Lorsque Abram fut âgé de quatre-vingt-dix-neuf ans, l'Éternel apparut à Abram, et lui dit : Je suis le Dieu tout-puissant. Marche devant ma face et sois intègre. J'établirai mon alliance entre moi et toi et je te multiplierai à l'infini.
1. Au début d'une centième
année.
Une dame qui fêtait son
centième anniversaire m'avait fait inviter.
Je n'ai pas à dire où la chose se
passait ; je prie le lecteur de ne pas me
demander davantage le nom de la dame. Elle entrait
donc ce jour-là dans un second
siècle. Et elle se préoccupait de
savoir comment elle fêterait son
entrée dans son second siècle. Il
allait pour elle sans dire que ce second
siècle s'ouvrirait par un service religieux,
appelant la bénédiction divine sur la
nouvelle période commencée. Mais elle
voulait aussi marquer ce jour
futur par des oeuvres extraordinaires de
charité. C'est là-dessus qu'elle
désirait mon avis. Cette dame est pour moi
un des êtres les plus extraordinaires que
j'aie rencontrés ; vous me permettrez
dès lors de vous entretenir encore un peu
d'elle.
Lorsque je la vis pour la première
fois, douze ans avant son centenaire, elle avait en
tête d'autres préoccupations. Elle
était arrivée à sa
cinquantième année de mariage, au
moment du jubilé de son union avec un mari
beaucoup plus jeune qu'elle, mais dont elle n'avait
point eu d'enfants. Elle aurait pu
célébrer ses noces d'or, mais ne
l'avait point fait et pour cause. Les deux
époux avaient les relations les plus
froides. Chacun était donc demeuré
dans sa chambre en ce jour solennel. Et la dame
m'avait fait quérir alors pour avoir mon
conseil sur une demande en divorce !
J'avais trouvé mon hôtesse
vénérable dans une position assez
comique. Un petit canari voletait sur sa
tête ; un autre sur ses
épaules ; sur une table devant elle
était un verre à pied rempli de vin,
elle avait dans la main un livre du siècle
dernier. Elle y lisait une page dans laquelle
l'auteur s'était amusé à noter
tous les malheurs, survenus à sa
connaissance, ensuite d'une orthographe
défectueuse ou d'une ponctuation incorrecte.
Absorbée par cette amusante lecture, la dame
ne s'était pas aperçue de mon
entrée. Je dus légèrement
tousser pour l'avertir de ma présence. Avec
une vivacité juvénile, elle abandonna
aussitôt son livre. Elle éloigna les
oiseaux et, s'étant assurée que les
portes étaient bien fermées, elle me
fit part de son projet de divorce. Je fus assez mal
reçu quand je lui dis :
« Madame, après avoir
supporté votre mari pendant cinquante ans,
il vous serait difficile de vouloir vous en
séparer. La chose ne se serait jamais
vue ! » Elle reprit
incontinent : « Mais n'est-ce pas
assez de l'avoir supporté cinquante
ans ? Songez-y donc, mon cher monsieur.
Cinquante ans ! Cinquante années d'une
pareille croix. Cinquante années ! Dieu
ne peut pas, en bonne justice, m'en demander
davantage. » Tous mes arguments
s'émoussèrent devant son inflexible
résolution. On aurait dit des flèches
lancées par un gamin contre un mur de
granit. Je sais par expérience que les
conseils demandés aux pasteurs ne paraissent
bons et ne sont suivis que lorsqu'ils sont d'accord
avec la volonté secrète de celui qui
vous consulte. Lorsque c'est le cas, on les
envisage comme une confirmation divine. Lorsque ce
n'est pas le cas, on s'excuse d'être
obligé de suivre une autre voie. C'est ainsi
que dans l'un et l'autre cas on réussit
à faire sa volonté propre.
Dans l'histoire que je rapporte, la question
fut résolue par les
événements. L'époux mourut peu
de temps après ma visite. Ce fut sa mort,
non point mon conseil qui empêcha la
statistique de s'enrichir d'un nouveau fait divers,
triste et amusant, qui aurait pu être
intitulé : Un divorce après les
noces d'or. Je parvins pourtant, après la
mort du mari, à réconcilier la
vieille dame avec celui-ci. Chose remarquable
à son âge, elle reconnut devant Dieu
ses péchés, s'en humilia. Je ne pus
cependant pas répondre d'une manière
satisfaisante au romanesque désir qu'elle
exprima de me voir évoquer l'âme de
son mari, pour s'entretenir avec elle. Elle eut
beau me citer l'histoire de Saül et de la
pythonisse d'En-Dor
(1
Sam. XXVIII). Je fis la sourde
oreille. En revanche, lorsqu'elle me demanda de
faire un service religieux à son
centième anniversaire, et de bénir,
pour employer ses termes propres, « le
nouveau siècle qui s'ouvrait pour
elle, » j'acquiesçai avec plaisir
à son désir. Il semblait qu'elle
dût parcourir ce siècle en entier,
car, en dépit de ses cinquante années
de mariage sans enfant, sans amour et sans bonheur,
la vieille dame se portait parfaitement bien.
Hélas, elle ne devait pas fêter son
centième anniversaire. Le fil de sa vie se
rompit soudain. Mais j'eus la douce assurance que
son âme était entrée dans le
repos du peuple de Dieu. Et, l'avouerai-je, je
saluai plus volontiers son introduction dans les
tabernacles éternels que dans le nouveau
siècle qu'elle s'apprêtait à
fêter sur cette terre.
Ce souvenir m'est revenu en mémoire
en relisant le verset de mon texte :
« Lorsque Abram fut âgé de
quatre-vingt-dix-neuf ans, l'Éternel apparut
à Abram. » Et les faits que je
viens de rapporter se sont retracés à
moi avec tant de vie que je me suis senti
pressé de les communiquer au lecteur. Ils
renferment d'ailleurs, me paraît-il, plus
d'une instruction sur les illusions auxquelles nous
sommes enclins.
J'arrive enfin à Abram. Il
reçut aussi une visite à son
anniversaire, et la plus grande de toutes, celle de
Jéhovah. Ce ne fut pas à son
centième anniversaire, mais il s'en fallait
de si peu pour que le chiffre fût
atteint ! Jéhovah apparut donc à
Abram, en ce jour de fête, par une attention
digne d'être marquée. Dieu voulait
consoler son serviteur de son isolement. Comment le
console-t-il ? Il lui dit :
« Je suis le Dieu tout-puissant, marche
devant ma face et sois intègre. »
La raison pour laquelle Abram doit marcher devant
la face de Dieu est la toute-puissance de
l'Éternel. Le motif paraîtra
étrange à qui n'est pas né
à la vie spirituelle. À
celui-là, il ne semblera guère propre
à consoler. En effet, la mention de la
toute-puissance divine est pour l'homme naturel une
menace plutôt qu'une consolation. C'est comme
si Dieu nous disait : « Je suis le
tout-puissant et tu n'es qu'un vermisseau. J'ai la
force de t'écraser quand il me plaira. Je te
plongerai dans l'affliction, dans la frayeur. En
retirant mon souffle de toi, je te livrerai
à la mort. »
Pour beaucoup d'hommes, le sentiment de
notre dépendance de Dieu s'accompagne, il
n'en faut pas douter, d'une crainte servile. C'est
cette terreur qui pousse un grand nombre aux actes
de la piété. Le mobile n'est pas
très noble ; mais il n'est pas non plus
à dédaigner. Certes, il est bien
supérieur à la crainte, cet amour de
Dieu qui naît de la contemplation des
perfections divines, de l'oeuvre du salut, du
sentiment que Dieu est la source de toute joie.
Mais dans ce monde de péché, tout le
monde ne s'élève pas d'emblée
jusqu'à l'amour. Laissez-moi demander ce que
deviendrait l'humanité, si parfois elle ne
tremblait pas à la pensée du jugement divin ?
À
quels excès les hommes ne se livreraient-ils
pas, s'ils pouvaient faire tout ce qu'ils
veulent ? Les crimes qui se commettent ne le
sont-ils pas en général par des
pécheurs ayant rejeté toute crainte
de Dieu, non pas seulement l'amour, mais la
crainte ? Croyez-moi, si ce monde était
assez parfait pour permettre à l'homme,
ainsi qu'on le souhaite, de réaliser tous
ses désirs, la vie y serait bientôt
insupportable, et la corruption sans nom. Combien,
je vous le demande, s'entretiendraient encore avec
Dieu, s'efforceraient de marcher dans sa communion,
s'ils n'avaient plus rien à en attendre, si
les afflictions promenées par la
sévérité divine ne venaient
pas briser leur endurcissement ?
Invariablement, ce sont les yeux qui pleurent qui
se tournent vers le ciel.
Pour le vrai croyant, la toute-puissance de
Dieu n'est pas une cause de frayeur, mais la cause
de l'entière sécurité. En soi,
j'en conviens, la pensée de la
toute-puissance divine ne saurait nous consoler.
À quoi sert à un pauvre d'avoir pour
voisin un millionnaire ? À elle seule
la toute-puissance de Dieu, symbole des richesses
infinies dont dispose le Créateur, n'est pas
non plus pour moi un motif d'encouragement. Le
pauvre n'éprouve quelque joie à la
pensée du voisinage d'un millionnaire, que
lorsqu'il sait celui-ci bienfaisant, prêt
à venir au secours des pauvres. Il faut
aussi que nous sachions que la toute-puissance
divine est inspirée dans ses actes par le
coeur le plus miséricordieux qui existe,
pour qu'elle devienne pour nous un objet de
confiance. Abram ne l'ignorait point. La vraie foi
n'a pas seulement pour objet la toute-puissance de
Dieu, mais encore sa charité.
Lorsque Abram entendit Dieu lui dire :
« Je suis le Dieu
tout-puissant, » un rayon de
lumière pénétra dans les
profondeurs de son âme. Nous connaissons,
quant à nous, les pensées de paix de
l'Éternel à l'égard de son
serviteur. Nous sentons qu'Abram ne songeait point
à douter de l'amour du Père
céleste à son égard. Mais tout
ce qu'Abram voyait, depuis de longues années
qu'il était obligé
de vivre en étranger parmi des païens,
pouvait facilement l'amener à se demander si
Dieu était tout-puissant. Il avait besoin
d'être rassuré
précisément sur ce point. La parole
de Dieu que je viens de rappeler se traduit pour
lui en ces termes : « Ne tremble
point, quitte ton angoisse. Je peux l'impossible,
c'est pourquoi marche devant ma face et sois
intègre. » Ces derniers mots
« sois intègre » nous
expliquent le sens des premiers « marche
devant ma face. » Marcher devant la face
de Dieu, c'est être intègre. La
seconde expression n'a pour but que de nous rendre
davantage attentifs à la
vérité renfermée dans la
première.
Dans ce « marche devant ma
face » sont contenues toutes les
exigences de Dieu à l'égard d'Abram.
On peut dire que ces quelques mots résument
toute la théologie, tout le
catéchisme, toute la dogmatique et toute la
morale. Le trésor désigné par
ces dix-huit lettres est incommensurable. Pour
beaucoup la désignation est sans doute trop
simple. Et l'on s'étonnera que Dieu n'ait
pas trouvé quelque chose de meilleur
à adresser à un serviteur
déjà aussi avancé dans la foi.
Mais si ces quelques mots sont l'a b c de la
piété, ils en sont aussi, si je puis
dire, le x y z. Bien qu'un Paul, un Luther, un
Spener dépassent à beaucoup
d'égards un Abram, je ne crois pas qu'en ce
qui concerne la connaissance de Dieu, de sa
bienveillance envers les hommes, ils eussent
à recevoir un encouragement meilleur que
celui donné au patriarche.
« Marche devant ma face. »
L'éternité n'aura rien de plus grand,
de plus précieux, à nous
révéler. Celui qui aura le mieux
compris cette parole, qu'il soit un Lazare tout
couvert d'ulcères, un voyant inspiré
comme Jean, un grand réformateur, ou que ce
soit une fille de cuisine, celui-là brillera
du plus pur éclat dans le monde à
venir.
L'expression sur laquelle je me suis
arrêté n'est pas difficile à
saisir sous la nouvelle alliance. En l'entendant,
nous avons pensé à Jésus, le
suprême modèle, à Jésus
sur qui fut constamment tourné le regard de
la bienveillance de Dieu. Jésus nous apprend
par sa conduite, par ses actes
et ses paroles, ce que c'est que marcher devant la
face de Dieu. Il a laissé sur la terre des
traces que nous n'avons qu'à suivre.
« Marcher devant la face de
Dieu, » sera donc marcher comme
Jésus lui-même a marché. Et
Jésus dit à tous, aux
vétérans de son armée comme
à la jeune recrue :
« Suis-moi ! »
Pour Abram, la chose n'était pas tout
à fait si claire. Mais cependant Dieu ne le
laissa point manquer de la lumière
nécessaire. Quel avantage n'avons-nous pas
sur les païens dont l'idéal, un
idéal vers lequel ils tendirent parfois tous
leurs nerfs, était de ressembler à
des dieux monstrueux ! Nous devrions remercier
à genoux jour et nuit la Providence de ce
que le Dieu devant lequel nous avons à
marcher n'est pas un Dieu d'iniquité. C'est
le Dieu tout-puissant, qui met sa toute-puissance
au service du bien, de son amour, d'un amour saint,
sans doute, mais qui ne connaît pas la
colère envers les siens.
Or les âmes que Dieu bénira le
plus dans l'éternité sont celles qui,
dans la mesure de leur connaissance de la
divinité, se sont efforcées de lui
être fidèles, de s'acquitter avec
intégrité de leurs devoirs à
son égard, de suivre sa voie. Quelle ne sera
pas la joie, la jubilation et l'allégresse
dans les cieux de ceux qui, ayant cherché
Dieu dans la douleur, et sans le trouver
complètement, ainsi que les païens,
pourront le contempler alors face à face,
lui-même en Christ. Ne soyons pourtant pas
satisfaits à trop bon marché.
Tâchons de serrer encore d'un peu plus
près l'importante vérité
contenue dans les quelques mots que nous venons
d'effleurer : « Marche devant ma
face. » Demandons-nous :
2. Qu'est-ce que marcher devant
la
face de Dieu ?
Je sors, au moment où j'écris
ces lignes, de la demeure d'un malade. Celui-ci
souffre horriblement d'asthme et d'oppression. Mais
il est plus heureux que la plupart des riches de ce
monde. Il a découvert la perle de grand prix
depuis de longues années. Je le trouvai
traversant une crise
pénible : Son front était
baigné de sueur. L'oeil était fixe.
Je lui demandai comment cela allait
intérieurement : « Bien,
très bien, fut la réponse. Il est
près de moi ! » (Ce
« il » mystérieux, dans
la bouche du malade, représente Christ.)
Tandis qu'il s'exprimait ainsi, une sorte de
clarté avait illuminé et comme
transfiguré son visage. C'est que ce pauvre
malade était persuadé que Christ se
tenait personnellement dans son voisinage. On ne
peut marcher avec quelqu'un, en effet, que
lorsqu'il est près de vous en personne.
Dieu doit être pour nous non pas
seulement une pensée, une somme
d'idées, représentation, qui, j'en
conviens, peut avoir sa beauté et son
utilité ; Dieu doit être d'abord
pour nous une personne vivante. Marcher avec Dieu
sera donc avant tout rendre Dieu présent
dans son existence. Et cela suppose que Dieu s'est
révélé à nous comme
l'être sage, puissant, plein de
charité. S'il n'en était pas ainsi,
nous sentirions-nous pressés d'entrer dans
sa communion ?
Faisons une autre observation : Lorsque
Dieu nous appelle à marcher avec lui, il n'a
pas dû nous prescrire un devoir impossible,
quelque chose d'irréalisable. Je serais
profondément déraisonnable, si je
donnais à un homme l'ordre suivant :
« Élève-toi dans les airs,
et envole-toi par-dessus les
montagnes ! » Dieu agirait avec
barbarie à notre égard, on peut dire
qu'il se moquerait de nous, s'il réclamait
de nous une obéissance impossible. Il va
sans dire, quand je m'exprime ainsi, que je ne
suppose point que notre communion avec Dieu soit
jamais parfaite, irréprochable en ce monde.
Elle ne l'a été qu'en
Jésus-Christ. Comment la perfection
pourrait-elle être l'oeuvre de l'homme
imparfait ? Mais d'autre part notre
imperfection ne doit pas rendre impossible, dans la
mesure permise par notre nature, la communion avec
Dieu.
Bref, la communion de l'âme avec Dieu
est une relation de personne à personne. Ce
n'est pas la rencontre accidentelle de deux
personnes de même rang, où chacune des
deux a sur l'autre sa part d'influence. Ce n'est pas,
si vous voulez un
autre
exemple, l'association de deux amis voyageant de
concert, décidant tour à tour du
chemin à prendre, des halles à faire,
de la nature des repas. Il n'en est pas ainsi. Dans
la communion de l'homme avec Dieu, c'est Dieu qui
indique la route, dirige et commande en toutes
choses ; c'est lui aussi qui donne. L'homme
est vis-à-vis de Dieu dans la position de
l'écolier vis-à-vis de son
précepteur, du serviteur vis-à-vis de
son maître, de l'enfant vis-à-vis de
son père. Celui qui marche avec Dieu ne peut
pas prendre conseil de ses goûts, de ses
désirs. Il rayera de son vocabulaire, en ce
qui concerne la chair et la volonté propre,
le mot liberté. La passion qui l'anime est
celle de se préparer, corps et âme,
pour l'éternité. Il laissera
d'ailleurs à la sagesse divine le soin
d'accomplir en lui, pour la plus grande part, cette
préparation. Il se soumettra avec une
parfaite confiance aux directions de son guide
céleste.
Avez-vous, mon cher lecteur, l'idée
de faire ceci ou cela ? Dites-vous qu'avant
tout il faut vous conformer à la
volonté de votre Créateur.
« Je t'instruirai et te montrerai la voie
que tu dois suivre ; je te conseillerai,
j'aurai le regard sur toi, » dit Dieu
à son peuple dans le Psaume XXXII. La
même parole se trouve, avec d'autres termes,
à toutes les pages de l'Écriture. Ne
doutez donc point que Dieu ne veuille vous
conduire. « J'aurai le regard sur
toi » est une expression pleine de
tendresse. Mais un enfant n'est réellement
conduit par le regard de son père, que
lorsqu'il tient lui-même les yeux constamment
fixés sur ce père, attentif à
tout ce que fait son père, évitant ce
qui distrait. Car il est besoin de peu de chose
pour interrompre l'entente secrète du
père et de l'enfant. Celle-ci se poursuit
dans une langue sans paroles. Aussi le plus bel
éloge que des parents puissent faire de leur
enfant est-il celui-ci « Il lisait dans
mes yeux. »
Dieu nous montre sa tendresse, en nous
révélant ses intentions à
notre égard. N'allez pas croire qu'il le
fera si nous vivons dans
l'indifférence vis-à-vis de lui, si
nous n'avons pas la résolution de nous
attacher aux indications de sa volonté. Ah,
ce n'est pas chose facile de se tenir toujours
ainsi en la présence de Dieu. Il faut se
faire violence, imposer silence aux
événements, aux convoitises pour
entendre bien la voix de Dieu, pour être
attentif à ses gestes, à ses signes.
Or, alors même que nous y tendons de tout
notre coeur, notre nature mauvaise nous joue encore
bien des tours.
Chaque fois que nous serons sortis de notre
vrai rôle, il importera d'y rentrer le plus
vite possible. Nous aurons chaque jour de nouveau
à apprendre à vivre sous le regard de
Dieu, à tout faire avec lui, à tout
supporter pour lui. Loin de nous l'imitation de ce
pharisaïsme religieux, qui a sans cesse
à la bouche, parce qu'il ne les a pas dans
le coeur les mots : « tout avec
Dieu ! » C'est dans le coeur que
nous avons à garder cette parole. C'est dans
nos actes, notre attitude au sein de la souffrance
qu'elle doit se montrer.
L'apôtre a écrit :
« Soit que vous mangiez, ou que vous
buviez ou que vous fassiez quelque autre chose,
faites tout pour la gloire de Dieu. »
Comprenons qu'il parle des actes les moins nobles
de notre nature, de ceux par lesquels nous
ressemblons aux animaux, le manger et le boire. Il
ne nous dit pas : « Priez, rompez le
pain dans le repas sacré, à la gloire
de Dieu ! » Que la prière,
que la fraction du pain doivent avoir pour but la
gloire de Dieu, cela s'entend de soi. Mais qu'il en
doive être ainsi du manger et du boire, de
nos actes physiques, non seulement de nos actes
intérieurs, mais de nos actes
extérieurs et des plus extérieurs,
voilà ce qui pourrait étonner. La
parole de l'apôtre ramène toute la vie
de l'homme au service de Dieu.
La piété de Paul n'a donc rien
de commun avec ceux qui n'ont qu'un Dieu des
dimanches, un Dieu de l'heure de leur culte
quotidien. Elle n'a rien de commun non plus avec
ceux qui répètent à voix basse
ou à voix haute : « Les
affaires sont les affaires. Dieu n'a rien à
voir dans mes comptes, ni dans
mes plaisirs. » L'ami de Dieu n'aurait
pas de plaisir dans un plaisir qui ne serait pas
conforme à la volonté de Dieu. C'est
ainsi qu'un enfant bien né se gardera de
rien faire en cachette de son père et de sa
mère. Le chrétien sait qu'aucune
bénédiction durable ne l'attend en
dehors des voies divines. Une pluie d'or et
d'argent ne le séduira pas.
La présence de Dieu ne donne pas
seulement à notre activité sa
direction, elle en fait aussi le véritable
prix. C'est elle qui rend grand ce qui est petit.
La jeune fille qui pèle des pommes de terre
à la cuisine ou cire une paire de souliers,
l'employé subalterne qui allume le gaz des
rues, fait briller l'électricité, le
charretier qui conduit un tombereau de fumier, la
lavandière qui frotte à la fontaine
son linge sale accomplissent une grande oeuvre,
quand ils la font sous le regard de Dieu, en se
disant que c'est Dieu qui les a placés
à leur poste, que c'est grâce à
la fidélité de Dieu, à sa
présence qu'ils accomplissent leur vocation.
De hautes pensées s'éveillent ainsi
en eux, tandis que leurs mains sont occupées
à la plus infime besogne. Le contentement
d'esprit suit chez eux le travail.
Comment serait-il mécontent, celui
qui voit Dieu partout, qui croit à sa
sagesse et à sa bonté ? Il sait
que Dieu le prépare pour la vie future, pour
les splendeurs de la gloire à venir, aussi
bien que le professeur, occupé de
l'instruction de la jeunesse, prépare
celle-ci, aussi bien que le juriste définit
un point de droit, aussi bien que le médecin
s'efforce d'arracher un corps à la maladie,
aussi bien que le pasteur travaille à
nourrir, à guérir, à vivifier
des âmes immortelles, aussi bien que le chef
du gouvernement, le prince ou le roi
s'intéresse à tout un peuple
placé sous ses ordres. Ce qui est petit
parait grand, ce qui est grand parait petit dans la
sainte présence de Dieu. À la
lumière divine une seule chose
importe : la fidélité dans la
foi.
Ne t'afflige donc point, si de petits soins,
des travaux de peu d'importance et purement
extérieurs absorbent ton attention. Telle
est la vocation non seulement de la plupart des
femmes, mais
aussi
des hommes. Ils sont rares ceux qui ont une
occupation idéale. Et parmi ceux-là,
artistes, savants, écrivains,
ecclésiastiques, on rencontre souvent des
esprits fort charnels, des plus prosaïques. La
vocation ne fait pas l'homme, c'est l'homme qui
rehausse ou abaisse sa vocation. J'ai trouvé
mille fois les pensées les plus
élevées chez les ouvriers qui
maniaient la bêche, la hache, le balai, le
savon, la navette du tisserand et le rabot. Leur
qualité d'enfants de Dieu leur avait
donné la véritable noblesse
d'âme. Qu'est-ce qui agrandit davantage la
vie que cette pensée : « Dieu
est avec toi, Dieu te voit ? »
Qu'est-ce qui suggérera des idées
plus belles que le souvenir du but éternel
pour lequel nous sommes faits ? Quelle n'est
pas notre force, lorsque nous commençons
à agir en priant, en nous plongeant par la
requête dans le monde de
l'éternité !
Ne pensez-vous pas que marcher avec Dieu
sera le meilleur moyen de bien marcher avec les
hommes ? Ne pensez-vous pas, que malgré
toutes les difficultés dont est
hérissé notre commerce avec nos
semblables, quand vous aurez l'habitude de vous
tenir en présence de Dieu, vous garderez
plus facilement la paix et l'harmonie de votre
âme ? Ne pensez-vous pas que vous serez
protégé contre la fatigue
laissée par les vains propos, contre les
paroles qui éveillent les convoitises,
excitent l'envie ?
Quelqu'un a dit : « Il est
difficile de vivre en
société. » Celui qui
parlait ainsi ne songeait point à la fatigue
corporelle qui résulte d'une vie très
répandue. Il pensait à la peine
qu'éprouve le chrétien d'assaisonner
toujours de sel et de grâce sa conversation,
d'empêcher son âme d'être
entraînée par la mondanité.
Combien, à ce point de vue, la
réflexion citée parait pleine de
justesse ! Nous avons à être la
bénédiction de ceux qui nous
entourent ; l'enfant de Dieu doit partout
avoir quelque chose à donner ; nous
avons constamment à racheter le temps en vue
de l'éternité qui s'approche ;
et tout cela est particulièrement
malaisé au sein de la société
moderne si agitée. Cela est
particulièrement difficile dans les
innombrables visites de
félicitation, de doléance, de
charité auxquelles le chrétien est
sans cesse appelé. Mais ce qui est difficile
devient possible pour qui a le mot
éternité écrit sur le front,
dans le coeur, pour qui marche dans la communion de
Dieu.
Il n'est point impossible d'introduire dans
la correspondance des pensées sages et
bienfaisantes. Il suffit de vouloir. Il suffit de
se rappeler que Dieu est présent, qu'il lit
par-dessus votre épaule, quand vous
écrivez. Gardez-vous de croire que le papier
souffre tout. Quant à ceux qui supposeraient
que mes conseils vont plonger les consciences dans
le scrupule, les rendre hargneuses, faire envoler
la gaieté et apprendre à grimacer, je
n'ai rien à leur dire. Ils ne connaissent
évidemment ni Dieu, ni le monde de la foi.
Ils n'ont pas encore compris que la
véritable joie, la véritable
lumière, les vraies consolations abondent
là où, par la foi, on tient les yeux
fixés sur l'éternité.
Que cette marche avec Dieu ne s'apprenne pas
en un jour, qu'elle ne soit pas encore parfaite
à la fin de la plus longue vie, c'est ce qui
saute encore aux yeux. Ne nous étonnons
point que Dieu soit obligé de
répéter à Abram, dans sa
quatre-vingt-dix-neuvième
année : « Marche devant ma
face. » Cette marche ne s'accomplissait
pas sans peine, même pour cet homme de Dieu,
même dans sa quatre-vingt-dix-neuvième
année. Hélas, nous sommes chair,
nés de la chair. À chaque
anniversaire nouveau, devant chaque période
nouvelle de notre vie, en face de chaque nouvelle
situation qui nous est faite, n'avons-nous pas, -
dirai-je à vivre d'une nouvelle vie ou
à mourir d'une nouvelle mort ? - je
dirai les deux. Car chaque situation où nous
entrons, qu'elle soit plus agréable à
notre vieille nature ou plus
désagréable, comporte des tentations
inconnues, des incitations à l'orgueil ou au
désespoir, à l'égoïsme,
à la vanité, à la
mondanité sous une forme grossière ou
sous une forme raffinée. Les
éducateurs savent que les enfants en
grandissant ont à lutter contre des
défauts inconnus, contre des tentations inconnues,
venues du
changement
des circonstances. Il en est ainsi pour le
chrétien qui avance dans l'existence.
Comment parlerai-je assez bien du bonheur,
de la paix que procure la communion avec
Dieu ? Laissons les descriptions, c'est
à l'expérience à nous
instruire sur ce sujet. C'est dans cet état
d'esprit seulement qu'existe notre liberté.
Lecteur, ne m'accusez pas de contradiction, parce
que j'ai dit naguère que pour appartenir
à Dieu, pour marcher avec Dieu, il faut
renoncer à sa liberté. La
liberté à laquelle on renonce en
entrant dans le commerce divin est seulement la
liberté charnelle, cette liberté qui
n'est qu'une servitude déguisée.
Ce n'est qu'en Dieu que l'homme parvient
à la véritable liberté, parce
que c'est en Dieu seul qu'il se sent dans son
véritable élément, parce qu'il
a été créé pour trouver
en Dieu sa fin et faire briller en soi l'image
divine. Or, de la présence de Dieu dans sa
vie, descend sur celui qui a compris sa
véritable destinée un nouveau
courage, une nouvelle force. À mesure qu'il
se dépouille de sa vie égoïste,
il saisit toujours mieux la vie éternelle.
À mesure qu'il renonce à sa
liberté charnelle, il expérimente
toujours plus la vérité de ce mot de
l'apôtre : « Là
où est l'Esprit du Seigneur, là est
la liberté. » Le croyant qui
marche avec Dieu peut s'avancer avec assurance,
avec sécurité. Il est
délivré de la crainte des hommes, de
la peur qui naît parfois des dangers dont
nous sommes enveloppés. « Dieu
avec moi, » cette devise, lorsqu'elle se
réalise, vous rend victorieux de toute
angoisse. L'enfant appelé à cheminer,
par une nuit d'orage, dans un sentier
périlleux, s'épouvantera de ce qu'on
lui demande. Mais l'effroi le quittera, si vous lui
dites : « Ton père ira avec
toi. » Le pieux Tersteegen parlait aux
grands enfants que nous sommes, comme il faut leur
parler, lorsqu'il écrivait :
Qui contredirait à ces paroles ? Qui
ayant fait la douce expérience de la
communion avec Dieu pourrait en parler autrement
que le poète ? Sans doute, la
sécurité goûtée n'est
pas celle de la chair. Le chemin du chrétien
passe souvent à travers des
fondrières, des précipices, à
travers d'inouïes douleurs. La volonté
du Dieu avec lequel il faut marcher nous
paraîtra souvent sévère et
cruelle. C'est que notre nature est devenue
étrangère à Dieu, qu'elle ne
peut être guérie de sa maladie que par
des remèdes héroïques. Dieu est
minutieux avec ses enfants,
précisément parce qu'ils sont ses
enfants. Mais s'ils connaissent la
sévérité divine, ils
connaissent aussi les consolations de Dieu, les
doux rayons du soleil de sa grâce, ses
apparitions, ses interventions fortifiantes. Ils
ont sur les lèvres un cantique de louange.
Les plus éprouvés sont encore plus
heureux que les plus heureux de ce monde. Comment
cela ? Parce que dans les
défilés les plus sombres, ils ont la
conviction que « toutes choses concourent
au plus grand bien de ceux qui aiment
Dieu, » à leur bonheur
éternel. Ils savent qu'ils sont sur le
chemin de la patrie et qu'au milieu des halliers,
des fondrières, ils avancent sûrement
vers le but. Avoir une telle certitude, c'est
posséder au milieu de toutes les tristesses
une source infaillible de consolation.
L'été dernier, sur le tard de
l'après-midi, dans les Grisons, je
m'égarai au milieu d'une forêt voisine
de Flims. Je crus du moins m'être
égaré. J'étais inquiet ;
déjà le soir tombait, et je ne savais
où j'étais. Je me disais : Si le
sentier étroit que tu suis allait se perdre
tout à coup, ou bien dévaler vers un
des lacs si nombreux dans cette
contrée ! Tout à coup
j'aperçus un écriteau fixé au
tronc d'un arbre. Il faisait déjà si
obscur à ce moment, que je dus brûler
une allumette pour lire l'inscription. Quelle fut
ma
joie ! Contre mes conjectures, j'étais
sur la bonne route. De quel pas léger, je
repris ma course ! Avant tout, je remerciai
Dieu. Je le remerciai aussi de m'avoir, dans cette
vie, par sa grâce, mis sur le bon chemin, sur
la route qui mène au ciel. L'assurance,
qu'en avançant avec courage, nous gagnerons
infailliblement les demeures célestes, vous
remplit d'élasticité au milieu de
toutes les circonstances. Et comment n'aurions-nous
pas cette assurance, lorsque nous sommes
guidés dans notre marche par le Dieu
tout-puissant ? L'ordre :
« Marche devant ma face »
a-t-il rencontré de la docilité chez
le croyant, il s'établit entre Dieu et
l'homme une douce association. Aux mauvais passages
de la route, lorsque le grand ennemi de l'homme, la
mort, s'approche, Dieu se montre, ou bien
croiriez-vous qu'il vous faussera compagnie
là où vous aurez besoin de lui ?
Pensée injurieuse ! Le commandement
donné est la garantie du secours
nécessaire, de l'arrivée au but.
Qu'il y ait encore un repos pour le peuple de
Dieu ; que ce repos existe pour toi, pauvre
enfant battu de la tempête, qu'il t'attende,
que tu doives y trouver un jour la plénitude
de la vie, de ta destinée,
l'épanouissement de ton être, c'est
là une vérité certaine. Et tu
n'en douteras plus, dès que tu marcheras
réellement avec Dieu.
Chapitre précédent | Table des matières | Chapitre suivant |