Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

VIII

Le vent du doute et Celui qui l'apaise.

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 Après ces événements, la parole de l'Éternel fut adressée à Abram dans une vision et il dit : Abram, ne crains point ; je suis ton bouclier et ta récompense sera très grande. Abram répondit : Seigneur Éternel, que me donneras-tu ? Je m'en vais sans enfant ; et l'héritier de ma maison, c'est Eliézer de Damas. Et Abram dit : Voici, tu ne m'as pas donné de postérité, et celui qui est né dans ma maison sera mon héritier.
Alors la parole de l'Éternel lui fut adressée ainsi : Ce n'est pas lui qui sera ton héritier, mais c'est celui qui sortira de tes entrailles qui sera ton héritier. Et, après l'avoir conduit dehors, il dit : Regarde vers le ciel, et compte les étoiles si tu peux les compter. Et il lui dit : Telle sera ta postérité.

Gen. XV, 1-5.


1. Une colonne qui chancelle.

Je vis pour la première fois, par un beau matin d'automne, le dôme de Cologne dans toute la gloire de son récent achèvement. Aucun échafaudage ne le défigurait plus - les poutres accotées n'en masquaient plus les belles formes. C'est une hardie conception, un poème sculpté dans la pierre. Quiconque a des yeux pour la beauté sera plongé dans le ravissement devant cette oeuvre magnifique du génie humain. Chacune des petites tours de l'édifice, chacune de ses pierres semble chanter un magnifique alléluia. Or jamais sans doute l'esprit humain n'eût eu l'idée de ces lignes hardies et harmonieuses sans la culture que lui a donnée l'Évangile !

« O mon Dieu, m'écriai-je intérieurement, si cette église terrestre est si belle déjà, quelle ne sera pas la splendeur de ton Église invisible, lorsqu'elle sera achevée, de cette Église dont Jésus est l'architecte et le fondateur ! »

Et je fus saisi de l'ardent désir de pouvoir voir le jour où tous les peuples, toutes les races seront entrées dans l'édifice céleste, où les âmes sauvées brilleront d'une pure lumière, où un puissant alléluia montera du sein de l'humanité transfigurée jusqu'au pied du trône du Tout-Puissant. Hélas, ces jours prédits par la prophétie, dans lesquels la terre sera couverte de la connaissance de l'Éternel, comme le fond de la mer l'est par les eaux, sont encore lointains.

Nous en sommes au moment où la cathédrale se bâtit. Et il est malheureusement nombre de chrétiens qui prennent le grossier échafaudage de nos formules, de nos systèmes, de nos confessions de foi pour l'édifice céleste. On dispute sur la valeur de l'appareil de planches et de poutres destiné à disparaître, comme s'il s'agissait de la construction définitive. En maint endroit, celle-ci n'est pas même commencée ; les pierres taillées gisent pêle-mêle, çà et là, sur le sol. Les ouvriers se promènent parmi elles, sans savoir par laquelle entreprendre leur oeuvre. Ailleurs on est un peu plus avancé, mais certaines parties du bâtiment qu'on élève sont lézardées. D'où vient cela ? C'est l'effet des tremblements de terre, des orages venus du ciel. Ces ruines sont à la fois l'oeuvre des démons et des disputes des ouvriers.
- Aussi beaucoup craignent-ils que l'ouvrage ne finisse jamais.

Cette inquiétude ne saurait être partagée par l'âme qui a fait l'expérience de la communion avec Dieu en Christ. Le croyant sait que le Fils de Dieu est un grand Vainqueur, qui ne se donnera point de repos jusqu'à ce qu'il ait achevé, tout l'ouvrage. Et, bien que les puissances coalisées du péché et de la mort ne cessent de battre en brèche le temple de Dieu, bien que jusqu'à l'avènement des nouveaux cieux et de la nouvelle terre, ou, si l'on veut, jusqu'au jour plus proche où il n'y aura qu'un seul troupeau et un seul berger, des siècles doivent encore très probablement s'écouler, il faut avouer qu'une certaine partie du travail de l'édification de la véritable Église de Dieu sur la terre est déjà accomplie. Il y a 4000 ans, le royaume de Dieu était encore limité à quelques croyants, comme Melchisédek, Abram. Celui-ci est presque seul à connaître les pensées de paix de Dieu, à l'égard de l'humanité. Il a la foi véritable, parce qu'il se fait une idée juste de Dieu. Et pourtant il devait arriver à ce vaillant, qui fut, il y a 4000 ans, la forte colonne représentant l'Eglise du Dieu vivant au milieu du paganisme, de chanceler. C'est ce que nous fait voir notre texte. Je ne sais rien de plus encourageant, permettez-moi de le dire, que le découragement montré par Abram.

La nuit règne sur la terre. Des pensées en harmonie avec l'obscurité ont envahi l'âme du patriarche. Il sent monter dans son âme l'angoisse du doute. Et Jéhovah qui voit ce qui se passe dans le coeur de son serviteur, s'approche, lui fait entendre des paroles propres à le fortifier : « Abram, ne crains point ; je suis ton bouclier et ta récompense sera très grande ! » Mais ces mots compatissants, pleins d'affection, n'ont pas leur effet habituel sur Abram. Il secoue la tête, et donnant cours à son amertume, il répond : « Seigneur Éternel, que me donneras-tu ? Je m'en vais sans enfant ! » C'est comme s'il disait : Oh ! tes promesses sont admirables, infiniment grandes, mais à quoi me servent-elles, tant que je n'ai pas une postérité. Celle-ci ne m'a point encore été donnée. Mes années s'écoulent ; je suis un vieillard ; ma journée d'existence touche à son terme. Serai-je obligé de choisir comme mon héritier, mon intendant, Eliézer ? Voilà où j'en suis réduit, car j'ai renoncé à l'espoir d'avoir une descendance qui m'appartint en propre.

Ainsi celui que nous envisagions comme une sorte de colonne inébranlable, qui était pour nous l'image de la fermeté de la foi, vacille dans ses espérances. Il a regardé aux choses visibles, et il en est arrivé à conclure à l'impossibilité de la réalisation de la promesse. L'adoption de l'enfant d'Eliézer lui parait le seul moyen d'accomplissement de l'oracle divin. Naturellement l'expédient ne le satisfait point au fond. La pensée en est pour lui pleine d'amertume. Il sent vaguement qu'il condamne son ancienne foi en énonçant le projet de choisir comme héritier Eliézer. Il ne peut d'ailleurs ignorer que, parce projet, il met en doute d'une manière générale la fidélité de Dieu. La certitude de la promesse qui lui avait été faite, d'une nombreuse postérité, demeurait intacte dans son esprit. Mais il devait se dire pourtant, que si Dieu ne tenait pas sa promesse, la parole divine perdait de son crédit. Pourrait-il en une autre circonstance, après l'expérience décevante qu'il était en voie de faire, se fier encore à Dieu ? Et un Dieu auquel on ne se fie pas, mérite-t-il encore son nom ?

Je ne dis point qu'Abram eût le sentiment très net des conséquences de son doute. Elles pèsent cependant vaguement sur lui. Il les a entrevues. Et sa paix a disparu. Au reste, il passera encore par des crises analogues motivées par le retard que continuera à subir la réalisation de la divine promesse (Gen. XVI, 1-12 ; XVII, 18). Abram s'est égaré, parce qu'il a regardé aux réalités tangibles. Ces réalités, avec leur apparence de solidité, ne sont jamais que sable ondoyant ! Quand nous regardons à elles, c'est alors que nous sommes perdus. Vous appelassiez-vous Moïse, Jean ou Luther, si vous ne considérez que ces réalités, vous êtes perdu. La parole immuable de Dieu est seule un ferme terrain sur lequel poser les pieds dans nos moments d'angoisse. Là est le roc. Que serait-il advenu d'Abram, si Dieu n'était intervenu dans cet instant de défaillance, si Dieu ne lui avait parlé ?

Si un Abram a pu être la proie de telles variations dans sa vie spirituelle, que sera-t-il de nous ? Combien d'expériences humiliantes à cet égard vous auriez probablement à raconter, vous qui me lisez ! Il y a quelques jours, je consultais mon baromètre. La veille il était au beau ; à cette heure, il était descendu jusqu'à « tempête et pluie. » Je ne pus m'empêcher de sourire. Il me sembla qu'il y avait là une leçon sur les variations de mon propre coeur : mon âme venait, en effet, sous l'influence de quelque petit mécompte, de passer de l'adoration à l'égard des voies de Dieu à une profonde amertume. Cette chute du baromètre me fit faire de salutaires réflexions sur l'instabilité de ma propre humeur.

Étrange mobilité du coeur humain, où les sentiments montent et descendent plus vite que le mercure d'un baromètre ou d'un thermomètre ! Aujourd'hui infatuation de vous-même, demain découragement ; aujourd'hui idolâtrie de l'homme, dans quelques instants mépris des créatures ; aujourd'hui joie, bientôt aplatissement moral. Telles sont les émotions qui se succèdent en vous sans trêve ni raison.

O coeur humain, coeur humain, comme tu ressembles à une boussole affolée ! Tantôt les promesses de Dieu nous élèvent jusqu'au ciel, tantôt elles nous paraissent une duperie. Le matin, nous nous égayons dans le sentiment glorieux de notre force, de notre vocation d'enfants de Dieu ; le soir nous envierons peut-être un mondain léger et bruyant. Quel trésor que la constance ! Oui, c'est un trésor, mais on ne l'obtient que de la grâce divine. Notre volonté seule est incapable d'y atteindre.

Même ceux qui sont avancés dans la foi sont sujets à de singulières défaillances. Il entre dans le plan divin que nous passions sans cesse par de nouvelles obscurités. C'est pourquoi les plus inébranlables sont parfois ébranlés. Aucun croyant n'est à l'abri de ces tentations ; ce qui arriva à Abram a été écrit pour notre consolation. Si donc vous chancelez dans votre foi, si vous êtes agité par les événements, ne désespérez pas de vous-même.

En songeant à nous, nous oublions trop souvent les adversités dont les autres sont la proie. Laissez-moi vous raconter les spectacles divers qui passèrent hier devant mes yeux, dans l'espace d'une seule heure. Je visitai d'abord un jeune homme dont une maladie de la moelle épinière avait fait en peu de temps un vieillard. Les douleurs dont il souffrait, jour et nuit, ne constituaient pas pour lui un tourment aussi pénible que les pleurs de sa jeune femme et la vue de son petit enfant souriant à son père. « Maintenant, me disait avec un soupir le jeune malade, je ne puis plus travailler, moi qui aimais tant le travail. Il faut que j'abandonne mes bien-aimés, que je les confie à la miséricorde des hommes. »

Il ajouta : « Mes membres deviennent insensibles ; mes yeux ne voient presque plus ; j'éprouve une pression au cerveau. » Le médecin arriva. Le prenant à part je lui demandai s'il y avait un espoir de guérison. Il hocha la tête négativement. « Combien de temps pourrons-nous encore le garder au milieu de nous ? » lui demandai-je. « Un ou deux mois ! » fut la réponse. Et le malade me criait : « Oh ! monsieur le pasteur, aidez-moi ! Je ne sais plus croire ! » Ce jeune homme avait donné autrefois par sa conduite des preuves d'une foi vivante. Je ne pouvais douter qu'il fût un enfant de Dieu. Vous me dites que sa foi n'était peut-être qu'apparente. Détrompez-vous ; songez à la défaillance morale que traversa le patriarche, et vous comprendrez l'obscurité par laquelle passait l'âme de ce malade.

Je poursuivis le cours de mes visites. J'arrivai chez des époux déjà âgés. Ils avaient deux fils : l'un né imbécile, l'autre bien doué, fort aimable. Le dernier avait été matelot et était parvenu au grade de pilote. Et voici que le père venait de recevoir une lettre officielle, lui annonçant que son fils avait péri dans un naufrage du navire, sur les côtes de la Hollande.

L'infortuné père tenait le papier entre ses mains. Il se disait qu'il ne reverrait plus jamais ce fils, sa joie et son orgueil. Sa femme faisait la même réflexion, et le pauvre idiot interrogeait d'un regard hébété ses parents sur la cause de leurs larmes. Croyez-vous que la foi des parents fût d'un mauvais métal, parce qu'elle traversait en ce moment une crise de doute, parce qu'elle repoussait les consolations que je lui offrais dans les promesses divines ?

Un quart-d'heure après, je rentrais dans mon cabinet de travail. J'y trouvais assise une jeune fille. Je ne la reconnus pas d'abord, bien que je l'eusse rencontrée souvent pendant de longues années. À force de pleurer, elle avait perdu ses couleurs. Que lui était-il arrivé ? Une soeur jumelle, qu'elle aimait passionnément, était tombée dans l'abîme du péché. « Et maintenant, me disait la pauvre enfant, je ne puis plus croire que Dieu exauce nos prières. » Pourtant elle venait me demander de l'aider à ramener l'âme perdue. Il m'était interdit, par les circonstances dans lesquelles se débattait cette jeune fille, de lui faire un crime de ses doutes, je ne pus que mêler mes larmes aux siennes.

Parlerai-je du désespoir produit par les défaites devant le péché ? Parlerai-je des conséquences terribles que peut avoir pour une âme une seule grave faute ? Regardez cet homme au tempérament bouillant. Il a tué ou blessé quelqu'un dans une heure d'emportement. Entre les murs de son cachot, il est devenu un nouvel homme. Il s'est repenti. Il a lutté contre le péché, contre sa vivacité. Mais, hélas, le sentiment de sa faute l'accable toujours. Il me disait récemment que Dieu devait l'avoir rejeté, qu'il craignait de ne pas pouvoir retrouver la paix et d'être à jamais exclu du royaume des cieux.

L'exemple que je vous cite n'est point isolé. Et il est plus d'un pécheur repentant pouvant dire en montrant ses chaînes : « Voyez, nous sommes de ceux qui gémissent et soupirent, avec la création, après la rédemption. »

Quelquefois les doutes dont on souffre sont surtout intellectuels. Vous priez, vous ne recevez pas ; et cette pensée funeste, soufflée peut-être par un démon, traverse comme un éclair votre esprit : « S'il n'était point là-haut un Dieu qui nous écoutât ; s'il n'y avait point de Dieu ! » Vous vous écriez : « Arrière de moi, Satan ! » Mais la funeste pensée revient, elle vous assaille, elle vous tourmente. Ce n'était d'abord qu'une ombre légère, et voici l'ombre grandit, s'épaissit : la lumière disparaît ; la nuit se fait autour de vous ! Vous vous trouvez, par exemple, devant la fosse où descend le sombre cercueil d'un être aimé. Pendant que les mottes de terre tombent pesamment, vous entendez je ne sais quelle voix murmurer à votre oreille : « Si tout finissait au cimetière. Si le terme dernier de l'existence humaine était la mort, le tombeau, la corruption ! »

Et votre coeur est secoué. Un vent d'orage gronde en lui, toujours plus fort, toujours plus violent. Vous avez cru, au milieu de la tempête, retrouver le calme en vous attachant aux réalités visibles, vous vous perdez par elles. Elles vous perdront réellement, si vous ne parvenez pas à douter de votre doute.


2. Doute et doute.

À notre époque, l'air est saturé du doute. La question n'est pas de savoir si on le respire, mais de savoir comment on ne respirera pas cet air empesté. La plupart ne veulent rien connaître de Dieu, ni des choses éternelles. À lire les journaux qui fournissent aux lecteurs actuels la plus grande partie de leur pâture intellectuelle, des milliers de livres, même les manuels d'école en usage dans certains pays, on dirait que les découvertes de la science ont démontré, sans réplique, la folie des croyances chrétiennes. Il est difficile, dans le temps où nous vivons, de garder sa foi quand on n'a pas été élevé par des parents pieux. Il est plus difficile d'acquérir la foi, quand on ne la possède pas dès son enfance. Ayons quelque pitié dès lors de ceux qui doutent. Approchons-nous d'eux avec beaucoup de sympathie.
Gardons-nous de les rudoyer sans raison, d'imaginer toujours que le doute est le fruit de la mauvaise volonté, d'un manque de sérieux.

Voici deux douteurs, mais combien leur doute est différent ! L'un déplore son incrédulité et ne cesse de crier avec larmes : « Aide-moi, Seigneur, dans mon incrédulité ! » L'autre se complaît dans le scepticisme ; il voudrait ne croire qu'en lui-même. N'y a-t-il pas un véritable abîme entre ces deux personnages ? Le dernier dit : « J'en ai fini avec le petit conte de l'existence de Dieu ; ma devise peut être jouissance, jouissance, sans autre borne que mes convenances ! » Mais son frère se désespère, s'attriste, se voile la face devant son incrédulité, et sent qu'il a tout perdu en perdant la foi.

Ceux qui pleurent sur leur incrédulité s'en vont verser leurs larmes devant Dieu. Ainsi fait Abram. Il ne s'en est pas allé confier ses tristesses à l'homme. Il les expose à Dieu. Il répand son coeur devant l'Éternel. Il lui dit qu'il n'attend plus une réalisation complète de sa promesse.

Le sceptique se tromperait qui, se frottant les mains, dirait à Abram : « Ah ! ah ! tu es aujourd'hui avec nous, tu es des nôtres ! Tu as donc compris que les promesses divines sont vanité, qu'un tien vaut mieux que deux tu l'auras, que l'oiseau qu'on a dans la main a plus de prix que celui qui vole dans les airs ! Folie, tromperie, que de vouloir nourrir son coeur avec des énigmes religieuses ! Rien de plus contraire à la raison, à une haute culture que de croire aux récits miraculeux de la Bible, au Dieu de la Bible. La sincérité vis-à-vis de nous-mêmes nous oblige à chercher courageusement en nous notre force. Nous saurons, quand nous mourrons, serrer pour toujours nos lèvres, entrer dans le bienheureux Nirvana, dans le grand Tout qui est le néant. » Supposons qu'Abram entendit ce langage. Que répondrait-il ? Je pense qu'il s'écrierait : « Éloignez-vous, esprits ténébreux ! Je n'ai rien de commun avec vous. Mille fois mieux souffrir et garder dans mon âme une étincelle de foi que de triompher dans vos rangs. Plutôt que laisser cette dernière étincelle s'éteindre en moi, je préférerais briser ma harpe de prophète sur quelque rocher, renoncer à toute joie, car celui qui perd Dieu perd tout. Avant donc de laisser mon coeur s'épuiser dans l'incrédulité, je concentrerai mes forces dans un seul désir : Retrouver Dieu, raffermir ma foi. » Ainsi aurait parlé Abram. Car, dans sa tristesse, c'est à Dieu qu'il a parlé, à ce Dieu qui lui semble infidèle et dont il ne saurait pourtant se passer.

O mon frère, s'il vous arrive de traverser des jours où le sol se dérobe sous vos pas, où votre foi et votre espérance religieuses, battues en brèche, se replient sur elles-mêmes, grièvement blessées par la brutalité des réalités extérieures, sachez vous prosterner devant le mystère de la majesté divine et chercher Dieu dans l'obscurité dont il s'enveloppe. Dites-lui : « O Toi en qui je ne puis plus croire, parce que tout ce que je vois témoigne contre toi, je veux cependant continuer à me confier en toi ; oui, je le veux, en dépit de tous les arguments de mon esprit, en dépit du monde entier ! » Dites cela, vous n'aurez rien dit que de raisonnable, de profondément humain. Notre raison habituelle ne saurait dans une crise pareille ni nous retenir, ni nous pousser en avant. Elle doit se borner à reconnaître qu'il est des choses qui la dépassent, et des instincts secrets, mais sûrs, auxquels il faut parfois se remettre.

Dieu est le saint aimant vers lequel s'oriente involontairement tout coeur d'homme. Mais si nous nous sentons attirés vers lui aux heures saintes de notre vie, c'est qu'il est. Ce qui n'est pas aurait-il une telle puissance ? On objectera ce qu'on voudra à cet attrait, c'est lui qui nous distingué en première ligne des créatures inférieures, des animaux. Quand David s'écrie au psaume XLII : « Comme une biche soupire après des courants d'eau, ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu, » il a décrit l'aspiration profonde de l'âme humaine. Il a donné une voix à l'humanité, en indiquant ce qui la sépare de l'animalité.

Mon cher lecteur, le grand instinct des créatures est l'instinct de conservation. La petite plante tend, malgré tous les obstacles, à se tourner du côté du soleil, parce que la lumière du soleil est sa vie. Le petit oiseau cherche la liberté de l'espace, parce qu'il est fait pour elle ; il a beau trouver dans sa cage une nourriture abondante, de l'eau pure, si la porte de sa demeure s'ouvre devant lui, il s'envole. Les animaux de la terre, de l'eau, de l'air savent trouver l'aliment qui leur convient. Leur femelle nourrit ses petits, les protège. Ceux-ci suivent leur mère. Oeuvre admirable de l'instinct !

Mais l'homme ne connaîtrait-il pas cette puissance ? En serait-il réduit à sa seule raison ? Assurément celle-ci est une lumière. Toutefois c'est une lumière qui en nombre de cas n'éclaire pas. Mille fois la raison vous refusera son conseil et vous laissera dans une impasse. Heureusement, il est des impulsions intérieures qui la suppléent. Mettez quelques jeunes enfants en présence de personnes de votre connaissance dont le caractère vous est familier. Vous serez surpris en général de voir avec quelle sûreté ces enfants apprécieront la nature des grandes personnes qu'ils ont devant eux. La femme, qui vit beaucoup avec l'enfant, est plus près de lui que l'homme. Aussi obéit-elle davantage à ses impulsions. Et celles-ci sont en général justes. Que de fois, la femme, en voyant son mari plongé dans la perplexité, lui dira : « A ta place je ferais ceci, je ferais cela ; » dans la règle, au cas où son propre sentiment ne lui aura rien dit, le mari se trouvera bien de suivre cet avis. Le tact des femmes au caractère élevé est exquis. Un sentiment intérieur leur indique les écueils à éviter dans leur conduite, les sociétés à fuir, celles à rechercher. Mais je crois une femme bien près de déraisonner quand elle se met à demander, au nom de la raison, pourquoi tout ce qui est permis à l'homme ne le lui serait pas également. La femme qui veut ressembler à l'homme, par la raison, est infidèle à sa nature.

Nous autres hommes, d'ailleurs, nous ne nous laissons nullement, dans toutes les circonstances, diriger par la raison. Dans les moments les plus importants de notre vie spirituelle, alors qu'un saint enthousiasme nous anime, nous ne consultons point le jugement ordinaire. Nous obéissons alors à une impulsion immédiate. On donnera à celle-ci le nom que l'on voudra. Elle existe. Au fond du coeur de tous les êtres humains, enfants, femmes, hommes faits est profondément inscrite cette loi : « Lève les yeux en haut ! » C'est en Dieu, dans la communion avec Lui, que se trouvent en effet les éléments nécessaires à la vie. Toutes les racines de notre être sont en lui ! Ce sont les femmes, les enfants qui sont le plus dociles à la loi signalée, parce qu'ils sont plus simples, parce qu'ils subissent moins les influences, les courants de l'opinion ; ils sont dès lors plus croyants et plus religieux que les hommes, ils se laissent moins facilement entraîner à abandonner Dieu.

O homme, si l'attrait des choses visibles, les difficultés et les chagrins de la vie, ta philosophie et ta propre sagesse t'ont fait perdre la foi de l'enfant, sache redevenir un enfant ! Écoute la voix intérieure, laisse-la parler en toi, malgré les conseils du monde. Tourne-toi vers Dieu, dis-lui : « Malgré tout, je veux, je dois croire ! Tu existes, ô mon Dieu, tu es pour moi, si les hommes sont contre moi. Je veux aussi, je dois être pour toi au milieu des disputes auxquelles ton nom est livré ! » Suis cette voie, ô homme, et tu feras l'expérience de ce que dit la Bible. Tu éprouveras que Dieu se révèle, se laisse voir aux coeurs purs. Tu t'en rendras compte : c'est l'instinct de ton salut, donc l'instinct de conservation qui te poussait vers Dieu. Et la joie, la paix, la consolation, l'amour, l'espérance, s'éveilleront en toi. Tu comprendras que notre humanité s'achève dans la communion de l'éternel amour. Être en Dieu, c'est vivre de la plénitude de la vie. Se tenir loin de Dieu, c'est appauvrir sa vie, l'alanguir, la vouer à la tristesse.


3. compte les étoiles.

Devant les fenêtres de mon cabinet de travail, s'étendait naguère un joli et vaste jardin. Une route étroite et pavée me séparait seule de ce paradis, sur lequel j'aimais à laisser errer mes yeux. Si ce jardin n'était pas à moi, je n'en jouissais pas moins de lui. Il envoyait dans ma chambre, par les croisées ouvertes, un air embaumé. Quel plaisir sa vue m'a procuré ! Combien de fois je me suis amusé à considérer la fuite des oiseaux à travers ses bosquets, celle des nuages au-dessus des arbres ! Le soleil du matin me semblait plus doux, parce qu'il réchauffait toute cette végétation - le soir, les étoiles me paraissaient plus étincelantes au-dessus du vert feuillage. De nobles inspirations sont nées pour moi de la vue de ce jardin. Et maintenant vous n'êtes plus là, cieux qui attiriez mes yeux, nuages, étoiles, arbres, fleurs, oiseaux, chansons, nobles pensées suggérées par tout cela.

On a bâti devant mes fenêtres une immense et prosaïque maison. Mon cabinet est devenu une prison. Le toit de la maison m'empêche d'embrasser le ciel ; une muraille blanche me fait vis-à-vis.

L'érection de cette bâtisse me fut un gros chagrin. J'ai pu suivre de jour en jour les progrès de la diminution du ciel, de l'élévation de la paroi qui me sert d'écran. Je me souviens du dimanche, où pour la dernière fois, un rayon de soleil pénétra par-dessus le mur en construction jusque chez moi ; le lundi, le mur était trop élevé pour laisser passer le rayon. J'aurais volontiers pleuré. Mais comme je racontais récemment à quelqu'un ma déconvenue sur ce sujet, les paroles que j'entendis me consolèrent. Le quelqu'un était un douteur. Il me dit : « Hélas ! de même que vous avez vu peu à peu disparaître le soleil et le ciel derrière ce mur, j'ai vu s'effacer un autre soleil et un autre ciel. En étudiant ce qui se passe dans ce monde, j'ai senti que la foi de mon enfance était une illusion. Mes croyances sont tombées l'une après l'autre, mais j'ai beaucoup perdu avec elles. Je me sens désormais si pauvre, si vide, si faible ! ... » Et mon interlocuteur se mit à pleurer comme un petit enfant. Je n'ai pas à rapporter ce que je lui dis. Le lecteur peut le deviner par le chapitre précédent. Ce que je puis affirmer, c'est que j'eus honte de ma propre tristesse ; je sentis qu'en comparaison de cet homme j'étais encore un heureux. J'ai perdu la vue du ciel visible. Mais ne vaut-il pas mille fois mieux perdre celle-là que celle du ciel invisible ? Je songeai au temps malheureux où j'aurais presque pu parler comme cet homme. Je remerciai Dieu qui m'a tiré de la nuit de l'incrédulité, pour faire briller de nouveau sur mon coeur le soleil de justice.

Mais Dieu ne se révèle-t-il pas également à quiconque aspire à la lumière et à la vérité ? Il le fait, car s'il ne le faisait pas, il ne serait pas ce qu'il est. Avez-vous perdu Dieu, lui, ne vous a pas perdu de vue, il ne vous a pas abandonné ; avez-vous de la peine à le trouver, il vous cherchera lui-même jusqu'à ce qu'il vous ait trouvé, pourvu que vous vous laissiez seulement trouver. Quand la nuit du doute vous étreint de ses angoisses, il est là, vous entourant de sa puissance, jusqu'à ce que le jour ait lui sur votre âme.

Je ne connais pas d'histoire plus réconfortante que celle des moyens employés par Dieu pour ramener à lui un esprit égaré. Notre texte nous montre comment s'accomplit cette guérison. Nous allons voir Dieu faire renaître la confiance dans l'âme de son serviteur, le consoler et le punir en même temps.

Jéhovah s'approcha de lui et lui dit : « Ce n'est pas lui (Eliézer) qui sera ton héritier, mais c'est celui qui sortira de tes entrailles qui sera ton héritier. » (Gen. XV, 4.). Ainsi Dieu lui répète ce qu'il lui a déjà dit. Il ne change pas une ligne à son message. Il le confirme au contraire. Il veut que ce message demeure ce qu'il est. Dieu paraît lui dire : « Tu as pu changer, moi je ne changerai pas. Je reste ce que je suis - ma parole est ma parole. Le jour et la nuit ont beau se succéder autour de ton âme, tu ne dois point douter dans le fond de ton être de ma fidélité et de ma puissance. »

À ces mots, Abram respira. Il lui sembla qu'un poids était enlevé de dessus son coeur. N'avez-vous pas remarqué, chrétien qui me lisez, combien, dans une heure de tentation, fut douce à vos oreilles la voix humaine qui de la part de Dieu vint mettre en fuite vos doutes. Ce n'est pas par la discussion, je pense, que ceux-ci ont été vaincus. Oh ! non, règle générale, plus on discute plus on s'entête et plus on s'égare. Il arrive souvent que le croyant le plus convaincu est celui qui sait le moins expliquer les raisons de la foi. D'autre part, celui qui expose le mieux les raisons de la foi n'est pas toujours celui en qui elle est le plus profonde. Celui qui laissera l'impression d'avoir trouvé la paix dans l'Évangile, la force, une nouvelle activité dévouée au bien, sera le meilleur des apologètes. Il n'importe qu'il parle avec simplicité, même qu'il s'exprime mal. Ceux-là seuls que l'on sent prêts à donner leur vie pour Christ, qui la dépensent en réalité jour après jour pour lui sont assurés d'être écoutés. Lorsqu'un de ces chrétiens, que je viens de dépeindre, vous met la main sur l'épaule, votre coeur s'ouvre d'avance à ce qu'il va vous dire. Et il vous dira : « L'Évangile est la vérité. Les choses se sont bien passées comme il nous les présente. Dieu est près de vous, mon cher ami, cherchant votre âme. Le soleil continue à être présent dans les cieux, alors même que nous ne le voyons plus. »

C'est de la sorte, vos expériences en témoignent, que Dieu chasse le doute. Comme Abram dut être fortifié en entendant celui qui l'avait conduit si merveilleusement lui parler avec tant de simplicité ! Des difficultés de l'accomplissement de sa parole, des obstacles que celui-ci rencontrera, Dieu n'en tient nul compte. Il se borne à jeter le poids de son moi, de sa volonté dans la balance.

En même temps, pour consoler Abram, pour achever de le persuader, Dieu lui révélera dans une vision des détails de l'histoire future de sa descendance. (Gen. XV, 13-16). Israël sera opprimé pendant quatre cents ans par un peuple étranger, parce que l'iniquité des Cananéens n'est pas encore comble. Après ce laps de temps, les chaînes d'Israël seront brisées. Dieu jugera la nation qui l'aura asservi. Israël sortira de sa servitude avec de grandes richesses. Toutes ces perspectives offertes à Abram sont encore bien obscures. Leur développement n'en montrait pas moins au patriarche que Dieu avait un plan tout préparé pour l'avenir. On croit plus facilement à une promesse qui entre elle-même dans les détails de sa réalisation, en pose les conditions, qu'à une promesse générale. Annoncez en termes vagues à un enfant quelque don extraordinaire, il ne vous croira pas toujours. Mais décrivez les particularités du don, vous serez cru.

Dieu tient en réserve pour son serviteur un autre encouragement. Après avoir simplement répété, ainsi que nous l'avions dit, l'antique promesse, il l'a invité à sortir de sa tente, à regarder les étoiles du ciel, à les compter si cela lui est possible. Puis il a ajouté : « Telle sera ta postérité. » (Gen. XV, 5).

C'est l'une de ces splendides nuits de l'Orient, où les astres brillent d'un éclat auquel nos yeux d'Occidentaux ne sont pas accoutumés. Le patriarche est sorti de sa tente. Du haut de la colline où celle-ci est dressée, il embrasse le firmament jusqu'à l'horizon. Il essaie alors de compter les étoiles. Mais il est bientôt obligé de renoncer à la vaine entreprise et de détourner ses regards fatigués. Il élève ses mains suppliantes et il murmure tout bas : « Comment pourrais-je compter ce qui est innombrable ? » La toute-puissance, la gloire céleste peuvent-elles être pesées à la balance ? L'infini, l'incommensurable se mesurent-ils ? Tout l'être d'Abram frémit à la pensée de la grandeur de Dieu. Il se répète à lui-même avec émotion la promesse divine : « Telle sera ta postérité. »

Il existe sans doute actuellement des instruments perfectionnés à l'aide desquels nous apercevons des étoiles invisibles à l'oeil nu, nous les comptons même jusqu'à un certain point à force de patience. Les astronomes modernes distinguent dans les étoiles vingt degrés de grandeur, tandis que l'oeil nu ne voit que les étoiles des six premiers degrés. Nos savants affirment enfin qu'à l'aide du télescope, ils arrivent à percevoir 500 milliards d'astres. Ce chiffre est vite énoncé. Mais celui qui le prononce conçoit-il l'étendue que représentent ces 500 milliards semés à des distances diverses ? Au surplus, Herschel nous apprend que derrière ces 500 milliards existent d'autres étoiles en nombre infini. La parole de Dieu à Abram : « Compte les étoiles, si tu peux les compter, » s'adressant encore aujourd'hui à nous, nous convaincrait donc d'impuissance, malgré tous les progrès de l'astronomie.

Dieu est un grand éducateur. Il a rappelé du même coup à Abram les bornes du savoir humain et l'immensité de son pouvoir. Comment le patriarche continuerait-il, sur la foi des apparences, à se défier de la promesse divine ? Êtes-vous peut-être, lecteur, de ceux qui disent : « Quel rapport y a-t-il entre la quantité incalculable des étoiles et la descendance extraordinaire annoncée ? Ce qu'il fallait établir, c'était précisément cette relation. Dieu s'est borné à montrer que le nombre des astres du firmament échappe à nos calculs, et c'est tout ! » Ah ! si vous vous exprimez ainsi, j'aurai peu d'espoir de vous persuader, de vous faire admirer la beauté du symbole employé par Dieu. Je veux pourtant l'essayer.

Quand vous levez votre front vers le ciel étoilé, ne lisez-vous pas dans le firmament autre chose que le nombre incalculable des étoiles ? En réalité, le spectacle grandiose offert par une belle nuit fascine depuis l'origine du monde les regards des hommes. Les esprits les plus profonds, les coeurs les plus nobles en ont été émus. Des peuples entiers ont choisi pour objet de leur culte les étoiles. En elles, les sages de l'antiquité, les mages de la Chaldée ont cherché le secret de la destinée des individus et des nations. Les poètes de tous les temps ont contemplé avec recueillement l'harmonie ravissante des sphères célestes. Aujourd'hui, nos populations sont persuadées que la lumière des astres possède une mystérieuse influence, non seulement sur les marées, mais encore sur la croissance des plantes.

Erreur ou vérité ? Nous n'avons pas à le rechercher ici. Ne nous préoccupons pas non plus des enseignements de la science sur la grosseur des étoiles. Sans doute nous savons ce qu'Abram ne savait pas, que telle petite étoile, toute petite, qui scintille à peine à l'horizon, est un monde énorme, un monde géant, à côté duquel notre terre ne paraîtrait pas plus grosse qu'un grain de blé ; ce que nous savons encore, c'est que tous ces mondes que sont les étoiles circulent, qu'ils se meuvent parfois avec une rapidité laissant bien loin derrière elle la vitesse de nos trains express.

Je fais abstraction de toutes nos connaissances ! Je vous invite à regarder le ciel avec des yeux d'enfants et des coeurs d'enfants. En présence de la voûte étoilée, chacun de nous n'a-t-il pas le sentiment immédiat de la majesté du Créateur, de sa puissance et de sa sagesse ; ne comprenons-nous pas que celui qui a fait les étoiles, qui les appelle par leur nom et conduit leur armée, est un être souverainement élevé, dépassant infiniment nos pensées, capable de produire, s'il le veut, l'impossible ? Ne sommes-nous pas obligés d'avouer notre faiblesse, d'agrandir notre notion de Dieu ? Ne sommes-nous pas forcés de mettre la main sur nos bouches, d'imposer silence à nos doutes ? Ne nous sentons-nous pas entraînés à adorer ? Quand, dans une heure d'angoisse, au milieu des orages de la passion ou de l'épreuve, vous avez tourné vers le ciel étoilé des yeux mouillés de larmes, ne vous a-t-il pas semblé entendre une voix tantôt douce comme un soupir, comme le murmure de la brise, tantôt éclatante et forte, vous dire : « Le Créateur de pareils ouvrages ne saurait avoir à ton égard que des pensées pleines de bonté. Il est nécessairement l'ami, l'allié de l'enfant des hommes au milieu des luttes qu'il a à soutenir ! » De telles impressions ne s'oublient pas. Elles suffisent à nous expliquer l'état d'âme dans lequel Abram rentra sous sa tente. La lumière des cieux avait rendu témoignage devant son coeur à la fidélité, au pouvoir de Dieu. Le patriarche ressentait le saisissement de l'adoration. Il ne songeait plus à l'expédient qu'il avait inventé pour aider à la réalisation des promesses divines ; il était intérieurement inondé de joie, de confiance. Il croyait comme un enfant à l'accomplissement des oracles divins.

O lecteur, qui que vous soyez, laissez-vous gagner par les impressions d'Abram ! Apprenez à votre tour à vos enfants à contempler le ciel étoilé ! En dirigeant leurs regards du côté d'en haut, vous les inviterez par là même à écouter la voix intérieure. Elle s'éveille au spectacle des ouvrages divins. Je vous assure qu'un petit enfant, regardant le ciel étoilé, comprend mieux que vous ne le supposez la nature de la puissance divine. Un mot sur le Père qui est aux cieux, sur sa miséricorde et sa sainteté, pénètre en de pareils moments jusqu'au fond d'un jeune coeur et y laisse des traces durables.

Vous-même, qui êtes peut-être savant, peut-être illustre, instruit par les expériences de la vie, disposant de la plénitude de la force, laissez-vous engager par Dieu à sortir de vous-même, des bruits de ce monde. Comme Abram, quittez maintenant votre tente, pour écouter, dans le recueillement, la voix de l'invisible et de l'éternel. Levez les yeux en haut, considérez le ciel étoilé, lisez-y le poème de Dieu. Ne lisez pas à la façon de l'astronome, en quête de constatations, et de découvertes scientifiques ; lisez à la façon de l'enfant qui a devant lui une lettre de son père. Quand vous vous approcherez ainsi du ciel étoilé, vous sentirez un rapport étroit entre la lumière qui descend sur vous du ciel et les antiques promesses de Dieu. Vous sentirez que celles-ci sont aussi réelles que le sont les corps brillants, dont les orbites se croisent là-haut. Vous sentirez que le Dieu qui a fait les cieux aux pures étoiles doit s'occuper de sa pauvre créature pécheresse et perdue pour la relever, pour la ramener à la lumière ; qu'il est assez puissant pour accomplir en son temps ses anciens oracles, Vous croirez à l'existence d'un monde invisible que nul oeil n'a vu ni ne peut voir, plus beau que le monde visible, et que Dieu a préparé pour ceux qu'il aime.

Mais j'en ai dit assez. Par le spectacle qu'il a sous les yeux, Abram est rentré en lui-même, il a ressaisi sa foi. Il prie, il adore intérieurement. Le Tout-puissant accueille cette prière sans mots, qui semble murmurer : « Je veux ce que tu veux. Je retiendrai fidèlement ta promesse. » En résumé Abram crut en Dieu. Le vieil homme, le fils de Thérach est désormais mort en lui ; mais le nouvel homme, l'enfant de Dieu, a repris vie. Abram n'a pas voulu vivre sans son Dieu, et Dieu n'a pas voulu non plus abandonner son serviteur revenu à lui. Comprenons l'intimité, la force du lien qui unit désormais ces deux êtres. Efforçons-nous de l'établir entre Dieu et nous.

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