Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IX

La justification par la foi.

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 « Abram eut confiance en l'Éternel, qui le lui imputa à justice. »

Gen. XV, 6.


1. Ce n'est plus moi qui vis.

L'Écriture a peint souvent la communion de l'âme avec Dieu sous l'image de l'union conjugale. Permettez-moi de commencer par développer cette image. Voici une noble jeune fille ; le jeune homme qu'elle aime secrètement lui demande sa main et son coeur. Ne peut-il pas arriver que l'âme de la jeune fille, au moment de prendre un engagement décisif, éprouve mille angoisses ? Elle verra peut-être devant elle un labyrinthe sans issue. Peut-être toutes sortes de fantômes l'épouvantent-elles à cette heure. Comment l'avenir ne lui paraîtrait-il pas obscur en comparaison du présent qu'elle connaît ? Il faut qu'elle abandonne la maison de ses parents, ses amies, sa liberté. Il faut qu'elle renonce à elle-même, à ce qui fut jusqu'alors sa vie. Ce n'est donc qu'en fermant les yeux qu'elle dira oui. Elle dira pourtant ce mot de tout son coeur ; elle le dira, non de crainte et de désespoir, quoiqu'elle craigne et se désespère intérieurement, comme elle ne l'a jamais fait auparavant sans doute. Sa joie est une joie qui ne ressemble à aucune autre, pleine de tremblement, et cependant c'est une joie. Plus le tremblement est grand, plus grande encore est la joie. Finalement toute appréhension s'évanouit dans le coeur de la jeune fille. Un secret instinct la pousse à accepter la demande qui lui est faite. Et elle donne sa main, elle se donne ; en se donnant elle se perd elle-même, mais elle se retrouve aussi.

Belle image de ce que fait la foi ! La foi est d'abord, ainsi que nous l'avons dit, l'élan d'une âme qui se donne. Dans sa naissance, elle est un acte féminin d'abandon, une offrande de soi. C'est donc un acte du coeur. Ce n'est nullement une croyance de l'intelligence, bien qu'il s'y attache une croyance. À son origine, dans son essence intime, la foi n'a rien à faire avec les formules et les symboles confessionnels, quoique ceux-ci soient nécessaires à l'Eglise. La foi est un renoncement à soi-même, la consécration, peut-être pleine d'angoisse, et pourtant bienheureuse de son coeur à Dieu.

Le premier enfant venu sait que dans une telle foi l'amour est impliqué. Cet amour est partie de la confiance. Il serait plus facile de séparer la lumière de la chaleur que de distinguer l'amour de la confiance, dans l'élan de la foi. En se donnant, l'âme se prépare à la souffrance et à la joie, à l'activité et au support, à toutes les oeuvres de la charité. De même la jeune fille, qui accueille la demande de son fiancé et devient sa femme, se prépare à de nouveaux devoirs. Il sera par conséquent superflu de dire que l'amour et les bonnes oeuvres s'ajoutent chez l'enfant de Dieu à la foi. En réalité, ils n'ont pas besoin de s'ajouter, parce qu'ils sont déjà contenus. Ne serait-il pas ridicule de dire à la femme qui se marie : « Vous n'avez pas seulement à être une épouse véritable, vous avez de plus à aimer votre mari, à le servir, à lui obéir, à partager ses soucis, ses pleurs et ses joies, à soutenir ses combats, à vous associer à son travail. » Ce « de plus » fera sourire la femme de coeur.

Abram et tout véritable enfant de Dieu se sont aussi donnés tout entiers, en croyant, à l'Éternel. Ils se sont donnés à un être semblable à eux, dont ils sont l'image. Et la décision de travailler, de combattre pour Dieu était contenue dans cette consécration. Ils se sont dévoués, ils renouvelleront leur dévouement dans chaque nouvel acte de foi. Aussi leur récompense sera-t-elle grande. Le jeune homme, dont la demande est acceptée, est profondément touché du présent qu'on lui fait. Il veut dès lors, lui aussi, se consacrer au bonheur de celle qu'il a choisie. C'est ainsi que l'épouse, en donnant son coeur, a gagné celui de l'époux. Et c'est ainsi que, nous mettant au service de Dieu, nous gagnerons sûrement la plénitude de sa faveur.

Vous me pardonnerez, mon cher lecteur, cette longue comparaison. Je sais que par certains côtés elle pèche et ne s'applique pas à nos relations avec Dieu. Pourtant elle me parait le meilleur commentaire de mon texte : « Abram eut confiance en l'Éternel, qui le lui imputa à justice. » Remarquons ici que nous rencontrons pour la première fois dans les écrits sacrés les mots significatifs de « confiance en l'Éternel. » C'est aussi pour la première fois qu'il nous est parlé d'une justification ou d'une imputation à justice. Le passage a donc une importance particulière. C'est un morceau classique. Le récit au milieu duquel il se trouve est bien propre, me semble-t-il, à faire comprendre en même temps ce qu'est la foi et ce qu'est l'imputation à justice.

Cette imputation a fait d'Abram un homme normal devant Dieu. Elle le met à même de participer aux biens divins. Il a donné son coeur à Dieu, Dieu en a pris possession : ainsi l'homme est devenu la propriété de Dieu, et Dieu est devenu aussi dans une certaine mesure la propriété de l'homme.

Rien ne s'oppose, dès lors, semble-t-il, à une parfaite communion de ces deux êtres. Rien.... c'est bientôt dit. Au fait, beaucoup de choses s'opposent encore à cette communion. Abram n'est-il pas un pécheur ? Le poison du péché ne s'insinue-t-il pas dans sa foi, dans ses meilleures oeuvres ? Abram peut-il lui-même, par sa foi, détruire le virus que nous portons en nous ? Assurément non. Mais ce qu'Abram ne peut pas, Dieu le peut. Dieu efface le péché de ceux qui n'en atténuent point la gravité, dont le suprême désir est d'en être débarrassé. Abram est mis par Dieu au bénéfice du sacrifice de l'Agneau divin. Il fait par avance l'expérience du pardon dont parle l'Évangile. En regardant Abram, Dieu a vu en même temps la victime sanglante offerte pour les péchés des hommes.


2. J'ai la paix.

La justification d'Abram eut pour origine première la grâce de Dieu. C'est la pure grâce de Dieu qui choisit la foi, pour en faire l'objet de ses bénédictions. En elle-même la foi a toujours des défaillances ; elle reste toujours imparfaite par le péché. Née d'une grâce, elle ne subsiste que par grâce, par la protection d'en haut. Abram fût naguère tombé dans l'abîme du doute, si la main divine ne l'eût préservé. Disons-le hautement : le salut a toujours pour première et principale cause la miséricorde divine.

Avec cela il y a toujours dans la foi un commencement de justice. Un piétiste wurtembergeois, dont j'ai souvent écouté les allocutions, dans un petit village de la montagne, me parlait ainsi de la justification par la foi : « Supposez qu'un débiteur me doive cent florins. Il n'a rien pour me payer. Il vient à moi et me supplie de le laisser travailler à mon service, jusqu'à ce qu'il ait acquitté sa dette. J'accède à son désir. Il s'en va donc dans mon champ ; il y travaille fort et ferme, avec entrain. Je le vois au bout d'un moment ruisselant de sueur ; je suis ému ; je lui crie : Va en paix ; le travail accompli par toi vaut à peine une petite pièce de monnaie. Mais je vois ta bonne volonté. Je t'en tiens compte comme si tu avais payé ta dette. Et il s'en va. C'est la bonne volonté du débiteur qui me tient lieu de l'acquittement complet de ce qu'il me doit.... C'est pareillement la bonne volonté d'Abram que Dieu lui a imputée à justice. »

Cette explication du piétiste wurtembergeois ne me paraît pas aller assez au fond des choses. Si Dieu quitte la dette à la bonne volonté de la foi, c'est qu'il sait que cette bonne volonté a la capacité, de remplir un jour ses obligations. En d'autres termes, Abram croyant, objet du bon plaisir divin, entre dans la communion de Dieu, parce qu'il est réellement sorti des liens du péché. Ainsi que le génie perce déjà dans le petit enfant, la sainteté future d'Abram se montre déjà dans le premier acte de sa foi. Par celle-ci, il est mort au mal, il est ressuscité à une vie nouvelle. Son développement futur, y compris sa résurrection, sa participation à la gloire à venir, sont donc impliqués tout entier dans le commencement de sa foi.

Tous les obstacles que Dieu entrevoit à ce développement, il les aperçoit déjà vaincus. Nous n'aurons réellement, si nous voulons être fidèles à notre vocation, qu'à nous tenir tranquilles dans la foi ; le péché qui nous enlace si aisément apparaîtra alors à Dieu comme surmonté. Dieu n'est pas un Père faible qui détourne les yeux des fautes de ses enfants. Non, il regarde celles-ci bien en face, parce qu'il sait que la volonté du croyant triomphera effectivement du mal. Lui-même mettra au service de ses serviteurs la force nécessaire. Bref, dans le premier élan de confiance, Dieu discerne déjà cette sainteté mûrie qui ne sera atteinte qu'après bien des années ou des dizaines d'années. Pour le Dieu d'éternité, la tige, l'épi, le grain sont déjà visibles dans la semence qui germe en terre.

Pourquoi Jésus dit-il à la pécheresse : « Va en paix ? » Parce qu'elle-même doit apprendre à se voir arrivée au but, parvenue à la perfection et à la foire. Aurait-il dit au brigand : « Aujourd'hui tu seras avec moi dans le paradis, » s'il n'avait pas distingué dans la repentance de ce brigand, dans sa foi, le commencement du nouvel homme. Dieu n'estime en nous, a-t-on dit avec raison, que sa propre image. Jésus en croix a salué dans le pauvre crucifié placé à côté de lui, pauvre selon le monde et pourtant riche aux yeux de Dieu, une image de son être destinée à grandir, à devenir parfaite. En un mot, l'imputation est accordée à la foi comme une avance sur un travail qui aboutira sûrement.

Pourquoi la plupart des chrétiens manquent-ils de paix intérieure, ont-ils une assurance de leur salut si peu ferme, connaissent-ils si peu la joie de la foi ? Je parle de chrétiens véritables, éprouvés, non pas de ces chrétiens de nom, boitant des deux côtés, demeurant sous le joug du péché et faisant les yeux doux au fruit défendu. Il est compréhensible que les derniers chrétiens ne possèdent pas la vraie liberté ; ils sont comme l'oiseau empêtré dans un bourbier et incapable de voler. Mais je demande : pourquoi tant de fidèles chrétiens ne connaissent-ils que par ouï-dire la joie de la foi ?

Réponse : Parce qu'ils sont englués dans les intérêts de la vie présente, dans leurs soucis, dans leurs scrupules, dans la, crainte qui naît pour eux de leurs rechutes. Vous qui en êtes là, regardez donc à Christ: croyez qu'il est le soleil vainqueur mettant en fuite les ténèbres, et entonnez un chant de triomphe. « Celui qui a commencé en vous cette bonne oeuvre l'achèvera, » nous dit l'Écriture. N'oubliez jamais cette vérité ! Vous outrageriez votre Sauveur en la perdant de vue. Consacrez-vous tout de nouveau à lui, en toute simplicité de coeur, corps et âme, chaque matin, et ne laissez ni les pharisiens ni le diable vous troubler. Le dépouillement complet de notre égoïsme, l'amour ardent du ciel suivront votre joie en leur temps. Vous avez déjà les arrhes de tout cela dans la foi. « Si nous sommes enfants, nous sommes aussi héritiers ! » Quand l'enfant prodigue se fut réconcilié avec son père, tout changea pour lui et autour de lui : on lui mit l'anneau au doigt, les souliers aux pieds ; il s'assit à un festin ; il écouta la musique, il regarda les danses. Une nouvelle existence se développa pour lui. Il en sera de même pour vous, quand vous serez à Christ. Sachez seulement attendre la plénitude de l'effet des promesses divines. Elle viendra à VOUS.

Je causais récemment avec le médecin d'un jeune malade atteint de la poitrine : « Voyez-vous, me disait le docteur, je puis bien par mes remèdes vaincre quelques manifestations du mal, du moins les atténuer. J'apaise par des calmants les accès de toux ; j'arrête les hémorragies j'ai mes moyens contre l'oppression. Mais qu'est-ce que tout cela ? La maladie n'en est pas moins mortelle. Pour que le jeune homme vécût, il faudrait que je pusse lui donner de nouveaux poumons. » Ce médecin tenait un langage qu'on entend souvent, qui me suggéra de nombreuses réflexions. Les éducateurs humains, me dis-je, arrêtent, atténuent également les manifestations de cette maladie qui s'appelle le péché. Le coeur humain n'en reste pas moins malade, souffrant d'une maladie mortelle qu'aucun homme, aucun remède, aucun onguent ne peut guérir. Dieu seul guérit les âmes comme les corps. Et il veut guérir les âmes qui croient en lui. Une fois délivrées, elles accompliront naturellement les oeuvres de la santé ; elles se dévoueront, à l'imitation de Christ ; elles revêtiront sa force en attendant de revêtir sa gloire.

Abram se rendit-il compte du don que lui faisait Dieu, du fait que sa foi lui était imputée à justice ? C'est douteux. Un voile couvrait encore à ses yeux l'oeuvre divine ; il n'est tombé qu'avec l'accomplissement de l'Évangile. Je suppose pourtant que Dieu aura laissé pressentir en quelque mesure à son serviteur la grâce insigne qui lui était faite. Celle-ci aura élevé le patriarche d'un degré nouveau dans sa vie spirituelle. La victoire remportée par Abram sur son doute l'aura conduit à une nouvelle communion avec Dieu, dont jusqu'alors il n'avait aucun pressentiment. Et nous, chrétiens, enfants de la foi qui passons par le trouble, par de très profondes angoisses, qui sommes parfois assaillis par les orages du doute, c'est par tout cela aussi que nous entrons dans une indissoluble communion avec le Seigneur. La justification par la foi, cette approbation divine infiniment supérieure aux sympathies du monde, nous est donnée avec cette communion. Bien plus, nous trouvons en même temps dans celle-ci une réponse à nos malheureux : « Pourquoi ? pourquoi Seigneur ? » si souvent posés à Dieu, au milieu des orages de la vie. Aussi entend-on des serviteurs de Dieu durement éprouvés, - et c'est là leur précieux lot sur cette terre, - déjà chanter de joie au milieu de l'adversité.

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