L'ange de l'Éternel la trouva près d'une source d'eau dans le désert, prés de la source qui est sur le chemin de Schur. Il dit : Agar, servante de Saraï, d'où viens-tu, où vas-tu ? Elle répondit : Je fuis loin de Saraï, ma maîtresse. L'ange de l'Éternel lui dit : Retourne vers ta maîtresse, et humilie-toi sous sa main. L'ange de l'Éternel lui dit : Je multiplierai ta postérité, et elle sera si nombreuse qu'on ne pourra la compter.
1. Y a-t-il des anges ?
Y a-t-il des anges ? telle fut la
question que me posa, d'une bouche souriante et
cependant quelque peu anxieuse, une jeune fille.
Elle appartenait à une famille incrédule. Ses
besoins
religieux s'étaient éveillés
peu de temps auparavant. Elle avait appris à
connaître son Sauveur. Et le feu d'un ardent
amour pour lui s'était allumé en
elle. Elle savait montrer sa foi par sa douceur, sa
sagesse, sa charité. Chacun dut convenir que
le piétisme l'avait rendue meilleure. Les
moqueries dont elle avait été d'abord
poursuivie se turent dès lors
d'elles-mêmes. Mais, si elle aimait de tout
son coeur Jésus-Christ, il était dans
l'Écriture beaucoup de choses qui lui
paraissaient difficiles à accepter. Elle ne
pouvait croire au diable ; certaines histoires
bibliques la scandalisaient ; elle avait des
objections contre divers miracles ; la
doctrine de l'inspiration, reçue et
accueillie dans les cercles religieux, la heurtait,
car cette enfant était aussi cultivée
que modeste. Elle demandait donc volontiers :
« Y a-t-il des
anges ? »
Les pasteurs de la ville de Brème
entendent souvent des questions de ce genre. On
s'exprime très librement dans notre petite
république. C'est un grand avantage. Il va
sans dire que les questions ne roulent pas sur les
mêmes sujets, qu'il faut sans cesse y
répondre d'une manière
différente. J'entendis, pendant le repas qui
suivit un baptême, un monsieur fort
cultivé critiquer le symbole des
apôtres. Sa religion à lui
était : « Fais le bien, n'aie
peur de personne ! » Je lui
répondis, - ce qui était d'ailleurs
exact, - que la même confession de foi
m'avait été faite dans les
mêmes termes dans une maison de correction
par un meurtrier. Quelqu'un trouvera
peut-être ma réponse peu polie. Pour
moi je la trouve plutôt trop polie. L'humour
m'a été souvent d'un grand secours
contre les moqueurs. Un pasteur de ma connaissance
que je connais bien, était
interpellé, durant un dîner par un
monsieur qui avait un peu trop fêté
les vins, de la manière suivante :
« Dites-moi donc, monsieur le pasteur,
comment vous vous figurez
l'enfer ? » « C'est bien
aisé, fut la réponse, l'enfer est une
petite chambre, dont il est impossible de sortir.
Aux parois, de haut en bas sont suspendues des
cages remplies d'innombrables canaris.
Ceux-ci chantent jour et nuit, sans
s'arrêter, avec un bruit qui énerve,
énerve toujours davantage, jusqu'à ce
qu'enfin l'on n'ait plus d'autre sensation que
celle de son énervement. » La
réponse ne sera peut-être pas du
goût de chaque lecteur. Je pense, pour moi,
qu'elle était inspirée par la parole
de Christ, le docteur qui savait le mieux parler
aux âmes : « Ne jetez pas les
choses saintes aux chiens, ni les perles devant les
pourceaux. » La réponse du pasteur
avait provoqué à l'adresse du moqueur
un immense éclat de rire. Celui-ci
était à son tour raillé. Et il
le méritait bien.
Il serait cependant barbare,
c'est-à-dire contraire à la plus
élémentaire charité, car ce
serait manquer absolument de charité, de
considérer tous les douteurs comme des
moqueurs endurcis. Un digne pasteur répondit
un jour d'une manière qui me scandalisa
à des doutes que je lui exposai.
J'étais encore très jeune, je lui dis
que je ne pouvais croire que l'âne de Balaam
eût réellement parlé. Il me
répliqua : « Ce doute est
l'oeuvre du diable. La Bible affirme le fait. Il
faut donc le croire. » Je ne me hasardai
plus naturellement à exposer aucun de mes
doutes au même pasteur. Son argumentation
était par trop sommaire. Tout le monde ne
parvient pas du premier coup à croire
à l'inspiration littérale de la
Bible.
Lorsque vous rencontrez des esprits qui
aiment et cherchent la vérité,
remerciez Dieu de tout votre, coeur, ayez pour eux
des sentiments fraternels, traitez-les avec
affection, quand même ils auraient de
nombreux doutes à l'égard de la
Parole de Dieu. Le Sauveur demandait avant
d'accorder quelque faveur :
« Crois-tu au Fils de
Dieu ? » ou encore :
« M'aimes-tu ? » De
même les apôtres demandent
simplement : « Crois-tu au Seigneur
Jésus ? » Ils ne commencent
pas par s'enquérir de la croyance aux anges,
de la croyance aux démons, à tel
miracle, à l'inspiration littérale
des Écritures. Ils placent leurs auditeurs
au centre du salut, en face du Sauveur ; ils
ont l'assurance que tout ce qui est
nécessaire à la paix de l'âme, à sa
sanctification est peu à peu accordé
aux coeurs sincères possédant la foi
au Sauveur.
Avez pitié des douteurs, quand ils
sont honnêtes. Conduisez-vous
vis-à-vis d'eux, ainsi que David le
recommandait à l'égard de son
fils : « Agissez doucement,
disait-il, avec le jeune homme
Absalom ! » Je sais qu'on me
répondra : « Pourtant le
Sauveur a cru à l'existence personnelle du
diable, des anges, aux récits de l'Ancien
Testament. Qui donc rejette une page de l'Ancien
Testament, rejette en même temps le Sauveur.
Il accuse le Saint de Dieu d'erreur et par
là même se tourne contre
lui. » Parler ainsi, c'est tomber dans la
subtilité et le fanatisme. Christ ne saurait
approuver un tel langage. Il ne le tiendrait en
aucun cas aux douteurs de notre époque. Dans
son divin amour, il se réjouirait de leur
enthousiasme pour ce qui est grand, pour ce qui est
beau, pour les oeuvres nobles de l'activité
humaine. Cessa-t-il de regarder ses disciples comme
des disciples, parce qu'ils se refusèrent
d'abord à recevoir son témoignage sur
sa mort et sa résurrection ? Il se
montra patient envers eux, leur accorda du temps.
Pour nous, nous sommes remplis de sympathie
à l'égard de celui qui tourne des
yeux pleins de larmes vers le monde invisible, qui
cherche quelque chose de meilleur que ce que ce
monde peut offrir. Il peut souffrir de mille
doutes ; du moment qu'il aspire de tout son
coeur à la possession de la
vérité, il finira par la trouver. Le
devoir de chacun est de l'aider, de chercher
à augmenter le nombre des convictions
déjà acquises. C'est
précipiter le douteur dans
l'incrédulité que lui dire :
« La Bible est un grand tout, qu'il faut
accepter ou rejeter en bloc ! »
Combien souvent, frères orthodoxes et
piétistes, vous qui avez eu le bonheur de
recevoir une éducation chrétienne, de
sucer la foi avec le lait de votre mère,
vous avez été injustes envers ceux
qui ont été élevés dans
des principes contraires. Les vérités
de l'Écriture vous ont été
présentées comme des faits aussi
indiscutables que les événements les
plus connus de l'histoire profane.
Vous n'avez pas plus nourri de
défiance à leur égard que sur
les chiffres du livret. Mais les douteurs dont je
parle ont à conquérir pas à
pas le territoire sacré de la
vérité, à lutter corps
à corps, à la sueur de leur front,
contre les plus formidables ennemis, contre les
idées religieuses de leur enfance, de leur
famille, de leur temps. Aussi quand ils sont
vainqueurs de leurs doutes, peut-on dire d'eux
qu'ils ont gagné ce qu'ils possèdent.
Ils deviennent des croyants plus fermes, plus
heureux que les héritiers de l'orthodoxie,
commodément assis dès leurs jeunes
années dans leurs convictions.
On devine que je ne répondis point
à la question de la jeune fille :
« Y a-t-il des anges ? »
de manière à l'épouvanter par
des anathèmes ou avec une secrète
indignation. Il est vrai que j'aurais
employé d'autres expressions
vis-à-vis d'un théologien qui, dans
une feuille publique, parla très haut de la
croyance aux anges. Selon lui, aucune personne
cultivée n'admettrait plus l'apparition
réelle des messagers célestes aux
bergers, dans la nuit de Noël. Les plus
orthodoxes auraient dès longtemps
rejeté le fait, tout en regardant d'ailleurs
comme impossibles à l'avenir de nouvelles
interventions d'envoyés divins. Autant de
mots, autant d'erreurs. Nous continuons dans nos
prédications de Noël à
entretenir nos auditeurs du message des
anges : Si donc nous ne croyons pas aux anges,
nous ne sommes que de vils menteurs, des
hypocrites. Prétendre que nous regardons
comme impossibles de futures apparitions
d'envoyés célestes, est une non moins
grave inexactitude. Notre avis est au contraire que
les anges se montreront de nouveau à la fin
des temps, lors de l'avènement et du retour
de Jésus. À supposer que je doutasse
de l'intervention des anges à
l'époque actuelle, je ne cesserais pas pour
cela de croire au rôle joué par eux
dans les grandes époques décrites par
la Bible. Est-ce que je nie les miracles, en me
refusant à voir aujourd'hui autour de moi de
nouveaux prodiges ? Le miracle appartient aux
périodes marquantes de l'histoire du royaume
des cieux. Destiné, pour ainsi dire,
à manifester d'une
manière particulièrement frappante
l'action de Dieu, il devient superflu, dès
que cette action fixe les yeux, qu'une
évolution du règne de Dieu a
terminé son cours, Je crois que les prodiges
anciens se renouvelleront, comme les apparitions
d'anges, lors de la conclusion finale de l'histoire
humaine, alors que Dieu fera descendre le feu de
son jugement sur la terre ou qu'il créera
les nouveaux cieux et la nouvelle terre. Lessing a
dit avec raison que l'existence de l'Eglise est un
miracle, supposant la réalité de tous
les autres miracles de l'Évangile.
Le théologien en question assimilait
les récits bibliques sur les anges aux
contes dont fut bercée notre enfance,
où de bonnes fées, de bons
génies venaient constamment au secours des
pauvres mortels. Monde enchanté auquel il
avait bien fallu renoncer ! Tout en regrettant
les consolations que les chrétiens
trouvaient naguère dans les histoires
merveilleuses où figurent les messagers
célestes, il se faisait fort de
démontrer qu'il ne fallait point outrer la
tristesse causée par la disparition de ces
êtres du nombre des objets de nos croyances.
Quelle était l'utilité des anges,
d'après lui ? Ils étaient au
service des élus. Efforcez-vous dès
lors, concluait-il, de visiter les isolés,
de sécher les larmes des âmes en
deuil, de vêtir et de nourrir les pauvres, et
vous accomplirez vous-mêmes l'office des
anges ! Ceux-ci cesseront d'être
nécessaires.
L'exhortation est bonne. Nous n'avons pas
seulement à faire l'oeuvre des anges, mais
celle de Christ, en nous mettant au service de nos
frères. Car Jésus a dit :
« Ce que vous aurez fait à l'un de
ces plus petits de mes frères, vous me
l'avez fait à moi-même. » Il
s'agit pour nous de ressembler au Fils de Dieu
lui-même. Si nous réalisons
fidèlement notre vocation à cet
égard, en résultera-t-il cependant
qu'il n'y ait point d'anges ? Dirons-nous que
les anges sont de pures personnifications
créées par l'imagination, dans le but
inconscient d'honorer la charité ? Leur
histoire n'est-elle qu'une belle
légende ? Légende aussi, dit-on,
la résurrection de Christ, légende destinée à
incarner dans un événement
précis, extérieur, la sublime
vérité du renouvellement
intérieur de l'âme
chrétienne ! Légende,
l'ascension, dans laquelle s'affirmait une autre
idée : celle de nos aspirations
célestes ! Qu'importe même,
ajoute-t-on, que Jésus ait jamais ou non
vécu. Ses pensées sur l'amour du
Père, l'amour des hommes, sur le prix de
l'âme humaine, sur la tolérance, sont
l'essentiel dans l'enseignement de
l'Évangile. À ce compte-là,
les faits principaux de l'histoire
évangélique se résoudraient en
idées, Christ et le christianisme tout
entier ne seraient que des idées !
Voilà le langage que l'on tient, auquel
applaudissent de toutes leurs forces, les
athées, les esprits systématiquement
hostiles à toute religion.
Je m'étends ici sur cette question
des anges, parce que mon texte nous montre pour la
première fois dans l'Écriture un ange
venu au secours d'un être humain. Je profite
de l'occasion pour demander à ceux que
scandalise la croyance aux anges : En quoi
vous scandalise-t-elle ? Celui qui croit de
tout son coeur à un Créateur vivant
et personnel, Créateur des cieux et de la
terre, Créateur des esprits des hommes, n'a
pas de peine à concéder qu'il a pu
appeler aussi à l'existence des esprits plus
élevés que le nôtre, pour en
faire les exécuteurs de sa volonté et
de sa pensée, les témoins de sa
gloire dans le ciel. En quoi une telle
création serait-elle indigne de
l'Éternel ? Schiller a
écrit : « Le Souverain des
mondes se trouvait solitaire .... C'est pourquoi il
créa des esprits. » En ce mot, le
poète a proclamé la raison profonde
de l'origine des hommes et des anges. Ajoutez que
si vous croyez à la chute d'une partie de
l'humanité, vous n'avez pas de raison de
douter de la chute d'une partie des anges, de leur
transformation en démons.
Vous me dites : « Le Dieu
tout puissant n'avait pas besoin des anges pour
manifester sa bonté aux enfants des
hommes. » Assurément. Mais
pourquoi aussi ne lui aurait-il pas plu de recourir
à ces instruments ? Allez-vous dicter
à Dieu la conduite qu'il avait à
tenir dans l'organisation du
monde ? Nul doute qu'il ne pût, s'il le
voulait, secourir exclusivement par des miracles
les pauvres, les malheureux, comme aussi propager
uniquement à coup de miracles son
Évangile. Il ne le fait pas. Il a choisi des
hommes faibles et pécheurs pour ses
instruments dans ce double service. Et nous devons
nous sentir très honorés, très
heureux de pouvoir lui être utiles dans les
deux domaines.
Les anges partagent avec nous la gloire de
publier devant la terre les pensées de paix
de l'Éternel ; ce sont les anges qui
ont été ici-bas les premiers
messagers de la bonne nouvelle de la venue de
Christ ; des anges furent les premiers
témoins de la résurrection de
Jésus ; deux anges se montrent d'abord
aux disciples, après l'ascension, pour les
consoler du départ du Maître.
Associons-nous dans une sainte émulation
à leur oeuvre bienfaisante ! Leur
service n'est point rendu superflu par notre
activité. En une multitude de cas, la
pensée de l'existence des anges, de
l'intervention des anges, explique seule certains
faits.
Des parents incrédules
s'écriaient récemment, après
une chute dans l'escalier de leur petit enfant,
chute épouvantable, qui eût dû
être mortelle : « Nous n'y
comprenons rien ; il faut que les anges de
Dieu l'aient porté dans leurs
mains. » Et ils affirmaient ainsi
l'existence de ces gardiens invisibles, dont
Jésus a parlé, auxquels sont
confiés les tout petits, et qui regardent
sans cesse la face du Père céleste.
Dans la parabole du mauvais riche, Jésus
nous montre l'âme du pauvre Lazare,
déposée par des anges dans le sein
d'Abraham. Qui dira inutile pour nous l'espoir de
rencontrer ces messagers à l'heure
suprême, à cette heure où tout
le pouvoir des hommes, où toute la richesse
de la terre n'a pas plus de prix pour l'âme
qu'un simple fétu ? Qui dira toutes les
consolations fournies d'avance à chaque
croyant par la perspective de voir un jour les
anges l'introduire dans le sanctuaire
céleste ? Le ciel serait trop haut,
trop céleste, si nous ne devions pas y
trouver les esprits des élus, de ceux de nos
frères dans la foi parvenus à la perfection, en
outre les
purs
esprits des anges, jamais sortis sans doute de la
communion divine, mais ayant soutenu des relations
avec les hommes, avant parcouru notre terre pour
accomplir les pensées
miséricordieuses de Dieu. Les anges crient
là-haut sans se lasser :
« Saint, Saint, Saint, est
l'Éternel ! » Et leur accent
attire nos regards vers l'invisible, nous invite
à nous sanctifier nous-mêmes. Il est,
au surplus, salutaire de se rappeler qu'il existe
dans la création des êtres sans tache,
n'ayant jamais eu, même un seul moment, une
autre pensée, que la gloire de Dieu.
Les développements suivants serviront
à mettre en lumière la divine
poésie répandue sur les récits
bibliques par la présence des anges.
2. Le message d'un ange.
Regardez cette jeune femme assise au seuil
du désert. À bout de forces,
épuisée par la chaleur du soleil,
couverte de la poussière impalpable
laissée par le sable de la route, elle est
tristement assise sur une pierre, la tête
dans ses mains. Sur son visage lassé sont
inscrits les mots qu'Elie prononcera environ douze
siècles plus tard dans le même
désert, couché sous un
genévrier « C'est assez, Seigneur,
reprends maintenant mon âme »
Quelle pitié j'éprouve pour
cette pauvre femme ! Elle est en chemin depuis
plusieurs jours et plusieurs nuits, car on compte
de Hébron jusqu'à Schur, pour un bon
marcheur, cinq journées. Son courage a
été grand. Elle s'est trouvée
les soirs, dans la plaine, sans une tente où
loger, absolument solitaire.... Que n'avait-elle
pas à redouter des bêtes sauvages, des
brigands, plus redoutables mille fois que les
animaux sauvages ! Comme ses membres
délicats ont dû souffrir des rayons
ardents de l'astre du jour, de la morsure du froid
pendant la nuit, Elle n'a point songé
cependant à revenir en arrière, elle
n'y songe pas même à cette heure. Le
péril qu'elle court dans le désert
est grand, mais sa fierté est plus grande.
Sa nature est bien celle de la femme qui va
être appelée à devenir la
mère d'un peuple avant tout
indépendant, les Bédouins. Une Agar
ne peut pas, ne veut pas céder ; elle
reste inflexible, résolue à ne pas
s'humilier. D'ailleurs, si la femme fléchit
volontiers devant l'homme digne de ce nom, elle ne
fléchit pas volontiers devant une autre
femme. Et c'est de sa maîtresse qu'Agar a
à se plaindre.
Les pensées de la voyageuse se
dirigent sans relâche du côté du
midi, où est située sa patrie. Elle a
devant les yeux l'Egypte vers laquelle elle se
hâte. Elle n'est pas très loin de la
frontière de ce pays. Cependant à
cette heure, elle traverse une crise de
découragement. Proche d'entrer dans le pays
de ses pères, elle se sent des idées
noires. L'Égypte est-elle encore sa
patrie ? Retrouvera-t-elle la maison de ses
parents, le seuil près duquel elle a
joué ? Des étrangers à la
figure glaciale, à la parole froide
n'habitent-ils point le foyer dont elle a
gardé le souvenir ? Quel accueil lui
réserve-t-on ? Ne s'en va-t-elle pas
chez elle comme une esclave fugitive ? Qui
l'estimera encore, qui l'aimera dans le pays
où elle est née ? À
supposer qu'elle possède encore
là-bas une patrie, cette patrie
remplacera-t-elle Hébron, la tente
d'Abram ? Elle revoit avec une sorte de
dédain les tristes fêtes païennes
de sa jeunesse, sur les bords du Nil. Elle ne
saurait oublier en revanche les heures heureuses,
bénies, passées avec les serviteurs
et les servantes d'Abram, autour des autels
bâtis par ce dernier. Elle entend la voix du
noble vieillard lui parler du Dieu qui a
créé les cieux et la terre, lui
déclarer qu'il n'existe qu'un seul
mal : le péché,
célébrer avec enthousiasme la paix
dont on jouit en marchant sous le regard de
Jéhovah. Combien furent douces et saintes
ces heures religieuses ! Quels ne furent pas
alors ses saints ravissements, ses pressentiments
de l'invisible ? Puis comme la vie
s'écoulait régulière et
tranquille, sous les tentes du patriarche. Quels
soins, quelles attentions il avait pour ses
gens ! Quelle existence large et facile l'on
menait autour de lui ! Agar se rappelle avec
une émotion
particulière les jours où elle
jouissait de la faveur de Saraï et d'Abram.
Mais les choses changèrent, et ce fut par sa
faute. Et maintenant le passé est le
passé. Elle a coupé derrière
elle tous les ponts. La nuit sombre règne
devant elle, autour d'elle, en elle.
Vraiment, nous serions tenté de
pleurer en songeant à toutes les douleurs
qui oppressent l'âme de la pauvre femme.
Malheureusement il n'est pas en notre pouvoir de
l'aider. Si loin que notre oeil se promène
sur le sable du désert, nous n'apercevons
personne qui puisse ou veuille aider l'esclave
fugitive. Elle sait sans doute que derrière
elle, dans le camp de la tribu d'Abram, il est des
âmes qui pensent à elle. Mais combien
est grande la distance qui la sépare de
Mamré, de ses chênes et de ses
palmiers frémissant au souffle du
vent !
Pauvre femme solitaire, je te croirais
complètement abandonnée, s'il n'y
avait un Dieu au ciel. Heureusement ce Dieu existe.
Lui n'a pas oublié la pauvre esclave. Il la
regarde, il viendra à son secours, il la
sauvera du désespoir. Cette enfant, perdue
dans un désert sans bornes, n'est point
cachée aux yeux de l'Éternel. Une
esclave fugitive a assez de valeur devant lui pour
qu'il lui envoie un ange chargé de la
consoler.
Voyez-vous cette forme lumineuse s'approcher
doucement de la femme penchée vers le
sol ? Une main légère s'est
posée sur les épaules de la
malheureuse. Elle se lève
précipitamment, toute effrayée, mais
pour se calmer bientôt. Elle s'apaise
à l'accent de la voix qui prononce son nom,
le nom qu'elle reçut, à sa naissance,
d'une mère aimée :
« Agar ! » Dans ce seul
mot prononcé avec tendresse,
l'étranger s'est révélé
à elle comme un ami plein d'affection, comme
un ami qui la connaît. Ne montre-t-il pas
encore qu'il sait toutes ses circonstances,
lorsqu'il poursuit en ces termes :
« Servante de Saraï, d'où
viens-tu et où vas-tu ? »
L'être qui lui parle ainsi est certainement
doué d'une divination surnaturelle. Comment
sans cela saurait-il sa condition ? Agar sent
au ton de l'étranger que
la question posée n'est pas dictée
par la curiosité, que c'est une question
inspirée par la sympathie. Cette
demande : « d'où viens-tu et
où vas-tu ? » lui semble un
écho des pensées qui
s'élevaient dans sa conscience, qui
l'attristaient et l'accusaient en même
temps.
Agar et l'ange se sont regardés.
Gracieux tableau, plein de sérieux, qui
atteste l'amour de Dieu pour les hommes, sa
sainteté ! C'est pour la
première fois qu'à nos yeux, dans la
Bible, un ange descend sur la terre afin de sauver
un enfant des hommes. Et cet enfant des hommes
n'est pas le pieux patriarche Abram, qui vit
habituellement dans la communion de
l'Éternel, c'est une simple esclave, une
esclave révoltée, fugitive, une femme
malheureuse, près de tomber dans le
désespoir. Oui, pour la première
fois, la Bible nous raconte l'entretien d'un ange
avec une créature humaine. C'est à
Agar que cette faveur est accordée, non
à cause de l'élévation de sa
piété, mais parce qu'elle est triste
à mourir et abandonnée. Elle lui est
accordée en dépit, non, je me trompe,
à cause de sa mauvaise voie. 0
miséricorde de Dieu ! Mon cher lecteur,
cette scène ne vous permet-elle pas de lire
dans le coeur de votre Père
céleste ? Ne vous enseigne-t-elle pas
la grandeur des compassions divines, la grandeur de
la bonté que Dieu peut avoir pour les
pécheurs ?
C'est par la bonté de Dieu qu'Agar
était parvenue sans accident au seuil du
désert. C'est par une bonté plus
grande encore que l'ange lui est apparu. C'est par
une nouvelle bonté qu'il lui annonce un fils
destiné à devenir le père d'un
peuple nombreux, dont le nom sera Ismaël,
c'est-à-dire « Dieu
entend ». Dieu a entendu, en effet, le
cri secret de l'orpheline, de la
délaissée. C'est pourquoi il est venu
à elle. Mais sa bénédiction ne
reposera sur elle, que si elle s'humilie devant sa
maîtresse, que si elle retourne vers les
tentes d'Abram. Il faut que ce coeur roidi se
brise, que cette volonté inflexible
fléchisse ! Le salut d'Agar est
à ce prix. L'ange veut lui faire comprendre par sa
question
« d'où viens-tu et où
vas-tu ? » qu'elle est sur un
mauvais chemin.
Agar a avoué son péché,
rendue confuse par la bonté de Dieu qui lui
montre tant de bienveillance. Elle confesse
ouvertement sa faute en disant :
« Je fuis loin de Saraï, ma
maîtresse. » Estimez à sa
valeur ce peu de mots. La bouche des
pécheurs est en général plus
loquace, surtout lorsqu'il s'agit pour eux de se
défendre et d'accuser autrui. Nous aurions
peut-être trouvé naturel, trop naturel
qu'Agar se fût répandue en longues
récriminations contre les humiliations qui
lui avaient naguère été
imposées, qu'elle eût peint en
couleurs sombres la conduite de Saraï à
son égard. Elle ne fait rien de cela. Elle
se borne à dire : « Je
fuis. » Elle n'essaie même pas de
s'excuser ou de se justifier. Heureuse Agar, tu es
une esclave d'origine païenne, et voici tu
mets sous nos yeux le plus magnifique des
exemples ! Tu as eu le courage de dompter ton
orgueil, de t'humilier ; tu t'es
élevée en t'abaissant, tu t'ennoblis
en te courbant sous la main de Dieu et des hommes.
Nous étonnerons-nous après cela que
l'ange fasse à Agar de si grandes et si
précieuses promesses ? Nous
étonnerons-nous qu'Agar elle-même ait
été saisie, après l'apparition
de l'ange, d'une sorte d'enthousiasme
prophétique comme le montre la suite de son
histoire et le nom qu'elle donne au lieu où
elle est.
(vers.
13 et 14).
Le Seigneur a montré sa bonté
à Agar, en lui parlant par la voix d'un
ange ; il a animé le désert, l'a
transformé, pour ainsi dire, en campagnes
riantes. Il a mis sur les lèvres de
l'infortunée un nouveau cantique. Telles
sont les oeuvres de l'Éternel.
3. Quel ange secourra nos jeunes
filles ?
Laissons maintenant Agar avec l'ange, pour
jeter un coup d'oeil sur notre époque !
Cette femme solitaire, égarée dans le
désert, n'est-elle pas un type, une
image ? Ne vous fait-elle pas penser à
des milliers et des milliers de jeunes filles,
qui,
privées de toute protection,
éloignées de leur patrie, de leur
famille, errent dans le vaste désert de ce
monde, exposées à toute sorte de
dangers, quant au corps et quant à
l'âme ? ( Par exemple, ce monde
serait-il un désert ? » me
demande-t-on. Je réponds : Les
solitudes de l'Asie et de l'Afrique ne sont pas
aussi dangereuses que le monde, plein de
convoitises charnelles et de vanité.
Lorsqu'une jeune fille est belle, qu'elle est
aimable, qu'elle sait plaire, elle court alors un
double danger. La place de la femme, de la jeune
fille est dans la famille. Si vous n'avez plus de
famille, il s'agit d'en chercher une nouvelle
à laquelle vous attacher. La femme,
lorsqu'elle est seule, court les plus grands
périls. Ou bien elle se sentira malheureuse,
et nous sommes toujours plus ou moins ce que nous
nous sentons être. Ou bien elle se sentira
heureuse dans son isolement, et c'est alors qu'il
faudra avoir pitié de son
malheur !
Hélas ! il est dans la
société moderne tant de jeunes filles
solitaires, perdues au sein du vaste monde, sans
qu'il y ait là de leur faute !
Où sont les anges qui voleront au secours
des pauvres délaissées ?
Lectrices qui êtes d'accord avec moi sur la
triste situation que je dépeins, ne
voudrez-vous pas remplir l'office d'un bon ange,
vous occuper de celles qui sont abandonnées,
les aider, vous employer à leur créer
un foyer ? Je le sais, un grand nombre de
jeunes filles souffrent par leur faute. Le joug de
la maison paternelle, de l'opinion leur a paru
pesant. Elles se sont lassées de voir se
fixer sur elles l'oeil scrutateur de leur
père, de leur mère. Elles ont cru que
la liberté idéale est un état
où personne n'a plus rien à vous
dire, aucun conseil. à donner, aucun
reproche à adresser. Et elles ont dit adieu
à la famille. Légères, elles
se sont élancées, sans
réflexion, sur l'océan mouvant du
monde à la recherche d'une nouvelle
situation. Allez, les soirs, dans les rues de nos
grandes villes où sont situés les
lieux de plaisirs à la mode, les locaux
où l'on danse, où se donnent des
concerts à bon marché. voyez s'y
presser, y passer des flots de jeunes filles rieuses.
Combien ont
quitté imprudemment le foyer qui les
gardait ! À combien d'entre elles ne
serait-on pas tenté de dire :
« Agar, d'où viens-tu et où
vas-tu ? » As-tu donc oublié
que tu es une créature de Dieu,
appelée à le glorifier ? Ne
t'aperçois-tu pas que tu es sur une voie de
perdition ?
Il ne suffit pas de gémir sur l'un
des maux de la société moderne. Il
faut secourir celles qui se perdent en si grand
nombre par leur faute, en cédant aux
idées du jour, à la passion d'une
fausse indépendance, comme celles qui sont
exposées à se perdre par la situation
que fait aux isolées notre civilisation si
orgueilleuse de ses progrès. Femmes
chrétiennes, volez au secours de vos soeurs
en danger ! Maîtresses de maison,
cherchez à rendre votre demeure
agréable à vos domestiques ;
qu'elles se sentent des membres de votre
famille ! Qu'elles n'aient pas même
l'idée d'aller chercher au dehors des
récréations ! Vous n'avez pas
d'ailleurs à vous occuper seulement de vos
domestiques. Vous avez à chercher hors de
votre maison, à protéger tout autour
de vous les pauvres abandonnées. Soyez pour
elles de bons anges, femmes chrétiennes,
vous surtout qui avez du loisir ou qui n'êtes
pas mariées. Il vous appartient
spécialement de remplir l'office de
messagères célestes, d'amies
dévouées auprès de nos jeunes
filles.
Une jeune fille a soif de joie. Si elle ne
trouve pas la joie dans la bonne voie, elle la
cherchera dans les sentiers défendus. Offrez
à celles qui ont si peu de plaisirs les
joies pures ! Qu'elles ne soient point seules
dans leurs heures de liberté, qu'elles
sachent où trouver un entretien
agréable. La femme qui est entourée
d'affection est facilement gagnée au bien,
à moins qu'elle ne soit tombée
très bas. Ah ! il n'en est que trop de
tombées très bas, horriblement
bas ! Les laisserons-nous aussi
celles-là ? Les laisserons-nous au fond
de l'abîme sans leur tendre la main !
Une fausse pudeur, une délicatesse
exagérée vous empêchera-t-elle,
chrétiennes, de travailler au
relèvement des âmes perdues. Oh !
je sais tout ce qu'il y a de
répugnant dans certaines chutes, dans
certaines situations, dans le mot :
Prostitution. Mais vous laisserez-vous
arrêter par la vue de la boue où il
faut descendre, si l'on veut tendre une main
secourable ? Eh bien, si vous ne vous sentez
pas la force de travailler au relèvement des
femmes perdues, des jeunes filles tombées, -
car cette vocation n'est pas de tous
peut-être, - sachez au moins demander
à Dieu de se susciter des missionnaires dans
le monde du vice. Sachez aider celles qui
travaillent déjà au
relèvement, les encourager de votre
sympathie. Ne rien faire du tout en face de toutes
les souillures qui déshonorent encore notre
civilisation, c'est se livrer à une
délicatesse ressemblant fort à du
pharisaïsme - Souvenez-vous de la parole du
Maître saint à la femme
tombée : « Je ne te condamne
pas non plus. »
4. D'où viens-tu et où
vas-tu ?
Cette question de l'ange s'adresse à
chacun de nous. Ne devrions-nous pas chaque jour de
notre pèlerinage terrestre nous demander si
nous sommes sur la bonne voie, nous demander ce que
nous venons de faire, ce que nous avons à
faire ? Conçue d'une manière
plus générale, la question
« d'où viens-tu et où
vas-tu ? » nous invitera à
examiner l'origine de la vie humaine, son but.
L'illustre philosophe Fichte a dit avec
raison : « Toute pensée,
toute science humaine travaillent en
définitive à donner une
réponse à cette question :
Quelle est la véritable destinée de
l'homme ? Quels sont ses moyens pour la
réaliser le plus
sûrement ? » On ne saurait
douter de la justesse de ce propos, quoique bien
peu se préoccupent sérieusement du
but de notre existence. Si nous demandons
« Quelle est la destinée de
l'homme ? » l'Écriture nous
répondra avec l'apôtre Paul :
« Dieu a voulu que les hommes
cherchassent le Seigneur, et qu'ils
s'efforçassent de le trouver en
tâtonnant, bien qu'il ne soit pas loin de
chacun de nous. » Notre vocation
véritable est en effet de
chercher Dieu, le Dieu qui nous a
créés à son image. Tout doit
être subordonné à cette grande
recherche, devenir un moyen de ce grand but :
nos travaux terrestres, nos études de la
nature, nos inventions et nos découvertes,
nos expériences, nos souffrances, nos
affections. Toutes choses doivent tourner nos
regards vers Dieu, vers la recherche du ciel.
D'autre part, il est certain que le Dieu
cherché par nous ne sera trouvé qu'en
Christ. C'est en Christ seulement que l'homme perdu
devient un avec Dieu. Quand il est un avec Dieu, il
participe à la vie divine ; foulant
déjà le péché et la
mort sous ses pieds, il touche au but. Dès
lors la question : « D'où
viens-tu et où vas-tu ? »
sera identique à cette autre question :
« Es-tu réconcilié avec
Dieu par Christ ? »
Si vous ne pouvez répondre par un oui
joyeux à cette dernière question,
permettez-moi de vous demander quels sont les
obstacles qui vous séparent de Christ. Car
c'est en Christ seulement que vous tendrez à
la réalisation de votre vocation, que vous
marcherez vers le but, vers une destinée
conforme aux origines de l'homme, je veux dire
à cette image divine qu'il porte en lui.
Oh ! si nous pouvions apprendre de l'ange
à nous poser avec gravité la grande
question : « 0 homme, d'où
viens-tu et où vas-tu ? »
L'examen auquel celle-ci nous conduirait,
douloureux d'abord peut-être, finirait par
remplir nos coeurs de joie.
La question : « D'où
viens-tu et où vas-tu ? »
s'adresse d'une manière spéciale aux
coeurs troublés. Il en est certainement
beaucoup parmi les lecteurs de ces pages. Mon coeur
est plein de sympathie pour eux. Mais que parlai-je
de mon coeur ? Je devrais dire : le coeur
de Dieu. La sympathie de mon coeur est peu
efficace. Celle de Dieu est autre chose. Que Dieu
s'occupe de préférence des
affligés, c'est ce que montre d'une
manière générale l'histoire
d'Agar. 0 vous tous qui ne sortez d'une
vallée de larmes que pour entrer dans une
autre, qui voyez les tristesses succéder aux
tristesses, les déceptions aux déceptions, soyez
sûrs que vous êtes l'objet particulier
de la grâce de Dieu. Donnez-vous seulement la
peine de lire le Psaume CXLVI. Le psalmiste chante
au verset sixième la grandeur de Dieu qui a
fait les cieux et la terre, la mer et tout ce qui
s'y trouve ; au verset dixième par
lequel se termine le Psaume, il exalte la
royauté sans fin de l'Éternel. Mais
que lisons-nous entre ce verset sixième et
ce verset dixième ? Que Dieu fait droit
aux opprimés, qu'il donne du pain aux
affamés, qu'il délivre les captifs,
qu'il ouvre les yeux des aveugles, qu'il redresse
ceux qui sont courbés, qu'il aime les
justes, qu'il protège les étrangers,
qu'il soutient l'orphelin et la veuve. Dans quel
livre de la terre trouver une description analogue
de l'activité divine ? C'est à
toutes ses pages, en vérité, que
l'Écriture affirme que Dieu est
spécialement le Dieu de ceux qui
pleurent ; il ne fait couler leurs larmes que
pour avoir l'occasion de les changer en une joie
durable. Les larmes d'Agar ne furent-elles pas
changées en joie ? 0 pauvre coeur qui
pleures, prends donc courage !
Ce matin, je voyais de ma fenêtre un
moineau, perché sur une palissade, jeter
tout autour de lui de triomphants regards. Il
tenait dans son bec une grosse miette de pain
blanc. De là sa satisfaction. D'où
lui venait ce butin ? Était-ce un
présent, jeté par quelque main
amie ? Était-ce le produit d'un vol je
l'ignore. Il tenait sa miette et personne ne
cherchait à la lui disputer. Malgré
la neige abondante qui couvrait les rues et les
campagnes, le petit oiseau avait donc trouvé
sa pâture. Il allait la savourer avec
délices. Ma pensée fut : quel
soin le grand Dieu des cieux et de la terre prend
du petit moineau ! Pourtant le petit moineau
ne sert pas à grand'chose. Est-ce que Dieu
laisserait sans direction, sans espérance,
les hommes qu'il a créés à son
image ? Dis-nous, pauvre Agar, s'il t'a jamais
oubliée quand tu errais dans le
désert, pleine de tristesse, et comme
abandonnée. Ne t'a-t-il pas envoyé
maintes fois son ange ?
Ne dis pas : « Je ne vois
point d'issue ! » Ne dis pas « J'ignore
d'où
pourrait sortir la délivrance de mes
épreuves. » 0 mon frère, tu
n'es pas appelé à voir et à
savoir ! Tu es simplement appelé
à croire. Tu es appelé à te
confier avec ton chagrin, avec tes
déchirements, avec tes soucis sans nombre au
coeur paternel de Dieu.
Ne dis pas : « Non, je n'ai
pas encore vu la délivrance que vit Agar. Je
n'ai pas encore vu d'anges venir à ma
rencontre sur mon chemin. » 0 enfant des
hommes, ne sois point ingrat ! N'outrage pas
ton Dieu. La délivrance accordée
à Agar doit-elle t'être
accordée de la même
façon ? Dieu ne t'a-t-il pas dans le
passé conduit comme à cheval à
travers les précipices et les
abîmes ? N'es-tu pas
étonné d'être sorti sain et
sauf d'épreuves que tu n'aurais jamais cru
pouvoir supporter ? Ne t'a-t-il pas maintes
fois versé, dans l'âme, l'espoir, la
consolation, par les doux rayons de son soleil,
peut-être par la voix d'un enfant,
peut-être par une prédication,
peut-être par la vue d'une fleur, par le
serrement d'une main amie, par l'oeil vif et gai
d'un petit oiseau ? N'avez-vous pas dû
dire avec le poète :
- J'ignore si ce fut un ange
- Qui vint à moi dans ma douleur,
- Mais je sais, Dieu, qu'à ta louange
- Il fut pour moi l'ange sauveur.
Garde-toi donc, garde-toi de l'ingratitude,
âme attristée ! Garde-toi
d'offenser Dieu par tes murmures. Les
affligés, je le sais par mon
expérience personnelle, sont
préservés de beaucoup
d'entraînements, de beaucoup de
péchés. Leur tentation est de vouloir
s'enfermer dans leur douleur et se refuser à
toute consolation. Ils prennent goût à
l'état de martyr, finissent par se
délecter de leurs souffrances, s'en
créent un paradis et sont sourds à la
voix de l'ange que Dieu envoie pour les soulager.
Enfant des hommes, prends garde à cette
erreur ! Accueille avec reconnaissance la main
qui s'étend sur toi pour te bénir. Ne
dis pas : « J'ai trop perdu, j'ai
perdu ce que j'aimais le mieux; ce que Dieu m'offre
ne saurait remplacer ce que je
n'ai plus. » Ah, l'on pèche
souvent par ingratitude dans la souffrance. Ce
qu'il y a de grave, c'est qu'on ne s'humilie pas de
ces péchés-là. Les meilleurs,
en voulant consoler l'affligé, sont souvent
les plus disposés à laisser s'exhaler
en toute liberté le dépit,
l'irritation de l'âme. Ils oublient que l'un
des buts de la douleur est d'humilier. Ils
permettent à l'affligé de
s'écrier, comme le faisait follement Jonas
sous son ricin : « La mort m'est
préférable à la
vie ! » La plupart n'envisagent pas
ce propos comme un péché. Il leur
parait presque naturel, quand il leur semble
inspiré par l'amertume de la douleur
plutôt que par la colère. Mais
l'amertume de la douleur recèle presque
toujours une colère secrète et est un
grand péché.
Non, non ! ne berçons pas avec
trop de tendresse nos douleurs. Ce que l'ange
disait à Agar, il nous le dit aussi,
à nous tous qui, par notre défaut de
vigilance, par notre infidélité dans
les petites ou les grandes choses, avons perdu la
paix. Il nous dit : « Humiliez-vous
sous la puissante main de Dieu et il vous
élèvera en son temps. »
Recherchez soigneusement les causes de votre
défaut d'énergie, d'espérance,
de paix. Cherchez-les en vous-même, dans
votre attitude, dans vos actes, dans ce que vous
faites et dans ce que vous laissez faire. Dites
à Dieu : « A toi la justice,
à moi la confusion de face ; à
toi l'honneur, à moi l'opprobre. »
Si vous poussez à fond votre enquête
morale, vous trouverez assez de raisons de vous
humilier devant Dieu. Humiliez-vous aussi devant
les hommes auxquels vous auriez causé
quelque préjudice par vos paroles et par vos
oeuvres. Sachez vous laisser reprendre par les
hommes. Si leur parole est trop dure. si elle
pèche ordinairement par l'excès de la
sévérité, cherchez pourtant la
raison de la sévérité, voyez
si elle ne réside pas en vous. Pendant mon
ministère de pasteur-suffragant, à
Elberfeld, un collègue, volontiers
paradoxal, critiqua de la façon suivante une
de mes prédications : « Cette
prédication vous a été
inspirée mot après mot par le
démon de la vanité. » Le
jugement était acerbe. Il
l'était évidemment trop. Pourtant
aussi longtemps que je me
répétai : « C'est par
trop acerbe, » je m'irritai toujours
davantage contre lui. Ce fut seulement quand je
cherchai la part de vérité qui
pouvait être contenue dans cette parole,
qu'elle fut pour moi une bénédiction.
Je n'ai pas toujours été assez
raisonnable pour me livrer à cette
enquête ; je ne me suis jamais repenti
de m'y être livré, c'est-à-dire
d'avoir été raisonnable.
Conclusion : Laissez-vous humilier par
les hommes ! Mais souvenez-vous aussi que
l'humiliation devant l'homme doit toujours
être précédée de
l'humiliation devant Dieu. Ceux-là seuls qui
se laissent humilier sont sur la voie du
relèvement, de la véritable grandeur.
Et les anges de Dieu se réjouissent à
leur sujet, soit que l'âme qui s'humilie
appartienne à une pauvre esclave fugitive,
comme Agar, soit qu'elle appartienne à une
puissante reine.
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