Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

XIII

La grande calamité.

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 « Abram tomba sur sa face ; il rit, et dit en son coeur : Naîtrait-il un fils à un homme de cent ans et Saraï, âgée de quatre-vingt-dix ans, enfanterait-elle ? »

Gen. XVII, 17.


1. Un rire douloureux.

J'entendais récemment une fort belle prédication sur ce passage de l'Apocalypse : « Ce sont ceux qui viennent de la grande tribulation. » Le prédicateur se demandait ce que signifient les mots « la grande tribulation. » Sa réponse fut : « La grande tribulation est la vie humaine. Quand nous serons au ciel, que nous habiterons dans la gloire, notre pèlerinage terrestre nous apparaîtra comme une série ininterrompue de tribulations ! »

Est-ce bien là le sens du passage de l'Apocalypse en question ? Je crois qu'on peut être là-dessus d'un avis différent de celui du prédicateur. Il n'en reste pas moins que la vie est une suite de tribulations. Les réalités qui nous entourent sont opposées à l'idéal que nous portons en nous. Les signes de la mort s'aperçoivent partout sur notre chemin ; partout nous sentons l'aiguillon de ce roi des épouvantements. Le plus beau rayon de soleil éclaire sur la terre des millions de soupirs, de plaintes. Quiconque a des yeux verra couler près de lui des larmes. Celui qui a un coeur ne peut conserver longtemps ici-bas une joie sans mélange. Et quant à celui qui n'a point de coeur, il ne sait pas ce que c'est que la joie.

Regardez autour de vous ! Le sol n'est-il pas jonché des ruines de vos projets, des débris de vos châteaux en Espagne. Partout se lamentent des coeurs déchirés. Ajoutez à ce spectacle celui de la méchanceté humaine, toujours à l'affût et à l'oeuvre. Comme si ce n'était point assez des gémissements que la mort a fait naître dans le monde, les hommes trouvent le moyen par leur malice d'empoisonner la vie des autres hommes. Le télégraphe et les journaux sont occupés chaque matin à nous raconter les grands crimes commis sur notre planète, les catastrophes qui s'y produisent. En vérité, l'état de l'humanité est tel que, si nous y prenions garde, il ferait passer constamment en nous des frissons d'horreur.

Maintenant, comment pensez-vous que, dans la perfection et la félicité à venir, dans cette gloire dont nous avons à peine une idée, nous apparaîtra la vie terrestre ? Alors tous nos voeux seront comblés, nous serons ce que nous souhaitons être, nos yeux seront baignés de nouvelles clartés .... Et n'est-il pas évident que, de ce haut sommet, la vie terrestre se montrera à nous comme une vie misérable, pleine de calamités ? Je crois que nous goûterons alors pour la première fois une véritable joie, que nous nous dirons, en face d'un triste passé : « Je savais à peine auparavant ce que c'était que la joie. »

« Je commence à peine à vivre ; jusqu'à présent j'étais à demi morte, » s'écriait dans l'excès de son bonheur une jeune épouse. Elle avait vécu jusqu'alors parmi des personnes au coeur froid, dont aucune ne pouvait la comprendre. Mais désormais, elle était devenue la femme d'un homme excellent, qu'elle aimait de tout son coeur. Aussi sa vie antérieure lui apparaissait-elle comme une mort. Une nouvelle vie s'était éveillée en elle. Elle avait appris à chanter, ce qu'elle ne faisait pas auparavant. Elle se sentait pressée de chanter. De nouvelles facultés se développaient rapidement dans cet esprit. Et maintenant, mes bien-aimés frères, si le bonheur terrestre, toujours imparfait, souillé par le péché, peut par moments faire déborder le coeur, que sera-ce du bonheur céleste, des harmonies des choeurs glorieux quand elles frapperont votre oreille ?

Oui, ici-bas, nous n'aimons qu'imparfaitement et nous sommes éclairés seulement par un pâle soleil. Et le moment est venu d'indiquer la souffrance la plus profonde de la grande tribulation, au milieu de laquelle nous passons nos jours. Les mondains ignorent, dans une certaine mesure, cette douleur ou ferment les yeux sur elle. Mais ceux dont le regard est fixé sur l'éternité, ceux qui sont devenus enfants de Dieu, ceux-là sont tourmentés jour et nuit, par la douleur à laquelle je fais allusion. Elle est grande, parce qu'elle a pour siège la partie la plus profonde de notre être, parce que nous la gardons jusqu'à notre entrée dans la vie future. Je pense, en m'exprimant ainsi, à ce combat de la chair et de l'esprit qui se renouvelle sans cesse pour nous, à cette contradiction dont le chrétien est la proie, que Paul a bien connue, ensuite de laquelle nous ne faisons pas ce que nous voulons et nous voulons autre chose que ce que nous faisons (Rom. VIl).

« Je souffre de ne pas t'aimer, - comme j'aurais voulu t'aimer, » a chanté le poète. Trop peu nombreux sont ceux qui connaissent ce tourment né de la lutte entre le vouloir et le pouvoir. Ceux qui en ont fait l'expérience n'ignorent pas que cette douleur est la plus profonde de toutes. Tous les jours, elle nous assaille de nouveau. Nous saisissons, par exemple, dans leurs splendeurs, les promesses divines, mais ce sera pour reconnaître bientôt qu'elles sont loin d'être réalisées. Nous entendrons les grands mots de rédemption, de pardon des péchés ; et la vie des chrétiens mettra en ce moment en relief sous nos yeux leurs faiblesses, la puissance du péché. Le Nouveau Testament célébrera le triomphe de Christ sur le monde, sur les puissances ennemies - un coup d'oeil autour de nous nous montrera ces puissances ennemies déchaînées, victorieuses comme si les jours de leur empire n'étaient point comptés.

Qui n'a souffert de ces poignants contrastes, mais qui donc a pu mieux les constater qu'Abram ? Il nous sert de fortifiant modèle ; mais il n'eut lui-même guère de modèles devant les yeux. Les épreuves auxquelles il fut soumis furent des plus graves. Et les épaules puissantes du patriarche se voûtèrent souvent sous ce fardeau. Son coeur se fût brisé, sa foi eût fait naufrage, si Dieu ne lui avait accordé des encouragements particuliers. Si, dans cet anniversaire de sa naissance, dont nous nous occupons, il reçoit une communication spéciale d'en haut, c'est qu'il en avait besoin. Le baromètre de la foi d'Abram était descendu à vent et pluie.

La consolation que Dieu lui donne, en lui déclarant qu'il est le Dieu tout-puissant (XVII, 1), en lui annonçant une postérité qui sera multipliée à l'infini (XVII, 2), manque cette fois son effet sur le patriarche. Il est trop abattu pour que ces paroles le relèvent. Il se prosterne, il est vrai, sur sa face. Mais ce n'est pas pour prier ; c'est pour dire intérieurement, en soupirant : « Hélas, Seigneur, ne vois-tu pas que je n'en puis plus ? » Notre texte nous dit qu'il ne put s'empêcher de rire, en répondant : « Naîtrait-il un fils à un homme de cent ans ? » Remarquez que la colère de Jéhovah ne s'enflamme point contre ce rire incrédule. Dieu sait de quoi nous sommes faits. Dieu continue à verser sur son serviteur l'abondance de ses promesses. Il le relève peu à peu.

Dieu avait tout à l'heure donné à Abram un nom nouveau (vers. 5 et 15). Ce nom nouveau est le signe de la grâce qui transforme. Le nom primitif de notre héros était Abram : « père élevé, patriarche », son nom sera désormais Abraham : « père d'une multitude ». Il n'est pas douteux qu'à partir de ce jour Abram n'ait pris en effet le nom d'Abraham. La Bible le lui donne dès cette date. Et pourtant ce nom était une ironie pour la raison ; il devait résonner aux yeux des Cananéens comme une moquerie. Mais c'était le nom choisi de Dieu. L'amen divin reposait sur lui. Ce nom devait finir par correspondre à la réalité. Dieu avait pareillement changé le nom de Saraï qui veut dire « noble, distinguée », en celui de Sara qui signifie « princesse » et est plus grand. Sara doit apparaître désormais aux peuples de la terre comme une princesse anoblie de Dieu. Il y a là une allusion à sa maternité future, et l'allusion, pour cette femme âgée devait paraître presque une raillerie.

Aussi Abraham n'accueille-t-il pas l'oracle divin. Il en rit et il adresse à Dieu cette prière : « Oh ! qu'Ismaël vive devant ta face. » La signification de cette requête est aisée à comprendre. Abraham ne demande point à Dieu de ne pas faire mourir Ismaël ; il n'a point pu avoir la pensée que tel fût le projet de Dieu. Ce qu'il demande à Dieu, c'est qu'Ismaël vive comme l'héritier de la promesse, qu'il se substitue au fils depuis longtemps annoncé par Dieu.

Quoi donc ? Qu'entendons-nous ? Le patriarche aurait-il perdu sa foi ? Abraham n'aurait-il point cru jusqu'alors que Sara lui donnerait un fils ? N'aurait-il pas préféré voir le fils de Sara devenir son héritier, plutôt qu'Ismaël ? Sans aucun doute. Mais il était lassé d'attendre ; le miracle promis lui parait trop grand pour se réaliser. Il aime mieux un don moins merveilleux dans le présent, qu'un don extraordinaire dans l'avenir. Supposez qu'un débiteur vint dire à son créancier : « Si tu laisses entre mes mains ton capital, je te le rembourserai dans peu d'années avec de riches intérêts composés ; mais, si tu veux une rente immédiate, je ne puis te donner que le quatre pour cent. » En se plaçant au point de vue de la sagesse humaine, le créancier fera bien de choisir le quatre pour cent et de renoncer au soixante pour cent qu'on a fait miroiter devant ses yeux. Oui, en se plaçant au point de vue de la sagesse humaine. Mais quand il s'agit d'une promesse de Dieu, on risque d'offenser celui-ci en lui demandant un don moins grand que celui qu'il offre.

Pourtant Jéhovah ne se montre pas offensé. Il sait voir, à travers les apparences et les manifestations momentanées de l'incrédulité, la fidélité qui persiste au fond de l'âme. Et, sans colère, mais avec une grande précision, Dieu se borne à répéter à Abraham que ce sera le fils de Sara qui héritera de la promesse. Ismaël aura sans doute sa bénédiction, mais c'est une bénédiction toute terrestre. Le royaume de Dieu appartiendra à la descendance de celui qui n'est pas encore né. Ainsi Dieu ne change pas. Il sait ce qu'il a à faire. fi sait que ses pensées sont meilleures que les nôtres. Malgré nos soupirs, malgré nos étonnements, il poursuit imperturbablement sa voie.

Cette persistance de Dieu dans ses desseins ne devrait-elle pas être pour nous un grand motif d'encouragement ? Auriez-vous confiance dans un médecin qui choisirait ses remèdes selon les désirs de ses malades ? Un bon médecin sait ce qu'il veut; l'angoisse du patient ne l'empêchera ni de taillader ni de percer un abcès d'un coup de lancette. Que penser d'un docteur qui vous dirait : « Une opération est nécessaire, mais elle vous ferait trop souffrir ! » ou encore : « Il n'est aucun autre remède que celui-ci, mais ne lui préféreriez-vous pas celui-là ! » Ne répondriez-vous pas : « C'est à vous de choisir ; je m'en remets à vous, à moins que vous ne m'obligiez à chercher un conseil chez un autre médecin ? » Et nous n'aurions pas confiance dans le souverain médecin des corps et des âmes, dans l'infaillible docteur dont les opérations nous assurent la vie éternelle ? Ne serait-ce pas le comble de la folie que de demander à Dieu de changer ses projets à notre égard ? Nous le voudrions qu'il ne le voudra pas, sauf pourtant dans le cas où il aurait résolu de punir. Oui, Dieu change souvent ses desseins, lorsque ceux-ci sont des desseins de condamnation. Il suffit que l'homme s'humilie pour qu'il fasse grâce, car il est avant tout un Dieu de miséricorde (Nomb. XIV. 1-3, 20). Mais Dieu ne change pas volontiers ses desseins de miséricorde. Les choses demeureront donc, dans l'histoire qui nous occupe, ce qu'elles étaient : Dieu continuera à promettre et Abraham à attendre.


2. Sachons attendre.

Que personne ne dise : « À quoi me servent les promesses de Dieu, s'il me faut continuer à attendre ce qu'il a annoncé ? » Ce langage est d'un insensé. Laissez-moi vous proposer une parabole. Un père a promis à son fils de lui faire faire un grand voyage : il lui en indique le but nettement et clairement. Il ne lui dit pas toutefois quand le voyage aura lieu. Un certain temps s'écoule, pendant lequel le père ne souffle plus mot du voyage. Puis il se remet à en parler. Il nomme le lieu où ils iront, il décrit le plaisir qu'ils auront. Un peu plus tard il donne à son fils un bâton de voyage en lui disant : « Voilà qui te servira pour notre course. » Le fils répond : « Oui, mon père, mais quand celle-ci aura-t-elle lieu ? » Et le père de se borner à sourire, sans rien répondre. Un peu plus tard, toutefois, il donne encore à son fils un sac de voyage ; plus tard encore il lui montre des photographies des villes, des montagnes, des lacs qu'ils verront. Est-ce que les présents du père, ses communications laisseront le fils indifférent ? Oui, si c'est un caractère froid, défiant. Mais si c'est un bon fils, il aura senti son espoir se ranimer, chaque fois que son père lui a parlé de nouveau du voyage. Il se sera dit : « Mon père n'a pas oublié son projet. » C'est assez pour que ce fils ait continué à attendre patiemment.

Après une passagère défaillance, Abraham a repris confiance. Il ne nous est pas raconté sans doute qu'il ait prononcé d'enthousiastes paroles de reconnaissance, qu'il ait loué, en quelque psaume, la grandeur de Dieu. La joie ne déborde pas dans l'âme du patriarche. Il se peut que son coeur tremble encore, que ses yeux soient encore mouillés de larmes. Aussi ne bâtit-il point un autel, comme il l'a fait dans de précédentes occasions. Mais il obéit à la volonté de Dieu et croit.

La suite du récit le montre établissant, pour lui et sa maison, le signe de l'alliance, indiqué dans cet entretien, par Dieu : la circoncision. Par la, encore il obéit.

L'obéissance de la foi est toujours pour celle-ci une source de joie. C'est le secret que j'ai à vous communiquer, à vous qui vous plaignez de manquer d'allégresse dans votre piété. L'obéissance, voilà la voie royale qui conduit à la joie. Faites donc simplement ce que la volonté divine réclame de vous ; faites-le comme Abraham, sans murmurer, sans douter, et la joie ne tardera pas à venir couronner votre foi.

Souvent nous nous plaisons à accomplir des oeuvres que Dieu ne nous demande point et nous négligeons celles qu'il nous demande. Par exemple vous sentez qu'il est temps de mettre un terme au différend qui vous sépare de N., que vous avez à vous humilier de vos torts à son égard. Mais la chose ne va pas toute seule, vous ajournez votre démarche. Pour faire taire votre conscience, vous vous livrez alors avec une double ardeur aux oeuvres de la mission intérieure. Ou bien vous avez senti clair comme le jour que l'Esprit de Dieu vous engage à renoncer à votre péché favori, le goût des honneurs. Malheureusement, on est à la veille des élections du conseil municipal et vous êtes saisi de l'effréné désir de faire partie de ce corps. Vous croirez satisfaire Dieu en établissant dans votre maison un culte quotidien. Ainsi l'on s'efforce de donner le change à Dieu, l'on fait avec lui des marchandages, sans se rendre compte, il va sans dire, de la laideur du procédé. Que penseriez-vous de votre cuisinière, ma chère madame qui lisez ces lignes, si cette domestique, à laquelle vous avez commandé, de peler des pommes de terre, ne le faisait pas, et, pour s'excuser, vous offrait de vous aider à broder ? Que dire du médecin appelé auprès d'un malade, qui, au lieu de s'enquérir des symptômes de la maladie, l'entretient des commérages circulant en ville, des récentes faillites ? Mes exemples paraissent cherchés. C'est pourtant ainsi qu'on en agit avec Dieu. On veut entrer en arrangement avec sa volonté, au lieu de l'accomplir purement et simplement. « La foi, a-t-on dit, est la puissance qui vainc le monde ! » Oui, elle est bien cela, mais à condition de vaincre d'abord en nous le mal, de vaincre notre paresse, notre esprit de mensonge, notre hypocrisie. Abraham a rempli cette condition. C'est pour cela qu'il a été, Abraham.

Désormais nous ne verrons plus sa foi chanceler. Elle ne défaillera pas, même le jour où Dieu lui imposera un commandement contre nature, où il lui demandera d'offrir son fils en sacrifice. Nous avons vu, pour la dernière fois Abraham douter. Oh ! comprenez cela, âmes inquiètes ! Il y a une croissance de la foi. Assurément le combat de la chair et de l'esprit ne cesse jamais complètement ici-bas. Mais, en croissant la foi triomphe d'un nombre toujours plus grand d'habitudes mauvaises. Voici un croyant qui dompte si bien ses doutes qu'il arrive à la pleine assurance du salut. En voici un autre qui réussit à se débarrasser pleinement de la jalousie et de l'envie. Ah ! il reste à ces hommes, je le sais, d'autres défauts. Mais ces victoires particulières sont l'annonce du triomphe définitif de la lumière sur les ténèbres. Elles nous disent qu'un jour aucun grain de poussière ne ternira plus la gloire des élus. Si donc la lutte terrible de la chair et de l'esprit est la douleur par excellence de notre vie de tribulation, les victoires de la foi sont la joyeuse prophétie de notre bonheur à venir.

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