Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XIV

Hospitalité.

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L'Éternel lui apparut parmi les chênes de Mamré, comme il était assis à l'entrée de sa tente, pendant la chaleur du jour. Il leva les yeux et regarda : et voici, trois hommes étaient debout près de lui. Quand il les vit, il courut au-devant d'eux, depuis l'entrée de sa tente, et se prosterna en terre. Et il dit : Seigneur, si j'ai trouvé grâce à tes yeux, ne passe point, je te prie, loin de ton serviteur. Permettez qu'on apporte un peu d'eau, pour vous laver les pieds et reposez-vous sous cet arbre. J'irai prendre un morceau de pain pour fortifier votre coeur ; après quoi, vous continuerez votre route car c'est pour cela que vous passez près de votre serviteur. Ils répondirent Fais comme tu l'as dit. Abraham alla promptement dans sa tente vers Sara, et il dit : Vite, trois mesures de fleur de farine, pétris, et fais des gâteaux. Et Abraham courut à son troupeau, prit un veau tendre et bon, et le donna à un serviteur qui se hâta de l'apprêter. Il prit encore de la crème et du lait, avec le veau qu'on avait apprêté, et il les mit devant eux. Il se tint lui-même à leurs côtés, sous l'arbre. Et ils mangèrent. »

Gen. XVIII, 1-8.


1. Comment furent reçus des anges, il y a quatre mille ans.

L'hospitalité est une aimable vertu. Elle manque malheureusement presque complètement, aux enfants de notre génération, principalement dans les grandes villes. Et cela tient à la nature de notre civilisation. L'apôtre Pierre exhorte les chrétiens de son temps à « exercer l'hospitalité sans murmures. » Mais pour tenir compte de cette injonction, il faudrait posséder ce qui fait défaut à la plupart de nos contemporains. Je ne veux pas dire que l'on n'ait pas les premiers moyens matériels nécessaires ou la bonne volonté. Dans les classes aisées, les maîtresses de maison se plaisent à traiter largement leurs hôtes, à leur préparer des festins pour lesquels on met la maison sens dessus dessous, préparant souvent de cuisants regrets par la brèche faite à la bourse. Ce n'est pas là, toutefois l'hospitalité au sens antique. D'abord, ce qui, pour imiter celle-ci, nous fait défaut, c'est l'espace : la chambre des hôtes est, dans nos vastes cités, un luxe qu'un petit nombre seulement se permettent. Ensuite, dans notre vie moderne, chacun est affairé : la mère s'occupe de ses enfants ; le chef de la famille est absorbé par ses affaires, souvent conduit par elles loin de chez lui. On le voit même à table, rêveur et silencieux, songeant encore à son travail. L'existence de la plupart est un surmenage. C'est « la lutte pour l'existence », dans toute l'acception du mot. Le facteur est débordé ; mais l'homme de la bourse l'est aussi ; et le pasteur qui comprend la grandeur de sa tâche n'a pas moins à faire que les autres. Nos journées sont des courses au clocher ; quand nous rentrons chez nous, nous sommes heureux de nous détendre, de pouvoir nous taire, de n'avoir aucun devoir à accomplir.

Ce qui a le plus nui aux habitudes d'hospitalité est la défiance aujourd'hui universellement répandue. À chaque instant on entend répéter : « On ne peut plus se fier à personne ! » ou encore : « Il est prudent de tenir chacun pour un coquin jusqu'à preuve du contraire ! » J'avoue que ce langage est excessif. Il n'en reste pas moins vrai que les âmes confiantes risquent aujourd'hui d'être sans cesse dupées. On est trompé par le visage aussi bien que par l'habit. Les plus dangereux vauriens excellent à prendre un ton onctueux, à tenir des discours pieux. La chronique des maisons pastorales se compose de nombreuses expériences, propres à le démontrer au besoin. Ce « sans travail » cherche à vous attendrir par ses larmes, ses vêtements en lambeaux ; lui donnez-vous un vêtement de rechange pour l'aider à remonter sa garde-robe, il court le vendre et acheter de l'eau-de-vie. Ce vieillard que vous faites dîner à la cuisine, glissera dans sa poche une cuiller d'argent ou, par ses mauvais propos, fera un mal incalculable à votre domestique.

Qu'on ne s'étonne point, si en face de la défiance universelle, l'hospitalité n'est plus qu'un souvenir. Dans les villes, l'hospitalité envers les étrangers est abandonnée aux hôtels, aux auberges, aux asiles, aux réduits misérables où pour quelques centimes l'on achète le droit de s'étendre sur une jonchée de paille malpropre. Dans les campagnes, l'hospitalité ne s'exerce plus qu'envers les parents, les amis, les connaissances. Cette antique pratique n'est plus une vertu religieuse, une manifestation de la charité.

Notre texte, par l'exemple touchant d'hospitalité qu'il nous présente, nous transporte dans des temps bien lointains, pleinement disparus. Alors on accueillait l'étranger et le voyageur, à cause de leur qualité même d'étranger et de voyageur.

L'homme avait à certains égards moins peur de l'homme. L'inconnu excitait une curiosité sympathique par les nouvelles qu'il pouvait apporter. On savait peu de chose des pays voisins, ce que l'on en apprenait, c'était par l'étranger. Car les voyages n'étaient pas une passion comme ils le sont devenus de nos jours. Les communications étaient rares. On ne se mettait en route que pour d'importants motifs. Il n'y avait pas de journaux. L'hospitalité trouvait dès lors son compte à accueillir l'étranger qui apportait avec lui des informations du dehors. Les gazettes nous suffisent. Elles ne se bornent pas à raconter tout ce qui se passe dans la planète que nous habitons. Elles inventent de fort jolies histoires, vraisemblables ou invraisemblables, pour l'amusement des lecteurs.

À l'époque bénie où les gazettes n'existaient point, ne créaient point encore de courant général des esprits, où elles n'avaient pas encore la prétention d'éclairer, (ajouterai-je : où elles n'avaient pas l'effet d'égarer ?) la venue de l'étranger suggérait les pensées neuves, augmentait le savoir. L'hôte était donc reçu avec plaisir.

J'ose pourtant affirmer que jamais l'hospitalité, chez aucun peuple, sous aucun ciel, ne détourna de leur chemin des étrangers plus nobles que ceux qui s'arrêtent d'après notre texte, auprès des tentes dressées, sous les ombrages de Mamré. D'autre part, jamais des étrangers ne furent l'objet d'un accueil plus aimable que celui que les trois personnages de ce texte trouvèrent chez Abraham, bien que celui-ci n'eût pas connaissance de la bonne nouvelle apportée par ses hôtes, véritable Évangile qui allait le faire tressaillir, lui et Sara !

Nous sommes au milieu des chênes et des palmiers de Mamré, près Hébron. C'est l'heure de midi. Le soleil darde des rayons de feu. La vie se ralentit partout. Les feuilles des plantes pendent immobiles et alanguies. Les animaux cherchent l'ombre, les hommes sommeillent. Le patriarche est assis devant la porte de sa tente. Il a le front appuyé sur sa main et paraît plongé dans une profonde méditation. Il souffre de l'obscurité qui entoure son présent et son avenir. Comme le prophète, il dirait volontiers : « Sentinelle, que dis-tu de la nuit ? » (Es. XXI. 11). Il interroge la brume épaisse qui s'étend devant lui, il voudrait la soulever... Puis il se met à soupirer : « Jéhovah, mon Dieu, fortifie, fortifie ma foi ! » Ce que ces paroles veulent dire, nous le pressentons. Abraham est un vieillard de 99 ans. Selon le cours ordinaire de la nature, il a déjà, comme l'on dit, un pied dans le tombeau. Ce n'est point pourtant à la mort qu'il pense dans sa méditation. Il songe à la promesse qui ne s'accomplit point... Quoique sa vie approche de son terme, il sait que celui-ci n'arrivera point avant que se soit produit le grand événement qu'il attend. Il s'agit, vous le comprenez, de l'événement qui accomplira l'oracle de Dieu, de l'événement qui réalisera l'espérance, le soupir de sa vie, qui justifiera sa foi. Et c'est là-dessus qu'il voudrait une nouvelle clarté.

Le noble vieillard est donc plongé dans ses pensées. Tout à coup, - n'est-ce pas un bruit de pas qui s'est fait entendre ? - il a relevé la tête ; il aperçoit trois inconnus qui s'avancent à l'ombre des arbres. Courir vers eux, s'incliner devant eux jusqu'à terre, les inviter à s'arrêter, pour se reposer et se restaurer, tout cela, Abraham le fit en un instant. Les étrangers accueillent son invitation. Ils s'asseyent à l'ombre d'un grand arbre, selon la mode orientale. Qui sont ces hommes, d'où viennent-ils, où. vont-ils ? Abraham ne l'a pas demandé. La préoccupation présente du patriarche est d'être agréable à ses hôtes. Déjà tout s'est réveillé sous les tentes. Malgré la chaleur de l'heure de midi, chacun se hâte à quelque besogne. Sara pétrit rapidement de la farine et fait cuire des gâteaux sur des pierres chaudes. Abraham a couru au troupeau le plus rapproché. Lui-même a choisi le veau le plus tendre et le plus gras. Un serviteur a rapidement tué et dépouillé l'animal. On voit monter la fumée du feu sur lequel le veau rôtit à la broche. Cependant Abraham a étalé devant les étrangers du lait et du beurre. Il ne laisse à personne l'honneur de servir les voyageurs.

Certes, les valets ne lui manquaient pas. Avec sa multitude de serviteurs il n'avait pas besoin d'esprits servants. Mais bien qu'il soit prince, puissant et riche, d'une tribu nomade, il est fort loin de s'approprier l'aristocratique devise de nos jours : « Ce qu'un autre peut faire pour moi, il va sans dire que je ne le fais point. » Abraham aurait plutôt dit : « Pourquoi faire faire à un autre ce que je puis faire moi-même ? » De tyranniques convenances ne régnaient point alors et n'avaient pas réglementé les moindres mouvements de chacun, comme elles les règlent dans notre temps qui se vante de ses progrès. Le patriarche est d'avis qu'on s'honore en aidant le prochain : Il jouit de voir se restaurer les voyageurs fatigués, altérés par la poussière.

N'est-il pas vrai qu'Abraham. comprend admirablement l'hospitalité ? Il est un maître dans cet art délicat. Disons-nous que ces hôtes lui sont complètement inconnus, et nous trouverons son empressement plus remarquable encore. Il n'est si aimable avec eux que parce qu'ils ont besoin de ses soins. Cette scène met en lumière un des traits importants du caractère du patriarche : sa cordialité envers tous. Qui fera le compte des voyageurs égarés, harassés, éclopés, malheureux, auxquels il est venu en aide ?


2. Comment Christ est reçu vingt siècles après sa naissance.

Le patriarche n'avait aucune idée des souffrances morales et physiques qui sont le lot de notre époque. La terre peu peuplée nourrissait facilement alors ses habitants. Les moeurs, sauf des exceptions telles que Sodome, Gomorrhe et les Cananéens, avaient une certaine pureté. Dans l'entourage d'Abraham, elles devaient ressembler à celles des Bédouins de nos jours. Nous n'avons pas à rechercher ici les causes de la misère physique et morale dont souffre notre monde moderne. Nous nous bornons à signaler cette souffrance. Nous rappelons que la charité chrétienne a devant elle aujourd'hui un champ d'activité immense.... Le devoir de l'hospitalité s'efface devant le devoir plus pressant de sauver ceux qui vont périr. Et tandis que l'accomplissement de la première obligation était plein de charmes, l'oeuvre de sauvetage, à laquelle il faut travailler, offrira souvent peu d'agréments. Elle exige que l'on descende dans la boue, elle vous force à voir et entendre les choses les plus répugnantes ; les efforts sont récompensés le plus souvent par l'ingratitude et le mensonge. Ajoutez le sentiment d'impuissance que l'on éprouve en face de l'océan infini de misères que l'on a devant soi. On ne peut assécher qu'une petite goutte de cette mer de souffrances, même dans les meilleures suppositions. Que sont les efforts pour le relèvement moral, par exemple, en face de l'immensité du fléau à combattre ?

Sans doute, il y a lieu de se dire : « Une seule âme sauvée est sans prix aux yeux de Dieu ! Relever un coeur, c'est faire plus que d'imprimer à la terre une rotation nouvelle sur son axe. En avant donc et courage ! » En réalité, si chaque chrétien parvenait à sauver une âme, le nombre des âmes ainsi sauvées deviendrait légion, et la légion à son tour créerait d'autres légions. Occupons-nous, puisque nous nous disons les disciples de Christ, de ramener dans la maison du Père les enfants prodigues que nous rencontrons sur notre chemin, les jeunes filles perdues disposées à nous écouter ; visitons les prisonniers ; donnons des vêtements à ceux qui en manquent, de la nourriture à ceux qui ont faim ; que notre charité s'occupe des corps et des âmes ! Et si, pour cela, nous avons quelque répugnance pharisaïque à vaincre en nous, à dominer notre goût de l'esthétique, croyons que nous serons les premiers à profiter de la victoire remportée à cette occasion sur nous-mêmes.
Un écrivain sacré a dit : « N'oubliez pas l'hospitalité car, en l'exerçant, quelques-uns ont logé des anges sans le savoir » (Héb. XIII, 1, 12).

L'auteur fait certainement allusion au récit de notre texte. Toutefois je sais une autre histoire, mettant en scène non pas un homme, mais des milliers et des milliers d'hommes et où l'on voit, non pas des anges, mais Jésus-Christ, le roi des anges, recevant l'hospitalité de ces hommes. Si vous ne comprenez pas ce que je veux dire, ouvrez votre Bible au chapitre XXVe de l'Évangile de Matthieu, au verset 31e ; lisez jusqu'au verset 46e. Ce passage vous met en présence du jugement dernier. Il vous fait entendre la voix des justes demandant : « Seigneur, quand t'avons-nous vêtu, nourri, soigné, visité ? » Ils ne savent pas, les justes, qu'ils ont exercé l'hospitalité envers le Seigneur, mais le Seigneur leur répondra : « En vérité, toutes les fois que vous aurez fait ces choses à l'un de ces plus petits de mes frères, c'est à moi que vous les avez faites. » Ce passage vous concerne, lecteur. Les petits des frères de Jésus sont devant vos yeux. Il vous appartient d'honorer Jésus-Christ en leur personne. Ne sentez-vous pas quelle gloire vous est échue dans cette faculté qui vous est accordée d'exercer l'hospitalité sous toutes ses formes, non pas envers des anges, mais, envers Jésus-Christ lui-même ? Devrai-je vous faire souvenir que ce que vous refusez aux plus petits des frères de Jésus-Christ, vous le lui refusez à lui-même ?

Gloire soit rendue à Dieu, l'éternel amour ne s'est pas approché de nous en vain. Ce n'est pas inutilement que le Saint des cieux a donné le nom de frères aux misérables, aux êtres méprisés. Quelles que soient les douleurs de toute sorte répandues dans le monde, il y passe de douces brises, des souffles apaisants. Chacun respire plus ou moins cet air bienfaisant. Les idées qui avaient cours autrefois sur l'homme ont été transformées. Le plus grossier des bouviers a aujourd'hui plus de noblesse dans son langage qu'Aristote s'exprimant sur l'esclave, ou Platon sur la femme. Chez les païens manque partout un mot, un petit mot bien grand, le mot miséricorde. Nul ne pense à secourir les blessés de la vie. Les esclaves sont des meubles ; ils valent ce que vaut l'argent qu'ils ont coûté. Le Grec ancien se détournait avec mépris des infirmes, des êtres souffrants. Un sentiment d'orgueil gonflait sa poitrine devant la corruption des autres. Il n'avait pas l'idée d'un devoir à remplir envers les malheureux. Il disait en toute bonne conscience : « Suis-je le gardien de mon frère ? » Les choses ont bien changé depuis la venue du christianisme. La charité réunit aujourd'hui les suffrages de chacun. Nul n'oserait ridiculiser les oeuvres de la philanthropie. Tout en rougissant à demi, le plus froid égoïste se pique d'humanité. À ce point de vue, les adversaires du christianisme sont plus chrétiens qu'ils ne veulent le laisser entendre.

Vainement on nous répète avec insistance que l'on ne veut rien savoir de l'Évangile et de ses mythes, que l'on adresse son culte à l'humanité. Quiconque a quelque connaissance de l'histoire n'ignore point que c'est à partir de l'apparition du fils du charpentier que l'idée d'humanité a pris corps. Plus quelqu'un prétendra sérieusement à l'humanité, plus il se montrera imprégné de l'esprit chrétien ; pareillement plus quelqu'un se tiendra près de Christ, plus il saura faire preuve d'humanité.

Rien d'étonnant à ce que l'âme consacrée avec sérieux au Sauveur sente naître en elle des pensées nouvelles d'amour. Les oeuvres de la charité naissent aux pieds de Jésus-Christ. Je n'ai pas besoin d'en appeler à des exemples, chacun en trouvera. Tantôt c'est dans la communion paisible de Jésus-Christ qu'est né le dessein d'institutions charitables. Tel fut le cas des fondations de Francke, Zinzendorf, Fliedner. Tantôt les projets généreux ont été conçus au sein de la souffrance, pendant des nuits d'insomnie, ils ont été la réponse de l'âme brisée aux consolations apportées par Celui qui se tient, quoique invisible, près de nous dans la détresse. Rappellerai-je l'émotion éprouvée par tous les lecteurs de la Vie de Madame Joséphine Butler, cette ardente promotrice des oeuvres du relèvement moral. Elle revenait d'un long voyage. Sa fille, aussi bien douée que belle, veut courir à la rencontre de sa mère. Elle se trouve entraînée par son élan au-dessus de l'escalier, est précipitée dans le vide et tombe morte devant sa mère. Épouvantable accident, épouvantable retour ! « Pendant la longue nuit, écrit Madame Butler, que je passai auprès du cadavre de mon unique enfant, je formai le voeu de consacrer désormais ma vie au relèvement de celles qui ont fait une chute plus malheureuse que ma fille ! »

Heureuse la femme qui a su s'humilier de la sorte et en même temps prendre courage sous la puissante main de Dieu ! Heureuse la mère qui, dans ce deuil extraordinaire, n'a pas murmuré, qui n'a pas crié comme tant d'autres : « S'il y avait un Dieu dans le ciel, il n'aurait pas permis une pareille chose ! » Heureuse la mère qui, dans l'abîme de sa douleur, s'est résolue à un dévouement plus grand encore que sa douleur. Voilà le triomphe du christianisme, voilà le triomphe de la foi ! Grâce à Dieu, des pensées célestes de la nature de celle-là naissent tous les jours dans les coeurs où habite Christ. Elles existent, elles agissent, bien que leurs manifestations ne soient pas toujours aussi frappantes.

« Que votre douceur soit connue de tous les hommes ! », écrit l'apôtre. Le mot douceur est ici pour lui, je pense, synonyme d'amabilité. L'amabilité est la fille de la foi.
C'est ce que montre bien Abraham, l'homme de l'ancienne alliance. Nous qui connaissons la croix de Christ, n'aurions-nous pas plus de raisons encore que le patriarche de faire connaître notre amabilité à tous. « Quand des dames entrent chez nous, me disait une demoiselle de magasin, elles demandent souvent avec politesse qu'on les serve rapidement ; puis, lorsqu'on l'a fait, elles oublient le plus souvent de nous saluer. » Femmes chrétiennes, pourquoi ne saluez-vous pas la demoiselle de magasin qui vous a servies ? 0 amabilité, amabilité, rayon de soleil qui égaie les vies dépouillées, combien souvent tu fais défaut ! Vous êtes monté dans un tramway, vous demandez au conducteur de vous arrêter à quelque endroit que vous décrivez. Il le fait et vous avez l'air de ne lui en savoir aucun gré ; vous lui avez tendu votre monnaie comme si vous redoutiez le moindre attouchement de sa main, comme s'il avait la peste ! Qui a l'idée de saluer les employés des tramways ? Un conducteur m'avoua que la froideur du public l'avait dégoûté du métier, et il parait, d'après son récit, que les dames surtout se distinguent par leurs manières glaciales. Et comment traite-t-on les facteurs ? Qui leur dit « bonjour », « merci », en recevant la lettre attendue ? Ils sont considérés comme de pures machines à donner les lettres, comme des distributeurs automatiques. Avec les domestiques, il en va un peu autrement à l'heure actuelle. L'on souffre de la pénurie des domestiques et la nécessité a rendu un peu plus aimable, qu'on ne l'était, vis-à-vis d'eux.

O chers frères et chères soeurs, laissez-moi vous rappeler que ceux qui font profession d'être chrétiens, doivent être aimables, qu'ils doivent être plus aimables que les autres, qu'ils doivent l'être envers tous. Quelque chose de la grâce de Jésus-Christ, de sa bonté envers les hommes ne doit-il pas briller chez ceux qui servent son nom ? Ce n'est pas par de grands sacrifices, par des oeuvres sublimes d'amour que nous pouvons le plus souvent faire luire notre lumière ; c'est dans les petites choses. Sachons remplir l'air de petits rayons de soleil. Comprenons le prix d'un regard aimable, d'un salut affectueux, d'un mot de sympathie, d'un geste, d'un sourire,d'une larme. Une puissance céleste s'attache aux démonstrations sincères de l'amabilité sur cette terre témoin de tant de douleurs, de tant de désespoirs.

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