Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

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De l'édification de certains passages réputés peu édifiants.

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 Saraï, femme d'Abram, prit Agar l'Égyptienne, sa servante, et la donna pour femme à Abram, son mari, après qu'Abram eut habité dix années dans le pays de Canaan.

Gen. XVI, 3.


Le voyageur qui parcourt les steppes immenses de l'Arabie y rencontre des tribus sans nombre, errantes, poussant devant elles des troupeaux de chameaux, de chevaux, d'ânes, de boeufs et de chèvres. Ces nomades vivent sous des tentes rapidement posées et aussi facilement levées. Ils sont à l'écart des grands mouvements de la civilisation. Une fois cependant ils ont pris contact avec l'Occident, lorsque surgit parmi eux l'esprit puissant qui avait nom Mahomet. Dieu se servit de lui et de sa religion comme d'un fouet pour châtier l'Eglise corrompue. Mahomet lança ses Arabes à la conquête du monde, et ils ne se firent pas faute de dévaster notre continent dans tous les sens. Aujourd'hui encore l'islam est une écharde dans la chair des chrétiens d'Occident.
Si vous demandiez à ces tribus, qui unissent de rares vertus à des vices éclatants, quels sont leurs ancêtres, elles vous répondraient en nommant avec orgueil Abram et Agar.

Agar n'était qu'une esclave égyptienne. Nous ne savons à la suite de quels événements elle était tombée entre les mains de la famille du patriarche. Elle paraît avoir été fidèle, plus attachée à Saraï que d'autres esclaves, sinon la suite du récit ne se comprendrait pas. Saraï donna en effet Agar comme seconde épouse à son mari. C'est pour qu'Abram ne manquât pas de descendants qu'elle proposa cette union. Mais Agar s'enorgueillit bientôt de sa nouvelle position. Elle se montra insolente envers sa maîtresse. Celle-ci dut se plaindre à Abram et en reçut la permission de molester, d'humilier à son gré Agar. Elle ne s'y appliqua sans doute que trop, et cela en soumettant sa rivale aux travaux les plus grossiers, les plus communs. Saraï voulait, montrer à Agar que, malgré l'espoir nourri par elle de donner un fils à Abram, elle n'en était pas moins une esclave. Agar était fière. Elle s'irrita des humiliations, et elle finira par s'enfuir avec Ismaël dans le désert, plutôt que de se soumettre au joug pesant de sa maîtresse.

Tel est le récit que nous lisons dans la Bible. Étrange histoire, n'est-il pas vrai ? Ne comprend-on pas que beaucoup de personnes pieuses regrettent à part elles que cette histoire se trouve dans la Bible ? Écoutez ce qui se dit : « Il n'y a là rien d'édifiant ; les traits de cette histoire sont au contraire propres à troubler les croyants dans leur culte pour le patriarche ; pour les mondains c'est un sujet de lazzis. Pourquoi avoir introduit cet épisode dans l'Ancien Testament ? » Voici ma réponse : Il y figure parce qu'il s'est passé. La Bible renferme bien d'autres histoires, plus étonnantes encore, autrement scandaleuses, et les a insérées également pour cette seule raison qu'elles se sont passées. Le fait que l'Écriture ne cache point ce qui s'est passé dans la vie de ses héros, qu'elle ne vise point à embellir et à flatter ses portraits est déjà, à lui seul, édifiant. L'Écriture, pour être écoutée, doit se montrer avant tout digne de foi. Comment notre confiance dans la Bible ne serait-elle pas fortifiée par ces récits sans fard, qui révèlent ouvertement le péché des serviteurs de Dieu ? Nous n'aurons aucune raison de douter des écrivains sacrés, lorsqu'ils nous raconteront des faits merveilleux, si nous avons appris à admirer leur véracité rigoureuse sur des points secondaires. Après cela je suis d'avis qu'on crée une Bible expurgée à l'usage exclusif des enfants, laquelle passe sous silence cette histoire et celles du même genre.

Je me trouve, quant à moi, édifié en voyant des serviteurs de Dieu aussi grands qu'Abram chanceler dans leur foi. Le patriarche avait eu une première défaillance, lorsqu'il parlait de faire d'Eliézer son héritier. Cinq années se sont écoulées depuis. Et voilà le patriarche retombé de nouveau dans son incrédulité. Il y est poussé cette fois par l'exemple de Saraï, qui pense aider Dieu dans la réalisation de la promesse. Elle se dit que l'important est que le fils attendu soit le fils d'Abram. Ce fils n'a pas besoin d'être le sien. Et de même qu'Eve a tenté Adam, Saraï tente Abram. Ainsi Rebecca voudra faciliter par la ruse l'accomplissement de la promesse qui concerne Jacob. On peut alléguer, à la décharge d'Abram, que l'idée ne vient point de lui. Mais il faut remarquer aussi qu'il a la faiblesse de s'approprier cette idée.

On a dit que Saraï, en cette circonstance, avait fait preuve d'un grand oubli de soi, même de dévouement. Elle donnait certainement à Abram une grande preuve d'affection, en renonçant volontairement à être sa seule épouse. Mais pour qu'un sentiment généreux ait une complète valeur, il faut qu'il soit inspiré par la foi. Les hommes ont nourri des idées fort diverses, différentes suivant les temps, sur la grandeur d'âme. Notre idéal moral ne doit pas être déterminé par l'opinion changeante de notre époque, mais par la parole de Dieu. En dehors de l'influence de la Bible, la loi morale risque d'être souvent mal interprétée ; on risque fort de donner le nom de bien à ce qui est mal et de mal à ce qui est bien. C'est ainsi que le duel est considéré en certains pays, en France, en Allemagne en particulier, parmi les officiers, comme un acte qui met en lumière la loyauté, le courage, toutes les vertus chevaleresques. La multiplication des duels à notre époque, loin d'être pour nous une preuve de haute moralité, en est une de l'absence de la crainte de Dieu. Ne faut-il pas être dépourvu de toute crainte de Dieu pour mettre en danger la vie du prochain à cause d'une vétille, d'une parole malsonnante dite légèrement ? C'est ici que le goût de légiférer, si accentué dans les conseils et les gouvernements modernes, devrait se donner carrière. Les moeurs aussi sont coupables. En Allemagne, un officier sera forcé de se battre en certains cas, ou de se brûler la cervelle s'il ne veut pas être congédié. Est-ce raisonnable ? Croit-on que le peuple qui assiste à de tels spectacles n'en retire pas une instruction fâcheuse. Ce recours à la force brutale n'a-t-il pas pour effet de diminuer l'autorité de la loi ?

Retournons sous la tente du patriarche. Ne nous laissons pas séduire par l'intention pure de Saraï. Son motif fut erroné, puisque l'obéissance vaut mieux que le sacrifice. N'excusons pas non plus Abram. Son acceptation de la proposition n'est pas due à des convoitises charnelles, elle n'en est pas moins une défaillance de sa foi. Dans cette circonstance, lui aussi a cru devoir aider la Providence à réaliser la promesse. Mais c'est parce qu'Abram a péché que son histoire renferme pour nous des encouragements précieux.
Ne pouvons-nous pas nous dire que, si Abram n'a pas été rejeté malgré ses erreurs, Dieu ne nous rejettera pas non plus, si nous tombons dans l'incrédulité ? Bénie soit cette histoire, mon cher lecteur, puisqu'elle empêche notre doute de dégénérer en désespoir, nos défaillances de devenir des chutes irrémédiables ! Vous avez dans votre passé des heures célestes, où vous avez si bien goûté l'amour de Dieu, le pardon des péchés, qu'il vous paraissait impossible de jamais déchoir de votre état de grâce. Vous avez dû pourtant traverser des jours d'obscurité. Peut-être n'aviez-vous pas assez veillé ; peut-être avez-vous vécu dans une trop grande sécurité ; peut-être Dieu a-t-il voulu vous éprouver et, en vous ôtant le sentiment de sa faveur, vous forcer à marcher davantage par la foi. Quelle consolation ne trouve-t-on pas, à de pareils moments, dans la lumière de ce trait de l'histoire d'Abram, qui nous a montré si incroyant le père des croyants ! Vous aviez encore cru avoir vaincu pour toujours un penchant particulier. Votre triomphe, que vous teniez pour durable, vous paraissait la meilleure preuve de la réalité de votre conversion. Et voici, le vieil ennemi s'est tout à coup retrouvé en vous plus vivace que jamais. Vous n'avez pu échapper à sa morsure. Ah, ne fûtes-vous pas alors bien près du désespoir ? N'entendiez-vous pas Satan murmurer, à votre oreille, qu'il ne fallait plus penser à vous ranger parmi les serviteurs de Dieu, que vous étiez perdu ? Et n'est-ce pas le récit des défaillances des saints de l'ancienne alliance qui vous a relevé de votre découragement ? Soyons donc reconnaissants envers l'écrivain inspiré auquel est due l'insertion de cette histoire dans le volume sacré.

À un autre point de vue, cette histoire est édifiante. Elle permet de mesurer le progrès fait par l'idéal conjugal, depuis la prédication de l'Évangile. Depuis Jésus-Christ, une conception nouvelle du mariage a succédé à l'ancienne. Chez les peuples de l'Orient la polygamie était le fait régulier et normal. Aucune conscience ne se soulevait contre cet état de choses. Même la conscience d'un Abram ne devait pas être trop froissée par lui. Par ses notions sur ce sujet, Abram était sans doute un homme de son temps. Sa faute fut d'obéir à une suggestion d'incrédulité. Ce n'est pas tant pour obéir à la coutume que parce qu'il ne croyait plus à la réalisation de la promesse divine dans son mariage avec Saraï qu'il prit Agar comme seconde épouse.

Qu'aucun lecteur ne dise : Ce qui était jusqu'à un certain point excusable chez Abram l'est aussi chez nous. Vous entendez souvent de tels propos, non pas seulement au sein du peuple, mais dans les cercles cultivés. Je les ai entendus moi-même. Et je n'ai pas hésité à traiter d'hypocrites ceux qui les tenaient. Et, chose remarquable, ils ne se sont pas autrement formalisés de mon accusation. Il n'est pas besoin d'être un chrétien vivant, il suffit de professer la croyance à la vérité de l'Évangile pour comprendre que, nous, modernes, nous avons à être animés sur ce point d'un autre esprit que les patriarches. Il n'est pas besoin d'être très savant pour comprendre que la culture moderne, la civilisation moderne reposent sur la monogamie, le mariage de l'homme avec une seule femme. Un coup d'oeil sur l'histoire ne montre-t-il pas l'état d'avilissement de la femme dans les pays où règne la polygamie ; ce coup d'oeil ne fait-il pas voir en outre que les peuples qui se livrent à la polygamie ont été atteints d'une décadence précoce ? Mais que parlé-je de la polygamie ! Notre chrétienté n'est-elle pas livrée à des désordres de telle nature que je ne voudrais pas les décrire ou qu'ils feraient rougir ce papier ? S'il existe encore des lois réglementant la débauche, un mouvement de protestation contre elles, toujours plus fort, s'est pourtant produit. Grâces soient rendues à Dieu pour l'oeuvre du relèvement moral ! Que sa bénédiction repose sur ceux, sur celles qui mènent ce saint combat !

De nombreux lecteurs de la Bible s'étonneront de ce que le volume sacré, en rapportant ce trait de la vie d'Abram, n'ait aucun mot de blâme. Ils voudraient qu'une parole au moins eût condamné la conduite du patriarche. Mais Dieu ne parle-t-il que par des paroles ? Ne parle-t-il pas aussi par les faits ? Ce second langage n'est-il pas encore plus puissant que le premier ? La tromperie de Jacob à l'égard de son vieux père est châtiée par la longue suite d'infortunes qui en est le résultat, et qui constitue pour une part la destinée de Jacob. Est-ce que les conséquences de cette actionne disent pas assez haut qu'elle était criminelle aux yeux de Dieu ? C'est ici le lieu d'appliquer ce passage : « Parce que je me suis tu, tu as cru que je te ressemble - mais je te punirai, et je remettrai toute ta conduite sous tes yeux. » Est-ce qu'Abram et sa femme n'ont pas été également et naturellement punis de cette défaillance ? Désormais la paix n'habite plus sous les tentes du vieillard. L'orgueil, l'envie, la jalousie mettent aux prises ses deux femmes, puis les serviteurs et les servantes. Quelle ne fut pas la douleur d'Abram, lorsque, pour retrouver quelque tranquillité, il se vit obligé de renvoyer Agar avec le fils qu'elle avait eu ?

En un mot, le passage est suffisamment édifiant pour tous ceux qui ont quelque idée de la véritable édification. Mais que l'Évangile demeurât l'Évangile, au cas où l'on enlèverait de la Bible cette histoire, comme mainte autre, cela n'est pas douteux. Sans doute il y a une grande vérité en ce que disait Tholuck : « La plupart des hommes sont sauvés par les passages saillants de l'Évangile, ceux qu'on imprime en grosses lettres. » Tholuck songe sans doute à des paroles comme celle-ci : « Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique au monde, afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu'il ait la vie éternelle, » ou comme celle-ci : « C'est une parole certaine et entièrement digne d'être reçue, que Jésus-Christ est venu dans le monde pour sauver les pécheurs.... » J'ose espérer que tous mes lecteurs connaissent ces passages, et qu'il n'eût pas été besoin de les transcrire en entier. Ce sont là des sommaires de la bonne nouvelle. Quiconque les comprend bien, les médite dans la contemplation de la croix de Jésus-Christ, trouvera par eux le chemin du salut. Heureusement qu'il ne faut pas beaucoup de science ni de théologie pour être sauvé. Malheur à nous, si nous avions à lire toute la Bible pour parvenir à la vraie paix. En ce cas un grand nombre demeureraient en dehors du royaume des cieux, qui pourtant sont assurés d'y entrer, parce que Dieu aime les pauvres d'esprit.

Tout cela, nous l'accordons. Et pourtant nous sommes obligés de contredire avec énergie ceux qui voudraient s'en tenir aux grands passages et négliger les petits. Nous blâmons avec décision ceux qui voudraient voir imprimées en petites lettres les histoires comme celle d'Agar ou même voudraient les voir enlevées de toutes les Bibles. Enfin nous sommes très éloigné d'être de l'avis de ceux qui réclament dans chaque fragment inspiré quelques paroles pour le coeur. Oui, les pages inspirées de Dieu parlent toujours au coeur, mais dans un autre sens que vous ne l'entendez. Le coeur est le foyer de la vie spirituelle. Ce qui ne pénètre pas jusqu'à ce foyer n'est pas digne d'être appelé divin. Il est non moins évident que toute connaissance spirituelle méritant ce nom fructifie dans le coeur. Mais c'est se tromper gravement que de tenir pour parlant seuls au coeur les messages directs de l'amour divin, dépeignant les compassions de Dieu ou la vie future. Reconnaissons plutôt que toutes les révélations qui nous ont été fournies sur la justice de Dieu, le développement du royaume des cieux sur la terre, que tout ce qui met à nu la nature de l'âme humaine est salutaire. Au fond, tout cela parle au coeur. Et je soutiens qu'il n'est rien dans l'Écriture qui, considéré d'un vrai point de vue, ne parle à nos coeurs.

J'assistais, il y a quelques années, à une fête de missions. Le prédicateur avait choisi pour texte ce verset des Actes : « Dieu a voulu que tous les hommes, sortis d'un seul sang, habitassent sur toute la surface de la terre.... » (Act. XVII, 26.) Il montra l'importance de la vérité qui fait de tous les hommes des descendants d'un même ancêtre, des fils d'une même race - il s'attachait à établir que notre culture et notre civilisation perdraient leur raison d'être, si nous ne savions pas voir un frère dans le nègre, dans l'insulaire de la Polynésie. Il prouva ensuite que la mission chez les païens suppose que tous les hommes ont une même nature, qu'ils sont par conséquent capables d'être relevés par le même Évangile, etc. Tous ces développements étaient fort intéressants. Mais la réunion était composée en majeure partie de piétistes. Et ceux-ci ne paraissaient qu'à demi satisfaits des considérations philosophiques auxquelles se livrait l'orateur.
Les signes non équivoques de lassitude se multiplièrent. Je commençai à éprouver quelque embarras, lorsque je vis l'un des anciens de la communauté s'approcher du prédicateur et le prier de bien vouloir dire quelque chose qui parlât au coeur, en racontant par exemple des histoires de conversion. Indigné, l'orateur repartit : « C'est parce que vous n'avez pas de coeur pour l'humanité que vous réclamez quelque chose qui parle davantage au coeur. » Peut-être aurait-il dû retenir le trait, d'autant plus qu'il prit un air offensé. Mais s'il eut tort à cet égard, il avait au fond assez raison : Toute l'Écriture parle au coeur. Gardez-vous donc, mon cher lecteur, de répéter précipitamment après tant d'autres : « Cela ne dit rien au coeur. » Souvenez-vous de la parole de Jacques : « Que tout homme soit prompt à écouter, lent à parler, - c'est-à-dire lent à critiquer, - lent à se mettre en colère, » - c'est-à-dire à rejeter comme indignes telles ou telles histoires de la Bible.

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