Après ces événements, la parole de
l'Éternel fut adressée à Abram dans une vision et il dit :
Abram, ne crains point ; je suis ton bouclier et ta récompense
sera très grande. Abram répondit : Seigneur Éternel, que me
donneras-tu ? Je m'en vais sans enfant ; et l'héritier de
ma maison, c'est Eliézer de Damas. Et Abram dit : Voici, tu ne
m'as pas donné de postérité, et celui qui est né dans ma maison sera
mon héritier.
Alors la parole de l'Éternel lui fut
adressée ainsi : Ce n'est pas lui qui sera ton héritier, mais
c'est celui qui sortira de tes entrailles qui sera ton héritier. Et,
après l'avoir conduit dehors, il dit : Regarde vers le ciel, et
compte les étoiles si tu peux les compter. Et il lui dit :
Telle sera ta postérité.
1. Une colonne qui chancelle.
Je vis pour la première fois, par un beau matin d'automne, le
dôme de Cologne dans toute la gloire de son récent achèvement. Aucun
échafaudage ne le défigurait plus - les poutres accotées n'en
masquaient plus les belles formes. C'est une hardie conception, un
poème sculpté dans la pierre. Quiconque a des yeux pour la beauté sera
plongé dans le ravissement devant cette oeuvre
magnifique du génie humain. Chacune des petites tours de l'édifice,
chacune de ses pierres semble chanter un magnifique alléluia. Or
jamais sans doute l'esprit humain n'eût eu l'idée de ces lignes
hardies et harmonieuses sans la culture que lui a donnée
l'Évangile !
« O mon Dieu, m'écriai-je intérieurement, si cette église
terrestre est si belle déjà, quelle ne sera pas la splendeur de ton
Église invisible, lorsqu'elle sera achevée, de cette Église dont Jésus
est l'architecte et le fondateur ! »
Et je fus saisi de l'ardent désir de pouvoir voir le jour où
tous les peuples, toutes les races seront entrées dans l'édifice
céleste, où les âmes sauvées brilleront d'une pure lumière, où un
puissant alléluia montera du sein de l'humanité transfigurée jusqu'au
pied du trône du Tout-Puissant. Hélas, ces jours prédits par la
prophétie, dans lesquels la terre sera couverte de la connaissance de
l'Éternel, comme le fond de la mer l'est par les eaux, sont encore
lointains.
Nous en sommes au moment où la cathédrale se bâtit. Et il est
malheureusement nombre de chrétiens qui prennent le grossier
échafaudage de nos formules, de nos systèmes, de nos confessions de
foi pour l'édifice céleste. On dispute sur la valeur de l'appareil de
planches et de poutres destiné à disparaître, comme s'il s'agissait de
la construction définitive. En maint endroit, celle-ci n'est pas même
commencée ; les pierres taillées gisent pêle-mêle, çà et là, sur
le sol. Les ouvriers se promènent parmi elles, sans savoir par
laquelle entreprendre leur oeuvre. Ailleurs on est un peu plus avancé,
mais certaines parties du bâtiment qu'on élève sont lézardées. D'où
vient cela ? C'est l'effet des tremblements de terre, des orages
venus du ciel. Ces ruines sont à la fois l'oeuvre des démons et des
disputes des ouvriers.
- Aussi beaucoup craignent-ils que l'ouvrage ne finisse jamais.
Cette inquiétude ne saurait être partagée par l'âme qui a
fait l'expérience de la communion avec Dieu en Christ. Le croyant sait
que le Fils de Dieu est un grand Vainqueur, qui ne se donnera point de
repos jusqu'à ce qu'il ait achevé, tout l'ouvrage. Et, bien que les
puissances coalisées du péché et de la mort ne cessent de battre en
brèche le temple de Dieu, bien que jusqu'à l'avènement des nouveaux
cieux et de la nouvelle terre, ou, si l'on veut, jusqu'au jour plus
proche où il n'y aura qu'un seul troupeau et un seul berger, des
siècles doivent encore très probablement s'écouler, il faut avouer
qu'une certaine partie du travail de l'édification de la véritable
Église de Dieu sur la terre est déjà accomplie. Il y a 4000 ans, le
royaume de Dieu était encore limité à quelques croyants, comme
Melchisédek, Abram. Celui-ci est presque seul à connaître les pensées
de paix de Dieu, à l'égard de l'humanité. Il a la foi véritable, parce
qu'il se fait une idée juste de Dieu. Et pourtant il devait arriver à
ce vaillant, qui fut, il y a 4000 ans, la forte colonne représentant
l'Eglise du Dieu vivant au milieu du paganisme, de chanceler. C'est ce
que nous fait voir notre texte. Je ne sais rien de plus encourageant,
permettez-moi de le dire, que le découragement montré par Abram.
La nuit règne sur la terre. Des pensées en harmonie avec
l'obscurité ont envahi l'âme du patriarche. Il sent monter dans son
âme l'angoisse du doute. Et Jéhovah qui voit ce qui se passe dans le
coeur de son serviteur, s'approche, lui fait entendre des paroles
propres à le fortifier : « Abram, ne crains point ; je
suis ton bouclier et ta récompense sera très grande ! » Mais
ces mots compatissants, pleins d'affection, n'ont pas leur effet
habituel sur Abram. Il secoue la tête, et donnant cours à son
amertume, il répond : « Seigneur Éternel, que me
donneras-tu ? Je m'en vais sans enfant ! » C'est comme
s'il disait : Oh ! tes promesses sont admirables, infiniment
grandes, mais à quoi me servent-elles, tant que je n'ai pas une
postérité. Celle-ci ne m'a point encore été donnée. Mes années
s'écoulent ; je suis un vieillard ; ma journée d'existence touche
à son terme. Serai-je obligé de choisir comme mon héritier, mon
intendant, Eliézer ? Voilà où j'en suis réduit, car j'ai renoncé
à l'espoir d'avoir une descendance qui m'appartint en propre.
Ainsi celui que nous envisagions comme une sorte de colonne
inébranlable, qui était pour nous l'image de la fermeté de la foi,
vacille dans ses espérances. Il a regardé aux choses visibles, et il
en est arrivé à conclure à l'impossibilité de la réalisation de la
promesse. L'adoption de l'enfant d'Eliézer lui parait le seul moyen
d'accomplissement de l'oracle divin. Naturellement l'expédient ne le
satisfait point au fond. La pensée en est pour lui pleine d'amertume.
Il sent vaguement qu'il condamne son ancienne foi en énonçant le
projet de choisir comme héritier Eliézer. Il ne peut d'ailleurs
ignorer que, parce projet, il met en doute d'une manière générale la
fidélité de Dieu. La certitude de la promesse qui lui avait été faite,
d'une nombreuse postérité, demeurait intacte dans son esprit. Mais il
devait se dire pourtant, que si Dieu ne tenait pas sa promesse, la
parole divine perdait de son crédit. Pourrait-il en une autre
circonstance, après l'expérience décevante qu'il était en voie de
faire, se fier encore à Dieu ? Et un Dieu auquel on ne se fie
pas, mérite-t-il encore son nom ?
Je ne dis point qu'Abram eût le sentiment très net des
conséquences de son doute. Elles pèsent cependant vaguement sur lui.
Il les a entrevues. Et sa paix a disparu. Au reste, il passera encore
par des crises analogues motivées par le retard que continuera à subir
la réalisation de la divine promesse (Gen.
XVI, 1-12 ; XVII,
18). Abram s'est égaré, parce qu'il a regardé aux réalités
tangibles. Ces réalités, avec leur apparence de solidité, ne sont
jamais que sable ondoyant ! Quand nous regardons à elles, c'est
alors que nous sommes perdus. Vous appelassiez-vous Moïse, Jean ou
Luther, si vous ne considérez que ces réalités, vous êtes perdu. La
parole immuable de Dieu est seule un ferme terrain sur lequel poser
les pieds dans nos moments d'angoisse. Là est le
roc. Que serait-il advenu d'Abram, si Dieu n'était intervenu dans cet
instant de défaillance, si Dieu ne lui avait parlé ?
Si un Abram a pu être la proie de telles variations dans sa vie
spirituelle, que sera-t-il de nous ? Combien d'expériences
humiliantes à cet égard vous auriez probablement à raconter, vous qui
me lisez ! Il y a quelques jours, je consultais mon baromètre. La
veille il était au beau ; à cette heure, il était descendu
jusqu'à « tempête et pluie. » Je ne pus m'empêcher de
sourire. Il me sembla qu'il y avait là une leçon sur les variations de
mon propre coeur : mon âme venait, en effet, sous l'influence de
quelque petit mécompte, de passer de l'adoration à l'égard des voies
de Dieu à une profonde amertume. Cette chute du baromètre me fit faire
de salutaires réflexions sur l'instabilité de ma propre humeur.
Étrange mobilité du coeur humain, où les sentiments montent et
descendent plus vite que le mercure d'un baromètre ou d'un
thermomètre ! Aujourd'hui infatuation de vous-même, demain
découragement ; aujourd'hui idolâtrie de l'homme, dans quelques
instants mépris des créatures ; aujourd'hui joie, bientôt
aplatissement moral. Telles sont les émotions qui se succèdent en vous
sans trêve ni raison.
O coeur humain, coeur humain, comme tu ressembles à une
boussole affolée ! Tantôt les promesses de Dieu nous élèvent
jusqu'au ciel, tantôt elles nous paraissent une duperie. Le matin,
nous nous égayons dans le sentiment glorieux de notre force, de notre
vocation d'enfants de Dieu ; le soir nous envierons peut-être un
mondain léger et bruyant. Quel trésor que la constance ! Oui,
c'est un trésor, mais on ne l'obtient que de la grâce divine. Notre
volonté seule est incapable d'y atteindre.
Même ceux qui sont avancés dans la foi sont sujets à de
singulières défaillances. Il entre dans le plan divin que nous
passions sans cesse par de nouvelles obscurités. C'est pourquoi les
plus inébranlables sont parfois ébranlés. Aucun croyant n'est à l'abri
de ces tentations ; ce qui arriva à Abram a
été écrit pour notre consolation. Si donc vous chancelez dans votre
foi, si vous êtes agité par les événements, ne désespérez pas de
vous-même.
En songeant à nous, nous oublions trop souvent les adversités
dont les autres sont la proie. Laissez-moi vous raconter les
spectacles divers qui passèrent hier devant mes yeux, dans l'espace
d'une seule heure. Je visitai d'abord un jeune homme dont une maladie
de la moelle épinière avait fait en peu de temps un vieillard. Les
douleurs dont il souffrait, jour et nuit, ne constituaient pas pour
lui un tourment aussi pénible que les pleurs de sa jeune femme et la
vue de son petit enfant souriant à son père. « Maintenant, me
disait avec un soupir le jeune malade, je ne puis plus travailler, moi
qui aimais tant le travail. Il faut que j'abandonne mes bien-aimés,
que je les confie à la miséricorde des hommes. »
Il ajouta : « Mes membres deviennent
insensibles ; mes yeux ne voient presque plus ; j'éprouve
une pression au cerveau. » Le médecin arriva. Le prenant à part
je lui demandai s'il y avait un espoir de guérison. Il hocha la tête
négativement. « Combien de temps pourrons-nous encore le garder
au milieu de nous ? » lui demandai-je. « Un ou deux
mois ! » fut la réponse. Et le malade me criait :
« Oh ! monsieur le pasteur, aidez-moi ! Je ne sais plus
croire ! » Ce jeune homme avait donné autrefois par sa
conduite des preuves d'une foi vivante. Je ne pouvais douter qu'il fût
un enfant de Dieu. Vous me dites que sa foi n'était peut-être
qu'apparente. Détrompez-vous ; songez à la défaillance morale que
traversa le patriarche, et vous comprendrez l'obscurité par laquelle
passait l'âme de ce malade.
Je poursuivis le cours de mes visites. J'arrivai chez des époux
déjà âgés. Ils avaient deux fils : l'un né imbécile, l'autre bien
doué, fort aimable. Le dernier avait été matelot et était parvenu au
grade de pilote. Et voici que le père venait de recevoir une lettre
officielle, lui annonçant que son fils avait péri dans un naufrage du
navire, sur les côtes de la Hollande.
L'infortuné père tenait le papier entre ses mains. Il se disait
qu'il ne reverrait plus jamais ce fils, sa joie et son orgueil. Sa
femme faisait la même réflexion, et le pauvre idiot interrogeait d'un
regard hébété ses parents sur la cause de leurs larmes. Croyez-vous
que la foi des parents fût d'un mauvais métal, parce qu'elle
traversait en ce moment une crise de doute, parce qu'elle repoussait
les consolations que je lui offrais dans les promesses divines ?
Un quart-d'heure après, je rentrais dans mon cabinet de
travail. J'y trouvais assise une jeune fille. Je ne la reconnus pas
d'abord, bien que je l'eusse rencontrée souvent pendant de longues
années. À force de pleurer, elle avait perdu ses couleurs. Que lui
était-il arrivé ? Une soeur jumelle, qu'elle aimait
passionnément, était tombée dans l'abîme du péché. « Et
maintenant, me disait la pauvre enfant, je ne puis plus croire que
Dieu exauce nos prières. » Pourtant elle venait me demander de
l'aider à ramener l'âme perdue. Il m'était interdit, par les
circonstances dans lesquelles se débattait cette jeune fille, de lui
faire un crime de ses doutes, je ne pus que mêler mes larmes aux
siennes.
Parlerai-je du désespoir produit par les défaites devant le
péché ? Parlerai-je des conséquences terribles que peut avoir
pour une âme une seule grave faute ? Regardez cet homme au
tempérament bouillant. Il a tué ou blessé quelqu'un dans une heure
d'emportement. Entre les murs de son cachot, il est devenu un nouvel
homme. Il s'est repenti. Il a lutté contre le péché, contre sa
vivacité. Mais, hélas, le sentiment de sa faute l'accable toujours. Il
me disait récemment que Dieu devait l'avoir rejeté, qu'il craignait de
ne pas pouvoir retrouver la paix et d'être à jamais exclu du royaume
des cieux.
L'exemple que je vous cite n'est point isolé. Et il est plus
d'un pécheur repentant pouvant dire en montrant ses chaînes :
« Voyez, nous sommes de ceux qui gémissent et soupirent, avec la
création, après la rédemption. »
Quelquefois les doutes dont on souffre sont surtout intellectuels.
Vous priez, vous ne recevez pas ; et cette pensée funeste,
soufflée peut-être par un démon, traverse comme un éclair votre
esprit : « S'il n'était point là-haut un Dieu qui nous
écoutât ; s'il n'y avait point de Dieu ! » Vous vous
écriez : « Arrière de moi, Satan ! » Mais la
funeste pensée revient, elle vous assaille, elle vous tourmente. Ce
n'était d'abord qu'une ombre légère, et voici l'ombre grandit,
s'épaissit : la lumière disparaît ; la nuit se fait autour
de vous ! Vous vous trouvez, par exemple, devant la fosse où
descend le sombre cercueil d'un être aimé. Pendant que les mottes de
terre tombent pesamment, vous entendez je ne sais quelle voix murmurer
à votre oreille : « Si tout finissait au cimetière. Si le
terme dernier de l'existence humaine était la mort, le tombeau, la
corruption ! »
Et votre coeur est secoué. Un vent d'orage gronde en lui,
toujours plus fort, toujours plus violent. Vous avez cru, au milieu de
la tempête, retrouver le calme en vous attachant aux réalités
visibles, vous vous perdez par elles. Elles vous perdront réellement,
si vous ne parvenez pas à douter de votre doute.
2. Doute et doute.
À notre époque, l'air est saturé du doute. La question n'est
pas de savoir si on le respire, mais de savoir comment on ne respirera
pas cet air empesté. La plupart ne veulent rien connaître de Dieu, ni
des choses éternelles. À lire les journaux qui fournissent aux
lecteurs actuels la plus grande partie de leur pâture intellectuelle,
des milliers de livres, même les manuels d'école en usage dans
certains pays, on dirait que les découvertes de la science ont
démontré, sans réplique, la folie des croyances chrétiennes. Il est
difficile, dans le temps où nous vivons, de garder sa foi quand on n'a
pas été élevé par des parents pieux. Il est plus difficile d'acquérir
la foi, quand on ne la possède pas dès son enfance. Ayons quelque
pitié dès lors de ceux qui doutent. Approchons-nous d'eux avec
beaucoup de sympathie.
Gardons-nous de les rudoyer sans raison, d'imaginer toujours
que le doute est le fruit de la mauvaise volonté, d'un manque de
sérieux.
Voici deux douteurs, mais combien leur doute est
différent ! L'un déplore son incrédulité et ne cesse de crier
avec larmes : « Aide-moi, Seigneur, dans mon
incrédulité ! » L'autre se complaît dans le
scepticisme ; il voudrait ne croire qu'en lui-même. N'y a-t-il
pas un véritable abîme entre ces deux personnages ? Le dernier
dit : « J'en ai fini avec le petit conte de l'existence de
Dieu ; ma devise peut être jouissance, jouissance, sans autre
borne que mes convenances ! » Mais son frère se désespère,
s'attriste, se voile la face devant son incrédulité, et sent qu'il a
tout perdu en perdant la foi.
Ceux qui pleurent sur leur incrédulité s'en vont verser leurs
larmes devant Dieu. Ainsi fait Abram. Il ne s'en est pas allé confier
ses tristesses à l'homme. Il les expose à Dieu. Il répand son coeur
devant l'Éternel. Il lui dit qu'il n'attend plus une réalisation
complète de sa promesse.
Le sceptique se tromperait qui, se frottant les mains, dirait à
Abram : « Ah ! ah ! tu es aujourd'hui avec nous,
tu es des nôtres ! Tu as donc compris que les promesses divines
sont vanité, qu'un tien vaut mieux que deux tu l'auras, que l'oiseau
qu'on a dans la main a plus de prix que celui qui vole dans les
airs ! Folie, tromperie, que de vouloir nourrir son coeur avec
des énigmes religieuses ! Rien de plus contraire à la raison, à
une haute culture que de croire aux récits miraculeux de la Bible, au
Dieu de la Bible. La sincérité vis-à-vis de nous-mêmes nous oblige à
chercher courageusement en nous notre force. Nous saurons, quand nous
mourrons, serrer pour toujours nos lèvres, entrer dans le bienheureux
Nirvana, dans le grand Tout qui est le néant. » Supposons
qu'Abram entendit ce langage. Que répondrait-il ? Je pense qu'il
s'écrierait : « Éloignez-vous, esprits ténébreux ! Je
n'ai rien de commun avec vous. Mille fois mieux souffrir et garder
dans mon âme une étincelle de foi que de triompher dans vos rangs.
Plutôt que laisser cette dernière étincelle
s'éteindre en moi, je préférerais briser ma harpe de prophète sur
quelque rocher, renoncer à toute joie, car celui qui perd Dieu perd
tout. Avant donc de laisser mon coeur s'épuiser dans l'incrédulité, je
concentrerai mes forces dans un seul désir : Retrouver Dieu,
raffermir ma foi. » Ainsi aurait parlé Abram. Car, dans sa
tristesse, c'est à Dieu qu'il a parlé, à ce Dieu qui lui semble
infidèle et dont il ne saurait pourtant se passer.
O mon frère, s'il vous arrive de traverser des jours où le sol
se dérobe sous vos pas, où votre foi et votre espérance religieuses,
battues en brèche, se replient sur elles-mêmes, grièvement blessées
par la brutalité des réalités extérieures, sachez vous prosterner
devant le mystère de la majesté divine et chercher Dieu dans
l'obscurité dont il s'enveloppe. Dites-lui : « O Toi en qui
je ne puis plus croire, parce que tout ce que je vois témoigne contre
toi, je veux cependant continuer à me confier en toi ; oui, je le
veux, en dépit de tous les arguments de mon esprit, en dépit du monde
entier ! » Dites cela, vous n'aurez rien dit que de
raisonnable, de profondément humain. Notre raison habituelle ne
saurait dans une crise pareille ni nous retenir, ni nous pousser en
avant. Elle doit se borner à reconnaître qu'il est des choses qui la
dépassent, et des instincts secrets, mais sûrs, auxquels il faut
parfois se remettre.
Dieu est le saint aimant vers lequel s'oriente involontairement
tout coeur d'homme. Mais si nous nous sentons attirés vers lui aux
heures saintes de notre vie, c'est qu'il est. Ce qui n'est pas
aurait-il une telle puissance ? On objectera ce qu'on voudra à
cet attrait, c'est lui qui nous distingué en première ligne des
créatures inférieures, des animaux. Quand David s'écrie au psaume
XLII : « Comme une biche soupire après des courants d'eau,
ainsi mon âme soupire après toi, ô Dieu, » il a décrit
l'aspiration profonde de l'âme humaine. Il a donné une voix à
l'humanité, en indiquant ce qui la sépare de l'animalité.
Mon cher lecteur, le grand instinct des créatures est
l'instinct de conservation. La petite plante tend, malgré tous
les obstacles, à se tourner du côté du soleil, parce que la lumière du
soleil est sa vie. Le petit oiseau cherche la liberté de l'espace,
parce qu'il est fait pour elle ; il a beau trouver dans sa cage
une nourriture abondante, de l'eau pure, si la porte de sa demeure
s'ouvre devant lui, il s'envole. Les animaux de la terre, de l'eau, de
l'air savent trouver l'aliment qui leur convient. Leur femelle nourrit
ses petits, les protège. Ceux-ci suivent leur mère. Oeuvre admirable
de l'instinct !
Mais l'homme ne connaîtrait-il pas cette puissance ? En
serait-il réduit à sa seule raison ? Assurément celle-ci est une
lumière. Toutefois c'est une lumière qui en nombre de cas n'éclaire
pas. Mille fois la raison vous refusera son conseil et vous laissera
dans une impasse. Heureusement, il est des impulsions intérieures qui
la suppléent. Mettez quelques jeunes enfants en présence de personnes
de votre connaissance dont le caractère vous est familier. Vous serez
surpris en général de voir avec quelle sûreté ces enfants apprécieront
la nature des grandes personnes qu'ils ont devant eux. La femme, qui
vit beaucoup avec l'enfant, est plus près de lui que l'homme. Aussi
obéit-elle davantage à ses impulsions. Et celles-ci sont en général
justes. Que de fois, la femme, en voyant son mari plongé dans la
perplexité, lui dira : « A ta place je ferais ceci, je
ferais cela ; » dans la règle, au cas où son propre
sentiment ne lui aura rien dit, le mari se trouvera bien de suivre cet
avis. Le tact des femmes au caractère élevé est exquis. Un sentiment
intérieur leur indique les écueils à éviter dans leur conduite, les
sociétés à fuir, celles à rechercher. Mais je crois une femme bien
près de déraisonner quand elle se met à demander, au nom de la raison,
pourquoi tout ce qui est permis à l'homme ne le lui serait pas
également. La femme qui veut ressembler à l'homme, par la raison, est
infidèle à sa nature.
Nous autres hommes, d'ailleurs, nous ne nous laissons
nullement, dans toutes les circonstances, diriger par la raison. Dans
les moments les plus importants de notre vie spirituelle, alors qu'un
saint enthousiasme nous anime, nous ne consultons
point le jugement ordinaire. Nous obéissons alors à une impulsion
immédiate. On donnera à celle-ci le nom que l'on voudra. Elle existe.
Au fond du coeur de tous les êtres humains, enfants, femmes, hommes
faits est profondément inscrite cette loi : « Lève les yeux
en haut ! » C'est en Dieu, dans la communion avec Lui, que
se trouvent en effet les éléments nécessaires à la vie. Toutes les
racines de notre être sont en lui ! Ce sont les femmes, les
enfants qui sont le plus dociles à la loi signalée, parce qu'ils sont
plus simples, parce qu'ils subissent moins les influences, les
courants de l'opinion ; ils sont dès lors plus croyants et plus
religieux que les hommes, ils se laissent moins facilement entraîner à
abandonner Dieu.
O homme, si l'attrait des choses visibles, les difficultés et
les chagrins de la vie, ta philosophie et ta propre sagesse t'ont fait
perdre la foi de l'enfant, sache redevenir un enfant ! Écoute la
voix intérieure, laisse-la parler en toi, malgré les conseils du
monde. Tourne-toi vers Dieu, dis-lui : « Malgré tout, je
veux, je dois croire ! Tu existes, ô mon Dieu, tu es pour moi, si
les hommes sont contre moi. Je veux aussi, je dois être pour toi au
milieu des disputes auxquelles ton nom est livré ! » Suis
cette voie, ô homme, et tu feras l'expérience de ce que dit la Bible.
Tu éprouveras que Dieu se révèle, se laisse voir aux coeurs purs. Tu
t'en rendras compte : c'est l'instinct de ton salut, donc
l'instinct de conservation qui te poussait vers Dieu. Et la joie, la
paix, la consolation, l'amour, l'espérance, s'éveilleront en toi. Tu
comprendras que notre humanité s'achève dans la communion de l'éternel
amour. Être en Dieu, c'est vivre de la plénitude de la vie. Se tenir
loin de Dieu, c'est appauvrir sa vie, l'alanguir, la vouer à la
tristesse.
3. compte les étoiles.
Devant les fenêtres de mon cabinet de travail, s'étendait
naguère un joli et vaste jardin. Une route étroite et pavée
me séparait seule de ce paradis, sur lequel j'aimais à laisser errer
mes yeux. Si ce jardin n'était pas à moi, je n'en jouissais pas moins
de lui. Il envoyait dans ma chambre, par les croisées ouvertes, un air
embaumé. Quel plaisir sa vue m'a procuré ! Combien de fois je me
suis amusé à considérer la fuite des oiseaux à travers ses bosquets,
celle des nuages au-dessus des arbres ! Le soleil du matin me
semblait plus doux, parce qu'il réchauffait toute cette végétation -
le soir, les étoiles me paraissaient plus étincelantes au-dessus du
vert feuillage. De nobles inspirations sont nées pour moi de la vue de
ce jardin. Et maintenant vous n'êtes plus là, cieux qui attiriez mes
yeux, nuages, étoiles, arbres, fleurs, oiseaux, chansons, nobles
pensées suggérées par tout cela.
On a bâti devant mes fenêtres une immense et prosaïque maison.
Mon cabinet est devenu une prison. Le toit de la maison m'empêche
d'embrasser le ciel ; une muraille blanche me fait vis-à-vis.
L'érection de cette bâtisse me fut un gros chagrin. J'ai pu
suivre de jour en jour les progrès de la diminution du ciel, de
l'élévation de la paroi qui me sert d'écran. Je me souviens du
dimanche, où pour la dernière fois, un rayon de soleil pénétra
par-dessus le mur en construction jusque chez moi ; le lundi, le
mur était trop élevé pour laisser passer le rayon. J'aurais volontiers
pleuré. Mais comme je racontais récemment à quelqu'un ma déconvenue
sur ce sujet, les paroles que j'entendis me consolèrent. Le quelqu'un
était un douteur. Il me dit : « Hélas ! de même que
vous avez vu peu à peu disparaître le soleil et le ciel derrière ce
mur, j'ai vu s'effacer un autre soleil et un autre ciel. En étudiant
ce qui se passe dans ce monde, j'ai senti que la foi de mon enfance
était une illusion. Mes croyances sont tombées l'une après l'autre,
mais j'ai beaucoup perdu avec elles. Je me sens désormais si pauvre,
si vide, si faible ! ... » Et mon interlocuteur se mit à
pleurer comme un petit enfant. Je n'ai pas à rapporter ce que je lui
dis. Le lecteur peut le deviner par le chapitre précédent. Ce que je
puis affirmer, c'est que j'eus honte de ma propre
tristesse ; je sentis qu'en comparaison de cet homme j'étais
encore un heureux. J'ai perdu la vue du ciel visible. Mais ne vaut-il
pas mille fois mieux perdre celle-là que celle du ciel
invisible ? Je songeai au temps malheureux où j'aurais presque pu
parler comme cet homme. Je remerciai Dieu qui m'a tiré de la nuit de
l'incrédulité, pour faire briller de nouveau sur mon coeur le soleil
de justice.
Mais Dieu ne se révèle-t-il pas également à quiconque aspire à
la lumière et à la vérité ? Il le fait, car s'il ne le faisait
pas, il ne serait pas ce qu'il est. Avez-vous perdu Dieu, lui, ne vous
a pas perdu de vue, il ne vous a pas abandonné ; avez-vous de la
peine à le trouver, il vous cherchera lui-même jusqu'à ce qu'il vous
ait trouvé, pourvu que vous vous laissiez seulement trouver. Quand la
nuit du doute vous étreint de ses angoisses, il est là, vous entourant
de sa puissance, jusqu'à ce que le jour ait lui sur votre âme.
Je ne connais pas d'histoire plus réconfortante que celle des
moyens employés par Dieu pour ramener à lui un esprit égaré. Notre
texte nous montre comment s'accomplit cette guérison. Nous allons voir
Dieu faire renaître la confiance dans l'âme de son serviteur, le
consoler et le punir en même temps.
Jéhovah s'approcha de lui et lui dit : « Ce n'est pas
lui (Eliézer) qui sera ton héritier, mais c'est celui qui sortira de
tes entrailles qui sera ton héritier. » (Gen.
XV, 4.). Ainsi Dieu lui répète ce qu'il lui a déjà dit. Il ne
change pas une ligne à son message. Il le confirme au contraire. Il
veut que ce message demeure ce qu'il est. Dieu paraît lui dire :
« Tu as pu changer, moi je ne changerai pas. Je reste ce que je
suis - ma parole est ma parole. Le jour et la nuit ont beau se
succéder autour de ton âme, tu ne dois point douter dans le fond de
ton être de ma fidélité et de ma puissance. »
À ces mots, Abram respira. Il lui sembla qu'un poids était
enlevé de dessus son coeur. N'avez-vous pas remarqué, chrétien qui me
lisez, combien, dans une heure de tentation, fut
douce à vos oreilles la voix humaine qui de la part de Dieu vint
mettre en fuite vos doutes. Ce n'est pas par la discussion, je pense,
que ceux-ci ont été vaincus. Oh ! non, règle générale, plus on
discute plus on s'entête et plus on s'égare. Il arrive souvent que le
croyant le plus convaincu est celui qui sait le moins expliquer les
raisons de la foi. D'autre part, celui qui expose le mieux les raisons
de la foi n'est pas toujours celui en qui elle est le plus profonde.
Celui qui laissera l'impression d'avoir trouvé la paix dans
l'Évangile, la force, une nouvelle activité dévouée au bien, sera le
meilleur des apologètes. Il n'importe qu'il parle avec simplicité,
même qu'il s'exprime mal. Ceux-là seuls que l'on sent prêts à donner
leur vie pour Christ, qui la dépensent en réalité jour après jour pour
lui sont assurés d'être écoutés. Lorsqu'un de ces chrétiens, que je
viens de dépeindre, vous met la main sur l'épaule, votre coeur s'ouvre
d'avance à ce qu'il va vous dire. Et il vous dira :
« L'Évangile est la vérité. Les choses se sont bien passées comme
il nous les présente. Dieu est près de vous, mon cher ami, cherchant
votre âme. Le soleil continue à être présent dans les cieux, alors
même que nous ne le voyons plus. »
C'est de la sorte, vos expériences en témoignent, que Dieu
chasse le doute. Comme Abram dut être fortifié en entendant celui qui
l'avait conduit si merveilleusement lui parler avec tant de
simplicité ! Des difficultés de l'accomplissement de sa parole,
des obstacles que celui-ci rencontrera, Dieu n'en tient nul compte. Il
se borne à jeter le poids de son moi, de sa volonté dans la balance.
En même temps, pour consoler Abram, pour achever de le
persuader, Dieu lui révélera dans une vision des détails de l'histoire
future de sa descendance. (Gen.
XV, 13-16). Israël sera opprimé pendant quatre cents ans par un
peuple étranger, parce que l'iniquité des Cananéens n'est pas encore
comble. Après ce laps de temps, les chaînes d'Israël seront brisées.
Dieu jugera la nation qui l'aura asservi. Israël sortira de sa
servitude avec de grandes richesses. Toutes ces
perspectives offertes à Abram sont encore bien obscures. Leur
développement n'en montrait pas moins au patriarche que Dieu avait un
plan tout préparé pour l'avenir. On croit plus facilement à une
promesse qui entre elle-même dans les détails de sa réalisation, en
pose les conditions, qu'à une promesse générale. Annoncez en termes
vagues à un enfant quelque don extraordinaire, il ne vous croira pas
toujours. Mais décrivez les particularités du don, vous serez cru.
Dieu tient en réserve pour son serviteur un autre
encouragement. Après avoir simplement répété, ainsi que nous l'avions
dit, l'antique promesse, il l'a invité à sortir de sa tente, à
regarder les étoiles du ciel, à les compter si cela lui est possible.
Puis il a ajouté : « Telle sera ta postérité. » (Gen.
XV, 5).
C'est l'une de ces splendides nuits de l'Orient, où les astres
brillent d'un éclat auquel nos yeux d'Occidentaux ne sont pas
accoutumés. Le patriarche est sorti de sa tente. Du haut de la colline
où celle-ci est dressée, il embrasse le firmament jusqu'à l'horizon.
Il essaie alors de compter les étoiles. Mais il est bientôt obligé de
renoncer à la vaine entreprise et de détourner ses regards fatigués.
Il élève ses mains suppliantes et il murmure tout bas :
« Comment pourrais-je compter ce qui est
innombrable ? » La toute-puissance, la gloire céleste
peuvent-elles être pesées à la balance ? L'infini,
l'incommensurable se mesurent-ils ? Tout l'être d'Abram frémit à
la pensée de la grandeur de Dieu. Il se répète à lui-même avec émotion
la promesse divine : « Telle sera ta postérité. »
Il existe sans doute actuellement des instruments perfectionnés
à l'aide desquels nous apercevons des étoiles invisibles à l'oeil nu,
nous les comptons même jusqu'à un certain point à force de patience.
Les astronomes modernes distinguent dans les étoiles vingt degrés de
grandeur, tandis que l'oeil nu ne voit que les étoiles des six
premiers degrés. Nos savants affirment enfin qu'à l'aide du télescope,
ils arrivent à percevoir 500 milliards d'astres. Ce
chiffre est vite énoncé. Mais celui qui le prononce conçoit-il
l'étendue que représentent ces 500 milliards semés à des distances
diverses ? Au surplus, Herschel nous apprend que derrière ces 500
milliards existent d'autres étoiles en nombre infini. La parole de
Dieu à Abram : « Compte les étoiles, si tu peux les
compter, » s'adressant encore aujourd'hui à nous, nous
convaincrait donc d'impuissance, malgré tous les progrès de
l'astronomie.
Dieu est un grand éducateur. Il a rappelé du même coup à Abram
les bornes du savoir humain et l'immensité de son pouvoir. Comment le
patriarche continuerait-il, sur la foi des apparences, à se défier de
la promesse divine ? Êtes-vous peut-être, lecteur, de ceux qui
disent : « Quel rapport y a-t-il entre la quantité
incalculable des étoiles et la descendance extraordinaire
annoncée ? Ce qu'il fallait établir, c'était précisément cette
relation. Dieu s'est borné à montrer que le nombre des astres du
firmament échappe à nos calculs, et c'est tout ! » Ah !
si vous vous exprimez ainsi, j'aurai peu d'espoir de vous persuader,
de vous faire admirer la beauté du symbole employé par Dieu. Je veux
pourtant l'essayer.
Quand vous levez votre front vers le ciel étoilé, ne lisez-vous
pas dans le firmament autre chose que le nombre incalculable des
étoiles ? En réalité, le spectacle grandiose offert par une belle
nuit fascine depuis l'origine du monde les regards des hommes. Les
esprits les plus profonds, les coeurs les plus nobles en ont été émus.
Des peuples entiers ont choisi pour objet de leur culte les étoiles.
En elles, les sages de l'antiquité, les mages de la Chaldée ont
cherché le secret de la destinée des individus et des nations. Les
poètes de tous les temps ont contemplé avec recueillement l'harmonie
ravissante des sphères célestes. Aujourd'hui, nos populations sont
persuadées que la lumière des astres possède une mystérieuse
influence, non seulement sur les marées, mais encore sur la croissance
des plantes.
Erreur ou vérité ? Nous n'avons pas à le rechercher ici.
Ne nous préoccupons pas non plus des enseignements de la science sur
la grosseur des étoiles. Sans doute nous savons ce qu'Abram ne savait
pas, que telle petite étoile, toute petite, qui scintille à peine à
l'horizon, est un monde énorme, un monde géant, à côté duquel notre
terre ne paraîtrait pas plus grosse qu'un grain de blé ; ce que
nous savons encore, c'est que tous ces mondes que sont les étoiles
circulent, qu'ils se meuvent parfois avec une rapidité laissant bien
loin derrière elle la vitesse de nos trains express.
Je fais abstraction de toutes nos connaissances ! Je vous
invite à regarder le ciel avec des yeux d'enfants et des coeurs
d'enfants. En présence de la voûte étoilée, chacun de nous n'a-t-il
pas le sentiment immédiat de la majesté du Créateur, de sa puissance
et de sa sagesse ; ne comprenons-nous pas que celui qui a fait
les étoiles, qui les appelle par leur nom et conduit leur armée, est
un être souverainement élevé, dépassant infiniment nos pensées,
capable de produire, s'il le veut, l'impossible ? Ne sommes-nous
pas obligés d'avouer notre faiblesse, d'agrandir notre notion de
Dieu ? Ne sommes-nous pas forcés de mettre la main sur nos
bouches, d'imposer silence à nos doutes ? Ne nous sentons-nous
pas entraînés à adorer ? Quand, dans une heure d'angoisse, au
milieu des orages de la passion ou de l'épreuve, vous avez tourné vers
le ciel étoilé des yeux mouillés de larmes, ne vous a-t-il pas semblé
entendre une voix tantôt douce comme un soupir, comme le murmure de la
brise, tantôt éclatante et forte, vous dire : « Le Créateur
de pareils ouvrages ne saurait avoir à ton égard que des pensées
pleines de bonté. Il est nécessairement l'ami, l'allié de l'enfant des
hommes au milieu des luttes qu'il a à soutenir ! » De telles
impressions ne s'oublient pas. Elles suffisent à nous expliquer l'état
d'âme dans lequel Abram rentra sous sa tente. La lumière des cieux
avait rendu témoignage devant son coeur à la fidélité, au pouvoir de
Dieu. Le patriarche ressentait le saisissement de l'adoration. Il ne
songeait plus à l'expédient qu'il avait inventé pour aider à la
réalisation des promesses divines ; il était intérieurement
inondé de joie, de confiance. Il croyait comme un enfant à
l'accomplissement des oracles divins.
O lecteur, qui que vous soyez, laissez-vous gagner par les
impressions d'Abram ! Apprenez à votre tour à vos enfants à
contempler le ciel étoilé ! En dirigeant leurs regards du côté
d'en haut, vous les inviterez par là même à écouter la voix
intérieure. Elle s'éveille au spectacle des ouvrages divins. Je vous
assure qu'un petit enfant, regardant le ciel étoilé, comprend mieux
que vous ne le supposez la nature de la puissance divine. Un mot sur
le Père qui est aux cieux, sur sa miséricorde et sa sainteté, pénètre
en de pareils moments jusqu'au fond d'un jeune coeur et y laisse des
traces durables.
Vous-même, qui êtes peut-être savant, peut-être illustre,
instruit par les expériences de la vie, disposant de la plénitude de
la force, laissez-vous engager par Dieu à sortir de vous-même, des
bruits de ce monde. Comme Abram, quittez maintenant votre tente, pour
écouter, dans le recueillement, la voix de l'invisible et de
l'éternel. Levez les yeux en haut, considérez le ciel étoilé, lisez-y
le poème de Dieu. Ne lisez pas à la façon de l'astronome, en quête de
constatations, et de découvertes scientifiques ; lisez à la façon
de l'enfant qui a devant lui une lettre de son père. Quand vous vous
approcherez ainsi du ciel étoilé, vous sentirez un rapport étroit
entre la lumière qui descend sur vous du ciel et les antiques
promesses de Dieu. Vous sentirez que celles-ci sont aussi réelles que
le sont les corps brillants, dont les orbites se croisent là-haut.
Vous sentirez que le Dieu qui a fait les cieux aux pures étoiles doit
s'occuper de sa pauvre créature pécheresse et perdue pour la relever,
pour la ramener à la lumière ; qu'il est assez puissant pour
accomplir en son temps ses anciens oracles, Vous croirez à l'existence
d'un monde invisible que nul oeil n'a vu ni ne peut voir, plus beau
que le monde visible, et que Dieu a préparé pour ceux qu'il aime.
Mais j'en ai dit assez. Par le spectacle qu'il a sous les yeux,
Abram est rentré en lui-même, il a ressaisi sa foi. Il prie, il adore
intérieurement. Le Tout-puissant accueille cette prière sans mots, qui
semble murmurer : « Je veux ce que tu veux. Je retiendrai
fidèlement ta promesse. » En résumé Abram crut en Dieu. Le vieil
homme, le fils de Thérach est désormais mort en lui ; mais le
nouvel homme, l'enfant de Dieu, a repris vie. Abram n'a pas voulu
vivre sans son Dieu, et Dieu n'a pas voulu non plus abandonner son
serviteur revenu à lui. Comprenons l'intimité, la force du lien qui
unit désormais ces deux êtres. Efforçons-nous de l'établir entre Dieu
et nous.
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