Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XVII

La prière d'Abraham et la tienne. (Suite)

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5. Est-ce toi ou Dieu que tu cherches dans la prière ?

Nos prières sont boiteuses, lorsque nous ne commençons pas par prendre devant Dieu la place humble qui nous convient. Mais elles sont plus malades parfois encore grâce à leur contenu. Quel est le contenu normal d'une prière ? Je réponds qu'elle doit demander avant tout la présence de Dieu. Ainsi Dieu doit être le premier objet de nos requêtes. Je suppose que vous m'avez compris, mon cher lecteur, vous me permettrez cependant de m'expliquer plus clairement.

Je dis que Dieu doit être le fil d'or reliant toutes nos requêtes, nos prières et nos actions de grâces. Que son nom soit sanctifié, en tous lieux, que son règne vienne dans le vaste monde, que sa volonté soit faite sur la terre comme au ciel ; que tout cela se fasse tout d'abord en toi ; que Dieu, l'Éternel, devienne un avec toi et toi avec lui. voilà ce qui sera l'âme de tes prières, ô croyant, si tu es fidèle ! Et c'est cette âme précisément qui te fait défaut, je le crains. Les gens d'église savent rarement ce que c'est que prier. Prier, pour eux, c'est demander ; ils ne remercient guère que lorsque la volonté de Dieu est d'accord avec leur propre volonté. L'adoration par laquelle nous nous plongeons dans les profondeurs de la divinité leur est inconnue. Encore une fois, ils savent ce que c'est que demander ; mais ils ne demandent que pour eux-mêmes ou pour ceux au bonheur desquels leur bonheur est étroitement lié. L'intercession, au sens large du mot, ne joue chez eux aucun rôle.

Au lieu de dire : « Ta volonté soit faite, » en bien des cas, nous ferions donc mieux de dire : « Ma volonté soit faite, » et si cette demande a un air impie, nous ferions mieux de dire tout au moins : « Ta volonté se fasse autant que possible, en conformité avec la mienne ! » C'est ainsi que la prière tombe dans l'impiété. Elle devient justement le contraire de ce qu'elle est destinée à être. Que doit-elle être ? Une consécration vivante à Dieu de tout notre être, de notre volonté propre, nous amenant à nous plonger dans la source inépuisable de la miséricorde divine, dans l'amour profond, mystérieux et compatissant du Très-haut. Il est triste de constater la place que l'amour du monde, la crainte de la douleur, la recherche du moi, de ce qui brille, la chair et le sang en un mot, prennent dans la prière. Que tous ces sentiments terrestres nous entraînent à l'ordinaire, cela n'est pas trop étonnant peut-être. Ce qui est grave, c'est que nous marchions encore sous leurs enseignes à l'heure de la prière. Si quelque chose a donc besoin d'être amélioré chez les chrétiens, c'est d'abord leurs prières.

Jésus a fait entendre dans l'oraison dominicale le véritable accent de la requête. Cette prière est répétée ou imitée tous les jours, mais bien peu se rendent compte de sa signification. L'oraison dominicale nous invite à demander à Dieu le pain quotidien. Le pain quotidien, n'est-ce pas tout ce qui est nécessaire à la vie présente ? Sans aucun doute. Mais les trésors, les honneurs, les dignités ne font pas précisément partie de ce nécessaire ; en revanche les afflictions appartiennent à ce nécessaire. Sans elles, en effet, la vie ne serait pas supportable, parce que les hommes se livreraient sans frein à leurs passions. Quiconque connaît un peu le monde sait que la douleur arrête seule l'essor démesuré des convoitises chez le grand nombre ; les croyants, ceux du moins qui ont quelque expérience du coeur humain, devraient mieux le savoir que personne. L'idée centrale de l'oraison dominicale est au fond celle-ci : « Sève céleste, que ton action ait un accès véritable au sein de l'humanité pécheresse ! » C'est cet accès qui est demandé dans les requêtes de la première partie de l'oraison ; c'est cet accès qui est demandé dans la dernière partie avec le pardon des péchés, avec la délivrance de la tentation.

Les enfants de Dieu ont toujours entendu de la sorte l'oraison dominicale. On a appelé les psaumes le Livre de prière de la Bible. L'appellation est juste. Mais voyez quel est l'objet principal des supplications des chantres inspirés, de leurs actions de grâces. Même quand ils présentent à Dieu des souffrances temporelles, pour en réclamer la délivrance, c'est une autre délivrance, la délivrance intérieure, spirituelle, qui reste toujours le grand objet de leurs préoccupations. Dans leurs actions de grâces, ils remercient Dieu avant tout de ce qu'il leur pardonne leurs péchés ; dans leurs requêtes pleines de larmes, ils s'écrient de préférence : « Ne m'ôte point ton bon esprit ! » Ou bien encore ils diront : « Seigneur, manifeste ta force en Israël, que tous les peuples voient ta gloire ! »

Comparez les prières des hommes de Dieu en d'autres parties de la Bible ! Partout ils supplieront Dieu de se réconcilier avec les hommes. Nous avons entendu Abraham intercéder pour Sodome. Quand il réclame le fils de la promesse, ce n'est pas seulement pour sa satisfaction personnelle, c'est pour l'accomplissement des oracles divins. Jérémie pleure sur la ruine de son peuple, mais il attend en même temps de ce peuple le salut des autres nations. Moïse lutte avec Dieu pour obtenir le pardon d'Israël. Prêtez l'oreille aux prières d'un Luther. Il demande avec une confiance enfantine, mais aussi avec une énergie qui ne se lasse point que la parole de Dieu ait libre cours dans le monde. Il rappelle à Dieu que la défense de l'Évangile est l'affaire de Dieu, non pas la sienne, à lui, Luther. Mélanchthon est malade à la mort, Luther demande la guérison de son ami d'une manière pressante. Mais ce n'est pas qu'il ne puisse se passer de son ami. C'est parce que Dieu lui-même ne saurait s'en passer. Toutes ces prières de Luther sont faites au nom de Jésus. Elles jaillissent du coeur de Dieu qui les inspire. C'est pour cela qu'elles sont exaucées.

C'est ainsi que l'enfant qui répond aux désirs de son père, lui parle de ce qui l'intéresse, s'imprègne de son esprit dans les souhaits qu'il exprime. Voyez comment les enfants sont habiles à présenter à leurs parents les motifs les plus propres à les fléchir !

Bref, c'est le règne de Dieu en nous, autour de nous, qui jusqu'à la fin du monde doit être le premier objet de nos demandes. En priant, nous devons sortir de nous pour nous occuper de la réalisation des pensées de Dieu à l'égard de l'humanité.

Est-ce à dire que nous devions oublier les nôtres, notre peuple ? La forêt ne doit pas nous empêcher de voir les arbres. Vous êtes marié : votre femme, vos enfants doivent avoir une place plus grande dans vos requêtes que des étrangers. Il ne serait pas naturel non plus que vous oubliassiez d'autres proches parents. Mais d'autre part, il ne faut pas que vos proches, le salut de votre famille, de votre peuple rejettent complètement dans l'ombre les autres familles, les autres peuples. La prière idéale n'est pas nationale, mais internationale. L'Allemand ne dira pas à Dieu : « Que le règne de l'Allemagne s'étende sur la terre ! » mais : « Ton règne vienne ! » Il ne dira pas non plus à Dieu : « Que ton règne vienne dans les pays allemands ! » mais : « Ton règne vienne dans le monde entier ! » Gardons-nous de l'étroitesse ; gardons-nous de faire de l'esprit de parti, de la politique dans nos prières !

Ne perdons jamais de vue en ce domaine la largeur de la bonté divine. Dieu appelle chaque homme à devenir son enfant. Par là, mon frère, chaque homme est appelé à devenir ton frère ; chaque femme doit devenir ta soeur, dans un sens infiniment plus élevé que l'acception ordinaire de ces mots « frère et soeur ». Ayons toujours devant les yeux le lien spirituel créé entre les âmes par l'Évangile, et qui est bien plus puissant que les liens de la chair et du sang ! Songeons à cette grande multitude d'esprits glorifiés, vêtus de vêtements de lumière, de tout peuple, de toute tribu, de toute langue, qui se tient devant le trône de Dieu et de l'Agneau ! Le but de Dieu n'est-il pas le rassemblement de ses élus ? Et ce but de Dieu ne doit-il pas être aussi le but de vos prières ? Quand tel sera l'esprit de vos requêtes, elles accompliront des miracles au ciel et sur la terre. Ainsi que l'a remarqué Vinet, la puissance de Dieu fléchit devant le soupir de celui qui se prosterne devant lui, quand c'est lui-même qui a inspiré ce soupir.

Quelques-uns de mes lecteurs ne sont pas contents. Ils voudraient que je parlasse des prières ayant pour objet quelque bien terrestre, temporel. Ils murmurent : « Tout ce que vous dites du règne de Dieu est excellent. Mais nous sommes hommes. Nous vivons dans un monde de péché et de misère. Nous voudrions parfois pouvoir en sortir. Impossible. Ne faut-il pas dès lors que Dieu s'intéresse à notre existence terrestre, qu'il s'occupe, si je puis dire ainsi, de l'endroit où le soulier nous blesse ? »

Il serait triste en effet que nous ne pussions pas parler à Dieu de tout ce qui nous pèse. Mais quand lui parlons-nous de nos affaires temporelles ? Quand nous avons besoin de lui. Seulement alors. Maintenant que penserait un père terrestre de son enfant, si celui-ci ne venait à lui que pour demander son aide et, si en dehors de cela, cet enfant vivait comme si son père n'existait pas ? C'est pourtant ainsi que nous agissons. Henri Heine était depuis de longues années couché sur le lit de souffrance, où l'avait étendu une maladie de la moelle épinière, lorsqu'il dit un jour à son ami Meissner : « Si je pouvais encore sortir avec des béquilles, savez-vous où j'irais ? » - « Non ! » - « Directement à l'église ! » - « Vous plaisantez ! » - « Non, non, j'irais à l'église. Comment aller ailleurs avec des béquilles ? Ah, si je pouvais marcher sans béquilles, j'irais sans doute me promener plus volontiers sur les boulevards où l'on rit, j'irais au bal, à Mabille ! » Heine fut un malheureux qui avait laissé mourir en lui le sentiment du divin. Bien peu oseraient parler comme lui, parce que bien peu ont son esprit. Mais si l'on ne parle pas comme Heine, on fait ce qu'il disait. Les choses divines, Dieu, c'est bon pour les jours de détresse ; l'on s'en passe aussi longtemps qu'on peut. Si Dieu n'avait pris soin de nous forcer à marcher avec des béquilles, j'entends : s'il ne nous avait liés à la souffrance, de façon à nous forcer à chercher un appui, les prières seraient aussi rares en ce monde que les pensées de génie, et l'on sait que celles-ci n'abondent guère.

D'autres âmes ne se passeront pas entièrement de Dieu. Elles ont chaque jour le besoin de prier. En même temps elles constatent que leurs prières manquent déplorablement de flamme et de spiritualité. Quand cet état de choses cessera-t-il ? Quand nos requêtes auront-elles la sainte flamme ? Quand nos soupirs auront-ils l'ardeur, la force, deviendront-ils pressants ? Quand notre coeur sera étreint par l'angoisse comme l'est celui de la mère, alors qu'elle lutte avec le Seigneur pour la vie de son enfant. Voyez comme elle oublie tout, pour arracher à la mort cette vie précieuse !

Écoutez encore cette jeune fille, torturée par la douleur. Comme ses accents sont sérieux ! Écoutez cet homme, réveillé de son assoupissement, qui craint d'être perdu pour l'éternité. Comme il crie vers Dieu du fond de sa misère ! Or, si vous examinez vos prières, mon cher lecteur, vous vous convaincrez promptement que vous ne demandez point à Dieu de vous enlever les joies terrestres qui vous séparent de lui ; vous ne cessez de lui dire : « Débarrasse-moi de cette épreuve, accorde-moi le bonheur temporel ! »

N'en est-il pas ainsi ? Comprenez-moi et qu'un malentendu ne fasse pas de vous sa victime ! N'allez pas croire que je suis disposé à railler ceux qui demandent à être débarrassés de leur mal de dents, de leur mal de coeur, de leur langueur physique. Je ne suis point de la race des écrivains qui, du haut de leur bien-être, confortablement assis à une table de travail, se plaisent à tonner contre le matérialisme de leur génération. C'est un thème offrant carrière à l'éloquence, à la poésie que celui de la vanité des biens de ce monde. Il est facile d'exécuter des variations sur l'air : « Que sont les joies de la terre ? Une poignée de sable, une occasion de chagrin ! » Cette mélodie a pour contre-partie l'autre mélodie : « Que sont les tristesses de la terre ? De petits nuages troublant un instant l'azur du ciel ! »
Mais l'auteur, qui fait entendre ces chansons, doit s'être trouvé parfois lui-même plongé jusqu'au cou dans le bourbier, ballotté au milieu des grosses eaux, sinon il ne prendra pas le ton voulu et juste en parlant de nos joies et de nos plaisirs.

Elle est parfaitement vraie, cette parole d'un de nos poètes : « Celui qui n'a jamais mangé son pain au milieu des larmes, qui n'a jamais passé des nuits en pleurs, ne vous connaît pas, ô puissances à venir ! » Non, il ne vous connaît pas ; il ne se connaît pas davantage lui-même ; il ne sait ni consoler les autres ni prier. Mais celui qui a traversé la souffrance, ne s'exprimera jamais légèrement sur la perte des biens temporels. Il sait que cette perte, pour être temporelle, est poignante, qu'elle n'est pas d'abord un sujet de joie, mais bien de tristesse.

L'auteur de ces lignes connaît par sa propre expérience, et non par l'imagination seulement, la plainte de la souffrance. Il n'a pas seulement souffert du mal de dents. Il a été, la proie de la souffrance physique sous des formes variées, et cela non pas seulement pendant des semaines, mais pendant des dizaines d'années. Plusieurs fois il a conduit au tombeau ce qu'il avait de plus cher, et chaque fois la vie lui est apparue sous l'aspect le plus sombre, dépouillée de toute joie, de toute lumière. Comme Elie, sous le genévrier, il s'est couché maintes fois accablé sous son fardeau. Autant que qui que ce soit, il a l'habitude des orages et des tempêtes de l'âme ; il a compris ce que c'est que d'être contraint par l'angoisse à crier vers Dieu. Il n'ignore pas enfin que le moyen de rendre de telles prières agréables à Dieu, est de s'engager à mener sous son regard une vie plus fidèle, plus consacrée à son service. C'est pourquoi il ose vous demander votre confiance, et prendra la liberté de vous redire que la délivrance par excellence, la délivrance à réclamer d'abord n'est pas celle d'un mal extérieur et temporel, mais celle des affections qui séparent de Dieu.

Vous déclarerez mille fois votre situation intolérable, et cependant vous la traverserez soutenu par une main supérieure. La plus profonde tristesse est constamment transformée par la grâce divine en pure joie. J'avoue que je n'aurais pas pu vivre un seul jour de ma vie pastorale, si je n'avais eu les consolations divines pour me fortifier devant le spectacle de la douleur. J'ai dès lors le devoir de confesser aussi que lorsque j'ai demandé que ce spectacle s'éloignât de moi, je n'ai pas su ce que je demandais. Les consolations divines n'étaient-elles pas encore plus bienfaisantes que la vue de la souffrance n'était déprimante ? Quiconque possède la vie spirituelle aura fait la même expérience. À chaque épreuve, le tentateur vous suggérera, - oh, il sait être très aimable à l'occasion, il parait s'occuper beaucoup de notre bien-être, le diable, - le diable vous suggérera, dis-je, que la vie que vous menez est insupportable, qu'elle ne saurait durer s'il y a un Dieu au ciel. Je vous en prie, ne l'écoutez pas, renvoyez-le, en refusant de l'entendre. Le grand apôtre des Gentils, Paul lui-même pensa que son écharde l'empêchait de remplir sa vocation apostolique, et à trois reprises il supplia le Seigneur de le délivrer. Mais Dieu maintint l'écharde, et Paul n'en devint pas moins Paul. Seulement il fit l'expérience de la force de Dieu qui se glorifie dans notre infirmité.

Un pasteur était atteint, le samedi soir, au moment où il avait à se préparer pour sa prédication, de violentes névralgies : supplications au Seigneur de guérir son serviteur, pour que celui-ci pût vaquer à sa préparation, prêcher le lendemain avec force et que la parole du Seigneur eût son efficace. Il paraît que l'inquiétude du ministre, ses larmes, ses requêtes non exaucées étaient

aux yeux du Seigneur une meilleure préparation que l'étude. Il monta, le lendemain, en chaire pour réclamer, il est vrai, l'indulgence de sa communauté envers sa prédication qui devait se ressentir d'un fâcheux état de santé. Mais après le service, un de ses auditeurs, l'un de ceux qu'il avait lieu de croire avancé dans la piété vint le saluer dans la sacristie et lui tint ce petit discours : « Tout en vous souhaitant le plus grand bien, nous ne pouvons nous empêcher de désirer que vous ayez encore souvent des névralgies ; car vous ne vous êtes jamais adressé d'une manière si émouvante aux coeurs travaillés et chargés ! » Et le pasteur comprit qu'en ne l'exauçant pas, Dieu l'avait exaucé. Combien ont eu leurs meilleures pensées au sein de la fournaise ! Combien doivent à la douleur d'avoir appris à connaître les vertus de Jésus-Christ, sa force victorieuse du péché et du monde. Le gendre du célèbre Francke, le fondateur des établissements de charité à Halle, fut le pasteur Freylinghausen ; il a laissé une poésie sur le Mal de dents qui commence ainsi :
Mon coeur, sois content !

Elle est très connue en Allemagne. Je sais un autre petit cantique qui a pour sujet le Mal de tête ; il est dû à une femme pieuse. Celle-ci souffrait de maux de tête constants et sut bénir pour eux le Père céleste. Voici quelques vers de ce morceau :

Mon Berger me reste fidèle
Même quand il me fait souffrir.
Si chaque jour il me flagelle,
C'est pour m'empêcher de périr.
Ma douleur me tient loin du monde
Me garde en une paix profonde !

Lecteur, ne me croyez pas meilleur que je suis. N'allez pas supposer que je m'abstiens, en ce qui me concerne, de demander la délivrance extérieure et temporelle. Il serait contre nature dans la maladie de ne pas demander la guérison ; il y aurait là quelque chose qui ne siérait pas à une piété saine.
Une prière de cette nature s'accompagnera pourtant en général comme celle de Jésus en Gethsémané d'un acte de soumission à la volonté de Dieu. Nous ajouterons à cette requête : « Si telle est ta volonté. »
En certains cas, néanmoins, nous nous sentirons pressés de réclamer la délivrance sans condition, d'une manière absolue. Le fait se produira rarement, mais il se produira.

Un exemple tiré de mes souvenirs : Je vois encore ce jeune homme phtisique. Il aimait Christ de toute son âme et cependant ses souffrances se prolongèrent pendant des années. Le médecin avait déclaré que le malade n'avait plus que quelques jours à vivre ; les mois succédaient aux mois, et l'infortune, restait suspendu entre la vie et la mort. Tout à coup le jeune homme qui d'abord s'était réjoui d'entrer dans le monde invisible fut saisi d'une peur affreuse de la mort, de l'agonie qui la précède. J'étais assis un soir au chevet de son lit avec d'autres amis chrétiens. Le malade nous exprimait sa frayeur du suprême combat : Alors l'un des assistants invita ceux qui étaient présents à prier avec lui.

Le suppliant avait l'air inspiré. Il semblait rempli d'une joie extraordinaire. Il se mit, avec une émotion particulière, à remercier Dieu de ce qu'il voulait bien, dans la nuit même qui allait venir, mettre un terme à l'angoisse de son enfant, le retirer doucement, sans angoisse de ce monde, pour l'introduire dans les demeures éternelles. Le malade se mit à sourire comme plongé dans une sorte de ravissement. Je le quittai bientôt. Le lendemain matin, j'entrais à sept heures dans mon cabinet de travail. Je trouvai sur ma table à écrire un billet avec ces mots : « Grâces soient rendues à Dieu, notre cher V., s'est endormi à minuit du dernier sommeil. Il est mort sans sentir venir la mort. »

Je pourrais mentionner plus d'une expérience analogue, démontrant que Dieu vous invite à certains moments à lui demander d'une manière absolue, en toute liberté, la délivrance de la douleur. Mais, dans la règle, nous sommes appelés à ajouter à nos demandes de la libération de l'épreuve un si, une condition : « Toutefois, non pas ce que je veux, mais ce que tu veux. » Si nous sommes réellement en marche vers l'éternité, l'éternité devra paraître dans nos prières ; nous devrons considérer toutes choses à la lumière de ce grand avenir.

Encore un mot sur les prières des petits enfants.
Le chef de famille, le grand-père, l'aïeule, sont-ils malades ? On invite les enfants à joindre leurs mains, à prier pour les parents malades. On leur fait dire : « 0 bon Dieu, guéris mon cher père, » - « guéris ma chère petite soeur. » Et l'on a l'habitude d'assurer les enfants de l'exaucement, s'ils persévèrent dans leur prière....
N'est-ce pas là un jeu bien dangereux ? Et si le cher père, la chère petite soeur viennent à mourir ? L'événement, en venant contredire l'assurance donnée, ne se trouvera-t-il pas jeter dans un jeune coeur une semence d'incrédulité ?
Il me paraît qu'il faut agir avec quelque circonspection, en engageant un enfant à prier, et qu'il est bon de lui rappeler, en quelque mesure, la souveraineté de Dieu.

Ayez soin de dire à l'enfant que Dieu écoute toujours la prière faite avec confiance, alors même qu'il ne donne pas ce qu'on a demandé. Dieu est certainement notre Père ; mais c'est un Père qui est aux cieux, qui a des pensées célestes et divines, autres que les nôtres. Dans tous les cas il a sur nous des pensées de paix. Nous refuse-t-il ce que nous souhaitons avec ardeur, c'est qu'il a quelque chose de meilleur à nous donner : L'éternité révélera en plein ses intentions bénies. Voilà ce qu'il faut savoir représenter aux enfants, bien entendu, en traits à leur portée. Sinon on risque de faire l'expérience désagréable qui fut récemment la mienne.

Une charmante petite fille de six ans qui se tenait près du corps inanimé de sa mère me recevait en effet en me disant : « Je suis maintenant sûre que le bon Dieu n'exauce pas la prière des enfants. » J'eus une sensation poignante. Je ne pouvais blâmer la petite fille. Le coupable était le père. Il n'avait cessé de répéter à l'enfant : « Prie avec persévérance, et Dieu te conservera ta bonne mère ! » Comprenez le trouble jeté par l'événement fatal dans l'âme de cette petite fille !

Je suis de votre avis : les enfants ont cinq sens et vivent dans le monde extérieur. Il est difficile de leur laisser entrevoir la signification du mot éternité, il est difficile de leur montrer que les pensées de Dieu sont plus profondes que les nôtres. Oui, cela est difficile, mais cela n'est pas impossible, quand on recourt aux exemples de l'Écriture, à ses histoires. Faites de cela un objet de prière, surtout de prière persévérante. Notre texte nous rend encore attentifs à la persévérance dans la prière et nous pourrons intituler les réflexions qui suivent :


6. Une importunité effrontée.

Ce titre sonne assez mal. Ce qui est effronté est effronté et l'importunité est l'importunité. L'importunité est rarement louable. Il en est autrement dans le domaine de la prière. Là c'est le Sauveur lui-même qui nous a invités à l'importunité, à l'opiniâtreté. Lisez dans Luc les paraboles de l'ami qui s'en va demander trois pains à un ami, de la veuve et du juge inique (XI, 5-8 ; XVIII, 1-6.) Il semble que Jésus se soit inspiré de la prière d'Abraham dans ces deux paraboles. Tout en s'exprimant avec la plus grande humilité, Abraham demande toujours davantage, et il obtient toujours plus. Sa prière a cinq reprises ou cinq accords successifs avec Dieu, et de l'un à l'autre les exigences du serviteur de Dieu ont grandi. Il a obtenu d'abord que Dieu pardonnât à la ville s'il s'y trouvait cinquante justes. Mais, après ce premier exaucement il a continué à prier. Il est descendu de cinquante à quarante-cinq, de là peu à peu jusqu'à dix.

La ténacité d'Abraham a excité la verve des railleurs, car on peut rire de tout. Ils ont dit : « Cet Abraham est bien l'ancêtre des brocanteurs et des maquignons juifs. Suivez le maquignon chez le pauvre paysan dont il convoite quelque pièce de bétail; il commence par rabattre quelque chose du prix, puis il rabat encore, il ne cesse de rabattre, pour une raison puis pour l'autre. C'est ainsi que le père des Juifs de toutes les époques amène Dieu de rabais en rabais à consentir à pardonner pour cinq justes. » Vaut-il la peine de répondre à ces quolibets ? Un enfant vous ferait toucher du doigt la différence qui existe entre la manière de faire du maquignon et la prière d'Abraham. Tous deux sont tenaces, mais le serviteur de Mammon cherche son avantage, tandis que le serviteur de Dieu ne demande rien pour lui, L'un travaille à ruiner son prochain ; l'autre cherche à sauver des hommes. L'un n'obéit à aucun sentiment religieux ; Abraham puise dans sa foi la force de persévérer.

Sans doute les Juifs dégénérés, à l'esprit purement mercantile de nos jours, sont encore des enfants d'Abraham, mais ce sont des enfants perdus, des caricatures d'une sainte image. Abraham est le père du véritable Israël, de l'Israël selon l'esprit, qui « d'une aube à l'autre lutte avec Dieu », gémit, supplie, jusqu'à ce qu'il ait été exaucé. C'est de cette race que Jacob est encore l'un des représentants. Voyez-le au gué de Jabbok, pendant toute une sombre nuit, aux prises avec Dieu ; il étreint Dieu des bras de sa foi, et de ses lèvres tremblantes lui dit : « Je ne te laisserai point que tu ne m'aies béni ! »

C'est à cette race qu'appartient Elie, quand sur le Carmel il demande avec instances la pluie ; il a mis sa tête entre ses genoux ; il l'y remet sept fois, attendant que son serviteur lui signale un nuage ; il ne se lasse pas jusqu'à ce que la nuée ait paru ! Par sa ténacité, Elie contraint, en quelque sorte, le Tout-Puissant et le fléchit. Et la pluie qu'il obtient ainsi n'est pas une pluie ordinaire, c'est une manifestation du pouvoir, de la charité de Jéhovah. Jérémie est encore un type de cette sainte opiniâtreté. Les Lamentations de Jérémie ! Elles ne sont pas autre chose que des prières dans lesquelles revient, sans cesse, la même pensée : « Seigneur, tu peux, tu dois retirer ton peuple de l'océan des calamités dans lequel tu l'as plongé ! »

C'est à cette race tenace qu'appartient la femme cananéenne, une païenne, mais qui est un membre du véritable Israël ! Elle s'attache avec une sorte de violence aux pas du Sauveur, trouve dans son humilité la force d'un héroïque support, contraint finalement Jésus à l'admirer et à la sauver.

Oh ! si l'exemple d'Abraham pouvait nous enseigner la persévérance dans la prière ! De cette persévérance dépend la bénédiction divine et par conséquent aussi la persévérance de notre amour, de notre activité, notre support dans les afflictions ! À celui qui ne se lasse pas de prier, Dieu finit par se révéler, comme le soleil perce tôt ou tard les nuages. Il se révèle, Dieu, en dépit de tous les efforts des créatures, de toutes les circonstances fâcheuses, pourvu seulement que celui qui prie ne se dépite pas. Mais ceux-là seuls luttent bien par la prière, comme ceux-là seuls travaillent bien à l'oeuvre de Dieu, qui croient au succès, au triomphe de leur cause. Hélas, la plupart des chrétiens travaillent à l'oeuvre du Seigneur comme des phtisiques et des paralytiques. On voit que la certitude de la réussite finale leur fait défaut. Quelle différence avec les efforts de ces agitateurs sans Dieu qui travaillent à la destruction de la société actuelle. Souvenez-vous des nihilistes de la Russie, considérez les anarchistes des autres pays : avec quelle patience démoniaque, ils reprennent, poursuivent leurs trames sans cesse découvertes, sacrifient leurs ressources, leurs forces, leurs vies à une oeuvre de ténèbres.

Les malheureux ont sans cesse leur but devant les yeux. Et ils ne l'auraient pas, ce but, s'ils n'étaient pas persuadés de la réussite finale ! Les chrétiens, en voyant les ouvriers du mal déployer une telle persévérance, ne sauront-ils pas trouver dans l'Esprit de Dieu la sainte opiniâtreté dont ils ont besoin ? Les anarchistes ont le projet de tout détruire ; les disciples de Christ travaillent en revanche à amener le grand jour de la glorification des créatures. Notre cause ne devrait-elle pas susciter plus d'enthousiasme que la cause du désordre ? Il en serait ainsi, si nous avions sans cesse devant nous le saint but de l'activité chrétienne, l'avancement du règne de Dieu. Mais la plupart le perdent de vue. Nous savons que nous devons être des pêcheurs d'hommes. La vocation est grande. Cependant quelque moquerie, un peu de dédain, l'ingratitude, les obstacles opposés par l'insensibilité des coeurs, le défaut de succès ou l'hostilité ouverte ont bientôt fait de nous décourager. Je vois les soldats de Christ très prompts à rendre leurs armes. Je les entends répétant : « Nos efforts ne servent de rien, le monde est trop mauvais... ! » Soldats, le grand obstacle est en vous-mêmes ; vous manquez de persévérance dans vos bonnes oeuvres. La persévérance fait défaut à votre activité, parce qu'elle fait défaut à vos prières. Vos oeuvres auront le même caractère que vos prières. Oh ! priez pour la prière, priez pour avoir l'esprit de prière. Ne cessez jamais de prier ! Celui auquel nous nous adressons nous entend. Mais il faut chercher sa face avec toute la puissance de la volonté. L'inflexible : « Je veux » n'est nulle part aussi bien à sa place que lorsqu'il s'agit de morigéner notre nature faible et charnelle, paresseuse pour la prière. Sachons dire à celle-ci : « Je veux »


7. Non exaucé et pourtant exaucé.

Je ne discuterai pas cette question : La prière d'une âme émue a-t-elle le pouvoir d'agir sur la suite des choses, des événements, sur le Nexus rerum dont parlent les savants, ou ne l'a-t-elle pas ? J'ai un profond respect, en vérité, pour le Nexus rerum. Mais devant Dieu, il m'apparaît à peu près comme la porte de Gaza devant Samson. Le robuste Hébreu ne fut point embarrassé par les liens de fer qui rattachaient les battants de la porte aux poteaux, il eut bientôt fait de soulever le tout, Je crois que Dieu a la puissance de répondre à nos prières. Je crois que le cerf ne brame pas en vain après les eaux courantes, c'est-à-dire qu'on n'invoque pas en vain l'Éternel. Celui qui ne peut s'empêcher de dire à Dieu : « Abba, mon Père », avec tendresse, avec l'accent de l'amour filial, sait qu'il n'est pas de question plus insensée que celle-ci : « Dieu exauce-t-il réellement nos prières ? » Le témoignage unanime de l'expérience chrétienne en ce domaine ne laisse pas place au doute. Dans tous les âges l'on a entendu ce cantique : « Tu exauces les prières, c'est pourquoi toute chair viendra jusqu'à toi. »

Toutefois, dans la plupart des cas, l'exaucement est rarement assez frappant pour apparaître aux yeux de tous comme une intervention providentielle. Je dis rarement, car il l'est pourtant quelquefois. Quand Moïse en criant à l'Éternel obtint que les flots de la Mer Rouge se séparassent en deux et livrassent un passage à Israël ; quand Elie fit descendre par ses prières le feu du ciel sur son sacrifice ; quand Daniel reçut en réponse à ses demandes, dans une vision, le songe même qu'avait songé Nébucadnetsar ; quand l'apôtre Pierre fut conduit hors de sa prison par un ange, envoyé ensuite des prières de l'Eglise, il y eut assurément une action particulière et surnaturelle du bras de l'Éternel. De tels faits sont en dehors de l'ordinaire Nexus rerum, du cours habituel des choses.

Dans la règle, Dieu exauce la prière par des moyens naturels. Il poussera, par exemple, quelqu'un à aller au secours d'un pauvre qui crie à lui. L'incrédulité n'est point alors contrainte de se rendre. Il reste devant elle une porte ouverte.

Laissez-moi, pour vous donner un exemple de ce que je dis, vous conduire dans une chambre de malade. Il y a là des parents profondément éprouvés. Ce sont des chrétiens ayant l'habitude de la prière. Pendant des années, ils ont demandé à Dieu un enfant. Il leur fut enfin accordé, il fit les délices de leurs yeux, la joie de leur coeur. Et maintenant, il est aux prises avec la mort. Les médecins viennent de dire aux parents que tout ce qu'ils peuvent souhaiter, c'est une mort tranquille, aussi prompte que possible. Les parents se sont unis alors au pasteur dans une fervente prière. Ils ont présenté au Seigneur leur angoisse. Tout en se soumettant d'avance à Dieu, ils lui rappellent qu'il a le pouvoir d'aider là où les conseils humains sont impuissants. Une crise bienfaisante se produit quelques heures plus tard. L'enfant est sauvé. Les médecins sont surpris, mais parlent des forces secrètes de la nature. Les parents, quant à eux, louent Dieu de ce qu'il a exaucé leur prière et accompli un miracle en leur faveur. Voici toutefois que, peu de temps après, cette pensée monte dans l'âme du père : « Ne serait-il pas possible, que l'enfant eût également guéri, si tu n'avais pas prié ? » Direz-vous que le père est un incrédule, parce qu'il a eu cette pensée ? Je ne le dirai pas, moi ; j'ai eu, en effet, une pensée analogue dans un cas pareil.

Le bon plaisir de Dieu est qu'il reste pour nous dans les exaucements une petite porte ouverte à la liberté de douter. Seulement, il faut la fermer.

Malheur à celui dont la foi serait fondée uniquement sur tel ou tel exaucement particulier. La foi doit être fondée sur la vie avec Dieu. Si vous marchez avec Dieu, si vous vivez et respirez en lui, vous pourrez alors, mais seulement alors, tenir close la porte ouverte au doute. Vous croirez que Dieu exauce la prière dans le cas même où il se refuserait à vous donner ce que vous demandiez. Un exaucement permanent vous est en effet accordé par la vie et par la paix qui descendent en vous de la présence divine. Et n'avez-vous pas dans ces dons, dans la présence de Dieu, de quoi confondre l'Adversaire ?

Considérons notre texte à la lumière de ces explications.
Ce qu'Abraham demandait dans ses intercessions, il ne l'a pas obtenu. Il n'a sauvé que Lot et ses filles. Le long travail d'intercession du patriarche semble n'aboutir à rien. Les anges vont à Sodome chercher un nouveau témoignage de la corruption de ses habitants. Dieu n'en a pas besoin pour lui-même, mais il veut que les Sodomites signent en quelque sorte eux-mêmes leur sentence de jugement, pour attester devant le monde entier l'impartialité des décrets de Dieu. Sodome se condamna elle-même. Il n'y a qu'à lire, pour s'en convaincre, le chapitre XIXe de la Genèse. Et encore ce chapitre nous met-il en présence d'une corruption si raffinée que tout le monde ne le comprendra pas, et qu'il faut féliciter ceux qui ne l'entendront point. Même la vertu de l'hospitalité, si respectée en général chez les Orientaux, parait avoir cédé, à Sodome, devant les instincts de bestialité. Lot, le neveu d'Abraham, est très hospitalier. Néanmoins il se montre sous un jour propre à manifester la perversion de ses notions morales. Bref, Sodome était une sentine d'immoralité dans la terre promise. Il fallait qu'elle disparût. Et elle fut balayée comme si Abraham n'avait pas prié pour elle.

Direz-vous donc que la prière d'Abraham a été inutile ?
Qui, dans le monde entier, oserait le soutenir, après avoir lu d'un bout à l'autre la saisissante histoire que nous méditons ? Inutile, l'intercession d'Abraham ? Alors il faut dire aussi que la prière trois fois répétée de Paul, pour être délivré de son écharde, aura été inutile. Il faut dire que la sueur de sang, les larmes de Jésus en Gethsémané ont été inutiles. Et cependant c'est là, dans ces combats, que la foi de Paul et la foi de Jésus se sont trempées.

Ayez dans votre passé de pareilles expériences, de telles prières, vous verrez comment elles vous transformeront en un nouvel homme, vous feront grandir dans tout ce qui est humain et divin, vous élèveront au-dessus de l'angoisse, de la crainte, de la douleur, de la haine, de l'envie, de la méchanceté. Ce qui se passa à l'origine des choses, quand Dieu souffla dans les narines de l'homme une respiration de vie, se reproduit dans les luttes de la supplication. Un souffle nouveau anime l'âme après elles, et c'est là leur bienfait particulier. Voilà l'exaucement le plus précieux de cette sorte de prière. Regardez Abraham ! Il n'obtint pas en réalité ce qu'il avait demandé, parce que la condition que lui-même proposait à Dieu dans sa prière ne se trouva pas remplie. Mais, dans cette intercession, Abraham ouvre son coeur à Dieu, et Dieu lui ouvre aussi le sien.

Pendant cette prière, il se fait entre Dieu et l'homme un bienheureux échange de sentiments de charité. Aussi, lorsque Abraham « retourna dans sa demeure, » celle-ci se trouva-t-elle transformée pour lui. Il lui semblait que les cimes des palmiers, que le sommet des chênes étaient baignés dans une auréole de lumière. Lui-même n'était plus le même. Il avait vu le Seigneur face à face et son âme avait été « sauvée » ainsi que le dira Jacob à Péniel. La foi du patriarche était désormais fortement assise. Elle ne vacillera plus, même lorsque Dieu lui demandera le sacrifice suprême, le don, l'immolation d'Isaac.

Quelle joie remplirait le coeur d'Abraham, ami lecteur, si nous voulions bien, vous et moi, apprendre de lui a intercéder, comme il intercédait ! C'est dans ce but que pour ma part j'ai écrit ces pages....

Tout au sud de la Palestine, s'étend un lac ; il a quinze lieues de long, environ trois heures de large et est d'une grande profondeur. Aucun autre lac au monde ne lui ressemble. Il est enfoncé en effet de 394 mètres au-dessous du niveau de la Méditerranée ; de plus il reçoit des affluents considérables et il n'en sort aucun cours d'eau. Cependant jamais il ne déborde. Ce qui frappe encore dans ce lac, c'est l'aspect d'aridité et de mort de ses bords. Celui qui ne saurait rien de l'histoire de ce lac l'appellerait encore « la mer Morte. » La mer Morte est entourée de rochers brûlés ; à peine ici et là quelque rare trace de végétation, partout sur les bords des efflorescences salines. Le sel est déposé le long du rivage en cristaux brillants. Les êtres vivants périssent dans les flots de la lourde nappe d'eau. Les poissons du Jourdain, amenés par le courant, n'y vivent pas longtemps. L'image de ce bassin est celle de la désolation. C'est sous ces flots qu'ont disparu les cités florissantes de la vallée de Siddim. Elles dorment là depuis 4000 ans. Des milliers d'hommes ont péri alors dans un effroyable cataclysme, sous la main puissante de Dieu. Ils vivaient dans l'immoralité, livrés aux instincts de la bestialité. Ils furent châtiés de leur dégradation.

Mais ce miroir d'un bleu profond garde aussi le souvenir de la prière d'Abraham. Les morts ensevelis sous les flots de la mer Morte revivront un jour. Le Sauveur a dit d'eux aux habitants de Capernaüm : « Si les choses qui ont été faites au milieu de vous l'avaient été dans Sodome, elle subsisterait encore aujourd'hui. » Que veut dire le Seigneur ? Que la suprême révélation de l'amour divin n'a pas été encore accordée aux habitants de Sodome. Un jour de grâce luira pour eux, quand Christ paraîtra devant eux dans la splendeur de sa puissance. Ce jour-là l'intercession d'Abraham ne reviendra-t-elle pas en mémoire à Dieu, n'obtiendra-t-elle pas alors même son exaucement ? Sourie qui voudra ! Des flots de la mer Morte s'élève pour moi une légère vapeur, image de la prière d'Abraham qui fut comme un encens de bonne odeur devant l'Éternel. Elle me fait songer, cette vapeur entrevue en rêve, à l'Esprit de Dieu qui se mouvait à l'origine sur la face des eaux profondes. Et je dis : De nos intercessions s'étend aussi un nuage protecteur sur un monde sans Dieu ;car elles sont la manifestation de la puissance de Dieu.

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