Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

III

Un chapitre sur les missions.

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Il se transporta de là vers la montagne, à l'orient de Béthel, et il dressa ses tentes, ayant Béthel à l'occident et Aï à l'orient. Il bâtit encore là un autel à l'Éternel, et il invoqua le nom de l'Éternel.

Gen. XII, 8.


1. D'autel en autel.

Job nous dit en parlant de l'homme : « Sa vie est courte, sans cesse agitée. Il naît, il est coupé comme une fleur. » (Job XIV, 1, 2.) Cette parole s'applique à toute vie d'homme, et à cet égard il n'y a pas de différence entre l'impie et l'enfant de Dieu. À ne regarder qu'à l'extérieur, Abram ne fut point une exception à la règle de l'universelle agitation. Sa vie fut jusqu'au bout un voyage, un pèlerinage. Les quelques feuillets de la Genèse qui nous parlent de lui nous le montrent se dirigeant ici, allant là, posant ses tentes, les levant, etc. On peut dire qu'il n'est jamais chez lui. Ainsi que nous l'avons dit, celui qui demeure cinquante ans dans le même endroit n'est pas plus qu'Abram à l'abri du mouvement des choses. Considérez votre passé : Vous avez un certain temps coulé des jours tranquilles, puis le vent d'orage s'est subitement levé et vous a secoué ; au moment peut-être le plus inattendu la tempête a amoncelé autour de vous les grosses vagues en fureur. L'agitation demeure la loi de l'existence, donne à toute vie d'homme un caractère ondoyant et changeant.

Où sera, dans ces conditions, l'unité de notre vie ? Hélas ! chez la plupart, cette unité fait défaut. Chez le grand nombre les heures lumineuses et les jours sombres se succèdent sans rime ni raison, comme les vues d'un kaléidoscope. La plupart ne savent pas ce que c'est que l'unité de la vie. Demandez-leur s'ils ont un but, pourquoi l'homme est en ce monde, ils vous regarderont avec étonnement. Ils vous répondront comme répondrait un cheval ou un chien, si on lui posait la question, et s'il recevait pour un instant le don de la parole.

L'homme qui marche par la foi a une unité dans sa vie ; il a devant les yeux un but. Celui-ci est la cité dont Dieu est l'architecte et le fondateur. L'unité de la vie d'Abram est sa communion avec Dieu. Il marche avec Dieu. Et la présence de Dieu répand dans une existence morcelée une admirable harmonie.

Dans la société d'un ami spirituel, ce que l'on voit en voyage devient intéressant, tout vous instruit, tout vous charme. Dans la société du grand Dieu des cieux et de la terre, de Celui qui est le Père des esprits, tout gagne pareillement en intérêt, tout prend une voix : même les choses inanimées, même les pierres du chemin. Ce que le monde appelle petit deviendra grand à vos yeux, tandis que ce que le monde admire, l'or, les dignités, le plaisir, se rapetissera singulièrement. Lecteur, savez-vous ce que c'est que marcher ainsi, dans la société du Dieu vivant ?

Ce qui montre qu'Abram avait réellement trouvé, en Dieu l'unité de sa vie, c'est que partout où il s'arrête, il bâtit des autels. Il en élève un dans la chênaie de Moré : « Et Abram, lisons-nous dans la Genèse, bâtit là un autel à l'Éternel. » Au verset suivant nous lisons à propos de son voyage à Béthel : « Il bâtit encore là un autel à l'Éternel. » (Gen. XII, 7-8). Ne trouvez-vous pas que la précision avec laquelle l'Écriture note l'érection de ces monuments a quelque chose de frappant ? C'est la minutie avec laquelle quelqu'un décrirait l'endroit où il a caché un trésor. L'auteur de la Genèse énumère évidemment avec satisfaction les divers monuments religieux dressés par Abram. Nous en rencontrons au reste d'autres dans le récit de la vie du patriarche. Ne dirait-on pas des pierres milliaires posées sur la route du pèlerin, en marquant les étapes ? Les monuments en question nous rappellent les haltes pendant lesquelles le patriarche a adoré, a joui quelque temps de l'avant-goût du grand sabbat du peuple de Dieu.

Le mot autel évoque dans l'esprit l'image de quelque chose qui s'élève vers le ciel. Il n'importe que l'autel soit de bois, de pierre ou de terre ; il domine le sol, il dirige le regard en haut. Aussi plaçait-on volontiers les autels sur des collines, pour les couronner. C'est sur eux que s'offraient les sacrifices. Ceux-ci, qu'ils fussent sanglants ou non sanglants, étaient un symbole de l'offrande de l'âme. C'est dans les sacrifices, près des autels, que le coeur pieux exprimait sa reconnaissance à Dieu et lui disait : « Jusqu'ici tu m'as secouru. » C'est là que l'âme angoissée, pleurant ses fautes appelait sur elle la faveur de la miséricorde divine et disait à Dieu : « Pardonne-moi ; deviens pour moi un asile ! » C'est là que s'accomplissaient de nouvelles consécrations au Seigneur, qu'on lui répétait : « Je m'offre tout de nouveau à toi, mon Dieu ; je mets mon âme et mon corps à ton service. »

En dressant des autels, Abram prenait encore en quelque sorte possession, au nom du Dieu vivant, de la terre promise. Les missionnaires du moyen-âge, lorsqu'ils pénétraient dans un pays nouveau, taillaient, en forme de croix, le premier arbre qu'ils rencontraient sur leur route et cette croix façonnée par eux était à leurs yeux la bannière de Jésus-Christ, plantée sur la terre idolâtre. Quand naguère des matelots abordaient dans quelque île inconnue, ils avaient soin d'arborer le pavillon de leur pays. C'est le pavillon de Jéhovah sur Canaan qu'Abram déploie en édifiant ses autels.

Ce qu'Abram exprimait en outre c'était sa foi, une foi inébranlable dans l'accomplissement de la parole du Tout-puissant. Dieu lui avait promis qu'il lui donnerait ce pays. Promesse invraisemblable, promesse incroyable, impossible à réaliser à vues humaines ! Aussi bien les autels du patriarche semblent-ils crier à la critique, au doute, à l'incrédulité, un énergique : Silence ! Ils semblent dire à tous au nom d'Abram : « J'ai cru en dépit des apparences. Je me confie à mon Sauveur et mon Dieu, malgré tous les obstacles. »

Rien d'étonnant dès lors à ce qu'Abram éprouvât en de pareils lieux un vif sentiment de la présence de l'Éternel. Il aurait pu dire, comme Jacob, après la vision de l'échelle montant aux cieux : « C'est ici la maison de Dieu, » ou comme le même patriarche après sa lutte avec l'ange : « J'ai vu Dieu face à face et mon âme a été sauvée. » De ces autels visibles, Abram s'est élevé jusqu'à l'autel invisible des cieux, jusqu'à ce sanctuaire des cieux qui est le siège particulier de la gloire du Créateur.

Mon cher lecteur, votre pèlerinage est-il aussi semé d'autels dressés à Dieu, je veux dire d'actes de reconnaissance envers lui, de consécration à son service, de prières, de cantiques, d'élévations de votre âme vers le Rédempteur ressuscité, d'oeuvres à son honneur ? Vous êtes heureux, si vous pouvez me répondre par un oui sincère.

En revanche, je vous plains, si vous n'avez élevé jusqu'ici à Dieu que de rares autels, si les sentiments dont ceux-ci sont l'expression, ne sont qu'exception dans votre existence. En ce cas, laissez-moi vous le dire, vous êtes ballotté par les souffles du monde, votre carrière chrétienne manque d'unité, d'harmonie, vous ignorez ce que c'est que la paix versée dans l'âme par la prière et la présence de Dieu. Ces biens ne nous sont assurés que lorsque nous avons cherché Dieu. Mais des instants bénis où nous nous sommes approchés de lui, se répand sur nos tristes journées un parfum vivifiant, une joie inconnue. Grâce à eux, nous devenons nous-mêmes, comme Abram, une source de bénédiction et de vie pour ceux qui nous entourent.

Il faut que le tisserand, lorsqu'il exécute certains ouvrages de son art, ait les yeux fixés uniquement sur son modèle. Son travail se poursuit invisiblement, caché sous un voile. Lorsque le travail est accompli, mais seulement alors, l'ouvrier peut jeter un regard sur la copie qu'il vient d'achever. Nous avons pareillement à tenir le regard fixé sur Dieu, notre divin modèle, à nous demander sans cesse : « Comment lui serai-je agréable ? Comment ferai-je sa volonté ? » C'est lorsque nous agissons ainsi que nous sommes peu à peu, selon l'expression de Paul, transformés à l'image de Christ, « de gloire en gloire. » Mais pour cela, lecteur, il vous faudra marcher dans votre vie d'un autel à un autre autel.


2. La victoire du soleil sur les ténèbres

Abram ne se bornait pas à dresser des autels ; il invoquait devant eux le nom de Jéhovah. (Gen. XII, 8 ; XIII, 4). Je ne pense pas qu'il s'agisse là d'une prière mentale. Je suppose qu'il est question d'une invocation solennelle, faite à haute voix, devant des témoins. Il s'ajoutait ainsi à la prédication adressée déjà par l'autel lui-même, un témoignage oral. Les paroles du serviteur de l'Éternel s'inspiraient, je n'en doute pas, des pensées de paix et de miséricorde de l'Éternel. Elles le montraient comme le Créateur tout-puissant des cieux et de la terre, comme Celui qui embrasse les mondes dans sa pensée, mais s'occupe aussi de chaque âme d'homme. Elles insistaient sur la volonté de Dieu de bénir et de sauver. Le patriarche a su, j'en suis persuadé, trouver des mots émouvants pour supplier Dieu de lui enseigner à le servir, à le glorifier, à avancer pas à pas sous ses yeux, à travailler pour lui.

Car la vie tout entière d'Abram était sans contredit une prédication. Elle le fut en premier lieu, vis-à-vis de ses serviteurs, des membres de sa tribu qui se comptaient par centaines. C'est avec raison que Luther écrit à ce propos : « Que nos papes et nos évêques nous expliquent de qui Abram avait reçu l'onction qui fait de lui un grand prêtre parmi les siens ? » Oui, Abram a été un grand-prêtre, par son exemple comme par ses intercessions. Et son exemple n'a pas été vain. L'histoire d'Abram prouvera que ses serviteurs étaient des braves, des compagnons fidèles, courageux. Le patriarche a été certainement en bénédiction aux siens, par toute sa vie. Et dans celle-ci nous donnons une place particulière au culte qu'il rendit à Dieu devant des autels.

Nous formons, chrétiens, un peuple de prêtres et de sacrificateurs. Mais savons-nous, comme Abram, remplir notre vocation de missionnaires ? Rendons-nous à Dieu un témoignage vivant au milieu des nôtres ? Avons-nous à coeur le salut de ceux qui s'asseyent à notre table, habitent sous le même toit ? Est-ce que nous nous bornerions à les exhorter, à les avertir, à célébrer devant eux un culte de famille ? Si nous ne joignons pas à la parole, comme Abram le faisait, le témoignage d'une vie chrétienne dans les petites et dans les grandes choses, nous ne serons guère, non plus, à son imitation des sources de bénédiction. Voulez-vous, lecteur, que vos serviteurs vous écoutent ? Montrez-leur que l'Évangile a fait de vous un homme heureux, qui tend de toutes ses forces à servir la vérité.

Mais le mieux est parfois l'ennemi du bien. En voulant trop concentrer notre intérêt chrétien autour de nous, sur les nôtres, sur nos amis, sur nos voisins, nous pourrions appauvrir notre zèle et notre charité. Celle-ci est faite pour embrasser un champ plus vaste. Dans un coeur vraiment chrétien brûlent des sympathies pour le monde entier. Croyez-vous qu'Abram, ce témoin de l'Ancienne alliance, n'ait pas su faire retentir son témoignage de façon à ce qu'il parvint aux oreilles des Cananéens ? Si l'un d'eux l'appelle « un prince de Dieu, » c'est qu'il savait qu'il a invoqué Dieu, qu'il servait Dieu. Celui, en qui toutes les nations devaient être bénies dans des temps futurs, aura assurément pris soin que le nom de son Dieu fût connu des populations idolâtres au milieu desquelles il vivait.

On dira peut-être : Mais ce témoignage d'Abram parmi les Cananéens n'a porté aucun fruit. C'est à savoir. L'éternité révélera les suites de l'activité du patriarche. Il est de notre devoir, à nous croyants, d'admettre qu'on ne sert point Dieu, si l'on ne s'occupe de ses frères, de leur salut, de leur relèvement. Le propre de la foi est d'attendre la victoire du soleil sur les ténèbres au sein de l'humanité, de la préparer.

Jacob croira à cette victoire, comme Abram y avait cru. C'est pour cela, qu'a son arrivée en Égypte, il pourra bénir le souverain païen qui l'accueille. Il sait que partout, au sein du monde, l'enfant de Dieu a à donner aux autres plus qu'il n'a à recevoir d'eux. Jonas croyait encore au triomphe du soleil de justice, lorsqu'il s'enhardit à prêcher la repentance au milieu des palais de Ninive. Elle y croyait, la jeune esclave israélite, exilée en Syrie, qui engageait la femme de Naaman à envoyer son mari auprès du prophète Élisée, pour qu'il le guérît. Bientôt, grâce à cette servante, le nom de Jéhovah était prononcé avec respect dans Damas. Daniel, à Babylone, a cru à ce triomphe ; il n'était qu'un captif de Juda, et il a su parler de Jéhovah, de sa miséricorde et de sa justice au maître du monde. Grâce à Daniel, Nébucadnetsar, ce puissant monarque, se prosterna devant Jéhovah, bénit le Très-Haut qu'il avait d'abord offensé par son orgueil.

Et nous, croyons-nous à ce triomphe de la vérité ? Le préparons-nous ? Nous sommes, par la résurrection de Christ, nés à l'espérance d'une meilleure vie ; nous savons que Dieu a enfermé les hommes dans le péché pour faire miséricorde à tous ; nous savons que les pensées de paix de l'Éternel s'étendent à chaque enfant d'Adam ; nous n'ignorons pas d'autre part que chaque âme est malheureuse, exposée à la perdition jusqu'à ce qu'elle ait trouvé, sa joie dans l'amour de Christ. Et malgré tout cela nous sommes incurablement paresseux à convier les Cananéens de notre temps à répondre à l'appel de la vérité, nous sommes lâches, quand il s'agit d'aider à faire planter la bannière de Jésus-Christ dans les pays couverts par les ténèbres de l'idolâtrie.

La culture des Chinois, des Japonais nous en impose. Nous considérons avec une curiosité d'amateurs les mosquées des Mahométans, les Synagogues élevées par un judaïsme dégénéré, et nous ne nous soucions pas de faire connaître Christ a ceux qui se réunissent dans ces temples de l'erreur. Sortons enfin de notre tiédeur ! Comprenons que tout disciple de Christ est un missionnaire, l'ami des missionnaires. Si l'intérêt pour la mission nous manque, nous ne sommes pas des croyants. Seuls des chrétiens peuvent entreprendre et soutenir l'oeuvre des missions. Seuls ils ont l'enthousiasme nécessaire, parce qu'ils sont prêts à donner leur vie pour l'Évangile. Il faut être convaincu que le salut est en Christ, nulle part ailleurs, que c'est un salut destiné à être offert à tous les hommes, embrassant l'existence présente tout entière, ayant des effets bienfaisants sur le corps aussi bien que sur l'âme, un salut utile et dans le temps et dans l'éternité, pour s'occuper avec quelque ardeur de l'oeuvre excellente de la conversion des païens.

L'oeuvre des missions n'avance en certains pays qu'au prix des plus grands efforts, du sacrifice de nombreuses vies. Serait-ce une raison pour nous « refroidir à l'égard de ce travail, pour nous en désintéresser ? Le soldat ne se plaît-il pas dans la bataille, au poste du danger ? N'est-ce pas la lâcheté qui recule devant les difficultés d'une entreprise, alors que celle-ci est nécessaire ?

Je ne sais qu'un seul fanatisme digne d'éloges, celui de l'amour des âmes inspiré par l'Évangile. Cet amour, qui veut le salut, redoute par-dessus tout l'emploi de la violence, et sait que sa meilleure arme est le témoignage d'une vie chrétienne. C'est un mauvais signe pour notre chrétienté actuelle que ce fanatisme ait diminué. En trois jours, le peuple anglais dépense plus en boissons enivrantes qu'en un an pour l'oeuvre des missions. Or la nation anglaise est la nation missionnaire par excellence. Si nous jugeons par celle-là des autres nations, quelle ne doit pas être leur tiédeur ! Si l'on peut dire ces choses du bois vert, que ne faudrait-il pas dire du bois sec ? Je m'arrêtais récemment dans une forêt devant une haute fourmilière. J'eus la cruauté d'y plonger ma canne. Qu'arriva-t-il ? Est-ce que les fourmis s'éloignèrent en toute hâte de la partie endommagée ? Nullement. Les petites bêtes, laissant leur travail, se précipitèrent au contraire fort vaillamment vers le trou que j'avais fait et se mirent en devoir de relever la portion effondrée. En repassant deux heures plus tard par le même endroit, je vis le mal complètement réparé.

Faut-il que ces bestioles, qui nous font déjà honte par leur activité, nous fassent encore honte par leur courage ? Faut-il qu'elles nous enseignent à ne pas reculer devant le danger ? Ah ! ce qui nous manque, c'est la foi, la foi à la victoire du soleil sur les ténèbres.

Seigneur Jésus ! remplis-nous d'un saint enthousiasme, de telle sorte que nous puissions annoncer par nos chants ta victoire dans le monde entier ! Donne le courage, donne la force, donne l'esprit de sacrifice, de consécration, la sagesse, l'amour, la patience à tes ouvriers ! Que leur oeuvre soit ce qu'elle doit être ! Jésus, aide-nous à aimer ! Jésus, aide-nous à souffrir ! Jésus, aide-nous à vaincre ! Jésus aide-nous à tout surmonter, en sorte que nous participions à la gloire de ton triomphe !

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