Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

IV

Il n'y a point de juste, pas même un seul !

-------

Comme il était près d'entrer en Égypte, il dit à Saraï, sa femme : « Voici, je sais que tu es une femme belle de figure. Quand les Égyptiens te verront, ils diront : C'est sa femme ! Et ils me tueront, et te laisseront la vie. Dis, je te prie, que tu es ma soeur, afin que je sois bien traité à cause de toi, et que mon âme vive, grâce à toi.

Gen. XII, 11-13.


« Croire ! Croire ! Toujours croire ! Qu'est-ce que cela peut bien rapporter ? » demande quelqu'un. Nous vivons dans un siècle d'affaires - la plupart aujourd'hui considèrent choses et événements au point de vue du profit qu'on en tire. La religion est jugée de la même façon que le reste. Or nous sommes obligés de répondre à la question qui vient d'être posée : La foi ne rapporte rien, au sens où vous l'entendez. Sans doute celui qui se sait devenu par la foi un véritable enfant de Dieu, celui-là possède la paix du coeur, l'assurance d'être héritier de la vie éternelle. Mais qu'est-ce que cette assurance aux yeux du monde ? Un bien imaginaire. Nous disons au mondain que les chrétiens sont la lumière et le sel de la terre, et le mondain nous répond au dedans de lui : « Qu'est-ce que cela peut bien leur rapporter ? »

Reconnaissons-le, la foi ne procure pas la fortune. Elle dépense plus qu'elle n'amasse, parce qu'elle se sent pressée de donner. En mainte occasion, où le mondain se livre au plaisir, le croyant entend la conscience lui dire : « Renonce à toi-même, charge ta croix ! » La foi ne procure pas les honneurs ; le chrétien doit être prêt, pour sa foi, à devenir l'objet des railleries et du mépris. Il est obligé de renoncer à la haine, à l'envie, à la chicane ; il est appelé à pardonner, à marcher dans les voies de l'humilité. Notez que Dieu ne protège pas toujours son enfant contre les calamités du temps et du lieu où il vit. Abram est forcé par la famine de quitter momentanément Canaan ; Dieu ne fait point de miracle en sa faveur. Le patriarche fuit devant la disette. Il est contraint d'aller en Égypte, et à son arrivée en ce pays, Saraï, sa femme, est enlevée par l'ordre du roi. En cette circonstance sans doute, Dieu intervient d'une manière plus visible. Saraï n'était-elle pas destinée à être l'aïeule du vainqueur du serpent ? L'épreuve, que nous avons rappelée, n'en infligea pas moins à Abram des jours pleins d'angoisse.

La grande épreuve des croyants, c'est le péché qu'ils portent partout avec eux. Sans doute le croyant entreprend de faire son procès au péché, mais ce procès-là traîne plus en longueur encore que ceux qu'on confie aux avocats. En ce monde, le péché en appelle toujours de la sentence de mort prononcée contre lui. Abram allait l'apprendre en Égypte, par une dure expérience. Il craignait que les Égyptiens ne le tuassent pour s'emparer de sa femme, qui était belle. Son effroi l'engagea alors à mentir. Il fit passer Saraï pour sa soeur. Et de la sorte il se trouva ainsi livrer lui-même plus sûrement celle-ci au caprice du Pharaon, enlever au roi païen tout scrupule. Ah ! dans cette conjoncture, comme on vit bien que Dieu veille toujours sur les siens ! L'Éternel sortit de son silence et prononça la parole : « Ne touchez pas à mes oints, et ne faites pas de mal à mes prophètes. » (Ps. CV, 15.) Mais l'avertissement donné au roi, et qui consista, d'après l'Écriture, dans de « grandes plaies, » ne justifie nullement Abram de son mensonge. J'admets qu'à cette époque la femme était envisagée comme un être inférieur. Abram a pu dès lors se croire plus facilement autorisé que ne le serait un croyant de nos jours à donner à Saraï un titre qui pouvait encourager le roi à la faire amener dans sa maison, parmi ses femmes. Il était d'ailleurs exact que Saraï était la demi-soeur d'Abram, sa soeur de père et non de mère. (Gen. XX, 12.) Malgré tout, il reste qu'Abram. commettait une tromperie, car son propos tendait expressément à faire croire aux Égyptiens que Saraï était simplement sa soeur, qu'elle n'était point sa compagne.

Non ! ce n'est à aucun degré une belle histoire que celle qui est racontée dans notre texte. Abram n'a point agi ici avec une loyauté chevaleresque. Abram, dans ce moment, est l'homme de peu de foi. Si sa foi, à cette heure, avait été vive, il se serait dit : « Le Dieu qui m'a conduit en Égypte saura bien me protéger et protéger ma compagne. Ne m'a-t-il pas promis que je deviendrais le père d'une nombreuse postérité ? Et cette promesse me garantit que je ne saurais mourir maintenant, car je n'ai encore point d'héritier. Dieu n'a nul besoin de ma ruse pour me garder. Il a la puissance de me conserver la vie en dépit de tout. Le moyen à employer est son affaire, non la mienne. Ce qu'il me demande, c'est de me fier à lui. »

Tel eût été le langage de la foi. Mais la foi du père des croyants subissait en ce moment une éclipse. « Il n'y a point de juste, pas même un seul, » nous dit Paul. (Rom. III, 10.) Parole profonde, dont la vérité nous est attestée dans l'Écriture, précisément par l'histoire des plus saints hommes de Dieu. C'est Isaac qui montre une préférence outrée pour son fils aîné ; c'est Jacob qui, sous un déguisement, trompe son vieux père ; c'est David qui consomme le meurtre d'Urie, après avoir commis une première faute ; c'est Elie qui, dans un accès de désespoir, demande à Dieu de le retirer de ce monde ; c'est Jean-Baptiste qui se livre au doute et fait demander à Jésus s'il est le Messie ; c'est Pierre reniant par trois fois le Sauveur. Je m'arrête. On pourrait composer tout un livre d'images avec les scènes scandaleuses ou tristes qui déparent la vie des grands hommes de Dieu.

L'album dont l'idée se présente à mon esprit ne serait pas sans utilité. En m'exprimant ainsi, je ne songe point à l'autorisation qu'il paraîtrait donner aux grands pécheurs pour se livrer au mal. Celui qui se croirait par là autorisé à pécher montrerait simplement qu'il ne sait pas encore le premier mot de la vie de la foi. Les faits qui chargent les hommes de Dieu sont rapportés dans un autre but : pour nous empêcher de douter de la miséricorde de Dieu. Dans les moments sublimes de sa vie, Abram nous semble si grand que nous désespérons de marcher jamais sur ses traces. Et il y a de même, dans toutes les vies des hommes de Dieu de la Bible, des heures où ils nous écrasent. Je trouve dès lors que Dieu a manifesté très hautement sa miséricorde en nous signalant les faiblesses de ses saints. Sans ces faiblesses, qui les rapprochent de nous, nous n'oserions essayer d'imiter les saints de la Bible. Aussi faut-il blâmer les théologiens qui emploient leur science, un art ingénieux, à blanchir de toute souillure les serviteurs de l'Éternel sous l'Ancienne et la Nouvelle alliance.

Les saints que canonise l'Eglise catholique sont d'une autre nature. Ils jeûnent ; ils renoncent au mariage ; ils ne cessent de se mortifier ; ils s'infligent des tourments surhumains ; ils supportent des douleurs surhumaines et, par là, ayant plus de vertus qu'il n'en faut pour être sauvés, créent un trésor de mérites que l'Eglise distribue à qui lui plais. En notre qualité de protestants, nous n'avons pas la ressource de nous consoler par l'acquisition d'oeuvres surérogatoires. Soyons du moins reconnaissants pour l'étendue de la grâce divine. Celle-ci fait toute notre force. Jamais elle ne brille d'un plus vif éclat que lorsqu'elle pardonne à des enfants de Dieu, à des hommes de Dieu. Vivons dès lors de grâce et non de mérites. Ce que nous recevons de Christ, le Saint qui n'a jamais failli, est seul digne d'être estimé.

Admirons, à propos d'Abram, la singulière véracité des récits bibliques. Tout en relatant la faute du père des croyants, l'histoire sainte a soin aussi de nous montrer, de mettre en relief la soumission du roi païen aux avertissements de la Providence. Quelle confiance ne devons-nous pas avoir dans un livre tel que la Bible, dénué à ce point de la recherche de la gloire humaine !

Faisons de plus une remarque pratique. Disons-nous que si Dieu consent à oublier les défaillances de ses serviteurs, nous devons de notre côté apprendre à pardonner. Il est des pères et des mères qui présentent à leurs enfants comme modèles de soi-disant petits saints, n'ayant jamais existé que dans l'imagination de ceux qui en parlent. Je me souviens que, dans mon enfance, dans mon lieu natal, une mère avait l'habitude de nous montrer à ses enfants, mon frère et moi, avec cette réflexion toujours la même : « Voilà des enfants comme il faut, des enfants tels que vous devriez être. Tâchez donc d'imiter ces deux enfants ! Combien je serais heureuse s'ils étaient à moi ! » Nous souriions en entendant de tels propos. Mais qu'en pensaient ceux auxquels ils étaient adressés ? Pour qui connaît le coeur humain, il n'est pas de meilleur moyen de glacer une âme d'enfant que les propos employés par cette mère. Celle-ci a de par le monde bien des compagnes, occupées à idéaliser les enfants des autres et à noircir leurs propres enfants. On peut se demander si cette méthode éducative n'est pas pire encore que l'indulgence extrême avec laquelle certains parents considèrent les noirs méfaits de leurs fils.

Oh ! puissions-nous apprendre enfin, à l'école du Seigneur, la véracité et la simplicité. Soyons vrais et simples dans nos rapports avec les autres, avec nos alentours, avec les enfants. C'est la crainte de Dieu qui sera pour nous, à cet égard comme à d'autres, le commencement de la sagesse.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant