L'Éternel lui apparut parmi les chênes de Mamré, comme il était assis à l'entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour. Il leva les yeux et regarda : et voici, trois hommes étaient debout près de lui. Quand il les vit, il courut au-devant d'eux, depuis l'entrée de sa tente, et se prosterna en terre. Et il dit : Seigneur, si j'ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe point, je te prie, loin de ton serviteur. Permettez qu'on apporte un peu d'eau, pour vous laver les pieds et reposez-vous sous cet arbre. J'irai prendre un morceau de pain pour fortifier votre coeur ; après quoi, vous continuerez votre route car c'est pour cela que vous passez près de votre serviteur. Ils répondirent Fais comme tu l'as dit. Abraham alla promptement dans sa tente vers Sara, et il dit : Vite, trois mesures de fleur de farine, pétris, et fais des gâteaux. Et Abraham courut à son troupeau, prit un veau tendre et bon, et le donna à un serviteur qui se hâta de l'apprêter. Il prit encore de la crème et du lait, avec le veau qu'on avait apprêté, et il les mit devant eux. Il se tint lui-même à leurs côtés, sous l'arbre. Et ils mangèrent. »
1. Comment furent reçus des anges,
il y a quatre mille ans.
L'hospitalité est une aimable vertu.
Elle manque malheureusement presque
complètement, aux enfants de notre
génération, principalement dans les
grandes villes. Et cela tient à la nature de
notre civilisation. L'apôtre Pierre exhorte
les chrétiens de son temps à
« exercer l'hospitalité sans
murmures. » Mais pour tenir compte de
cette injonction, il faudrait posséder ce
qui fait défaut à la plupart de nos
contemporains. Je ne veux pas dire que l'on n'ait
pas les premiers moyens matériels
nécessaires ou la bonne volonté. Dans
les classes aisées, les maîtresses de
maison se plaisent à traiter largement leurs
hôtes, à leur préparer des
festins pour lesquels on met la maison sens dessus
dessous, préparant souvent de cuisants
regrets par la brèche faite à la
bourse. Ce n'est pas là, toutefois
l'hospitalité au sens antique. D'abord, ce
qui, pour imiter celle-ci, nous fait défaut,
c'est l'espace : la chambre des hôtes
est, dans nos vastes cités, un luxe qu'un petit
nombre
seulement se
permettent. Ensuite, dans notre vie moderne, chacun
est affairé : la mère s'occupe
de ses enfants ; le chef de la famille est
absorbé par ses affaires, souvent conduit
par elles loin de chez lui. On le voit même
à table, rêveur et silencieux,
songeant encore à son travail. L'existence
de la plupart est un surmenage. C'est
« la lutte pour l'existence »,
dans toute l'acception du mot. Le facteur est
débordé ; mais l'homme de la
bourse l'est aussi ; et le pasteur qui
comprend la grandeur de sa tâche n'a pas
moins à faire que les autres. Nos
journées sont des courses au clocher ;
quand nous rentrons chez nous, nous sommes heureux
de nous détendre, de pouvoir nous taire, de
n'avoir aucun devoir à accomplir.
Ce qui a le plus nui aux habitudes
d'hospitalité est la défiance
aujourd'hui universellement répandue.
À chaque instant on entend
répéter : « On ne peut
plus se fier à personne ! »
ou encore : « Il est prudent de
tenir chacun pour un coquin jusqu'à preuve
du contraire ! » J'avoue que ce
langage est excessif. Il n'en reste pas moins vrai
que les âmes confiantes risquent aujourd'hui
d'être sans cesse dupées. On est
trompé par le visage aussi bien que par
l'habit. Les plus dangereux vauriens excellent
à prendre un ton onctueux, à tenir
des discours pieux. La chronique des maisons
pastorales se compose de nombreuses
expériences, propres à le
démontrer au besoin. Ce « sans
travail » cherche à vous attendrir
par ses larmes, ses vêtements en
lambeaux ; lui donnez-vous un vêtement
de rechange pour l'aider à remonter sa
garde-robe, il court le vendre et acheter de
l'eau-de-vie. Ce vieillard que vous faites
dîner à la cuisine, glissera dans sa
poche une cuiller d'argent ou, par ses mauvais
propos, fera un mal incalculable à votre
domestique.
Qu'on ne s'étonne point, si en face
de la défiance universelle,
l'hospitalité n'est plus qu'un souvenir.
Dans les villes, l'hospitalité envers les
étrangers est abandonnée aux
hôtels, aux auberges, aux asiles, aux
réduits misérables où pour
quelques centimes l'on achète le droit de s'étendre
sur une
jonchée de paille malpropre. Dans les
campagnes, l'hospitalité ne s'exerce plus
qu'envers les parents, les amis, les connaissances.
Cette antique pratique n'est plus une vertu
religieuse, une manifestation de la
charité.
Notre texte, par l'exemple touchant
d'hospitalité qu'il nous présente,
nous transporte dans des temps bien lointains,
pleinement disparus. Alors on accueillait
l'étranger et le voyageur, à cause de
leur qualité même d'étranger et
de voyageur.
L'homme avait à certains
égards moins peur de l'homme. L'inconnu
excitait une curiosité sympathique par les
nouvelles qu'il pouvait apporter. On savait peu de
chose des pays voisins, ce que l'on en apprenait,
c'était par l'étranger. Car les
voyages n'étaient pas une passion comme ils
le sont devenus de nos jours. Les communications
étaient rares. On ne se mettait en route que
pour d'importants motifs. Il n'y avait pas de
journaux. L'hospitalité trouvait dès
lors son compte à accueillir
l'étranger qui apportait avec lui des
informations du dehors. Les gazettes nous
suffisent. Elles ne se bornent pas à
raconter tout ce qui se passe dans la
planète que nous habitons. Elles inventent
de fort jolies histoires, vraisemblables ou
invraisemblables, pour l'amusement des
lecteurs.
À l'époque bénie
où les gazettes n'existaient point, ne
créaient point encore de courant
général des esprits, où elles
n'avaient pas encore la prétention
d'éclairer, (ajouterai-je : où
elles n'avaient pas l'effet d'égarer ?)
la venue de l'étranger suggérait les
pensées neuves, augmentait le savoir.
L'hôte était donc reçu avec
plaisir.
J'ose pourtant affirmer que jamais
l'hospitalité, chez aucun peuple, sous aucun
ciel, ne détourna de leur chemin des
étrangers plus nobles que ceux qui
s'arrêtent d'après notre texte,
auprès des tentes dressées, sous les
ombrages de Mamré. D'autre part, jamais des
étrangers ne furent l'objet d'un accueil
plus aimable que celui que les trois personnages de
ce texte trouvèrent chez Abraham, bien que
celui-ci n'eût
pas connaissance de la bonne nouvelle
apportée par ses hôtes,
véritable Évangile qui allait le
faire tressaillir, lui et Sara !
Nous sommes au milieu des chênes et
des palmiers de Mamré, près
Hébron. C'est l'heure de midi. Le soleil
darde des rayons de feu. La vie se ralentit
partout. Les feuilles des plantes pendent immobiles
et alanguies. Les animaux cherchent l'ombre, les
hommes sommeillent. Le patriarche est assis devant
la porte de sa tente. Il a le front appuyé
sur sa main et paraît plongé dans une
profonde méditation. Il souffre de
l'obscurité qui entoure son présent
et son avenir. Comme le prophète, il dirait
volontiers : « Sentinelle, que
dis-tu de la nuit ? »
(Es.
XXI. 11). Il interroge la brume
épaisse qui s'étend devant lui, il
voudrait la soulever... Puis il se met à
soupirer : « Jéhovah, mon
Dieu, fortifie, fortifie ma foi ! »
Ce que ces paroles veulent dire, nous le
pressentons. Abraham est un vieillard de 99 ans.
Selon le cours ordinaire de la nature, il a
déjà, comme l'on dit, un pied dans le
tombeau. Ce n'est point pourtant à la mort
qu'il pense dans sa méditation. Il songe
à la promesse qui ne s'accomplit point...
Quoique sa vie approche de son terme, il sait que
celui-ci n'arrivera point avant que se soit produit
le grand événement qu'il attend. Il
s'agit, vous le comprenez, de
l'événement qui accomplira l'oracle
de Dieu, de l'événement qui
réalisera l'espérance, le soupir de
sa vie, qui justifiera sa foi. Et c'est
là-dessus qu'il voudrait une nouvelle
clarté.
Le noble vieillard est donc plongé
dans ses pensées. Tout à coup, -
n'est-ce pas un bruit de pas qui s'est fait
entendre ? - il a relevé la
tête ; il aperçoit trois inconnus
qui s'avancent à l'ombre des arbres. Courir
vers eux, s'incliner devant eux jusqu'à
terre, les inviter à s'arrêter, pour
se reposer et se restaurer, tout cela, Abraham le
fit en un instant. Les étrangers accueillent
son invitation. Ils s'asseyent à l'ombre
d'un grand arbre, selon la mode orientale. Qui sont
ces hommes, d'où viennent-ils, où.
vont-ils ? Abraham ne l'a pas demandé.
La préoccupation présente du patriarche
est d'être agréable à ses
hôtes. Déjà tout s'est
réveillé sous les tentes.
Malgré la chaleur de l'heure de midi, chacun
se hâte à quelque besogne. Sara
pétrit rapidement de la farine et fait cuire
des gâteaux sur des pierres chaudes. Abraham
a couru au troupeau le plus rapproché.
Lui-même a choisi le veau le plus tendre et
le plus gras. Un serviteur a rapidement tué
et dépouillé l'animal. On voit monter
la fumée du feu sur lequel le veau
rôtit à la broche. Cependant Abraham a
étalé devant les étrangers du
lait et du beurre. Il ne laisse à personne
l'honneur de servir les voyageurs.
Certes, les valets ne lui manquaient pas.
Avec sa multitude de serviteurs il n'avait pas
besoin d'esprits servants. Mais bien qu'il soit
prince, puissant et riche, d'une tribu nomade, il
est fort loin de s'approprier l'aristocratique
devise de nos jours : « Ce qu'un
autre peut faire pour moi, il va sans dire que je
ne le fais point. » Abraham aurait
plutôt dit : « Pourquoi faire
faire à un autre ce que je puis faire
moi-même ? » De tyranniques
convenances ne régnaient point alors et
n'avaient pas réglementé les moindres
mouvements de chacun, comme elles les
règlent dans notre temps qui se vante de ses
progrès. Le patriarche est d'avis qu'on
s'honore en aidant le prochain : Il jouit de
voir se restaurer les voyageurs fatigués,
altérés par la poussière.
N'est-il pas vrai qu'Abraham. comprend
admirablement l'hospitalité ? Il est un
maître dans cet art délicat.
Disons-nous que ces hôtes lui sont
complètement inconnus, et nous trouverons
son empressement plus remarquable encore. Il n'est
si aimable avec eux que parce qu'ils ont besoin de
ses soins. Cette scène met en lumière
un des traits importants du caractère du
patriarche : sa cordialité envers tous.
Qui fera le compte des voyageurs
égarés, harassés,
éclopés, malheureux, auxquels il est
venu en aide ?
2. Comment Christ est reçu
vingt siècles après sa
naissance.
Le patriarche n'avait aucune idée des
souffrances morales et physiques qui sont le lot de
notre époque. La terre peu peuplée
nourrissait facilement alors ses habitants. Les
moeurs, sauf des exceptions telles que Sodome,
Gomorrhe et les Cananéens, avaient une
certaine pureté. Dans l'entourage d'Abraham,
elles devaient ressembler à celles des
Bédouins de nos jours. Nous n'avons pas
à rechercher ici les causes de la
misère physique et morale dont souffre notre
monde moderne. Nous nous bornons à signaler
cette souffrance. Nous rappelons que la
charité chrétienne a devant elle
aujourd'hui un champ d'activité immense....
Le devoir de l'hospitalité s'efface devant
le devoir plus pressant de sauver ceux qui vont
périr. Et tandis que l'accomplissement de la
première obligation était plein de
charmes, l'oeuvre de sauvetage, à laquelle
il faut travailler, offrira souvent peu
d'agréments. Elle exige que l'on descende
dans la boue, elle vous force à voir et
entendre les choses les plus
répugnantes ; les efforts sont
récompensés le plus souvent par
l'ingratitude et le mensonge. Ajoutez le sentiment
d'impuissance que l'on éprouve en face de
l'océan infini de misères que l'on a
devant soi. On ne peut assécher qu'une
petite goutte de cette mer de souffrances,
même dans les meilleures suppositions. Que
sont les efforts pour le relèvement moral,
par exemple, en face de l'immensité du
fléau à combattre ?
Sans doute, il y a lieu de se dire :
« Une seule âme sauvée est
sans prix aux yeux de Dieu ! Relever un coeur,
c'est faire plus que d'imprimer à la terre
une rotation nouvelle sur son axe. En avant donc et
courage ! » En
réalité, si chaque chrétien
parvenait à sauver une âme, le nombre
des âmes ainsi sauvées deviendrait
légion, et la légion à son
tour créerait d'autres légions.
Occupons-nous, puisque nous nous disons les
disciples de Christ, de ramener
dans la maison du Père les enfants prodigues
que nous rencontrons sur notre chemin, les jeunes
filles perdues disposées à nous
écouter ; visitons les
prisonniers ; donnons des vêtements
à ceux qui en manquent, de la nourriture
à ceux qui ont faim ; que notre
charité s'occupe des corps et des
âmes ! Et si, pour cela, nous avons
quelque répugnance pharisaïque à
vaincre en nous, à dominer notre goût
de l'esthétique, croyons que nous serons les
premiers à profiter de la victoire
remportée à cette occasion sur
nous-mêmes.
Un écrivain sacré a dit :
« N'oubliez pas l'hospitalité car,
en l'exerçant, quelques-uns ont logé
des anges sans le savoir »
(Héb.
XIII, 1, 12).
L'auteur fait certainement allusion au
récit de notre texte. Toutefois je sais une
autre histoire, mettant en scène non pas un
homme, mais des milliers et des milliers d'hommes
et où l'on voit, non pas des anges, mais
Jésus-Christ, le roi des anges, recevant
l'hospitalité de ces hommes. Si vous ne
comprenez pas ce que je veux dire, ouvrez votre
Bible au chapitre XXVe
de l'Évangile de Matthieu,
au verset 31e ; lisez jusqu'au verset 46e.
Ce passage vous met en présence du jugement
dernier. Il vous fait entendre la voix des justes
demandant : « Seigneur, quand
t'avons-nous vêtu, nourri, soigné,
visité ? » Ils ne savent pas,
les justes, qu'ils ont exercé
l'hospitalité envers le Seigneur, mais le
Seigneur leur répondra : « En
vérité, toutes les fois que vous
aurez fait ces choses à l'un de ces plus
petits de mes frères, c'est à moi que
vous les avez faites. » Ce passage vous
concerne, lecteur. Les petits des frères de
Jésus sont devant vos yeux. Il vous
appartient d'honorer Jésus-Christ en leur
personne. Ne sentez-vous pas quelle gloire vous est
échue dans cette faculté qui vous est
accordée d'exercer l'hospitalité sous
toutes ses formes, non pas envers des anges, mais,
envers Jésus-Christ lui-même ?
Devrai-je vous faire souvenir que ce que vous
refusez aux plus petits des frères de
Jésus-Christ, vous le lui refusez à
lui-même ?
Gloire soit rendue à Dieu,
l'éternel amour ne s'est pas approché de nous en
vain.
Ce n'est pas inutilement que le Saint des cieux a
donné le nom de frères aux
misérables, aux êtres
méprisés. Quelles que soient les
douleurs de toute sorte répandues dans le
monde, il y passe de douces brises, des souffles
apaisants. Chacun respire plus ou moins cet air
bienfaisant. Les idées qui avaient cours
autrefois sur l'homme ont été
transformées. Le plus grossier des bouviers
a aujourd'hui plus de noblesse dans son langage
qu'Aristote s'exprimant sur l'esclave, ou Platon
sur la femme. Chez les païens manque partout
un mot, un petit mot bien grand, le mot
miséricorde. Nul ne pense à secourir
les blessés de la vie. Les esclaves sont des
meubles ; ils valent ce que vaut l'argent
qu'ils ont coûté. Le Grec ancien se
détournait avec mépris des infirmes,
des êtres souffrants. Un sentiment d'orgueil
gonflait sa poitrine devant la corruption des
autres. Il n'avait pas l'idée d'un devoir
à remplir envers les malheureux. Il disait
en toute bonne conscience :
« Suis-je le gardien de mon
frère ? » Les choses ont bien
changé depuis la venue du christianisme. La
charité réunit aujourd'hui les
suffrages de chacun. Nul n'oserait ridiculiser les
oeuvres de la philanthropie. Tout en rougissant
à demi, le plus froid égoïste se
pique d'humanité. À ce point de vue,
les adversaires du christianisme sont plus
chrétiens qu'ils ne veulent le laisser
entendre.
Vainement on nous répète avec
insistance que l'on ne veut rien savoir de
l'Évangile et de ses mythes, que l'on
adresse son culte à l'humanité.
Quiconque a quelque connaissance de l'histoire
n'ignore point que c'est à partir de
l'apparition du fils du charpentier que
l'idée d'humanité a pris corps. Plus
quelqu'un prétendra sérieusement
à l'humanité, plus il se montrera
imprégné de l'esprit
chrétien ; pareillement plus quelqu'un
se tiendra près de Christ, plus il saura
faire preuve d'humanité.
Rien d'étonnant à ce que
l'âme consacrée avec sérieux au
Sauveur sente naître en elle des
pensées nouvelles d'amour. Les oeuvres de la
charité naissent aux pieds de
Jésus-Christ. Je n'ai pas besoin d'en
appeler à des exemples,
chacun en trouvera. Tantôt c'est dans la
communion paisible de Jésus-Christ qu'est
né le dessein d'institutions charitables.
Tel fut le cas des fondations de Francke,
Zinzendorf, Fliedner. Tantôt les projets
généreux ont été
conçus au sein de la souffrance, pendant des
nuits d'insomnie, ils ont été la
réponse de l'âme brisée aux
consolations apportées par Celui qui se
tient, quoique invisible, près de nous dans
la détresse. Rappellerai-je l'émotion
éprouvée par tous les lecteurs de la
Vie de Madame Joséphine Butler, cette
ardente promotrice des oeuvres du relèvement
moral. Elle revenait d'un long voyage. Sa fille,
aussi bien douée que belle, veut courir
à la rencontre de sa mère. Elle se
trouve entraînée par son élan
au-dessus de l'escalier, est
précipitée dans le vide et tombe
morte devant sa mère. Épouvantable
accident, épouvantable retour !
« Pendant la longue nuit, écrit
Madame Butler, que je passai auprès du
cadavre de mon unique enfant, je formai le voeu de
consacrer désormais ma vie au
relèvement de celles qui ont fait une chute
plus malheureuse que ma
fille ! »
Heureuse la femme qui a su s'humilier de la
sorte et en même temps prendre courage sous
la puissante main de Dieu ! Heureuse la
mère qui, dans ce deuil extraordinaire, n'a
pas murmuré, qui n'a pas crié comme
tant d'autres : « S'il y avait un
Dieu dans le ciel, il n'aurait pas permis une
pareille chose ! » Heureuse la
mère qui, dans l'abîme de sa douleur,
s'est résolue à un dévouement
plus grand encore que sa douleur. Voilà le
triomphe du christianisme, voilà le triomphe
de la foi ! Grâce à Dieu, des
pensées célestes de la nature de
celle-là naissent tous les jours dans les
coeurs où habite Christ. Elles existent,
elles agissent, bien que leurs manifestations ne
soient pas toujours aussi frappantes.
« Que votre douceur soit connue de
tous les hommes ! », écrit
l'apôtre. Le mot douceur est ici pour lui, je
pense, synonyme d'amabilité.
L'amabilité est la fille de la foi.
C'est ce que montre bien Abraham, l'homme de
l'ancienne alliance. Nous qui connaissons la croix
de Christ, n'aurions-nous pas
plus de raisons encore que le patriarche de faire
connaître notre amabilité à
tous. « Quand des dames entrent chez
nous, me disait une demoiselle de magasin, elles
demandent souvent avec politesse qu'on les serve
rapidement ; puis, lorsqu'on l'a fait, elles
oublient le plus souvent de nous
saluer. » Femmes chrétiennes,
pourquoi ne saluez-vous pas la demoiselle de
magasin qui vous a servies ? 0
amabilité, amabilité, rayon de soleil
qui égaie les vies
dépouillées, combien souvent tu fais
défaut ! Vous êtes monté
dans un tramway, vous demandez au conducteur de
vous arrêter à quelque endroit que
vous décrivez. Il le fait et vous avez l'air
de ne lui en savoir aucun gré ; vous
lui avez tendu votre monnaie comme si vous
redoutiez le moindre attouchement de sa main, comme
s'il avait la peste ! Qui a l'idée de
saluer les employés des tramways ? Un
conducteur m'avoua que la froideur du public
l'avait dégoûté du
métier, et il parait, d'après son
récit, que les dames surtout se distinguent
par leurs manières glaciales. Et comment
traite-t-on les facteurs ? Qui leur dit
« bonjour »,
« merci », en recevant la
lettre attendue ? Ils sont
considérés comme de pures machines
à donner les lettres, comme des
distributeurs automatiques. Avec les domestiques,
il en va un peu autrement à l'heure
actuelle. L'on souffre de la pénurie des
domestiques et la nécessité a rendu
un peu plus aimable, qu'on ne l'était,
vis-à-vis d'eux.
O chers frères et chères
soeurs, laissez-moi vous rappeler que ceux qui font
profession d'être chrétiens, doivent
être aimables, qu'ils doivent être plus
aimables que les autres, qu'ils doivent
l'être envers tous. Quelque chose de la
grâce de Jésus-Christ, de sa
bonté envers les hommes ne doit-il pas
briller chez ceux qui servent son nom ? Ce
n'est pas par de grands sacrifices, par des oeuvres
sublimes d'amour que nous pouvons le plus souvent
faire luire notre lumière ; c'est dans
les petites choses. Sachons remplir l'air de petits
rayons de soleil. Comprenons le prix d'un regard
aimable, d'un salut affectueux, d'un mot de
sympathie, d'un geste, d'un
sourire,d'une larme. Une
puissance céleste s'attache aux
démonstrations sincères de
l'amabilité sur cette terre témoin de
tant de douleurs, de tant de désespoirs.
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