3. À propos de notre
baptême.
Après avoir donné à son
fils le nom d'Isaac, Abraham le circoncit au bout
de huit jours, selon l'ordre de l'Éternel.
La circoncision était pour les
Israélites ce qu'est pour nous le
baptême, le signe visible de l'introduction dans
l'alliance de Dieu.
Comme
je n'écris pas un livre destiné
à des lecteurs juifs, on me permettra de me
borner à parler ici du baptême
chrétien, en qui se trouve la
réalité de la cérémonie
instituée par l'ancienne alliance pour les
petits enfants.
Dès qu'un enfant est né dans
une famille chrétienne, on s'entretient de
son baptême. On en fixe l'époque, on
cherche au nouveau-né des parrains et
marraines. En Allemagne, on se demande si le
baptême aura lieu à la maison ou
à l'église. Deux seules classes de
personnes ne songent point alors à cette
cérémonie : les
incrédules et les baptistes, les
irréligieux et ceux qui obéissent au
scrupule religieux. Les baptistes sont d'avis que
la foi doit précéder le
baptême ; comme elle n'existe pas chez
l'enfant, ils rejettent le baptême des petits
enfants. Nous ne partageons pas leur scrupule.
(note)
Mais il faut reconnaître qu'il est
respectable, qu'il peut invoquer en sa faveur de
nombreux arguments, s'appuyer en particulier sur
les Écritures.
Les fanatiques seuls, ceux qui ont un
attachement exagéré pour leur
église, ses rites et ses coutumes, jetteront
un regard de dédain sur les baptistes. Quant
à ceux qui rejettent le baptême, parce
qu'ils n'ont pas de besoins religieux, ils sont
conséquents avec eux-mêmes. Il fut un
temps où la loi rendait le baptême
obligatoire. Grâce à Dieu, cette
disposition tyrannique a été
écartée. Mais ses fâcheux
effets se font encore sentir. On s'est
habitué pendant des siècles à
recevoir de l'État l'impulsion religieuse.
Quand on a vu qu'il ne rendait plus obligatoire le
baptême des enfants, la confirmation, la
cène, la bénédiction nuptiale,
on a dit : « Puisque l'État
ne nous impose plus ces choses, elles n'ont pas
d'importance. » Le résultat est
que, dans beaucoup de familles, à
Brème en particulier, la ville que j'habite,
on a cessé, en nombre de familles, de
baptiser les petits enfants. Il m'est arrivé
dès lors plus d'une fois d'avoir à
baptiser des frères et soeurs
déjà grands ; c'est que la
conscience de leurs parents avait parlé, que
ceux-ci avaient fini par reconnaître
l'importance du baptême. En
général toutefois,
la puissance de l'habitude a maintenu le vieil
usage du baptême du petit enfant. Il en sera
peut-être autrement dans un avenir prochain,
quand les sages de ce monde, les membres des
classes élevées s'éloigneront
décidément, ce que l'on peut
craindre, du christianisme. Jusqu'à
présent, à voir les choses dans leur
ensemble, nous avons le droit de dire que le
baptême est la règle au sein de nos
populations. Presque chacun est baptisé au
nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, les
enfants des railleurs, comme ceux des
athées, comme ceux des croyants, comme ceux
des ignorants, comme ceux des savants, comme ceux
des pauvres, comme ceux des riches.
Le baptême primitif n'a point dû
être une aspersion, mais un plongement dans
une eau profonde et courante. C'est à cause
de la rigueur de notre climat septentrional, pour
d'autres raisons encore que le plongement a
été transformé en une
aspersion. Il convient cependant de ne pas oublier
le rite primitif.
L'eau profonde et courante
représentait les flots inépuisables
de la grâce divine
révélée en
Jésus-Christ. Lorsque le baptisé
disparaissait sous l'eau, où il était
complètement plongé, il y avait
là une image de la mort du vieil homme sous
l'influence de la grâce. L'apôtre
Pau ! écrit, en effet, aux
Romains : « Nous avons
été ensevelis avec Christ par le
baptême en sa mort »
(Rom.
VI, 4). Quand le baptisé
sortait la tête de l'eau, il y avait
là une nouvelle naissance. L'eau, d'un si
grand prix en Orient, n'y est pas seulement un
symbole de pureté, mais encore d'action
rafraîchissante et vivifiante. Aussi le
baptisé avait-il à se préparer
à une vie nouvelle. Paul, continuant
à parler du baptême, ajoute :
« Afin que, comme Christ est
ressuscité des morts par la gloire du
Père, de même nous aussi, nous
marchions en nouveauté de vie »
(Rom.
VI, 4). C'est pour cela que,
dans l'ancienne Église, les néophytes
revêtaient après le baptême des
vêtements blancs, le signe de la
nouveauté de la vie. Nous comprenons aussi,
qu'au temps apostolique, le don de l'effusion de
l'Esprit de Dieu, principe d'une
vie nouvelle, concordât avec le
baptême.
Le baptême suppose la foi. Il est le
signe de l'alliance de Dieu avec l'homme, le
symbole du don de la grâce divine, du pardon.
Mais une alliance veut deux contractants. Si Dieu
se présente à nous avec sa
grâce, nous devons, nous aussi, nous
présenter à lui avec l'offrande de
notre foi. La foi, qui n'existe pas chez le petit
enfant, devra être remplacée au moins
par celle des parents. Le croyant venant au
baptême, tient donc ce langage
intérieur : « Persuadé
que Jésus-Christ est mon unique ressource
dans la vie et dans la mort, mon roi et mon
Sauveur, je viens à lui, je m'offre à
lui, âme et corps, en vivante
offrande »
(Rom.
XII, 1). Et Dieu accepte un tel
sacrifice. Dieu déclare dans le
baptême que celui qui tient ce langage est
reçu en grâce pour l'amour de Christ,
qu'il devient l'héritier de la vie
éternelle. Dieu déclare dans le
baptême vouloir protéger de toute sa
miséricorde, de toute sa puissance, avec une
divine patience, le baptisé.
En recevant le baptême, nous faisons
donc une profession de foi. Nous disons :
« Jésus m'a sauvé, et je
suis son héritage particulier. »
Voilà pourquoi il sera bon, dans nos jours
d'angoisse, de tentation, de doute, de nous
souvenir de notre baptême. Celui-ci nous
rappellera que Dieu s'est penché vers nous
avec miséricorde, dès les premiers
jours de notre vie. Nous avons pu nous
égarer, tout a pu s'écrouler autour
de nous. Cette certitude nous demeure :
« Christ est à moi, et je suis
à Christ, nul ne peut nous séparer.
Il m'a revêtu des vêtements du salut,
de la robe de la justice. Il a commencé en
moi sa bonne oeuvre, il la poursuivra
jusqu'à ce qu'il l'ait
achevée. » Songeant à ses
dons, nous chanterons avec l'un de nos
cantiques :
Non, il ne nous laissera pas. Mais il faut que
nous ne le laissions pas non plus. Nous pouvons
nous séparer nous-mêmes de Christ.
Oui, nous le pouvons, en dépit de toutes les
affirmations des théologiens sur
« la grâce
inadmissible ». L'expérience
chrétienne démontre que l'on peut
être rejeté par sa faute, après
avoir reçu l'Esprit de Dieu.
L'Écriture nous répète sans
cesse : « Veillez ! »
Et Paul dit à ceux qui ont été
baptisés : « Regardez-vous
comme morts au péché »
(Rom.
VI, 11).
S'il est certain que nous sommes des enfants
de Dieu, il n'est pas moins sûr que nous
avons à éloigner de nous tout ce qui
nous dégraderait. Éveillons
dès lors en nous, d'heure en heure, la
conscience de notre vocation céleste.
Disons-nous que nous sommes les enfants d'un roi,
à côté duquel toutes les
majestés de la terre sont poudre et cendre.
Et conduisons-nous en fils et filles de roi. Honte
sur nous, si nous déshonorons le nom de
notre Père céleste ! Restons
dignes de notre adoption ! Élevons
fièrement la tête en repoussant le
péché. Tout orgueil est
misérable, celui du paysan qui marche en
sabots dans la boue, celui du noble qui se pavane
sur son grand cheval, celui du prêtre
drapé dans le long manteau de la
piété. Il n'est qu'une fierté
recommandable, celle de notre parenté et de
notre union avec Dieu, avec le Dieu saint et
miséricordieux. C'est elle qui nous
élève et nous humilie en même
temps. Elle sera notre grand préservatif
contre les hontes du péché.
Être mort au péché,
vivant à la justice, telle sera la devise de
ceux qui comprennent la signification profonde de
leur baptême. Jésus a envoyé
ses disciples dans le monde pour qu'ils lui servent
de témoins, pour qu'ils annoncent son nom
par leurs oeuvres et par toute leur conduite. Ils
ont dès lors à haïr le
péché, à le combattre,
à supporter avec patience les
calamités de leur époque, à
tenir haut élevée la bannière
de Jésus-Christ, à être ses
courageux confesseurs, des ouvriers de son
règne, prêts à sacrifier leur
argent, leur temps et leurs forces. Chaque enfant
de Dieu est appelé à agir pour l'avancement du
règne de
Dieu sur la terre. Son travail dans ce but ne doit
pas lui être un fardeau, mais un
privilège. Tout croyant a le strict devoir
de remercier Dieu de pouvoir faire quelque chose en
ce monde pour son Sauveur ; il n'importe qu'il
puisse faire peu ou beaucoup.
N'avez-vous pas été
frappé du manque de joie avec lequel la
plupart des chrétiens accomplissent leurs
oeuvres chrétiennes ? Ils parlent
volontiers pour s'excuser des « voies
mystérieuses de Dieu », de ses
« pensées
cachées ». Hélas, les
causes de ce défaut d'entrain sont
aisées à découvrir, même
pour un observateur superficiel : elles
s'appellent paresse, lâcheté, ambition
terrestre. Quiconque surprend en soi l'existence de
l'une de ces passions est enlacé dans l'une
des chaînes de l'empire des
ténèbres. Brisons enfin ces liens,
par la force du Seigneur ! Souvenons-nous de
notre baptême qui a fait de nous des enfants
de Dieu, ses témoins et ses champions dans
le monde.
Mais n'est-ce point une folie que de vouloir
attendre d'aussi grandes choses du
baptême ? Regardez ce qu'il est devenu
parmi nous. Cette royale et divine
consécration a perdu si bien son sens que
l'on est tenté de se voiler la face devant
elle, de répéter devant cette
cérémonie, ce que disait au temps
d'Élisée l'un des fils des
prophètes. « Malheur, homme de
Dieu, la mort est dans ce pot ! »
(2
Rois IV, 40).
Le plus souvent le baptême n'est plus
qu'un rite, où il n'est nullement question
de foi. Dans la plupart des cas, les enfants sont
baptisés, simplement parce que les parents
l'ont été. Ni le père, ni la
mère, ni les parrains et marraines ne
cherchent à suppléer au manque de foi
chez le petit enfant encore plus ou moins
inconscient, incapable par conséquent de
saisir le sens élevé du
baptême. Le poète Henri Heine
était d'origine juive ; il se fit
baptiser dans sa jeunesse et a appelé plus
tard son baptême « un billet
d'entrée au sein des cercles
cultivés. » Son baptême
avait été une formalité
fructueuse, aussi n'avait-il en
général que du mépris pour cet
acte. Comme on lui racontait qu'un autre Juif
venait d'être
baptisé, il prononça ce propos
cynique : « J'aimerais autant
entendre dire qu'il a volé une cuiller
d'argent. » La comparaison est blessante
pour le baptême. Mais je vous conjure de vous
examiner, de vous demander si, pour vous, si, pour
la plupart, le baptême et la confirmation qui
le suit, ne constituent pas un simple billet
d'entrée dans la société
chrétienne. On prend part à ces
cérémonies, on en prononce les voeux,
sans y mettre son coeur.
Un monsieur d'une haute situation dont
j'avais baptisé l'enfant me disait
confidentiellement après la
cérémonie, qu'il avait pensé,
que je ne me servirais plus de la vieille formule
de foi, figurant dans la liturgie allemande. Je lui
répondis : « J'en crois
à peine mes oreilles. Vous avez
répondu « oui » à
la question que je vous ai posée :
« Est-ce bien dans cette foi que vous
désirez que votre enfant soit baptisé
et élevé ? » -
« Que devais-je faire ? fut la
réplique. Vous savez bien, monsieur le
pasteur, que la promesse liturgique, ce sont des
mots, une formalité. J'ai ma petite religion
à moi, et son symbole est : Homo sit
humanus ! » (Homme, sois
humain !)
Si, dans les classes cultivées, les
choses se passent de la sorte, a-t-on le droit
d'exiger des gens du peuple qu'ils soient plus
croyants ? Le baptême est pour eux la
cérémonie dans laquelle l'enfant
reçoit son nom et c'est tout. J'ai vu en
Allemagne des parents envoyer leurs enfants au
baptême par des étrangers. Et,
cependant, quand un enfant est malade, on nous
demande qu'il soit baptisé sans
retard : ou espère que le baptême
le guérira. On réclame même
quelquefois le baptême pour des enfants
morts, en alléguant qu'il pourra être
en bénédiction. Quelles idées
confuses règnent au sujet de ce
sacrement !
En voici un autre exemple : J'allais
baptiser un petit enfant, quand je m'aperçus
qu'il n'y avait pas d'eau dans la coupe de cristal
dont nous nous servons en ces circonstances. Je fis
un signe à la mère pour lui indiquer
que l'eau avait été oubliée.
Savez-vous ce qu'elle dit ? Elle me
répondit avec détachement :
« Mettez-en, si vous y tenez, très
honoré monsieur le
pasteur ! » Un jour un catholique
vint à moi avec deux enfants de trois et
quatre ans. Il me dit que lui et sa femme
protestante n'avaient pas pu jusque-là
tomber d'accord sur la confession dans laquelle
seraient élevés leurs enfants, et
que, pour cette raison, leur baptême avait
été retardé. Mais ce
jour-là était le jour de naissance de
sa femme. Le travail allait mal, il n'avait pu
faire de cadeau à son épouse. Il
avait donc résolu, en guise de
présent, de lui octroyer le baptême
évangélique de ses enfants.
Seulement, il voulait les baptiser en secret pour
que la surprise fût complète. Il
voyait d'avance l'étonnement de sa
bien-aimée femme, quand il lui apporterait
le présent auquel il s'était
décidé.
Mes lecteurs s'aperçoivent que le
baptême donne lieu à des scènes
plaisantes. En serait-il ainsi si la signification
du baptême était comprise parmi
nous ?
Une mort spirituelle a envahi nos vieilles
églises. Nos églises d'état ne
vivront qu'à condition de recevoir une
nouvelle Pentecôte. Qu'a-t-on fait de la
cérémonie symbolique instituée
par Jésus-Christ qui devrait nous rappeler
à chaque instant que nous sommes ses
rachetés ? Oh ! qu'enfin la joie
d'Abraham, la gratitude d'Abraham remplisse nos
âmes, de telle sorte que nous puissions
imprimer dans l'âme de nos enfants un
sentiment profond de la grâce qui leur a
été faite. Puissions-nous être
remplis de la foi d'Abraham, ne jamais mettre en
doute l'inépuisable fidélité,
l'inépuisable amour, l'inépuisable
patience de Dieu. Car si nous sommes
infidèles, il demeure fidèle.
Puissions-nous marcher tellement avec Dieu que nous
osions dire à nos enfants :
« Suivez-nous ; si vous nous suivez,
votre pèlerinage aboutira sûrement aux
cieux. » Que ce soit là notre
désir intime, profond ! Sachons lutter
avec Dieu pour nos enfants jusqu'à ce que
nous soyons certains d'entrer un jour avec eux dans
les parvis éternels, d'être
réunis avec eux dans la gloire à
venir. Dieu nous entendra, car il est
fidèle. Mais le sommes-nous ? Oh,
puissions-nous le devenir !
4. Un grand festin, une nouvelle
plantation d'arbres, une nouvelle
prédication.
Les deux derniers versets de mon texte
renferment bien des choses :
- No 1 : Abraham fait, au jour du sevrage de son fils, un grand festin ;
- No 2: Abraham plante des arbres à Béer-Schéba ;
- No 3: Abraham prononce une nouvelle invocation du nom de l'Éternel.
Si nous ajoutons que, dans le même
chapitre, nous sont rapportés un
traité conclu entre Abraham et un prince
voisin, et le renvoi d'Agar avec Ismaël, nous
remarquerons qu'une nouvelle dose de vigueur, un
nouveau besoin d'activité semblent
être le lot du patriarche depuis la naissance
d'Isaac. Donnons un instant d'attention à
tous ces faits, qui prouvent chez le patriarche un
nouvel entrain.
Abraham fit donc un grand festin au jour du
sevrage de son fils. Comme le sevrage a lieu en
Orient à l'âge de deux ou trois ans au
plus tôt, Isaac était
déjà un petit garçon, sachant
parler et courir, au moment de la fête en
question. La période difficile de sa vie
était passée. On a demandé
pourquoi Abraham offre le festin à ce
moment, pourquoi celui-ci n'a pas eu lieu tôt
après la naissance de l'enfant. Je suppose
que, lors de la naissance, le serviteur de
l'Éternel n'a nullement songé
à des réjouissances
extérieures, parce que son âme
était trop pleine d'adoration. Plongé
dans l'admiration des voies merveilleuses de la
Providence, il n'avait pas même l'idée
de réunir dans des réjouissances
communes les gens de sa maison, ses amis.
Maintenant il s'est décidé à
la chose. Ce n'est pas pour lui qu'il organise
cette solennité, mais pour d'autres. Il
connaît les hommes mieux que vous ne croyez.
Les centaines de petits vassaux, de serviteurs, de
servantes qui l'entouraient, les voisins, les
princes, les chefs de clans avec lesquels il
était lié, attendaient de lui quelque
chose de pareil. Ils se disaient que celui qui
avait eu un si grand sujet de joie avait le devoir
de donner une expression extérieure à
sa gratitude. Abraham se rendit
à ces voeux. Tout se mit donc un jour en
mouvement dans le camp du patriarche ; les
démonstrations bruyantes, habituelles en
pareil cas, animèrent pour un moment la
frontière du désert arabique ;
une large hospitalité fut offerte sous les
palmiers de Béer-Schéba. Abraham,
j'imagine, traita ses hôtes et les gens de sa
maison de la manière la plus magnifique. Il
était l'homme des pensées
sérieuses ; son regard était
tourné vers l'éternité. Ce
n'était pas pour cela un seigneur au visage
maussade, chagrin et sombre. Ceux qui pensent
à l'éternité possèdent
au contraire en ce monde la vraie joie.
Jésus n'assista-t-il pas souvent à
des repas ; n'a-t-il pas à Cana
changé l'eau en vin ; n'a-t-il pas
apporté son écot dans les festins
auxquels nous le voyons assister, je veux dire
l'assaisonnement d'une divine sagesse ?
Sachons nous réjouir lorsque Dieu
nous donne des occasions de joie. Pourquoi ne pas
célébrer une fête au
baptême, lors des noces ? Pourquoi ne
pas entourer de chants, de fleurs, de couronnes, de
signes de joie les moments où notre coeur
déborde ? Pourquoi ne pas donner au
manger, au boire une place particulière, des
soins spéciaux, en ces circonstances ?
Nos pharisiens actuels hocheront la tête, ils
crieront : « Mondanité !
Mondanité ! Vanité des
vanités, » tandis que de simples
chrétiens s'égayeront à la
table d'un ami avec une simplicité
enfantine. Nous sommes rassurés contre les
critiques des premiers, par la pensée que
les pharisiens n'ont jamais marché sur les
traces d'Abraham ni sur celles de Christ.
Sans doute, au milieu de la joie, le
chrétien doit toujours se souvenir qu'il est
étranger et voyageur sur la terre,
s'efforcer de garder sa vie cachée en
Christ. Il faut prendre garde à la
dissolution, aux excès du manger et du
boire, songer aux pauvres. Ne disons point :
« Cette fête me coûte si cher
que je ne puis plus rien faire pour les pauvres,
que je dois restreindre mes dons pour l'avancement
du règne de Dieu. » Ah ! non,
ne parlons pas de la sorte. Celui qui parle ainsi
imprime à ses réjouissances un caractère
fâcheux. Disons plutôt :
« Puisque ce repas me coûte tant,
je saurai dépenser encore davantage ;
il me coûte cent francs, eh bien, j'en
donnerai cent autres pour le
Seigneur ! » Si vous ne pouvez
consacrer deux cents francs à votre repas et
aux oeuvres de charité, diminuez simplement
de moitié le coût du repas qui devait
revenir à cent francs, et donnez la
moitié économisée au Seigneur.
Croyez que la bonne grâce de
l'hospitalité, l'esprit dont elle est
assaisonnée importent plus que les mets
livrés par la cuisine, les boissons fournies
par la cave. N'arrive-t-il pas parfois qu'un
effroyable ennui vous glace au milieu de la plus
splendide fête ? Et ce malaise ne
procéderait-il pas, cent fois pour une, de
ce que l'on sent trop autour de soi la recherche de
la jouissance matérielle ? Il est des
festins, dans lesquels on fait trop de place
à la bête. On s'y moque de
l'économie, de la raison, de
l'hygiène ; vous y voyez passer dix
à douze services ; on y réunit
sur sa table les productions les plus chères
de toutes les parties du monde. Dans ces
festins-là, c'est l'animal qui se
repaît. Il ne saurait être question de
joie chrétienne.
En revanche les toasts, les santés,
les allocutions humoristiques me paraissent
toujours de mise. Celui qui sait égayer un
repas par ses saillies et qui ne le fait pas est un
voleur. J'ai remarqué que les discours de
fête permettent souvent d'exprimer des
vérités qu'il est très
nécessaire de dire, que l'on n'aurait pu
exprimer en d'autres circonstances, et cela, sous
une forme spirituelle qui les fait passer. Celui
qui possède le don de parler à propos
dans ces occasions a un beau don ; mais celui
qui ne l'a pas aura raison de se taire. Il va sans
dire que les flatteries, les panégyriques
doivent être exclus avec soin des propos de
table, comme d'autres propos. C'est dans nos
fêtes qu'il conviendra de nous souvenir de la
parole : « Soit que vous mangiez,
soit que vous buviez, soit que vous fassiez quelque
autre chose, faites tout pour la gloire de
Dieu ! » Je donnerais je ne sais pas
combien pour avoir entendu les propos de table
d'Abraham, dans le festin de mon
texte, assisté à la fête qu'il
donna à Béer-Schéba.
Malheureusement nous manquons de détails sur
cet intéressant sujet. L'auteur de la
Genèse se borne à mentionner
expressément le festin. Il le fait sans
doute dans l'intention de dire quelque chose
d'honorable pour le patriarche.
Ce qui produit sur moi une grande
impression, ce sont les sentiments
d'humanité du grand serviteur de Dieu. Il
s'occupe des désirs des autres, va au-devant
de leurs souhaits. Nous l'avons vu au retour de son
expédition guerrière. Il ne veut rien
pour lui-même du butin qui lui est offert,
pas même « un fil ni un cordon de
soulier ! » Mais il a soin de
réserver une part pour ses gens, pour ses
alliés. Il ne se les figure pas aussi
désintéressés que lui. Il
trouve naturel qu'ils tiennent à l'or et
à l'argent, aux dépouilles. Il
comprend qu'à l'occasion ils veuillent un
pourboire, un régal, et il ne les en
estimera pas moins pour cela.
Bien des gens auraient, sur ce point,
beaucoup à apprendre d'Abraham ;
même des esprits très avisés et
d'excellents chrétiens feraient bien de se
mettre à son école. N'appliquons pas
rigoureusement aux autres, en tout et partout, la
mesure dont nous nous servons pour
nous-mêmes. Il vous plaît de donner la
vingtième ou la dixième partie de
votre revenu annuel, de la consacrer à des
oeuvres de charité. C'est fort bien.
Gardez-vous de croire pourtant que tel ami, tel
chrétien, dans la même situation que
vous, sont obligés de donner autant que
vous. Tout dépend des dispositions du coeur.
Celui qui sacrifie le un pour cent de son revenu et
qui est dans la même position que vous, a
peut-être fait une offrande
proportionnellement plus grande, plus
coûteuse, que vous en donnant la
dixième partie de votre revenu. Comment
cela ? Mais en domptant son penchant à
l'économie qui frisait l'avarice.
La même remarque s'applique à
d'autres choses. Vous ne voulez rien savoir ni des
concerts ni de la chasse ni de la
pêche ; c'est votre affaire, mais ne
mettez pas en question, je vous en prie, le
christianisme de quelqu'un parce
qu'il se permet ce que vous vous interdisez. Les
voies où nous avons à marcher sont
diverses ; elles différent
d'après l'éducation reçue,
d'après le caractère et le
tempérament. C'est folie de la part des
chrétiens avancés et sérieux
de vouloir imposer à ceux qui ne sont pas
encore à Jésus-Christ les
renoncements dont ils usent eux-mêmes. Tenez
compte aussi dans vos jugements et vos conseils de
l'âge, de la jeunesse. Souvenez-vous du mot
de Salomon : « Il est pour toute
chose un temps. » S'il en est ainsi, il
est certainement un temps pour la jeunesse et ses
plaisirs légitimes.
Une jeune fille, aimable et pieuse, aimait
beaucoup le bal. Elle me demanda un jour si elle
avait tort de se livrer à la danse. Je lui
répondis : « Dansez tant que
vous voudrez, jusqu'au jour où vous
trouverez quelque chose de mieux à
faire. » Cette parole eut de bons effets.
La jeune fille se mit en quête d'un plaisir
plus élevé que la danse. Elle le
découvrit. Elle a continué à
danser, mais sans passion, et a su renoncer
à ce divertissement lorsque cela fut
nécessaire. Gardons-nous de laisser croire
que le christianisme ne sait que défendre,
interdire, qu'il est toujours et partout un
trouble-fête. Ce serait le moyen de nous
aliéner la jeunesse. Il est bon de lui
apprendre à envisager Jésus comme le
dispensateur des vraies joies, le règne de
Dieu comme une économie qui est paix dans le
Saint-Esprit. Les vrais disciples de
Jésus-Christ s'efforceront de prouver au
monde, - et ils y parviendront, - que
l'Évangile conserve la jeunesse de
l'âme, qu'il fait battre les coeurs pour tout
ce qui est humain, noble et grand.
Deux traits de ma propre jeunesse trouveront
ici leur place. J'avais environ dix ans. Je me
trouvais avec plusieurs camarades dans une maison
chrétienne. Nous étions tous de
joyeuse humeur. Une petite loterie fut tirée
pour nous amuser. Les principaux lots
étaient une noix de coco, une ramure de
cerf, un couteau de poche, etc. Il y avait encore
d'autres objets, dont je ne me souviens pas,
propres à exciter les désirs de
garçons de notre
âge. Je gagnai pour ma part un petit
traité, intitulé, je crois :
« Hâte-toi de mettre en
sûreté ton âme », ou
avant un titre pareil. Je ne fus pas content. Ma
déception se refléta sur ma figure.
Une dame pieuse s'aperçut de ma
déconvenue, s'approcha de moi pour me
consoler. Si elle m'avait dit : « Il
faut savoir, au jeu, être battu. La roue de
la fortune tourne. Aujourd'hui elle comble l'un,
demain elle le maltraitera, » je l'aurais
probablement écoutée. Mais elle s'y
prit autrement. Elle se mit à me dire
très solennellement : « Mon
cher ami, tu as gagné le plus beau lot. La
noix de coco, la ramure de cerf, le couteau de
poche, vanité tout cela ! Mais ce petit
livre pourra t'enseigner la voie du
salut. »
L'effet de ce discours fut de me mettre en
fureur. Aujourd'hui je pense que j'avais tort
d'être en colère, mais que
l'excellente dame manquait d'à-propos en
s'exprimant comme elle faisait.
Voici mon autre histoire : Nous
étions en hiver ; une glace
épaisse invitait à patiner ; mes
frères se préparaient à partir
avec leurs amis pour se livrer à un exercice
que nous aimions avec passion. Avec quel bonheur,
je les aurais accompagnés, mais mon
père m'avait défendu
sévèrement de sortir parce que je
toussais ! Je versais donc des larmes, quand
un voisin pieux, qui était là, essaya
d'apaiser mon chagrin. Dans ce but il me tint un
petit prêche, où il s'efforçait
de me prouver d'abord que les joies de cette terre
importent peu, ensuite que dans le ciel on n'y
songera plus. Je me demande si le personnage avait
jamais patiné ou s'il avait pu oublier
complètement le plaisir qu'il y a à
glisser sur la glace avec de jolis patins. Son
allocution acheva de me désoler. Ma
mère eut plus de bon sens en me
disant : « Attends que nous soyons
seuls, tu dévideras mon fil et je te
raconterai quelque jolie histoire de ma jeunesse,
des Mynherr ou des Domine hollandais ; je te
parlerai des grandes maisons et des canaux
d'Amsterdam. »
Éducateurs de la jeunesse, restez
jeunes, ou renoncez à votre métier
d'éducateurs ! Pieux chrétiens,
ne cessez jamais de sentir en hommes ! Imitez
Abraham ! Songez après lui aux serviteurs et
aux servantes
qui
attendent des pourboires, aux jeunes gens qui
aiment les fêtes.
Le patriarche est occupé encore d'une
autre oeuvre terrestre. Il fait une plantation
d'arbres. Luther a traduit : « Il
planta des arbres à
Béer-Schéba » ; mais
le texte hébreu porte : « Il
planta des tamariscs. » Ce sont des
arbres toujours verts qui, parvenus à un
certain âge, fournissent de beaux ombrages.
Le lecteur superficiel, en lisant le texte dont je
parle, pourrait croire qu'il s'agit d'une note sans
importance, ajoutée à la biographie
du patriarche par le rédacteur de la
Genèse. Ne plante-t-on point des arbres tous
les jours ? Mais il ne faut pas parler de note
sans importance, lorsqu'il s'agit d'un livre tel
que la Bible. Dès qu'elle signale quelque
trait très ordinaire dans la vie d'un homme
de Dieu, soyez sûr que ce détail
emprunte, une valeur spéciale au milieu
où il se produit. Rien de plus commun que
les larmes ; chaque jour il en coule de
millions d'yeux ; mais quand Jean nous dit que
Jésus a pleuré, ce petit fait ne
devient-il pas un événement ? Un
grand nombre d'hommes de toute race et de toute
époque ont souffert de l'estomac. Mais que
Paul exhorte le jeune Timothée à
prendre du vin à cause de la faiblesse de
son estomac, cela nous suggère bien des
réflexions soit sur la sollicitude de
l'apôtre, soit sur l'origine du malaise dont
pouvait souffrir Timothée, soit sur la
constance qu'il montrait dans ses travaux,
malgré une santé, délicate. La
plantation des tamariscs à
Béer-Schéba fixera également
l'attention du lecteur sérieux.
Les nomades n'ont pas l'habitude de planter
des arbres. Ils posent un jour leur camp dans un
endroit, le lendemain dans un autre. Or on peut
encore semer des fleurs dans un lieu où l'on
ne séjourne que quelques mois, parce que les
fleurs s'épanouissent assez rapidement. Mais
on ne plante en général des arbres
que dans un lieu auquel on s'attache d'une
manière durable. Et Abraham plante des
tamariscs ! Le fait n'est-il pas digne de
remarque, en face des usages des nomades ? Observez
que la plantation
a
lieu après la naissance d'Isaac. Il existe
évidemment un lien entre cette plantation et
la naissance de l'enfant. Je vais essayer de
montrer lequel. La naissance d'Isaac est pour
Abraham le commencement de l'accomplissement des
promesses divines. Il se sent dès lors
déjà chez lui dans la terre
étrangère. Il se souvient qu'elle
sera l'héritage de sa
postérité. Et il en prend possession
par ces arbres, comme il en avait pris possession
par ses autels à l'Éternel. Abraham
n'ignore pas sans doute que sa
postérité sera, pendant des
siècles, bannie de Canaan. Mais il croit,
avec une foi ferme, qu'elle s'y établira un
jour. Et les tamariscs plantés par le
patriarche sont comme une salutation
adressée à cette
postérité lointaine qui habitera le
pays. Dans la pensée du patriarche, ils sont
destinés à étendre sur elle
leurs ombrages. Et voilà comment la
plantation des tamariscs à
Béer-Schéba a été une
manifestation de la foi d'Abraham, de sa confiance
dans l'accomplissement futur des promesses
divines.
Nul n'ignore que l'empereur
Dioclétien planta des choux. Cet empereur,
le dernier qui persécuta les
chrétiens, était par le pouvoir dont
il était revêtu, par sa fortune, un
objet d'envie. Il raffermit l'empire romain,
étendit ses limites dans toutes les
directions, remporta de grands triomphes et fut,
plus que ses successeurs encore,
vénéré à la
façon d'un dieu. Malgré toutes ses
grandeurs, il était pris d'un profond
dégoût pour le pouvoir. Il abdiqua et
se retira dans une propriété qu'il
possédait en Dalmatie. Là il se voua
à la culture des légumes. Quand les
notables de l'empire vinrent lui demander de
reprendre la couronne, il se borna pour toute
réponse à leur montrer ses
têtes de choux. Il voulait leur dire par
là qu'il avait mieux réussi dans la
culture des légumes que dans celle des
hommes. Nous le croyons sans peine. Il avait
versé le sang de milliers de
chrétiens, ce qui ne prouve pas qu'il
s'entendit beaucoup au gouvernement des
sociétés. Ces choux lui parlaient de
la vanité de l'effort tenté par lui
pour asseoir la société romaine, du néant des
prérogatives attachées au pouvoir.
Leur vue était pour lui un avertissement,
une prédication, mais une prédication
qui ne devait pas être bien
réconfortante.
C'est dans d'autres sentiments qu'Abraham
considérait les tamariscs qu'il plantait.
Ces jeunes arbres ne lui parleront pas de
vanité. Ils lui parleront d'avenir,
d'espérance. En les contemplant, il a vu
d'avance ses descendants assis à leur ombre
.... Le feuillage toujours vert des arbustes est
encore pour lui un symbole de l'éternelle
fidélité de Dieu. Lui-même
participe en quelque mesure à
l'éternelle jeunesse du Créateur. Son
âme, incessamment rafraîchie par la
communion divine, n'est-elle pas toujours
prête à prendre son essor vers les
hauteurs ? Le serviteur de Dieu réalise
la pensée qu'exprimera bien des
siècles plus tard l'un de ses fils, l'auteur
du Psaume
XCII : « Les
justes croissent comme le palmier,
s'élèvent comme le cèdre du
Liban. Plantés dans la maison de
l'Éternel, ils prospèrent dans les
parvis de notre Dieu ; ils portent encore des
fruits dans la vieillesse, ils sont pleins de
sève et verdoyants. »
(vers.
13-15.) Plaise à Dieu
que cette parole s'applique aussi à vous,
vieillard qui lisez ces lignes, ou qui vous les
faites lire parce que votre vue s'est affaiblie.
C'est en suivant les traces d'Abraham que vous
demeurerez jeune, comme lui-même demeura
jeune jusqu'à l'âge de 175 ans,
puisant sans cesse des forces nouvelles dans la
communion avec Dieu.
(Gen.
XXV, 7 et 8).
Le verset que nous étudions ajoute
qu'Abraham invoqua le nom de l'Éternel, Dieu
de l'éternité. À mesure qu'il
avance dans la vie, le serviteur de Dieu jette un
regard toujours plus profond dans les profondeurs
de l'Être divin. Il ne ressemble pas à
ces chrétiens qui, parvenus à
l'âge de trente ans, ont toutes leurs
idées à jamais arrêtées.
Ils ont hérité des opinions
religieuses de leurs parents, comme ils ont
hérité de leurs opinions politiques.
Ils forment un parti chrétien, ils
s'appellent des chrétiens
décidés ; ils croient
naturellement à tout ce
qui est contenu dans la Bible, à tout ce que
les prédicateurs évangéliques
enseignent. Ils font chaque jour leur
prière, assistent aux assemblées
chrétiennes. Cependant la vie
intérieure leur fait totalement
défaut. Ils restent d'année en
année les mêmes, n'accomplissent aucun
progrès, ni dans la connaissance de leur
âme, ni dans celle de Dieu, ni dans sa
sainteté. Ils paraissent dans un état
caractérisé de stagnation religieuse.
Les malheureux se sont crus, dès le premier
jour parvenus au but ! Combien ils
différent d'Abraham ! En invoquant de
nouveau publiquement le nom de l'Éternel,
Abraham parlait une nouvelle fois de Dieu aux gens
de sa maison et de sa tribu. Il ne le nommera plus,
chose digne de remarque, comme il l'avait
nommé. Au chapitre XIV,
vers. 22, il avait juré
par El-Eljon, le Dieu élevé, qu'il
n'accepterait rien de la main d'un roi impie comme
l'était le roi de Sodome. Au chapitre XVII,
vers. 1, Dieu s'était
révélé à lui sous le
nom d'El-Schaddaï, le Fort,
c'est-à-dire le Tout-Puissant. Maintenant
que Dieu lui a accordé le fils attendu
pendant vingt-cinq ans, il se révèle
à lui comme El-Olam, l'Éternel, le
Fidèle.
Ce El-Olam nous parait être en
étroite relation avec le nom même de
Jéhovah. Il présente Dieu comme Celui
qui tient ce qu'il a promis. Certes, ce que Dieu
avait jusque-là réalisé de ses
promesses était peu de chose. Ce peu
ressemble au petit nuage, pas plus gros que la
paume de la main, qui montera de l'Océan
à la prière d'Elie et qui fournira
une pluie abondante. Abraham n'a reçu qu'un
premier accomplissement. Mais il en attend d'autres
plus grands, devant ce premier gage de l'amour
divin. Voilà pourquoi l'éternelle
fidélité de Dieu devient maintenant
le thème de sa parole, de sa louange au
milieu des gens de sa maison.
Mon cher frère, à mesure que
vous avancez dans la vie, apprenez-vous à
mieux connaître Dieu, ses perfections ?
De nouveaux cantiques montent-ils de vos
lèvres ? Les psaumes nous
répètent : « Chantez
au Seigneur un nouveau cantique ! »
L'un d'eux nous dit avec l'accent de la
gratitude :
« L'Éternel a mis un nouveau
cantique dans ma bouche, pour louer mon
Dieu. » Un autre psaume s'exprime
ainsi : « Tes statuts sont le sujet
de mes cantiques dans la maison où je suis
étranger. » Dieu veuille en effet
nous inspirer de nouveaux cantiques, à
toutes les stations de notre pèlerinage
terrestre, nous faire marcher de lumière en
lumière, de grâce en grâce, de
force en force ! Il y a dans toute vie
chrétienne, digne de ce nom, une
révélation progressive de la
miséricorde de Dieu accordée à
l'âme croyante, à l'âme aimante
et c'est elle qui nous enseigne à renouveler
nos chants à l'honneur du Tout-Puissant.
Mais pour que cette source d'inspiration reste en
nous toujours fraîche, il faut que nous
veillions sur nos âmes, que nous nous
laissions conduire par la Parole de Dieu avec
docilité.
« Chantons un nouveau
cantique, » s'écriait Luther dans
une de ses effusions poétiques si
puissantes. Les premiers martyrs de la
Réforme venaient de sceller leur foi de leur
vie. Luther voyait dans ces premières
victimes les prémices de toute une
armée de victimes ; il avait vu
d'avance s'élever la fumée des
bûchers, le sang dégoutter
d'échafauds sans nombre. Il pleura, pourtant
il ne désespéra pas. C'est alors, en
ce moment critique, qu'il saisit sa harpe et convie
l'Eglise à un nouveau cantique. Il annonce
que l'hiver est passé, que
l'été est à la porte. Il suit
le vol des cendres brûlantes des
bûchers transportées au loin par le
vent. Il sait qu'elles vont allumer partout de
nouveaux embrasements. Dieu lui parait merveilleux
dans ses voies ; celles-ci font couler ses
larmes, je l'ai dit, elles le font même
trembler, mais il croit fermement que Dieu finira
par avoir raison de ses adversaires et que le sang
des martyrs sera une nouvelle semence de vie.
Luther cherche son Dieu au sein des
ténèbres, de l'obscurité - il
le trouve parce qu'il le cherche et de nouveaux
cantiques montent de ses lèvres à
toutes les stations de son pèlerinage.
Il n'est pas besoin d'être un Luther
pour refaire la même expérience.
Aucune dispensation divine ne reste assez
mystérieuse, en ce
monde, pour que nous n'y puissions découvrir
l'occasion de nouveaux cantiques. Lorsque je me
souviens de tous les récits que j'ai
entendus dans ma vie pastorale, de la bouche de
simples journaliers, dans de petites maisons de
tisserands, d'artisans, ou de la bouche des grands
de ce monde, dans des palais, je me dis que je
pourrais écrire tout un livre sur les
délivrances divines, sur la manière
dont Dieu assure par la souffrance le
développement et le progrès de la
foi.
Cette vérité demeure :
Dieu veut se révéler d'une
manière toujours plus claire à ses
enfants ; ceux-ci sont appelés à
pénétrer toujours plus avant dans les
desseins de la Providence. Nous avons à nous
élever de degré en degré dans
la possession des secrets divins. Nous
possédons ici-bas les arrhes de la vie
éternelle ; cependant nous avons sans
cesse à chercher et à trouver de
nouveau Dieu jusqu'à ce que nous le
contemplions face à face. Joignons-nous donc
à Abraham pour célébrer celui
qui s'est nommé le Fidèle,
l'Éternel, le Dieu d'éternité.
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