« Abram eut confiance en l'Éternel, qui le lui imputa à justice. »
1. Ce n'est plus moi qui vis.
L'Écriture a peint souvent la
communion de l'âme avec Dieu sous l'image de
l'union conjugale. Permettez-moi de commencer par
développer cette image. Voici une noble
jeune fille ; le jeune homme qu'elle aime
secrètement lui demande sa main et son
coeur. Ne peut-il pas arriver que l'âme de la
jeune fille, au moment de prendre un engagement
décisif, éprouve mille
angoisses ? Elle verra peut-être devant
elle un labyrinthe sans issue. Peut-être
toutes sortes de fantômes
l'épouvantent-elles à cette heure.
Comment l'avenir ne lui paraîtrait-il pas
obscur en comparaison du présent qu'elle
connaît ? Il faut qu'elle abandonne la
maison de ses parents, ses amies, sa
liberté. Il faut qu'elle renonce à
elle-même, à ce qui
fut jusqu'alors sa vie. Ce n'est donc qu'en fermant
les yeux qu'elle dira oui. Elle dira pourtant ce
mot de tout son coeur ; elle le dira, non de
crainte et de désespoir, quoiqu'elle craigne
et se désespère
intérieurement, comme elle ne l'a jamais
fait auparavant sans doute. Sa joie est une joie
qui ne ressemble à aucune autre, pleine de
tremblement, et cependant c'est une joie. Plus le
tremblement est grand, plus grande encore est la
joie. Finalement toute appréhension
s'évanouit dans le coeur de la jeune fille.
Un secret instinct la pousse à accepter la
demande qui lui est faite. Et elle donne sa main,
elle se donne ; en se donnant elle se perd
elle-même, mais elle se retrouve aussi.
Belle image de ce que fait la foi ! La
foi est d'abord, ainsi que nous l'avons dit,
l'élan d'une âme qui se donne. Dans sa
naissance, elle est un acte féminin
d'abandon, une offrande de soi. C'est donc un acte
du coeur. Ce n'est nullement une croyance de
l'intelligence, bien qu'il s'y attache une
croyance. À son origine, dans son essence
intime, la foi n'a rien à faire avec les
formules et les symboles confessionnels, quoique
ceux-ci soient nécessaires à
l'Eglise. La foi est un renoncement à
soi-même, la consécration,
peut-être pleine d'angoisse, et pourtant
bienheureuse de son coeur à Dieu.
Le premier enfant venu sait que dans une
telle foi l'amour est impliqué. Cet amour
est partie de la confiance. Il serait plus facile
de séparer la lumière de la chaleur
que de distinguer l'amour de la confiance, dans
l'élan de la foi. En se donnant, l'âme
se prépare à la souffrance et
à la joie, à l'activité et au
support, à toutes les oeuvres de la
charité. De même la jeune fille, qui
accueille la demande de son fiancé et
devient sa femme, se prépare à de
nouveaux devoirs. Il sera par conséquent
superflu de dire que l'amour et les bonnes oeuvres
s'ajoutent chez l'enfant de Dieu à la foi.
En réalité, ils n'ont pas besoin de
s'ajouter, parce qu'ils sont déjà
contenus. Ne serait-il pas ridicule de dire
à la femme qui se marie :
« Vous n'avez pas seulement à
être une épouse véritable, vous avez de
plus à aimer votre mari, à le servir,
à lui obéir, à partager ses
soucis, ses pleurs et ses joies, à soutenir
ses combats, à vous associer à son
travail. » Ce « de
plus » fera sourire la femme de
coeur.
Abram et tout véritable enfant de
Dieu se sont aussi donnés tout entiers, en
croyant, à l'Éternel. Ils se sont
donnés à un être semblable
à eux, dont ils sont l'image. Et la
décision de travailler, de combattre pour
Dieu était contenue dans cette
consécration. Ils se sont
dévoués, ils renouvelleront leur
dévouement dans chaque nouvel acte de foi.
Aussi leur récompense sera-t-elle grande. Le
jeune homme, dont la demande est acceptée,
est profondément touché du
présent qu'on lui fait. Il veut dès
lors, lui aussi, se consacrer au bonheur de celle
qu'il a choisie. C'est ainsi que l'épouse,
en donnant son coeur, a gagné celui de
l'époux. Et c'est ainsi que, nous mettant au
service de Dieu, nous gagnerons sûrement la
plénitude de sa faveur.
Vous me pardonnerez, mon cher lecteur, cette
longue comparaison. Je sais que par certains
côtés elle pèche et ne
s'applique pas à nos relations avec Dieu.
Pourtant elle me parait le meilleur commentaire de
mon texte : « Abram eut confiance en
l'Éternel, qui le lui imputa à
justice. » Remarquons ici que nous
rencontrons pour la première fois dans les
écrits sacrés les mots significatifs
de « confiance en
l'Éternel. » C'est aussi pour la
première fois qu'il nous est parlé
d'une justification ou d'une imputation à
justice. Le passage a donc une importance
particulière. C'est un morceau classique. Le
récit au milieu duquel il se trouve est bien
propre, me semble-t-il, à faire comprendre
en même temps ce qu'est la foi et ce qu'est
l'imputation à justice.
Cette imputation a fait d'Abram un homme
normal devant Dieu. Elle le met à même
de participer aux biens divins. Il a donné
son coeur à Dieu, Dieu en a pris
possession : ainsi l'homme est devenu la
propriété de Dieu, et Dieu est devenu
aussi dans une certaine mesure la
propriété de l'homme.
Rien ne s'oppose, dès lors,
semble-t-il, à une parfaite communion de ces
deux êtres. Rien.... c'est bientôt dit.
Au fait, beaucoup de choses s'opposent encore
à cette communion. Abram n'est-il pas un
pécheur ? Le poison du
péché ne s'insinue-t-il pas dans sa
foi, dans ses meilleures oeuvres ? Abram
peut-il lui-même, par sa foi, détruire
le virus que nous portons en nous ?
Assurément non. Mais ce qu'Abram ne peut
pas, Dieu le peut. Dieu efface le
péché de ceux qui n'en
atténuent point la gravité, dont le
suprême désir est d'en être
débarrassé. Abram est mis par Dieu au
bénéfice du sacrifice de l'Agneau
divin. Il fait par avance l'expérience du
pardon dont parle l'Évangile. En regardant
Abram, Dieu a vu en même temps la victime
sanglante offerte pour les péchés des
hommes.
2. J'ai la paix.
La justification d'Abram eut pour origine
première la grâce de Dieu. C'est la
pure grâce de Dieu qui choisit la foi, pour
en faire l'objet de ses bénédictions.
En elle-même la foi a toujours des
défaillances ; elle reste toujours
imparfaite par le péché. Née
d'une grâce, elle ne subsiste que par
grâce, par la protection d'en haut. Abram
fût naguère tombé dans
l'abîme du doute, si la main divine ne
l'eût préservé. Disons-le
hautement : le salut a toujours pour
première et principale cause la
miséricorde divine.
Avec cela il y a toujours dans la foi un
commencement de justice. Un piétiste
wurtembergeois, dont j'ai souvent
écouté les allocutions, dans un petit
village de la montagne, me parlait ainsi de la
justification par la foi :
« Supposez qu'un débiteur me doive
cent florins. Il n'a rien pour me payer. Il vient
à moi et me supplie de le laisser travailler
à mon service, jusqu'à ce qu'il ait
acquitté sa dette. J'accède à
son désir. Il s'en va donc dans mon
champ ; il y travaille fort et ferme, avec
entrain. Je le vois au bout d'un moment ruisselant
de sueur ; je suis ému ; je lui
crie : Va en paix ; le travail accompli
par toi vaut à peine une petite pièce
de monnaie. Mais je vois ta bonne volonté.
Je t'en tiens compte comme si tu avais payé
ta dette. Et il s'en va. C'est la bonne
volonté du débiteur qui me tient lieu
de l'acquittement complet de ce qu'il me doit....
C'est pareillement la bonne volonté d'Abram
que Dieu lui a imputée à
justice. »
Cette explication du piétiste
wurtembergeois ne me paraît pas aller assez
au fond des choses. Si Dieu quitte la dette
à la bonne volonté de la foi, c'est
qu'il sait que cette bonne volonté a la
capacité, de remplir un jour ses
obligations. En d'autres termes, Abram croyant,
objet du bon plaisir divin, entre dans la communion
de Dieu, parce qu'il est réellement sorti
des liens du péché. Ainsi que le
génie perce déjà dans le petit
enfant, la sainteté future d'Abram se montre
déjà dans le premier acte de sa foi.
Par celle-ci, il est mort au mal, il est
ressuscité à une vie nouvelle. Son
développement futur, y compris sa
résurrection, sa participation à la
gloire à venir, sont donc impliqués
tout entier dans le commencement de sa foi.
Tous les obstacles que Dieu entrevoit
à ce développement, il les
aperçoit déjà vaincus. Nous
n'aurons réellement, si nous voulons
être fidèles à notre vocation,
qu'à nous tenir tranquilles dans la
foi ; le péché qui nous enlace
si aisément apparaîtra alors à
Dieu comme surmonté. Dieu n'est pas un
Père faible qui détourne les yeux des
fautes de ses enfants. Non, il regarde celles-ci
bien en face, parce qu'il sait que la
volonté du croyant triomphera effectivement
du mal. Lui-même mettra au service de ses
serviteurs la force nécessaire. Bref, dans
le premier élan de confiance, Dieu discerne
déjà cette sainteté
mûrie qui ne sera atteinte qu'après
bien des années ou des dizaines
d'années. Pour le Dieu
d'éternité, la tige, l'épi, le
grain sont déjà visibles dans la
semence qui germe en terre.
Pourquoi Jésus dit-il à la
pécheresse : « Va en
paix ? » Parce qu'elle-même
doit apprendre à se voir arrivée au
but, parvenue à la perfection et à la
foire. Aurait-il dit au
brigand : « Aujourd'hui tu seras
avec moi dans le paradis, » s'il n'avait
pas distingué dans la repentance de ce
brigand, dans sa foi, le commencement du nouvel
homme. Dieu n'estime en nous, a-t-on dit avec
raison, que sa propre image. Jésus en croix
a salué dans le pauvre crucifié
placé à côté de lui,
pauvre selon le monde et pourtant riche aux yeux de
Dieu, une image de son être destinée
à grandir, à devenir parfaite. En un
mot, l'imputation est accordée à la
foi comme une avance sur un travail qui aboutira
sûrement.
Pourquoi la plupart des chrétiens
manquent-ils de paix intérieure, ont-ils une
assurance de leur salut si peu ferme,
connaissent-ils si peu la joie de la foi ? Je
parle de chrétiens véritables,
éprouvés, non pas de ces
chrétiens de nom, boitant des deux
côtés, demeurant sous le joug du
péché et faisant les yeux doux au
fruit défendu. Il est compréhensible
que les derniers chrétiens ne
possèdent pas la vraie liberté ;
ils sont comme l'oiseau empêtré dans
un bourbier et incapable de voler. Mais je
demande : pourquoi tant de fidèles
chrétiens ne connaissent-ils que par
ouï-dire la joie de la foi ?
Réponse : Parce qu'ils sont
englués dans les intérêts de la
vie présente, dans leurs soucis, dans leurs
scrupules, dans la, crainte qui naît pour eux
de leurs rechutes. Vous qui en êtes
là, regardez donc à Christ: croyez
qu'il est le soleil vainqueur mettant en fuite les
ténèbres, et entonnez un chant de
triomphe. « Celui qui a commencé
en vous cette bonne oeuvre
l'achèvera, » nous dit
l'Écriture. N'oubliez jamais cette
vérité ! Vous outrageriez votre
Sauveur en la perdant de vue. Consacrez-vous tout
de nouveau à lui, en toute simplicité
de coeur, corps et âme, chaque matin, et ne
laissez ni les pharisiens ni le diable vous
troubler. Le dépouillement complet de notre
égoïsme, l'amour ardent du ciel
suivront votre joie en leur temps. Vous avez
déjà les arrhes de tout cela dans la
foi. « Si nous sommes enfants, nous
sommes aussi héritiers ! »
Quand l'enfant prodigue se fut
réconcilié avec son père, tout
changea pour lui et autour de lui : on lui mit
l'anneau au doigt, les souliers
aux pieds ; il s'assit à un
festin ; il écouta la musique, il
regarda les danses. Une nouvelle existence se
développa pour lui. Il en sera de même
pour vous, quand vous serez à Christ. Sachez
seulement attendre la plénitude de l'effet
des promesses divines. Elle viendra à
VOUS.
Je causais récemment avec le
médecin d'un jeune malade atteint de la
poitrine : « Voyez-vous, me disait
le docteur, je puis bien par mes remèdes
vaincre quelques manifestations du mal, du moins
les atténuer. J'apaise par des calmants les
accès de toux ; j'arrête les
hémorragies j'ai mes moyens contre
l'oppression. Mais qu'est-ce que tout cela ?
La maladie n'en est pas moins mortelle. Pour que le
jeune homme vécût, il faudrait que je
pusse lui donner de nouveaux poumons. »
Ce médecin tenait un langage qu'on entend
souvent, qui me suggéra de nombreuses
réflexions. Les éducateurs humains,
me dis-je, arrêtent, atténuent
également les manifestations de cette
maladie qui s'appelle le péché. Le
coeur humain n'en reste pas moins malade, souffrant
d'une maladie mortelle qu'aucun homme, aucun
remède, aucun onguent ne peut guérir.
Dieu seul guérit les âmes comme les
corps. Et il veut guérir les âmes qui
croient en lui. Une fois délivrées,
elles accompliront naturellement les oeuvres de la
santé ; elles se dévoueront,
à l'imitation de Christ ; elles
revêtiront sa force en attendant de
revêtir sa gloire.
Abram se rendit-il compte du don que lui
faisait Dieu, du fait que sa foi lui était
imputée à justice ? C'est
douteux. Un voile couvrait encore à ses yeux
l'oeuvre divine ; il n'est tombé
qu'avec l'accomplissement de l'Évangile. Je
suppose pourtant que Dieu aura laissé
pressentir en quelque mesure à son serviteur
la grâce insigne qui lui était faite.
Celle-ci aura élevé le patriarche
d'un degré nouveau dans sa vie spirituelle.
La victoire remportée par Abram sur son
doute l'aura conduit à une nouvelle
communion avec Dieu, dont jusqu'alors il n'avait
aucun pressentiment. Et nous, chrétiens,
enfants de la foi qui passons par
le trouble, par de très profondes angoisses,
qui sommes parfois assaillis par les orages du
doute, c'est par tout cela aussi que nous entrons
dans une indissoluble communion avec le Seigneur.
La justification par la foi, cette approbation
divine infiniment supérieure aux sympathies
du monde, nous est donnée avec cette
communion. Bien plus, nous trouvons en même
temps dans celle-ci une réponse à nos
malheureux : « Pourquoi ?
pourquoi Seigneur ? » si souvent
posés à Dieu, au milieu des orages de
la vie. Aussi entend-on des serviteurs de Dieu
durement éprouvés, - et c'est
là leur précieux lot sur cette terre,
- déjà chanter de joie au milieu de
l'adversité.
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