Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XX

Au tombeau d'une épouse.

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 La vie de Sara fut de cent vingt-sept ans : telle, sont les années de la vie de Sara. Sara mourut à Kirjath-Arba, qui est Hébron, dans le pays de Canaan ; et Abraham vint pour mener deuil sur Sara et pour la pleurer. Abraham se leva de devant son mort, et parla ainsi aux fils de Heth : Je suis étranger et habitant parmi vous ; donnez-moi la possession d'un sépulcre chez vous, pour enterrer mon mort et l'ôter de devant moi, Les fils de Heth répondirent à Abraham, en lui disant : Écoute-nous, mon seigneur ! Tu es un prince de Dieu au milieu de nous ; enterre ton mort dans celui de nos sépulcres que tu choisiras ; aucun de nous ne te refusera son sépulcre pour enterrer ton mort. Abraham se leva et se prosterna devant le peuple du pays, devant les fils de Heth. Et il leur parla ainsi : Si vous permettez que j'enterre mon mort et que je l'ôte de devant mes yeux, écoutez-moi, et priez pour moi Ephron, fils de Tsochar, de me céder la caverne de Macpéla qui lui appartient, à l'extrémité de son champ, de me la céder contre sa valeur en argent, afin qu'elle me serve de possession sépulcrale au milieu de vous. Ephron était assis parmi les fils de Heth. Et Ephron, le Héthien, répondit à Abraham, en présence des fils de Heth et de tous ceux qui entraient par la porte de sa ville : Non, mon seigneur, écoute-moi ! Je te donne le champ, et je te donne la caverne qui y est. Je te les donne, aux yeux des fils de mon peuple : enterre ton mort. Abraham se prosterna devant le peuple du pays. Et il parla ainsi à Ephron, en présence du peuple du pays : Écoute-moi, je te prie ! Je donne le prix du champ : accepte-le de moi ; et j'y enterrerai mon mort. Et Ephron répondit à Abraham, en lui disant : Mon seigneur, écoute-moi ! Une terre de quatre cents sicles d'argent, qu'est-ce que cela entre moi et Lui ? Enterre ton mort. Abraham comprit Ephron ; et Abraham pesa à Ephron l'argent qu'il avait dit, en présence des fils de Heth, quatre cents sicles d'argent, avant cours chez le marchand.
Le champ d'Ephron à Macpéla, vis-à-vis de Mamré, le champ et la caverne qui y est, et tous les arbres qui sont dans le champ et dans toutes ses limites alentour, devinrent ainsi la propriété d'Abraham, aux yeux des fils de Heth et de tous ceux qui entraient par la porte de sa ville. Après cela, Abraham enterra Sara, sa femme, dans la caverne du champ de Macpéla, vis-à-vis de Mamré, qui est Hébron, dans le pays de Canaan. Le champ et la caverne qui y est, demeurèrent à Abraham comme possession sépulcrale, acquise des fils de Heth. »

Gen. XXIII, 1-20.


1. Le deuil d'Abraham.

Le deuil pénètre dans la maison des croyants aussi bien que dans d'autres demeures. Des accents de tristesse, les cris qui, chez les anciens, accompagnaient la venue de la mort, sortent des tentes du patriarche. Toutefois il ne pleure pas comme ceux qui n'ont aucune espérance. Celui qui marche avec Dieu sait que Dieu est la source de la vie. Le chapitre VIIe de l'Apocalypse, où nous est dépeinte la gloire à venir, se termine par ces mots : « Dieu essuiera toute larme de leurs yeux. » Il est peu de paroles dans la Bible propres à nous donner, comme celle-là, une idée de l'amour maternel de Dieu pour nous. Car son amour n'est pas seulement celui d'un Père, c'est celui d'une mère. Ne vous souvient-il pas du temps heureux où votre mère séchait vos larmes en posant sa main sur votre front. Ce doux contact vous consolait. Je ne sais qui il rendait plus heureux, de votre mère à qui il permettait de vous rasséréner ou de vous ?

« Dieu essuiera toute larme de mes yeux », voilà ce que je puis me dire et cette pensée suffit à m'assurer de la félicité à venir. Cette oeuvre de Dieu doit, en effet, créer entre lui et nous, objets de son tendre amour, la plus ineffable communion,

Votre mère ne réussissait pas toujours à vous consoler. Elle n'en avait pas le pouvoir. Dieu le pourra. Il saura nous montrer dans nos plus profondes douleurs la bénédiction secrète qu'y avait cachée son amour.

« Pourquoi, a-t-on demandé, est-il tant de larmes versées sur la terre ? » La réponse à ce pourquoi a été donnée de la manière suivante : « C'est afin que Dieu ait l'occasion de les essuyer, et de vous montrer tout son amour. » Oh ! si nos larmes étaient toujours accompagnées d'un sentiment de confiance en Dieu ! Si le murmure, des récriminations ne venaient pas constamment déparer nos tristesses ! Elles créeraient entre Dieu et nous, déjà sur cette terre, un lien nouveau ; déjà ici-bas Dieu voudrait les consoler. Les larmes de la foi sont celles dont il est écrit : « Ceux qui sèment avec larmes moissonneront avec chants d'allégresse » (Ps. CXXVI).

Abraham a connu ces larmes. Le doux sentiment de confiance qui les accompagnait, ne les empêcha pas d'être des larmes, d'avoir leur amertume. Il avait perdu sa compagne bien-aimée à laquelle le liaient tant de souvenirs. Il avait joué avec elle, enfant, car elle était sa soeur de père. Elle s'en était allée à l'âge de cent vingt-sept ans. Mais si belle que fût sa santé, la mort l'avait atteinte. Il semble résulter des détails de notre texte qu'elle mourut doucement, sans longues souffrances. Ainsi que le dit le poète : « Dieu peut nous faire franchir en rêve les portes de la mort, le passage qui rend libre. » Il prend parfois les siens dans le sommeil. En tout cas, il nous est dit qu'Abraham « vint pour mener le deuil sur Sara ». Il était donc absent quand elle mourut. Il ne l'eût pas été si elle avait été gravement malade.

L'enfant de Dieu ne s'interdit pas les pleurs. Loin de diminuer la sensibilité, la piété la développe. On peut même soutenir que le croyant seul sent toute l'horreur de la mort. Tandis qu'elle apparaît aux autres comme un événement naturel, il y voit une atteinte portée à l'image de Dieu en nous. Je me figure donc Abraham considérant avec une émotion particulière le corps de son épouse : N'avait-il pas vécu avec elle dans le mariage près d'un siècle ? Pendant ce laps de temps, ils avaient partagé les mêmes peines et les mêmes joies. Ils étaient unis l'un à l'autre surtout par la communauté de la foi. Car c'est la piété qui donne aux affections leur caractère élevé, leur intimité et les rend dignes de l'éternité.

Lecteur, vous vous êtes sans doute assis déjà près d'un cercueil. Était-ce celui d'un enfant, d'un petit enfant, d'un père, d'une mère, d'un époux, d'une épouse ? Je ne sais. La mort nous enlève ceux dont nous nous croyons inséparables. Vous connaissez ces longues veilles, où l'on remémore tout un passé, où l'on se souvient de ce qu'ont été pour nous ceux qui ne sont plus, où l'on regrette de n'avoir pas été meilleur pour eux. Il est alors peut-être bien des actes, bien des paroles à déplorer. Mais si l'on est uni, à l'esprit qui s'est envolé, par les liens puissants d'une même foi, l'on sait que, malgré tout, l'on se retrouvera un jour avec lui au céleste rendez-vous de l'amitié chrétienne.


2. Le tombeau de Sara.

L'histoire de la sépulture de Sara dans la caverne de Macpéla parait d'abord peu édifiante. L'acquisition de la caverne donne lieu à une vraie transaction commerciale. Et l'on sait que la foi, la charité chrétienne ne jouent qu'un mince rôle en affaires. Un commerçant me disait : « Le bon Dieu devrait se faire chloroformer, chaque fois qu'une affaire se conclut. » Il est constant, en effet, qu'en affaires, le plus souvent, chacun pense à son avantage. Remarquez pourtant que la transaction entre Abraham et Ephron se poursuit avec dignité et politesse. Elle s'accompagne aussi de part et d'autre d'une circonspection qui ferait envie à l'un de nos notaires.... En méditant sur l'achat de la caverne, je suis pourtant arrivé à la persuasion qu'il fut un grand acte de foi.

Nous avons laissé Abraham auprès du corps de Sara. Il a dû le quitter pour se mettre en quête d'un tombeau. Des soins matériels nous réclament aussi quand la mort entre dans nos maisons. Il faut aviser les parents, les amis, commander un cercueil, ordonner les dispositions de l'enterrement, recevoir des visiteurs. Nous nous permettrons de donner à ce propos quelques conseils : Éviter le faste dans un enterrement ; ne pas recevoir beaucoup de visites ; recevoir celles qui apportent avec elles des pensées sérieuses. Lorsque Dieu ravit l'un des membres de nos familles, c'est qu'il a quelque chose à nous dire. Hélas, mille fois au lieu d'écouter, de nous recueillir pour entendre sa parole, nous écoutons des discours humains. Il faut raconter dans ses moindres détails la maladie, la mort du défunt.... Dans cette occupation, les bonnes pensées, les bonnes résolutions s'évanouissent à plaisir.
Prenons garde aussi à l'espèce de dissipation pouvant naître des oraisons funèbres, qui dégénèrent peu à peu en panégyriques. Cet excès n'est malheureusement pas très rare.

Revenons-en à Abraham. Il n'a pas de sépulcre à lui. Cela nous rappelle qu'il fut étranger et voyageur dans le pays de Canaan. Je songe que le Sauveur ne posséda pas non plus un lieu où reposer sa tête. Qui sait ce qui serait advenu de son corps, si Joseph d'Arimathée n'avait pas offert à propos un tombeau neuf ? Ce qu'Abraham ne possède pas, il l'attend de la bonne volonté des païens. Il s'assure en sa foi pour obtenir ce qu'il demande, et continue à marcher, jusque dans cette affaire, par la foi.

Certainement, Abraham s'était auparavant déjà posé la question de l'acquisition d'un tombeau. Il avait choisi éventuellement un emplacement. Sinon, il n'aurait pu indiquer d'emblée Macpéla. Il s'en va directement à la porte de la ville, où la population se rassemblait. Il est à remarquer qu'il y traite son affaire en affaire et s'abstient de faire du sentiment devant des païens. Les Cananéens le reçoivent avec respect. Il est pour eux un chef puissant. Ne l'appellent-ils pas un « prince de Dieu » ? Les vertus d'Abraham, sa douceur, sa charité, sa bravoure, sa fidélité étonnaient les idolâtres et leur apparaissaient comme un reflet de la présence de la divinité auprès du patriarche. C'est ainsi que nous devons nous efforcer de montrer en nous, dans nos vies, par notre conduite, la présence de l'Esprit de Christ, de l'Esprit de Dieu.

Abraham veut acheter un tombeau. Les enfants de Heth lui offrent une place pour Sara dans un de leurs sépulcres. Mais Abraham tient à acheter la grotte qui appartient à Ephron et qui est située en face de Mamré. Il désire acquérir non seulement la caverne, mais des arbres, le champ qui l'avoisine. Il ne faut pas qu'aucune contestation puisse s'élever de la part des héritiers d'Ephron au sujet de la propriété. La terre est payée quatre cents sicles, soit environ douze cents francs de notre monnaie, somme très considérable pour l'époque !

Mais pourquoi Abraham attache-t-il de l'importance à la possession d'un tombeau ? Tient-il avant tout à reposer près de sa compagne ? Un tel désir se comprend chez ceux qui ont longtemps vécu ensemble. Mais nous ne croyons pas que ce soit là le principal mobile d'Abraham. Si l'on croit à une vie future, à la résurrection, l'association des sépultures n'a pas d'importance. Dieu n'a-t-il pas le pouvoir de réunir ceux dont les restes sont séparés ? Qu'est-ce qui inspira donc Abraham ? Je crois que c'est sa foi. Ce n'est pas sans raison qu'il est appelé le père des croyants. Or, Dieu avait promis à Abraham de lui donner la terre sur laquelle il se trouvait. En y acquérant un tombeau, le patriarche a certainement voulu offrir un témoignage éclatant de sa confiance en l'oracle divin. Ce tombeau sera un monument, non de la puissance de la mort, mais de la puissance de la foi. J'y lis le mot Credo (je crois). Par cette acquisition, Abraham prend en effet en quelque sorte possession pour lui et ses descendants de la terre qui sera la propriété de sa race. L'achat de la caverne de Macpéla a la même signification que l'érection des autels dont nous avons parlé.

Abraham a entrevu les merveilles dont cette terre, devenue sainte à ses yeux par la promesse divine, sera le théâtre. Il y naîtra des rois et des prophètes remplis de l'Esprit de Dieu. Les anges y descendront. Le Fils de Dieu y habitera ; il mêlera en Gethsémané, sur la croix, des gouttes de son sang à la poudre de cette terre. De cette terre, il montera au ciel comme le vainqueur de la mort et du péché. Et Abraham pressent toutes ces grandes choses. De là encore l'attachement qu'il a pour ce pays de Canaan.

Un souffle de vie, un souffle de foi vient donc jusqu'à nous de la caverne de Macpéla. Car une foi comme celle d'Abraham est nécessairement victorieuse de la mort. Celui qui a pu dire à Dieu de tout son coeur : « Mon Dieu » est assuré de revivre, parce que Dieu qui crée la vie ne peut pas laisser périr celui qu'il aime.

Et maintenant, vous rendez-vous compte de la vénération qui a entouré plus tard cette caverne où Abraham fut enterré à côté de Sara, où furent enterrés Isaac et sa femme, les femmes de Jacob ? Comprenez-vous pourquoi Jacob, lorsqu'il meurt en exil sur la terre des Pharaons, fait jurer à ses fils qu'ils l'enterreront dans la grotte d'Ephron ? Comprenez-vous qu'Israël, en quittant l'Égypte, ait emporté avec lui les os de Joseph pour les déposer en ce lieu consacré ? La caverne de Macpéla exerça sur les Hébreux pendant leur séjour en Égypte une sainte attraction, attendu qu'elle leur parla de la foi et des espérances grandioses du patriarche.

Imitons cette foi du père des croyants. Nous n'attendons plus le Sauveur, il est venu. Mieux qu'Abraham encore, nous possédons, si nous le voulons, par Christ, l'assurance de la vie éternelle. Sachons dès lors donner aussi un accent, une expression à cette espérance, en particulier dans nos jours de deuil.

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