Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XVIII

L'Éternel accomplit ce qu'il avait promis.

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 L'Éternel accomplit ce qu'il avait promis. Abraham donna le nom d'Isaac au fils qui lui Était né.... Abraham circoncit son fils Isaac, âgé de huit jours, comme Dieu le lui avait ordonné.
.... L'enfant grandit et fut sevré ; et Abraham fit un grand festin le jour où Isaac fut sevré.
.... Abraham planta des tamariscs à Beer-Shéba ; et là il invoqua le nom de l'Éternel, Dieu de l'éternité.

Gen. XXI : 1, 3, 4, 8, 33.


1. Joies du ciel et joies terrestres.

Comment sera le ciel ? Qu'y verrons-nous ? Qu'y ferons-nous ? De quelle manière les esprits glorifiés communiquent-ils entre eux ? Quelle est là-haut la relation des hommes et des anges ? Vieilles questions, questions toujours nouvelles ! Des choses sensées et des choses absurdes, des choses profondes et des choses superficielles, je dirai même frivoles, ont été dites là-dessus. Mais les questions gardent leur secret. Les questions demeureront des questions jusqu'au moment où la grâce divine nous introduira dans le ciel.

Vivant sur la terre, nous avons des idées toutes terrestres. Nos représentations ne peuvent correspondre aux réalités célestes. « Là-haut tout est saint, sublime », a-t-on dit. Tout est par conséquent élevé au-dessus des pensées, des relations et des circonstances présentes. Si Dieu avait voulu nous donner une révélation complète, il se fût heurté aux limites de notre nature. Notre langue ne peut exprimer que ce que nous avons conçu clairement, et nous ne pouvons pas concevoir clairement ce qui appartient à un mode d'existence supérieur.

Voilà pourquoi la Bible nous parle en images de la vie future. Ces métaphores éveillent des pressentiments confus et non des idées nettes : Ou bien auriez-vous peut-être la prétention de comprendre la parole : « Nous serons transformés à l'image de Christ ? » Ce qui concerne notre vie spirituelle, là-haut, nous est plus accessible que ce qui concerne la vie du corps glorifié : Ou bien auriez-vous encore la prétention de comprendre l'expression biblique : « Voir la face de Dieu ? » La Bible mentionne les harpes, les chants, les couronnes, les vêtements blancs des saints. Tout cela nous réjouit. Mais ne sourirons-nous pas au ciel des conceptions imparfaites que nous nous formions ici-bas de toutes ces choses ?

En résumé, il en faut toujours revenir aux caractéristiques de la Bible. Elles se défendent de vouloir rien nous dire de précis sur le monde à venir et par cela même elles nous disent beaucoup, elles appellent notre confiance. Je songe ici à ces mots de Paul : « Ce sont des choses que l'oeil n'a pas vues, que l'oreille n'a pas entendues et qui ne sont pas montées au coeur de l'homme, des choses que Dieu a préparées pour ceux qui l'aiment » (1 Cor. II, 9). - « Je connais un homme en Christ qui fut, il y a quatorze ans, ravi jusqu'au troisième ciel .... Et je sais que cet homme fut enlevé dans le paradis, et qu'il entendit des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme d'exprimer » (Il Cor. XII, 2-4). Donc mettons une borne à notre curiosité. Disons-nous qu'elle ne serait pas davantage satisfaite quand même la Bible serait plus explicite, puisque alors nous ne comprendrions plus celle-ci.

Ce qui demeure, c'est que le ciel est à la fois un lieu et un état ; c'est encore que dans ce lieu tous nos voeux légitimes seront remplis. Tout n'est pas contenu dans cette définition, cela va sans dire. On parle beaucoup, à notre époque, de l'humanité ; on décrit celle-ci comme si elle n'avait rien à faire avec Dieu et avec la foi. J'ose dire, quant à moi, que Dieu n'est pas autre chose que l'humanité élevée à la perfection, à l'absolu.

Tout ce qui est vraiment humain en nous sera donc glorifié dans le ciel. Enfant des hommes, tu te promènes ici-bas parmi des ruines, des espérances brisées, des voeux qui n'ont pu se réaliser ; un jour viendra où tu n'auras plus rien à désirer ! Quelle pensée que celle-là ! Assurément nos voeux ont d'abord à être purifiés et sanctifiés à l'école de Jésus-Christ ; à ses pieds seulement, nous naissons à la véritable humanité, à notre véritable moi, à celui qui réalise le plan de Dieu. Et c'est à l'école de Jésus-Christ aussi que nos conceptions du ciel deviendront sérieuses. Sous l'influence de Christ, nous écarterons résolument des fantaisies comme celles de cette bonne dame qui se figurait le ciel offrant à ses habitants de petites éphémérides ou comme celles de ce mourant qui me disait sérieusement : « Voilà la dernière pipe que je fume sur la terre, je fumerai la prochaine dans le ciel ; » ou encore de cet autre mourant qui s'attendait à être reçu dans le monde à venir par un petit chien fort aimé, qu'il avait perdu. De pareilles espérances sont dignes des Mahométans. Elles jurent avec l'idéal chrétien. Dernièrement un malade qui souffrait d'insomnies me demandait : « Pourrons-nous dormir dans le ciel ? » La question vous paraît oiseuse. Vous sentez que le besoin de dormir procède de notre faiblesse. Il est donc absurde de parler de sommeil dans le ciel. D'autre part, il nous est bien réellement impossible de nous figurer la vie céleste sans des haltes et des repos. Nous ne nous représentons pas un organisme n'éprouvant jamais la nécessité d'arrêter son activité. C'est ainsi que dans tous les domaines nos représentations se trouvent défectueuses. Croyons seulement que là-haut tout désir légitime recevra son accomplissement, et nous posséderons la partie essentielle de l'espérance chrétienne.

Ce ne sont pas nos souhaits charnels, mais nos souhaits vraiment humains qui seront remplis au delà de toute attente. Je range dans cette dernière catégorie notre aspiration à une pleine communion des âmes, au bonheur, à la contemplation de la beauté. On se souvient de la lettre de Luther à son petit garçon. Dans cette lettre, le réformateur peint le ciel comme un grand jardin, où l'on s'amusera, où les petites filles danseront, où les petits garçons tireront avec des arbalètes. N'est-ce pas là l'idéal de l'enfant ? Il est difficile d'élever celui-ci plus haut. Peut-être les idées que nous nous faisons, ressemblent-elles souvent sans que nous le sachions à celles de l'enfant. Contentons-nous de penser encore une fois que tous nos désirs légitimes seront réalisés.

On parle parfois de joies célestes goûtées dans la vie présente. Il faut user de prudence dans l'emploi de cette expression. Presque toujours ici-bas, nos joies s'accompagnent de quelque remords ou de quelque tristesse. Voici un homme qui, après de longues années, a eu le bonheur d'être père. Il tient avec fierté son petit enfant dans ses bras, tandis que la mère sourit à ce dernier. C'est un tableau de joie pure et simple. Mais cet homme peut être amené à se demander ce que deviendra plus tard son enfant et la pensée de l'avenir de ce fils, de cette petite fille, suffira à troubler sa félicité. Voici une heureuse fiancée. Plus elle sera pieuse, plus elle souffrira de la crainte de placer son bonheur terrestre au-dessus de l'amour divin, de perdre la perle de grand prix. Et cela suffira à insinuer dans son âme une certaine angoisse.

En outre les grandes joies terrestres n'ont qu'un moment, un faîte qu'elles ne dépassent pas, quand elles l'ont atteint, elles décroissent. Je réserve le nom de célestes pour les joies qui vont en se renouvelant, en se développant. Elles ne se rencontrent que dans la communion avec Dieu, que dans la révélation de son amour qui nous permet de tout accepter et d'attendre le salut de toutes les dispensations divines.

Telle fut la joie d'Abraham à la naissance du fils de la promesse. Regardez le vénérable patriarche tenant dans ses bras le petit enfant qui vient de naître, dirigeant vers le ciel un regard humide. À cette heure, il a oublié les douleurs de son attente de vingt-cinq années. Non, non, elles ne sont pas oubliées. Elles se sont seulement transformées en un motif de joie. Ce n'est pas un « Enfin, enfin ! » inspiré par l'impatience qui a retenti dans son coeur ; ce n'est pas non plus le : « Pourquoi, Seigneur, m'avoir fait attendre si longtemps ? » Il sait maintenant pourquoi il a dû attendre. Il comprend que l'attente lui a été bonne. C'est pendant ce temps qu'il a appris à se connaître lui-même, à connaître les irrésolutions de sa foi et la fidélité, de Dieu. Et maintenant la grâce divine a dissipé les nuages qui obscurcissaient son horizon. Abraham peut s'écrier : « Jéhovah a mis un nouveau cantique sur mes lèvres ! » Le cantique qui s'élève de son âme loue Dieu de ce qu'il a fait éclater sa puissance ! Par le retard, en effet, Dieu a rendu la naissance d'un fils plus imprévue, plus extraordinaire pour le monde. Ce fils n'est pas pour son père un enfant ordinaire, c'est le don de Dieu, d'un Dieu fidèle. « L'Éternel accomplit ce qu'il avait promis », voilà le thème qui inspire Abraham aux jours de la naissance d'Isaac.

Aux yeux d'Abraham, Dieu est donc un Dieu qui tient ses promesses. Abraham est sûr désormais que Dieu les tiendra à l'avenir, comme il vient de les tenir, en lui donnant son fils. Il en est certain, aussi certain que de sa propre existence. Ce n'est pas seulement la fidélité de Dieu que loue le patriarche, ce sont ses miséricordes à l'égard des peuples qui seront bénis en sa postérité. Et il voit peut-être en esprit le Fils de Dieu, qui sera son fils. Il tressaille de joie à la pensée de la journée de Christ, qu'il a pressentie (Jean, VIII, 56). Il s'élève, qui sait, dans sa méditation jusqu'à ce moment béni du rétablissement de toutes choses, où les créatures seront délivrées de la vanité et parviendront à la glorieuse liberté des enfants de Dieu ; il a enfin l'idée, confuse encore sans doute, des nouveaux cieux et de la nouvelle terre. Tous les souhaits de l'ancêtre d'Israël ont été accomplis. Il semble qu'il n'ait plus qu'à s'en aller en paix. Entre Abraham serrant le petit Isaac sur son coeur et le vieillard Siméon qui, sous le portique de marbre du temple, 2000 ans plus tard, a pris l'enfant Jésus dans ses bras, je vois une étroite ressemblance. Ces figures vénérables sont deux épreuves de la même image, suspendues à une paroi, en face l'une de l'autre. Toutes deux ont l'expression d'une joie céleste réalisée dans la vie terrestre.

La Bible nous offre d'autres exemples de pures joies célestes goûtées déjà sur cette terre. Quand Joseph, cet arrière-petit-fils d'Abraham, reçoit ses onze frères dans son palais égyptien, les voit fondre en larmes, il oublie ses propres pleurs et voit l'avenir de sa race illuminé d'un rayon divin, Il pressent déjà, devant le repentir des siens, la vérité de cette parole de l'apôtre qui exprime une loi de l'histoire : « Dieu les a enfermés dans l'incrédulité pour faire miséricorde à tous. » Quand Anne, la mère de Samuel serra sur son coeur l'enfant qui lui avait été accordé en réponse à ses prières, elle ne se trouva pas seulement extraordinairement heureuse, elle vit s'éclairer devant elle, dans un moment d'inspiration, les perspectives de l'histoire humaine. Vous n'avez qu'à lire, pour mesurer la portée de son regard à ce moment, le cantique qu'elle prononça. Quand les apôtres saluent le Sauveur ressuscité, ils n'éprouvèrent pas seulement le divin tressaillement d'un doux revoir, le triomphe de Christ sur le péché et sur la mort se trouve en même temps affirmé avec éclat devant leurs yeux. L'alléluia éveillé en eux par cet événement, retentira dans toute leur vie, dans les cachots les plus obscurs, devant le glaive qui allait trancher le fil de leurs jours. Par la résurrection, ils surent avec certitude que le Seigneur accomplirait tout ce qu'il avait promis. Lorsqu'à Damas, il tombait comme des écailles des yeux de Saul converti, le nouvel apôtre de Christ, en sentant que ses péchés étaient pardonnés, jetait un regard profond sur les voies de Dieu. Il comprenait que la grâce qui lui avait été faite à lui, si profondément aveuglé par le péché, allait s'étendre à d'autres. Il plantait en esprit sur les hauteurs de la terre une bannière, avec cette inscription glorieuse : « Où le péché a abondé, la grâce a surabondé. » Il se réjouissait dans la contemplation des pensées de paix que Dieu avait conçues en faveur de l'humanité.

Mon cher frère, ma chère soeur, êtes-vous de ceux qui, après de longues luttes contre le doute et le péché, ont tout à coup compris la portée de ce nom de Sauveur donné à Jésus par l'Évangile ? Savez-vous ce que c'est de pouvoir dire à Jésus « mon Sauveur, » que d'être éclairé par la lumière de Christ, que de marcher aux rayons de sa grâce ? Avez-vous fait, vous aussi, dans votre vie spirituelle, cette expérience bénie : « Le Seigneur tient toutes ses promesses ? » Avez-vous été inondé d'une joie céleste ? Vous saurez que l'Évangile n'en dit pas trop, lorsqu'il parle « de choses qui ne sont point montées au coeur de l'homme. »

Je suppose que dès votre jeunesse vous avez fréquenté les temples. Vous aviez besoin du christianisme, et cependant votre coeur ne fut pas d'abord donné à Dieu. Une chaîne secrète vous liait à l'empire des ténèbres. Enfin vous avez écouté la voix d'en-haut. Vous avez commencé le saint combat, vous avez brisé dans la prière votre chaîne, vous vous êtes senti libre. La paix, la joie sont descendues dans votre coeur. En cet instant à jamais mémorable pour vous, n'avez-vous pas eu l'assurance d'une victoire plus haute encore, plus parfaite, de la victoire définitive qui vous attend au dernier jour de votre vie ? Je me souviens de ce que me racontèrent naguère deux époux. Pendant vingt ans ils avaient crié pour la conversion d'un fils profondément enfoncé dans le bourbier du péché. Ils avaient perdu toute espérance de son salut. Ils ignoraient même s'il vivait encore. Un soir, il entra tout à coup dans leur chambre : Un regard sur sa figure baignée de larmes, sur son attitude humiliée, leur révéla que le fils prodigue qui était mort était revenu à la vie. Vous étonnerez-vous de ce que ses parents aient loué Dieu de toute leur âme ? Ah ! si nous nous tenions plus près du Seigneur, nous respirerions davantage et plus souvent l'air du ciel. Nos doutes concernant la vie future s'évanouiraient, s'éteindraient, comme une étincelle qui tombe dans la mer.


2. Un nom extraordinaire.

La naissance d'un enfant amène dans la famille de nombreuses préoccupations. Le nouveau citoyen du monde a à recevoir un nom, il faut l'inscrire à l'état-civil, le baptiser. Du temps d'Abraham il n'y avait point d'état-civil, je n'ai pas besoin de le dire, ni de baptême. Mais la coutume de tous les temps fut de donner à l'enfant un nom après sa naissance. La mode, les préférences personnelles guident aujourd'hui les parents dans le choix du prénom qu'ils donnent au nouveau-né. En revanche les anciens attachaient au choix du nom une importance particulière. Il était chez les Hébreux un souvenir, une commémoration d'événements ayant accompagné la naissance, ou bien il devait être un signe, une prophétie de ce que deviendrait l'enfant. Le Dieu d'Israël avait voulu lui-même révéler sa puissance dans le nom qu'il avait pris : Il s'était appelé Jéhovah pour affirmer son éternité, sa fidélité qui jamais ne varie. La perfection de Dieu paraît donc dans son nom et c'est ce qui a fait dire si souvent à ses saints : « Le nom de l'Éternel soit loué ! »

Il nous est raconté qu'Adam donna des noms à tous les animaux qui sont sous le ciel. Acte souverain et créateur de la part du premier homme ! Il est évident que ces noms n'étaient pas des désignations arbitraires, choisies de telle manière, par exemple, que le nom donné au cerf eût pu s'appliquer également à l'agneau. Des noms donnés de la sorte, choisis arbitrairement, eussent été oubliés l'instant d'après. Ces noms imposés par Adam étaient des signes. Ils marquaient la qualité particulière par laquelle un animal se distingue d'un autre. Sans doute, au dire de Darwin et consorts, le premier homme fut incapable d'accomplir un pareil travail : D'abord il n'y a pas eu de premier homme. L'humanité primitive se serait péniblement dégagée des langes de l'animalité. Elle possédait à peine, nous dit-on, un rudiment d'intelligence. Et les récits de l'Écriture sur les origines de notre race seraient à rejeter. La vérité est que les ancêtres de notre race possédèrent des forces spirituelles extraordinaires. Leurs descendants vivent encore de leurs inventions. Les noms, en effet, que nous entendons aujourd'hui dans la rue ne sont guère modernes ; ils ont des siècles, ils sont parfois aussi vieux que l'humanité, car les noms d'Adam et d'Eve se retrouvent encore fréquemment dans les registres d'état-civil, aussi bien que ceux d'Abraham et de Jacob.

À toutes les époques, on a cru que certains noms annonçaient l'avenir de l'enfant, qu'il en était de favorables et qu'il en était de défavorables. La superstition s'est mêlée du choix des noms. Chrysostôme nous rapporte, vers 390 après Jésus-Christ, que le choix du nom d'un enfant à Antioche, de son temps, s'opérait de la manière suivante : On allumait un certain nombre de flambeaux. Chacun d'eux recevait un nom masculin ou féminin, suivant le cas. Le flambeau qui brûlait le plus longtemps avait le privilège de donner son nom à l'enfant. Et l'on croyait que la prolongation de la durée de la flamme, qui avait décidé du nom, présageait une longue vie au porteur de ce dernier. C'est avec raison que le Père de l'Eglise en question s'élève contre un tel usage. Il conseille d'emprunter les noms des saints de l'antiquité. De cette manière, remarque-t-il, les enfants recevraient dès leurs jeunes années, par leurs noms, une invitation à marcher dans les voies de Dieu.

Le conseil du grand orateur a été suivi. Ce ne sont pas seulement les noms hébreux comme David, Samuel, Jean, qui abondent dans nos familles, mais les noms grecs de Pierre, de Paul, les noms latins d'Auguste, de Jules. Quel que soit mon respect pour l'opinion de Chrysostôme, je me permettrai de conseiller de donner parfois des noms modernes, plutôt qu'antiques. Je trouve qu'un enfant né de parents français doit s'entendre appeler d'un nom français, propre à le familiariser avec la langue maternelle. Je n'insiste pas, et je crains que mes propositions n'aient pas beaucoup de succès. Le mieux serait de consulter l'enfant qui, lorsqu'il a grandi, est souvent mécontent de son nom. Mais ce qui serait bon n'est pas possible et dans l'état des choses, ce sont les traditions de la famille, ses habitudes, les parrains et marraines qui continueront à être consultés. Qu'il en soit ce qu'on voudra ! Le bonheur ne dépend point du nom que l'on porte. Ce qu'il faut rappeler à l'enfant, c'est qu'il a reçu son prénom au baptême et que ce prénom a été, dans le baptême, lié aux noms du Père, du Fils, du Saint-Esprit.

Les Hébreux s'efforçaient avec une grande sagesse de choisir pour l'enfant un prénom qui fût un lien entre lui et le ciel. Il est vrai que les jeunes filles recevaient des noms à la signification moins sérieuse. On voit qu'à cette époque le sexe faible n'était pas l'objet des mêmes égards que le sexe fort. Les petites filles recevaient donc des noms gracieux, empruntés à quelque objet extérieur. Séphora veut dire « petit oiseau ». Job nomma ses trois filles Jémima, Ketsia, Kérenhappuc. Ces noms signifient « petite colombe », « résine odorante » ou « casse », « corne de beauté ». Pauvres filles ! serions-nous tentés de dire, si nous ne savions que ces noms, à l'époque où ils furent donnés, avaient un grand charme.

On voulait dans les noms des garçons une signification plus sérieuse. Eve nomme son premier-né Caïn, ce qui veut dire « Acquisition » : elle a acquis, pense-t-elle, un protecteur, un sauveur. Ce nom est sans doute à ses yeux en relation avec la promesse du Sauveur faite après la chute. Elle nomme son second fils Abel, ce qui signifie « Vanité ». Lémec appelle son fils « Noé », ce qui veut dire « Repos ». Il met, lui aussi, ce nom en relation avec la promesse d'un Sauveur. Il dit : « Celui-ci nous consolera de nos fatigues et du travail pénible de nos mains, provenant de cette terre que l'Éternel a maudite. » Anne nomme son fils Samuel, ce qui veut dire « Exaucé de Dieu ». Esaïe nommera un de ses fils, dont la naissance coïncide avec l'annonce des jugements de l'Éternel, Scearjasçub, ce qui voulait dire « Un reste retournera ». Dieu lui-même change parfois les noms de ses serviteurs en des noms plus éloquents. Nous l'avons vu changer le nom d'Abram en Abraham et celui de Saraï en Sara. Le nom de Jacob signifiait « Supplanteur ». Il sera changé par Dieu, en Israël, « plus fort que Dieu », à la suite de la lutte au gué de Jabbok. Le nom du précurseur de Christ, Jean, est imposé à Zacharie par l'ange Gabriel ; de même le nom de Jésus l'est à Marie. Jésus a changé le nom d'un de ses disciples ; il a voulu que Simon s'appelât Pierre.

Entre tous les noms étranges de toutes les époques, il n'en est pas de plus singulier que celui du fils d'Abraham. Il doit s'appeler Isaac. Le nom d'Isaac signifie « On a ri ». C'est Dieu lui-même qui a choisi ce nom. Nous avons donc à l'accueillir avec respect. Mais faites pour un moment abstraction de cette origine divine et figurez-vous un homme de nos jours dont le nom serait « On a ri. » Ce nom ne paraîtrait-il pas presque comique ? Il l'était intentionnellement. Tout le monde avait ri, en effet, lors de la naissance d'Isaac. L'âge de la mère, auquel était né cet enfant, devait faire de l'événement un sujet général de sourires (Gen. XXI, 6).

Les hommes de la tribu, les voisins n'auront certainement pas manqué de faire à ce propos des remarques plaisantes. Ismaël, le frère d'Isaac et le fils d'Agar, se livra, nous est-il rapporté, à des moqueries qui furent pénibles à Sara et qui l'amenèrent à chasser son esclave (Gen. XXI, 9). Abraham et Sara eux-mêmes s'étaient livrés au rire, lorsque l'Éternel leur avait annoncé la naissance de l'enfant (Gen. XVII, 17 ; XVIII, 12). L'événement leur avait paru à eux-mêmes d'avance absolument incroyable, vu leur âge avancé.... Et ce nom d'Isaac devait être un souvenir propre à leur rappeler la faiblesse, les oscillations de leur foi.

Ce nom mettait encore en lumière l'incapacité d'un Abraham lui-même à demeurer fidèle et ferme dans sa foi. Mais il mettait aussi en relief la miséricorde, dont Dieu avait usé après les défaillances de son serviteur, la fidélité de Dieu à tenir ce qu'il promet, à rendre l'impossible possible. Il fait tout ce qu'il dit. Il ne nous ressemble pas à cet égard. Et, bien qu'il puisse tarder, il réalise ses oracles. Abraham en fit mieux que personne l'expérience. Le rire de l'incrédulité se changea pour lui en un rire de joie et de reconnaissance. Ce sourire sera celui des élus dans le monde à venir. Il apparaîtra dans le ciel comme le signe de la béatitude. Ne verrons-nous pas là-haut que toutes les voies de Dieu sont bonté et vérité, depuis le commencement à la fin ? Ne contemplerons-nous pas avec délices le lever d'une ère de gloire ?
Tel était, j'imagine, le sourire de l'enfant prodigue, lorsqu'il reçut le baiser de son père. Il croyait rêver....

Tout à l'heure, il avait confessé avec des lèvres tremblantes sa faute et imploré son pardon ; sa plus haute ambition eût été d'avoir une place parmi les domestiques de la maison. Et maintenant il voyait tout son passé effacé, oublié. On lui apportait des vêtements de fête ; on lui mettait un anneau au doigt, des souliers aux pieds.... Aussi son âme, inondée de bonheur, s'épanouissait-elle, nous le devinons, dans un divin sourire.... Je songe encore ici à la pécheresse, entrée d'un pas chancelant chez Simon. Elle avait hésité à cette démarche qui lui paraissait hardie. Elle avait craint de trop oser en s'agenouillant aux pieds de Jésus, en versant ses larmes sur eux, pour les essuyer avec ses cheveux dénoués. Elle s'était cependant risquée à cet acte de contrition et de consécration. Elle n'avait pas pu s'empêcher de témoigner ainsi à Jésus sa reconnaissance. Mais les paroles blessantes, les regards ironiques des témoins de cette scène l'avaient profondément humiliée. C'est alors que le Sauveur prend son parti. Il lui parle, avec une douce approbation, de l'amour dont elle l'a aimé. Il ne nomme ses péchés que pour lui dire qu'ils sont pardonnés. Et il prononce sur elle la parole de bénédiction : « Va en paix ! » Ah ! celui qui aurait pu lire dans le coeur de cette femme, à cette heure, l'aurait trouvé plein d'un joyeux rire !

Nous avons cru en Jésus-Christ. C'est lui qui nous conduira au but suprême, au repos des cieux. Lorsque l'heure bienheureuse de l'arrivée sonnera pour nous, que nous aurons combattu notre dernier combat, laissé derrière nous la terre avec toutes ses misères et ses larmes, que nous apercevrons Jésus-Christ dans sa gloire et qu'il nous introduira dans le royaume des esprits glorifiés, alors nous éprouverons, nous aussi, ne le croyez-vous pas, une émotion ineffable' Dieu lui-même essuiera les larmes de nos yeux. Et nos coeurs se mettront à sourire comme ils n'ont jamais souri !

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