne pas laisser ma pensée marcher, mon imagination travailler ! Mais, je sais que tu penses à moi et m'aides à regarder en haut.
À son amie :
Genève, 20 septembre 1930.
Quel curieux et rude apprentissage que la maladie, surtout quand il faut le faire tout d'un coup... Ah ! si j'avais su autrefois, combien en aurais-je pu aider d'autres davantage. Ces longues heures passées à ne rien faire, parce qu'on ne peut rien faire, et à se dire que demain et les jours suivants seront identiques ! C'est le matin, au réveil, que la dépression s'empare de l'âme. Mais si mes paroles sont le résultat d'une souffrance intérieure, ce n'est pas une plainte. Dieu soit béni pour les vingt et une belles années que j'ai derrière moi.
À son mari :
Genève, 21 septembre 1930.
En écrivant la date ci-dessus, tout d'un
coup je réalise ce qu'elle signifie pour
nous : le 21 septembre 1909 !
Voilà vingt et un ans que nous arrivions
à Londres, et que ces vingt et un ans ont
été pour nous de belles
années, riches, heureuses, remplies de
bénédictions ! Il fait bon y
penser. Pourtant, Dieu ne nous a pas
abandonnés pendant ces vingt et un
ans ; pourquoi nous abandonnerait-Il
maintenant ? Non, vois-tu, Dieu nous tient, me
tient encore dans Sa main, et Il peut toutes
choses, me rappeler à Lui, ou me rendre la
vie ! ...
On
va tenter un
traitement de rayons X, à doses massives,
sur une partie du corps. Le spécialiste ne
se fait pas d'illusions. « Un
palliatif », a-t-il dit, car il y a des
métastases dans tout le
système ; néanmoins, on
l'appliquera à tout hasard.
Médicalement parlant, la malade semble
perdue. Entre eux, les médecins ont
parlé de Noël comme du terme ultime.
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