5. Est-ce toi ou Dieu que tu cherches
dans
la prière ?
Nos prières sont boiteuses, lorsque
nous ne commençons pas par prendre devant
Dieu la place humble qui nous convient. Mais elles
sont plus malades parfois encore grâce
à leur contenu. Quel est le contenu normal
d'une prière ? Je réponds
qu'elle doit demander avant tout la présence
de Dieu. Ainsi Dieu doit être le premier
objet de nos requêtes. Je suppose que vous
m'avez compris, mon cher lecteur, vous me
permettrez cependant de m'expliquer plus
clairement.
Je dis que Dieu doit être le fil d'or
reliant toutes nos requêtes, nos
prières et nos actions de grâces. Que
son nom soit sanctifié, en tous lieux, que
son règne vienne dans le vaste monde, que sa
volonté soit faite sur la terre comme au
ciel ; que tout cela se fasse tout d'abord en
toi ; que Dieu, l'Éternel, devienne un
avec toi et toi avec lui. voilà ce qui sera
l'âme de tes prières, ô croyant,
si tu es fidèle ! Et c'est cette
âme précisément qui te fait
défaut, je le crains. Les gens
d'église savent rarement ce que c'est que
prier. Prier, pour eux, c'est demander ; ils
ne remercient guère que lorsque la
volonté de Dieu est d'accord avec leur
propre volonté. L'adoration par laquelle
nous nous plongeons dans les profondeurs de la
divinité leur est inconnue. Encore une fois,
ils savent ce que c'est que demander ; mais
ils ne demandent que pour eux-mêmes ou pour
ceux au bonheur desquels leur bonheur est
étroitement
lié. L'intercession, au sens large du mot,
ne joue chez eux aucun rôle.
Au lieu de dire : « Ta
volonté soit faite, » en bien des
cas, nous ferions donc mieux de dire :
« Ma volonté soit
faite, » et si cette demande a un air
impie, nous ferions mieux de dire tout au
moins : « Ta volonté se fasse
autant que possible, en conformité avec la
mienne ! » C'est ainsi que la
prière tombe dans l'impiété.
Elle devient justement le contraire de ce qu'elle
est destinée à être. Que
doit-elle être ? Une consécration
vivante à Dieu de tout notre être, de
notre volonté propre, nous amenant à
nous plonger dans la source inépuisable de
la miséricorde divine, dans l'amour profond,
mystérieux et compatissant du
Très-haut. Il est triste de constater la
place que l'amour du monde, la crainte de la
douleur, la recherche du moi, de ce qui brille, la
chair et le sang en un mot, prennent dans la
prière. Que tous ces sentiments terrestres
nous entraînent à l'ordinaire, cela
n'est pas trop étonnant peut-être. Ce
qui est grave, c'est que nous marchions encore sous
leurs enseignes à l'heure de la
prière. Si quelque chose a donc besoin
d'être amélioré chez les
chrétiens, c'est d'abord leurs
prières.
Jésus a fait entendre dans l'oraison
dominicale le véritable accent de la
requête. Cette prière est
répétée ou imitée tous
les jours, mais bien peu se rendent compte de sa
signification. L'oraison dominicale nous invite
à demander à Dieu le pain quotidien.
Le pain quotidien, n'est-ce pas tout ce qui est
nécessaire à la vie
présente ? Sans aucun doute. Mais les
trésors, les honneurs, les dignités
ne font pas précisément partie de ce
nécessaire ; en revanche les
afflictions appartiennent à ce
nécessaire. Sans elles, en effet, la vie ne
serait pas supportable, parce que les hommes se
livreraient sans frein à leurs passions.
Quiconque connaît un peu le monde sait que la
douleur arrête seule l'essor
démesuré des convoitises chez le
grand nombre ; les croyants, ceux du moins qui
ont quelque expérience du coeur humain,
devraient mieux le savoir que personne.
L'idée centrale de l'oraison dominicale est au
fond
celle-ci : « Sève
céleste, que ton action ait un accès
véritable au sein de l'humanité
pécheresse ! » C'est cet
accès qui est demandé dans les
requêtes de la première partie de
l'oraison ; c'est cet accès qui est
demandé dans la dernière partie avec
le pardon des péchés, avec la
délivrance de la tentation.
Les enfants de Dieu ont toujours entendu de
la sorte l'oraison dominicale. On a appelé
les psaumes le Livre de prière de la Bible.
L'appellation est juste. Mais voyez quel est
l'objet principal des supplications des chantres
inspirés, de leurs actions de grâces.
Même quand ils présentent à
Dieu des souffrances temporelles, pour en
réclamer la délivrance, c'est une
autre délivrance, la délivrance
intérieure, spirituelle, qui reste toujours
le grand objet de leurs préoccupations. Dans
leurs actions de grâces, ils remercient Dieu
avant tout de ce qu'il leur pardonne leurs
péchés ; dans leurs
requêtes pleines de larmes, ils
s'écrient de préférence :
« Ne m'ôte point ton bon
esprit ! » Ou bien encore ils
diront : « Seigneur, manifeste ta
force en Israël, que tous les peuples voient
ta gloire ! »
Comparez les prières des hommes de
Dieu en d'autres parties de la Bible ! Partout
ils supplieront Dieu de se réconcilier avec
les hommes. Nous avons entendu Abraham
intercéder pour Sodome. Quand il
réclame le fils de la promesse, ce n'est pas
seulement pour sa satisfaction personnelle, c'est
pour l'accomplissement des oracles divins.
Jérémie pleure sur la ruine de son
peuple, mais il attend en même temps de ce
peuple le salut des autres nations. Moïse
lutte avec Dieu pour obtenir le pardon
d'Israël. Prêtez l'oreille aux
prières d'un Luther. Il demande avec une
confiance enfantine, mais aussi avec une
énergie qui ne se lasse point que la parole
de Dieu ait libre cours dans le monde. Il rappelle
à Dieu que la défense de
l'Évangile est l'affaire de Dieu, non pas la
sienne, à lui, Luther. Mélanchthon
est malade à la mort, Luther demande la
guérison de son ami d'une manière
pressante. Mais ce n'est pas qu'il ne puisse se
passer de son ami. C'est parce
que Dieu lui-même ne saurait s'en passer.
Toutes ces prières de Luther sont faites au
nom de Jésus. Elles jaillissent du coeur de
Dieu qui les inspire. C'est pour cela qu'elles sont
exaucées.
C'est ainsi que l'enfant qui répond
aux désirs de son père, lui parle de
ce qui l'intéresse, s'imprègne de son
esprit dans les souhaits qu'il exprime. Voyez
comment les enfants sont habiles à
présenter à leurs parents les motifs
les plus propres à les
fléchir !
Bref, c'est le règne de Dieu en nous,
autour de nous, qui jusqu'à la fin du monde
doit être le premier objet de nos demandes.
En priant, nous devons sortir de nous pour nous
occuper de la réalisation des pensées
de Dieu à l'égard de
l'humanité.
Est-ce à dire que nous devions
oublier les nôtres, notre peuple ? La
forêt ne doit pas nous empêcher de voir
les arbres. Vous êtes marié :
votre femme, vos enfants doivent avoir une place
plus grande dans vos requêtes que des
étrangers. Il ne serait pas naturel non plus
que vous oubliassiez d'autres proches parents. Mais
d'autre part, il ne faut pas que vos proches, le
salut de votre famille, de votre peuple rejettent
complètement dans l'ombre les autres
familles, les autres peuples. La prière
idéale n'est pas nationale, mais
internationale. L'Allemand ne dira pas à
Dieu : « Que le règne de
l'Allemagne s'étende sur la
terre ! » mais :
« Ton règne
vienne ! » Il ne dira pas non plus
à Dieu : « Que ton
règne vienne dans les pays
allemands ! » mais :
« Ton règne vienne dans le monde
entier ! » Gardons-nous de
l'étroitesse ; gardons-nous de faire de
l'esprit de parti, de la politique dans nos
prières !
Ne perdons jamais de vue en ce domaine la
largeur de la bonté divine. Dieu appelle
chaque homme à devenir son enfant. Par
là, mon frère, chaque homme est
appelé à devenir ton
frère ; chaque femme doit devenir ta
soeur, dans un sens infiniment plus
élevé que l'acception ordinaire de
ces mots « frère et
soeur ». Ayons toujours devant les yeux
le lien spirituel créé entre les
âmes par l'Évangile, et qui est
bien plus puissant que les liens de la chair et du
sang ! Songeons à cette grande
multitude d'esprits glorifiés, vêtus
de vêtements de lumière, de tout
peuple, de toute tribu, de toute langue, qui se
tient devant le trône de Dieu et de
l'Agneau ! Le but de Dieu n'est-il pas le
rassemblement de ses élus ? Et ce but
de Dieu ne doit-il pas être aussi le but de
vos prières ? Quand tel sera l'esprit
de vos requêtes, elles accompliront des
miracles au ciel et sur la terre. Ainsi que l'a
remarqué Vinet, la puissance de Dieu
fléchit devant le soupir de celui qui se
prosterne devant lui, quand c'est lui-même
qui a inspiré ce soupir.
Quelques-uns de mes lecteurs ne sont pas
contents. Ils voudraient que je parlasse des
prières ayant pour objet quelque bien
terrestre, temporel. Ils murmurent :
« Tout ce que vous dites du règne
de Dieu est excellent. Mais nous sommes hommes.
Nous vivons dans un monde de péché et
de misère. Nous voudrions parfois pouvoir en
sortir. Impossible. Ne faut-il pas dès lors
que Dieu s'intéresse à notre
existence terrestre, qu'il s'occupe, si je puis
dire ainsi, de l'endroit où le soulier nous
blesse ? »
Il serait triste en effet que nous ne
pussions pas parler à Dieu de tout ce qui
nous pèse. Mais quand lui parlons-nous de
nos affaires temporelles ? Quand nous avons
besoin de lui. Seulement alors. Maintenant que
penserait un père terrestre de son enfant,
si celui-ci ne venait à lui que pour
demander son aide et, si en dehors de cela, cet
enfant vivait comme si son père n'existait
pas ? C'est pourtant ainsi que nous agissons.
Henri Heine était depuis de longues
années couché sur le lit de
souffrance, où l'avait étendu une
maladie de la moelle épinière,
lorsqu'il dit un jour à son ami
Meissner : « Si je pouvais encore
sortir avec des béquilles, savez-vous
où j'irais ? » -
« Non ! » -
« Directement à
l'église ! » -
« Vous plaisantez ! » -
« Non, non, j'irais à
l'église. Comment aller ailleurs avec des
béquilles ? Ah, si je pouvais marcher
sans béquilles, j'irais sans doute me
promener plus volontiers sur les
boulevards où l'on rit, j'irais au bal,
à Mabille ! » Heine fut un
malheureux qui avait laissé mourir en lui le
sentiment du divin. Bien peu oseraient parler comme
lui, parce que bien peu ont son esprit. Mais si
l'on ne parle pas comme Heine, on fait ce qu'il
disait. Les choses divines, Dieu, c'est bon pour
les jours de détresse ; l'on s'en passe
aussi longtemps qu'on peut. Si Dieu n'avait pris
soin de nous forcer à marcher avec des
béquilles, j'entends : s'il ne nous
avait liés à la souffrance, de
façon à nous forcer à chercher
un appui, les prières seraient aussi rares
en ce monde que les pensées de génie,
et l'on sait que celles-ci n'abondent
guère.
D'autres âmes ne se passeront pas
entièrement de Dieu. Elles ont chaque jour
le besoin de prier. En même temps elles
constatent que leurs prières manquent
déplorablement de flamme et de
spiritualité. Quand cet état de
choses cessera-t-il ? Quand nos requêtes
auront-elles la sainte flamme ? Quand nos
soupirs auront-ils l'ardeur, la force,
deviendront-ils pressants ? Quand notre coeur
sera étreint par l'angoisse comme l'est
celui de la mère, alors qu'elle lutte avec
le Seigneur pour la vie de son enfant. Voyez comme
elle oublie tout, pour arracher à la mort
cette vie précieuse !
Écoutez encore cette jeune fille,
torturée par la douleur. Comme ses accents
sont sérieux ! Écoutez cet
homme, réveillé de son
assoupissement, qui craint d'être perdu pour
l'éternité. Comme il crie vers Dieu
du fond de sa misère ! Or, si vous
examinez vos prières, mon cher lecteur, vous
vous convaincrez promptement que vous ne demandez
point à Dieu de vous enlever les joies
terrestres qui vous séparent de lui ;
vous ne cessez de lui dire :
« Débarrasse-moi de cette
épreuve, accorde-moi le bonheur
temporel ! »
N'en est-il pas ainsi ? Comprenez-moi
et qu'un malentendu ne fasse pas de vous sa
victime ! N'allez pas croire que je suis
disposé à railler ceux qui demandent
à être débarrassés de
leur mal de dents, de leur mal de coeur, de leur
langueur physique. Je ne suis point de la race des
écrivains qui, du haut de leur
bien-être, confortablement
assis à une table de travail, se plaisent
à tonner contre le matérialisme de
leur génération. C'est un
thème offrant carrière à
l'éloquence, à la poésie que
celui de la vanité des biens de ce monde. Il
est facile d'exécuter des variations sur
l'air : « Que sont les joies de la
terre ? Une poignée de sable, une
occasion de chagrin ! » Cette
mélodie a pour contre-partie l'autre
mélodie : « Que sont les
tristesses de la terre ? De petits nuages
troublant un instant l'azur du
ciel ! »
Mais l'auteur, qui fait entendre ces
chansons, doit s'être trouvé parfois
lui-même plongé jusqu'au cou dans le
bourbier, ballotté au milieu des grosses
eaux, sinon il ne prendra pas le ton voulu et juste
en parlant de nos joies et de nos plaisirs.
Elle est parfaitement vraie, cette parole
d'un de nos poètes : « Celui
qui n'a jamais mangé son pain au milieu des
larmes, qui n'a jamais passé des nuits en
pleurs, ne vous connaît pas, ô
puissances à venir ! » Non,
il ne vous connaît pas ; il ne se
connaît pas davantage lui-même ;
il ne sait ni consoler les autres ni prier. Mais
celui qui a traversé la souffrance, ne
s'exprimera jamais légèrement sur la
perte des biens temporels. Il sait que cette perte,
pour être temporelle, est poignante, qu'elle
n'est pas d'abord un sujet de joie, mais bien de
tristesse.
L'auteur de ces lignes connaît par sa
propre expérience, et non par l'imagination
seulement, la plainte de la souffrance. Il n'a pas
seulement souffert du mal de dents. Il a
été, la proie de la souffrance
physique sous des formes variées, et cela
non pas seulement pendant des semaines, mais
pendant des dizaines d'années. Plusieurs
fois il a conduit au tombeau ce qu'il avait de plus
cher, et chaque fois la vie lui est apparue sous
l'aspect le plus sombre, dépouillée
de toute joie, de toute lumière. Comme Elie,
sous le genévrier, il s'est couché
maintes fois accablé sous son fardeau.
Autant que qui que ce soit, il a l'habitude des
orages et des tempêtes de l'âme ;
il a compris ce que c'est que d'être
contraint par l'angoisse à crier vers Dieu.
Il n'ignore pas enfin que le moyen de rendre de
telles prières agréables à
Dieu, est de s'engager à mener sous son regard une
vie plus
fidèle, plus consacrée à son
service. C'est pourquoi il ose vous demander votre
confiance, et prendra la liberté de vous
redire que la délivrance par excellence, la
délivrance à réclamer d'abord
n'est pas celle d'un mal extérieur et
temporel, mais celle des affections qui
séparent de Dieu.
Vous déclarerez mille fois votre
situation intolérable, et cependant vous la
traverserez soutenu par une main supérieure.
La plus profonde tristesse est constamment
transformée par la grâce divine en
pure joie. J'avoue que je n'aurais pas pu vivre un
seul jour de ma vie pastorale, si je n'avais eu les
consolations divines pour me fortifier devant le
spectacle de la douleur. J'ai dès lors le
devoir de confesser aussi que lorsque j'ai
demandé que ce spectacle
s'éloignât de moi, je n'ai pas su ce
que je demandais. Les consolations divines
n'étaient-elles pas encore plus
bienfaisantes que la vue de la souffrance
n'était déprimante ? Quiconque
possède la vie spirituelle aura fait la
même expérience. À chaque
épreuve, le tentateur vous suggérera,
- oh, il sait être très aimable
à l'occasion, il parait s'occuper beaucoup
de notre bien-être, le diable, - le diable
vous suggérera, dis-je, que la vie que vous
menez est insupportable, qu'elle ne saurait durer
s'il y a un Dieu au ciel. Je vous en prie, ne
l'écoutez pas, renvoyez-le, en refusant de
l'entendre. Le grand apôtre des Gentils, Paul
lui-même pensa que son écharde
l'empêchait de remplir sa vocation
apostolique, et à trois reprises il supplia
le Seigneur de le délivrer. Mais Dieu
maintint l'écharde, et Paul n'en devint pas
moins Paul. Seulement il fit l'expérience de
la force de Dieu qui se glorifie dans notre
infirmité.
Un pasteur était atteint, le samedi
soir, au moment où il avait à se
préparer pour sa prédication, de
violentes névralgies : supplications au
Seigneur de guérir son serviteur, pour que
celui-ci pût vaquer à sa
préparation, prêcher le lendemain avec
force et que la parole du Seigneur eût son
efficace. Il paraît que l'inquiétude
du ministre, ses larmes, ses requêtes non
exaucées étaient
aux yeux du Seigneur une meilleure
préparation que l'étude. Il monta, le
lendemain, en chaire pour réclamer, il est
vrai, l'indulgence de sa communauté envers
sa prédication qui devait se ressentir d'un
fâcheux état de santé. Mais
après le service, un de ses auditeurs, l'un
de ceux qu'il avait lieu de croire avancé
dans la piété vint le saluer dans la
sacristie et lui tint ce petit discours :
« Tout en vous souhaitant le plus grand
bien, nous ne pouvons nous empêcher de
désirer que vous ayez encore souvent des
névralgies ; car vous ne vous
êtes jamais adressé d'une
manière si émouvante aux coeurs
travaillés et
chargés ! » Et le pasteur
comprit qu'en ne l'exauçant pas, Dieu
l'avait exaucé. Combien ont eu leurs
meilleures pensées au sein de la
fournaise ! Combien doivent à la
douleur d'avoir appris à connaître les
vertus de Jésus-Christ, sa force victorieuse
du péché et du monde. Le gendre du
célèbre Francke, le fondateur des
établissements de charité à
Halle, fut le pasteur Freylinghausen ; il a
laissé une poésie sur le Mal de dents
qui commence ainsi :
Mon coeur, sois content !
Elle est très connue en Allemagne. Je
sais un autre petit cantique qui a pour sujet le
Mal de tête ; il est dû à
une femme pieuse. Celle-ci souffrait de maux de
tête constants et sut bénir pour eux
le Père céleste. Voici quelques vers
de ce morceau :
- Mon Berger me reste fidèle
- Même quand il me fait souffrir.
- Si chaque jour il me flagelle,
- C'est pour m'empêcher de périr.
- Ma douleur me tient loin du monde
- Me garde en une paix profonde !
Lecteur, ne me croyez pas meilleur que je suis.
N'allez pas supposer que je m'abstiens, en ce qui
me concerne, de demander la délivrance
extérieure et temporelle. Il serait contre
nature dans la maladie de ne pas demander la
guérison ; il y aurait là
quelque chose qui ne siérait pas à une
piété saine.
Une prière de cette nature
s'accompagnera pourtant en général
comme celle de Jésus en
Gethsémané d'un acte de soumission
à la volonté de Dieu. Nous ajouterons
à cette requête : « Si
telle est ta volonté. »
En certains cas, néanmoins, nous nous
sentirons pressés de réclamer la
délivrance sans condition, d'une
manière absolue. Le fait se produira
rarement, mais il se produira.
Un exemple tiré de mes
souvenirs : Je vois encore ce jeune homme
phtisique. Il aimait Christ de toute son âme
et cependant ses souffrances se prolongèrent
pendant des années. Le médecin avait
déclaré que le malade n'avait plus
que quelques jours à vivre ; les mois
succédaient aux mois, et l'infortune,
restait suspendu entre la vie et la mort. Tout
à coup le jeune homme qui d'abord
s'était réjoui d'entrer dans le monde
invisible fut saisi d'une peur affreuse de la mort,
de l'agonie qui la précède.
J'étais assis un soir au chevet de son lit
avec d'autres amis chrétiens. Le malade nous
exprimait sa frayeur du suprême combat :
Alors l'un des assistants invita ceux qui
étaient présents à prier avec
lui.
Le suppliant avait l'air inspiré. Il
semblait rempli d'une joie extraordinaire. Il se
mit, avec une émotion particulière,
à remercier Dieu de ce qu'il voulait bien,
dans la nuit même qui allait venir, mettre un
terme à l'angoisse de son enfant, le retirer
doucement, sans angoisse de ce monde, pour
l'introduire dans les demeures éternelles.
Le malade se mit à sourire comme
plongé dans une sorte de ravissement. Je le
quittai bientôt. Le lendemain matin,
j'entrais à sept heures dans mon cabinet de
travail. Je trouvai sur ma table à
écrire un billet avec ces mots :
« Grâces soient rendues à
Dieu, notre cher V., s'est endormi à minuit
du dernier sommeil. Il est mort sans sentir venir
la mort. »
Je pourrais mentionner plus d'une
expérience analogue, démontrant que
Dieu vous invite à certains moments à
lui demander d'une manière absolue, en toute
liberté, la délivrance de la douleur.
Mais, dans la règle, nous sommes
appelés à ajouter à nos
demandes de la libération de
l'épreuve un si, une
condition : « Toutefois, non pas ce
que je veux, mais ce que tu veux. » Si
nous sommes réellement en marche vers
l'éternité, l'éternité
devra paraître dans nos prières ;
nous devrons considérer toutes choses
à la lumière de ce grand avenir.
Encore un mot sur les prières des
petits enfants.
Le chef de famille, le grand-père,
l'aïeule, sont-ils malades ? On invite
les enfants à joindre leurs mains, à
prier pour les parents malades. On leur fait
dire : « 0 bon Dieu, guéris
mon cher père, » -
« guéris ma chère petite
soeur. » Et l'on a l'habitude d'assurer
les enfants de l'exaucement, s'ils
persévèrent dans leur
prière....
N'est-ce pas là un jeu bien
dangereux ? Et si le cher père, la
chère petite soeur viennent à
mourir ? L'événement, en venant
contredire l'assurance donnée, ne se
trouvera-t-il pas jeter dans un jeune coeur une
semence d'incrédulité ?
Il me paraît qu'il faut agir avec
quelque circonspection, en engageant un enfant
à prier, et qu'il est bon de lui rappeler,
en quelque mesure, la souveraineté de Dieu.
Ayez soin de dire à l'enfant que Dieu
écoute toujours la prière faite avec
confiance, alors même qu'il ne donne pas ce
qu'on a demandé. Dieu est certainement notre
Père ; mais c'est un Père qui
est aux cieux, qui a des pensées
célestes et divines, autres que les
nôtres. Dans tous les cas il a sur nous des
pensées de paix. Nous refuse-t-il ce que
nous souhaitons avec ardeur, c'est qu'il a quelque
chose de meilleur à nous donner :
L'éternité révélera en
plein ses intentions bénies. Voilà ce
qu'il faut savoir représenter aux enfants,
bien entendu, en traits à leur
portée. Sinon on risque de faire
l'expérience désagréable qui
fut récemment la mienne.
Une charmante petite fille de six ans qui se
tenait près du corps inanimé de sa
mère me recevait en effet en me
disant : « Je suis maintenant
sûre que le bon Dieu n'exauce pas la
prière des enfants. » J'eus une
sensation poignante. Je ne pouvais blâmer la
petite fille. Le coupable était le
père. Il n'avait cessé de
répéter à l'enfant :
« Prie avec persévérance,
et Dieu te conservera ta bonne
mère ! » Comprenez le trouble jeté
par l'événement fatal dans
l'âme de cette petite fille !
Je suis de votre avis : les enfants ont
cinq sens et vivent dans le monde extérieur.
Il est difficile de leur laisser entrevoir la
signification du mot éternité, il est
difficile de leur montrer que les pensées de
Dieu sont plus profondes que les nôtres. Oui,
cela est difficile, mais cela n'est pas impossible,
quand on recourt aux exemples de l'Écriture,
à ses histoires. Faites de cela un objet de
prière, surtout de prière
persévérante. Notre texte nous rend
encore attentifs à la
persévérance dans la prière et
nous pourrons intituler les réflexions qui
suivent :
6. Une importunité
effrontée.
Ce titre sonne assez mal. Ce qui est
effronté est effronté et
l'importunité est l'importunité.
L'importunité est rarement louable. Il en
est autrement dans le domaine de la prière.
Là c'est le Sauveur lui-même qui nous
a invités à l'importunité,
à l'opiniâtreté. Lisez dans Luc
les paraboles de l'ami qui s'en va demander trois
pains à un ami, de la veuve et du juge
inique
(XI,
5-8 ; XVIII,
1-6.) Il semble que
Jésus se soit inspiré de la
prière d'Abraham dans ces deux paraboles.
Tout en s'exprimant avec la plus grande
humilité, Abraham demande toujours
davantage, et il obtient toujours plus. Sa
prière a cinq reprises ou cinq accords
successifs avec Dieu, et de l'un à l'autre
les exigences du serviteur de Dieu ont grandi. Il a
obtenu d'abord que Dieu pardonnât à la
ville s'il s'y trouvait cinquante justes. Mais,
après ce premier exaucement il a
continué à prier. Il est descendu de
cinquante à quarante-cinq, de là peu
à peu jusqu'à dix.
La ténacité d'Abraham a
excité la verve des railleurs, car on peut
rire de tout. Ils ont dit : « Cet
Abraham est bien l'ancêtre des brocanteurs et
des maquignons juifs. Suivez le maquignon chez le
pauvre paysan dont il convoite quelque pièce
de bétail; il commence par rabattre quelque
chose du prix, puis il rabat encore, il ne cesse de
rabattre, pour une
raison
puis pour l'autre. C'est ainsi que le père
des Juifs de toutes les époques amène
Dieu de rabais en rabais à consentir
à pardonner pour cinq justes. »
Vaut-il la peine de répondre à ces
quolibets ? Un enfant vous ferait toucher du
doigt la différence qui existe entre la
manière de faire du maquignon et la
prière d'Abraham. Tous deux sont tenaces,
mais le serviteur de Mammon cherche son avantage,
tandis que le serviteur de Dieu ne demande rien
pour lui, L'un travaille à ruiner son
prochain ; l'autre cherche à sauver des
hommes. L'un n'obéit à aucun
sentiment religieux ; Abraham puise dans sa
foi la force de persévérer.
Sans doute les Juifs
dégénérés, à
l'esprit purement mercantile de nos jours, sont
encore des enfants d'Abraham, mais ce sont des
enfants perdus, des caricatures d'une sainte image.
Abraham est le père du véritable
Israël, de l'Israël selon l'esprit, qui
« d'une aube à l'autre lutte avec
Dieu », gémit, supplie,
jusqu'à ce qu'il ait été
exaucé. C'est de cette race que Jacob est
encore l'un des représentants. Voyez-le au
gué de Jabbok, pendant toute une sombre
nuit, aux prises avec Dieu ; il étreint
Dieu des bras de sa foi, et de ses lèvres
tremblantes lui dit : « Je ne te
laisserai point que tu ne m'aies
béni ! »
C'est à cette race qu'appartient
Elie, quand sur le Carmel il demande avec instances
la pluie ; il a mis sa tête entre ses
genoux ; il l'y remet sept fois, attendant que
son serviteur lui signale un nuage ; il ne se
lasse pas jusqu'à ce que la nuée ait
paru ! Par sa ténacité, Elie
contraint, en quelque sorte, le Tout-Puissant et le
fléchit. Et la pluie qu'il obtient ainsi
n'est pas une pluie ordinaire, c'est une
manifestation du pouvoir, de la charité de
Jéhovah. Jérémie est encore un
type de cette sainte opiniâtreté. Les
Lamentations de Jérémie ! Elles
ne sont pas autre chose que des prières dans
lesquelles revient, sans cesse, la même
pensée : « Seigneur, tu peux,
tu dois retirer ton peuple de l'océan des
calamités dans lequel tu l'as
plongé ! »
C'est à cette race tenace
qu'appartient la femme cananéenne, une
païenne, mais qui est un membre du véritable
Israël ! Elle s'attache avec une sorte de
violence aux pas du Sauveur, trouve dans son
humilité la force d'un héroïque
support, contraint finalement Jésus à
l'admirer et à la sauver.
Oh ! si l'exemple d'Abraham pouvait
nous enseigner la persévérance dans
la prière ! De cette
persévérance dépend la
bénédiction divine et par
conséquent aussi la
persévérance de notre amour, de notre
activité, notre support dans les
afflictions ! À celui qui ne se lasse
pas de prier, Dieu finit par se
révéler, comme le soleil perce
tôt ou tard les nuages. Il se
révèle, Dieu, en dépit de tous
les efforts des créatures, de toutes les
circonstances fâcheuses, pourvu seulement que
celui qui prie ne se dépite pas. Mais
ceux-là seuls luttent bien par la
prière, comme ceux-là seuls
travaillent bien à l'oeuvre de Dieu, qui
croient au succès, au triomphe de leur
cause. Hélas, la plupart des
chrétiens travaillent à l'oeuvre du
Seigneur comme des phtisiques et des paralytiques.
On voit que la certitude de la réussite
finale leur fait défaut. Quelle
différence avec les efforts de ces
agitateurs sans Dieu qui travaillent à la
destruction de la société actuelle.
Souvenez-vous des nihilistes de la Russie,
considérez les anarchistes des autres
pays : avec quelle patience démoniaque,
ils reprennent, poursuivent leurs trames sans cesse
découvertes, sacrifient leurs ressources,
leurs forces, leurs vies à une oeuvre de
ténèbres.
Les malheureux ont sans cesse leur but
devant les yeux. Et ils ne l'auraient pas, ce but,
s'ils n'étaient pas persuadés de la
réussite finale ! Les chrétiens,
en voyant les ouvriers du mal déployer une
telle persévérance, ne sauront-ils
pas trouver dans l'Esprit de Dieu la sainte
opiniâtreté dont ils ont besoin ?
Les anarchistes ont le projet de tout
détruire ; les disciples de Christ
travaillent en revanche à amener le grand
jour de la glorification des créatures.
Notre cause ne devrait-elle pas susciter plus
d'enthousiasme que la cause du
désordre ? Il en serait ainsi, si nous
avions sans cesse devant nous le saint but de
l'activité chrétienne, l'avancement
du règne de Dieu. Mais la
plupart le perdent de vue. Nous savons que nous
devons être des pêcheurs d'hommes. La
vocation est grande. Cependant quelque moquerie, un
peu de dédain, l'ingratitude, les obstacles
opposés par l'insensibilité des
coeurs, le défaut de succès ou
l'hostilité ouverte ont bientôt fait
de nous décourager. Je vois les soldats de
Christ très prompts à rendre leurs
armes. Je les entends répétant :
« Nos efforts ne servent de rien, le
monde est trop mauvais... ! »
Soldats, le grand obstacle est en
vous-mêmes ; vous manquez de
persévérance dans vos bonnes oeuvres.
La persévérance fait défaut
à votre activité, parce qu'elle fait
défaut à vos prières. Vos
oeuvres auront le même caractère que
vos prières. Oh ! priez pour la
prière, priez pour avoir l'esprit de
prière. Ne cessez jamais de prier !
Celui auquel nous nous adressons nous entend. Mais
il faut chercher sa face avec toute la puissance de
la volonté. L'inflexible :
« Je veux » n'est nulle part
aussi bien à sa place que lorsqu'il s'agit
de morigéner notre nature faible et
charnelle, paresseuse pour la prière.
Sachons dire à celle-ci :
« Je veux »
7. Non exaucé et pourtant
exaucé.
Je ne discuterai pas cette question :
La prière d'une âme émue
a-t-elle le pouvoir d'agir sur la suite des choses,
des événements, sur le Nexus rerum
dont parlent les savants, ou ne l'a-t-elle
pas ? J'ai un profond respect, en
vérité, pour le Nexus rerum. Mais
devant Dieu, il m'apparaît à peu
près comme la porte de Gaza devant Samson.
Le robuste Hébreu ne fut point
embarrassé par les liens de fer qui
rattachaient les battants de la porte aux poteaux,
il eut bientôt fait de soulever le tout, Je
crois que Dieu a la puissance de répondre
à nos prières. Je crois que le cerf
ne brame pas en vain après les eaux
courantes, c'est-à-dire qu'on n'invoque pas
en vain l'Éternel. Celui qui ne peut
s'empêcher de dire à Dieu :
« Abba, mon Père », avec
tendresse, avec l'accent de
l'amour filial, sait qu'il n'est pas de question
plus insensée que celle-ci :
« Dieu exauce-t-il réellement nos
prières ? » Le
témoignage unanime de l'expérience
chrétienne en ce domaine ne laisse pas place
au doute. Dans tous les âges l'on a entendu
ce cantique : « Tu exauces les
prières, c'est pourquoi toute chair viendra
jusqu'à toi. »
Toutefois, dans la plupart des cas,
l'exaucement est rarement assez frappant pour
apparaître aux yeux de tous comme une
intervention providentielle. Je dis rarement, car
il l'est pourtant quelquefois. Quand Moïse en
criant à l'Éternel obtint que les
flots de la Mer Rouge se séparassent en deux
et livrassent un passage à
Israël ; quand Elie fit descendre par ses
prières le feu du ciel sur son
sacrifice ; quand Daniel reçut en
réponse à ses demandes, dans une
vision, le songe même qu'avait songé
Nébucadnetsar ; quand l'apôtre
Pierre fut conduit hors de sa prison par un ange,
envoyé ensuite des prières de
l'Eglise, il y eut assurément une action
particulière et surnaturelle du bras de
l'Éternel. De tels faits sont en dehors de
l'ordinaire Nexus rerum, du cours habituel des
choses.
Dans la règle, Dieu exauce la
prière par des moyens naturels. Il poussera,
par exemple, quelqu'un à aller au secours
d'un pauvre qui crie à lui.
L'incrédulité n'est point alors
contrainte de se rendre. Il reste devant elle une
porte ouverte.
Laissez-moi, pour vous donner un exemple de
ce que je dis, vous conduire dans une chambre de
malade. Il y a là des parents
profondément éprouvés. Ce sont
des chrétiens ayant l'habitude de la
prière. Pendant des années, ils ont
demandé à Dieu un enfant. Il leur fut
enfin accordé, il fit les délices de
leurs yeux, la joie de leur coeur. Et maintenant,
il est aux prises avec la mort. Les médecins
viennent de dire aux parents que tout ce qu'ils
peuvent souhaiter, c'est une mort tranquille, aussi
prompte que possible. Les parents se sont unis
alors au pasteur dans une fervente prière.
Ils ont présenté au Seigneur leur
angoisse. Tout en se soumettant
d'avance à Dieu, ils lui rappellent qu'il a
le pouvoir d'aider là où les conseils
humains sont impuissants. Une crise bienfaisante se
produit quelques heures plus tard. L'enfant est
sauvé. Les médecins sont surpris,
mais parlent des forces secrètes de la
nature. Les parents, quant à eux, louent
Dieu de ce qu'il a exaucé leur prière
et accompli un miracle en leur faveur. Voici
toutefois que, peu de temps après, cette
pensée monte dans l'âme du
père : « Ne serait-il pas
possible, que l'enfant eût également
guéri, si tu n'avais pas
prié ? » Direz-vous que le
père est un incrédule, parce qu'il a
eu cette pensée ? Je ne le dirai pas,
moi ; j'ai eu, en effet, une pensée
analogue dans un cas pareil.
Le bon plaisir de Dieu est qu'il reste pour
nous dans les exaucements une petite porte ouverte
à la liberté de douter. Seulement, il
faut la fermer.
Malheur à celui dont la foi serait
fondée uniquement sur tel ou tel exaucement
particulier. La foi doit être fondée
sur la vie avec Dieu. Si vous marchez avec Dieu, si
vous vivez et respirez en lui, vous pourrez alors,
mais seulement alors, tenir close la porte ouverte
au doute. Vous croirez que Dieu exauce la
prière dans le cas même où il
se refuserait à vous donner ce que vous
demandiez. Un exaucement permanent vous est en
effet accordé par la vie et par la paix qui
descendent en vous de la présence divine. Et
n'avez-vous pas dans ces dons, dans la
présence de Dieu, de quoi confondre
l'Adversaire ?
Considérons notre texte à la
lumière de ces explications.
Ce qu'Abraham demandait dans ses
intercessions, il ne l'a pas obtenu. Il n'a
sauvé que Lot et ses filles. Le long travail
d'intercession du patriarche semble n'aboutir
à rien. Les anges vont à Sodome
chercher un nouveau témoignage de la
corruption de ses habitants. Dieu n'en a pas besoin
pour lui-même, mais il veut que les Sodomites
signent en quelque sorte eux-mêmes leur
sentence de jugement, pour attester devant le monde
entier l'impartialité des décrets de
Dieu. Sodome se condamna elle-même. Il n'y a
qu'à lire, pour s'en convaincre, le chapitre
XIXe de la Genèse. Et encore ce chapitre
nous met-il en présence d'une corruption si
raffinée que tout le monde ne le comprendra
pas, et qu'il faut féliciter ceux qui ne
l'entendront point. Même la vertu de
l'hospitalité, si respectée en
général chez les Orientaux, parait
avoir cédé, à Sodome, devant
les instincts de bestialité. Lot, le neveu
d'Abraham, est très hospitalier.
Néanmoins il se montre sous un jour propre
à manifester la perversion de ses notions
morales. Bref, Sodome était une sentine
d'immoralité dans la terre promise. Il
fallait qu'elle disparût. Et elle fut
balayée comme si Abraham n'avait pas
prié pour elle.
Direz-vous donc que la prière
d'Abraham a été inutile ?
Qui, dans le monde entier, oserait le
soutenir, après avoir lu d'un bout à
l'autre la saisissante histoire que nous
méditons ? Inutile, l'intercession
d'Abraham ? Alors il faut dire aussi que la
prière trois fois
répétée de Paul, pour
être délivré de son
écharde, aura été inutile. Il
faut dire que la sueur de sang, les larmes de
Jésus en Gethsémané ont
été inutiles. Et cependant c'est
là, dans ces combats, que la foi de Paul et
la foi de Jésus se sont trempées.
Ayez dans votre passé de pareilles
expériences, de telles prières, vous
verrez comment elles vous transformeront en un
nouvel homme, vous feront grandir dans tout ce qui
est humain et divin, vous élèveront
au-dessus de l'angoisse, de la crainte, de la
douleur, de la haine, de l'envie, de la
méchanceté. Ce qui se passa à
l'origine des choses, quand Dieu souffla dans les
narines de l'homme une respiration de vie, se
reproduit dans les luttes de la supplication. Un
souffle nouveau anime l'âme après
elles, et c'est là leur bienfait
particulier. Voilà l'exaucement le plus
précieux de cette sorte de prière.
Regardez Abraham ! Il n'obtint pas en
réalité ce qu'il avait
demandé, parce que la condition que
lui-même proposait à Dieu dans sa
prière ne se trouva pas remplie. Mais, dans
cette intercession, Abraham ouvre son coeur
à Dieu, et Dieu lui ouvre aussi le sien.
Pendant cette prière, il se fait
entre Dieu et l'homme un bienheureux échange
de sentiments de charité. Aussi, lorsque
Abraham « retourna dans sa
demeure, » celle-ci se trouva-t-elle
transformée pour lui. Il lui semblait que
les cimes des palmiers, que le sommet des
chênes étaient baignés dans une
auréole de lumière. Lui-même
n'était plus le même. Il avait vu le
Seigneur face à face et son âme avait
été
« sauvée » ainsi que le
dira Jacob à Péniel. La foi du
patriarche était désormais fortement
assise. Elle ne vacillera plus, même lorsque
Dieu lui demandera le sacrifice suprême, le
don, l'immolation d'Isaac.
Quelle joie remplirait le coeur d'Abraham,
ami lecteur, si nous voulions bien, vous et moi,
apprendre de lui a intercéder, comme il
intercédait ! C'est dans ce but que
pour ma part j'ai écrit ces pages....
Tout au sud de la Palestine, s'étend
un lac ; il a quinze lieues de long, environ
trois heures de large et est d'une grande
profondeur. Aucun autre lac au monde ne lui
ressemble. Il est enfoncé en effet de 394
mètres au-dessous du niveau de la
Méditerranée ; de plus il
reçoit des affluents considérables et
il n'en sort aucun cours d'eau. Cependant jamais il
ne déborde. Ce qui frappe encore dans ce
lac, c'est l'aspect d'aridité et de mort de
ses bords. Celui qui ne saurait rien de l'histoire
de ce lac l'appellerait encore « la mer
Morte. » La mer Morte est entourée
de rochers brûlés ; à
peine ici et là quelque rare trace de
végétation, partout sur les bords des
efflorescences salines. Le sel est
déposé le long du rivage en cristaux
brillants. Les êtres vivants périssent
dans les flots de la lourde nappe d'eau. Les
poissons du Jourdain, amenés par le courant,
n'y vivent pas longtemps. L'image de ce bassin est
celle de la désolation. C'est sous ces flots
qu'ont disparu les cités florissantes de la
vallée de Siddim. Elles dorment là
depuis 4000 ans. Des milliers d'hommes ont
péri alors dans un effroyable cataclysme,
sous la main puissante de Dieu. Ils vivaient dans
l'immoralité, livrés aux instincts de
la bestialité. Ils furent
châtiés de leur dégradation.
Mais ce miroir d'un bleu profond garde aussi
le souvenir de la prière d'Abraham. Les
morts ensevelis sous les flots de la mer Morte
revivront un jour. Le Sauveur a dit d'eux aux
habitants de Capernaüm : « Si
les choses qui ont été faites au
milieu de vous l'avaient été dans
Sodome, elle subsisterait encore
aujourd'hui. » Que veut dire le
Seigneur ? Que la suprême
révélation de l'amour divin n'a pas
été encore accordée aux
habitants de Sodome. Un jour de grâce luira
pour eux, quand Christ paraîtra devant eux
dans la splendeur de sa puissance. Ce
jour-là l'intercession d'Abraham ne
reviendra-t-elle pas en mémoire à
Dieu, n'obtiendra-t-elle pas alors même son
exaucement ? Sourie qui voudra ! Des
flots de la mer Morte s'élève pour
moi une légère vapeur, image de la
prière d'Abraham qui fut comme un encens de
bonne odeur devant l'Éternel. Elle me fait
songer, cette vapeur entrevue en rêve,
à l'Esprit de Dieu qui se mouvait à
l'origine sur la face des eaux profondes. Et je
dis : De nos intercessions s'étend
aussi un nuage protecteur sur un monde sans
Dieu ;car elles sont la manifestation de la
puissance de Dieu.
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