Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

II

En avant !

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 Abram partit, comme l'Éternel le lui avait dit, et Lot partit avec lui. Abram était âgé de soixante-quinze ans, lorsqu'il sortit de Charan. Abram prit Saraï, sa femme, et Lot, fils de son frère, avec tous les biens qu'ils possédaient et les serviteurs qu'ils avaient acquis à Charan. Ils partirent pour aller dans le pays de Canaan, et ils arrivèrent au pays de Canaan. Abram parcourut le pays jusqu'au lieu nommé Sichem, jusqu'aux chênes de Moré. Les Cananéens étaient alors dans le pays. L'Éternel apparut à Abram, et dit : Je donnerai ce pays à ta postérité. Et Abram bâtit là un autel à l'Éternel, qui lui était apparu.
Gen. XII, 4-7.


1. Obéissant et fort.

Un Bengalais de qualité était depuis longtemps convaincu de la vérité du christianisme. Seulement, comme beaucoup de chrétiens de la vieille Europe, timidement il se taisait sur sa foi. Ne nous étonnons pas de son silence. La moquerie, le dédain, la persécution pour l'amour du Seigneur ne sauraient être soufferts que par celui qui a définitivement biffé dans sa vie le mot volonté propre. Un événement extérieur vient parfois donner la secousse initiale, à la suite de laquelle la volonté se décide enfin à opérer la rature dont nous avons parlé. C'est ce qui se produisit pour notre Bengalais.

Un jour, comme il était assis dans un compartiment de chemin de fer près de la portière, au moment d'une halte, il entendit, sans être vu, l'entretien d'un chef de gare avec un jeune Hindou. Le premier cherchait à dissuader le second de demeurer chrétien. Dans ce but, il faisait miroiter devant les yeux du jeune homme les plus belles perspectives, si celui-ci retournait à l'idolâtrie. Il usa même de menaces, pour le cas où son auditeur se montrerait résolu à continuer à se dire chrétien. L'Hindou appartenait à la classe inférieure. Il n'en répondit pas moins avec un sourire tranquille : « En aucun cas je ne laisserai ma foi. Je sais trop quel Sauveur je possède en Jésus-Christ. » Les paroles de l'Hindou firent éprouver au Bengalais une sorte de tressaillement. Celui-ci eut honte de sa conduite. Le résultat fut que le jour même il alla demander le baptême.

Tel peut être le pouvoir de l'exemple, d'un acte de foi. Chaque acte de foi dont vous êtes le témoin, lecteur, doit vous donner aussi une impulsion, vous inviter à vous mettre en marche du côté du but. La conduite d'un Bengalais, d'un Esquimau exercera, à l'occasion, si vous êtes docile, la même influence sur vous que l'obéissance d'Abram, le croyant des temps antiques.

Dieu avait donc dit : « Va-t'-en ... ! » Et « Abram partit, comme l'Éternel le lui avait dit. » Ainsi s'exprime l'Écriture, toujours concise, résumant en deux mots ce grand départ. C'était bien un événement. Et dans un autre sens, ce n'en était pas un. Je veux dire qu'il s'accomplit sans bruit. Le train du monde n'en fut pas changé. Les contemporains ne s'aperçurent pas de ce qui se passait. Et pourtant ce qui se passait était plus important pour l'humanité que toutes les conquêtes d'Alexandre le Grand.

Dieu avait donné un ordre à Abram, et Abram avait obéi. La foi se manifeste par l'obéissance. Il serait faux sans doute d'identifier complètement la foi avec l'obéissance. Non, elle n'est pas rien que cela. À son origine, c'est une simple réceptivité, une émotion en quelque sorte féminine, un élan d'abandon, le don de soi-même à Dieu, l'acceptation par le coeur de l'amour de Dieu, de la volonté de Dieu. Mais quand la foi est née, elle ne tarde pas à se montrer, dans les grandes et les petites choses, comme une obéissance à Dieu.

N'est-ce pas un comble que de réduire cette foi, qui a son siège dans le coeur, à une pure croyance de l'intelligence, dont les objets sont les formules dogmatiques ? Ce qui est plus propre encore à plonger dans la stupeur, c'est de songer que, pendant des siècles, l'Eglise a recouru aux cachots, aux tortures pour créer la foi. Autant vaudrait prétendre que l'on fait naître la gratitude dans une âme en lui infligeant des déchirements ! Il a fallu aux gouvernements des milliers d'années pour comprendre que la foi, cette explosion de confiance, a besoin de la liberté pour naître. Aveuglement de l'esprit humain ! Cependant sans cette liberté la foi ne saurait ni exister, ni se livrer à l'obéissance.

Abram offrit à Dieu le sacrifice que celui-ci avait réclamé. Il devait plus tard en offrir un second plus redoutable, celui de son fils. On voudrait savoir si cette immolation à la volonté divine fut facile ou difficile pour le père des croyants. Et l'Écriture ne répond rien sur ce sujet, comme sur tant d'autres. J'en conclus que la question n'a pas l'importance que nous lui attribuons. Abram a-t-il versé beaucoup de larmes en s'éloignant pour toujours du foyer paternel, en prenant à jamais congé de ceux qu'il aimait ? A-t-il connu les angoisses des séparations définitives ? A-t-il tremblé ? A-t-il crié à Dieu dans ses combats avec lui-même ? N'est-ce enfin qu'après une longue lutte qu'il a pu dire. « Mon Dieu, je veux ce que tu veux ! » Ou bien a-t-il pris d'emblée son parti ? Nous l'ignorerons toujours. L'essentiel est qu'il ait fait son devoir. C'est encore que nous fassions le nôtre.

J'ai devant moi deux enfants, deux petites filles auxquelles j'impose une défense propre à les contrarier. L'une d'elles me répond en souriant : « Je ferai ce que vous désirez. » Mais la seconde petite fille se mettra à pleurer. Il lui faudra des heures pour se résigner au renoncement auquel elle est appelée. Ne croyez-vous pas cependant que sa soumission finale, prix d'une longue lutte, est peut-être d'un prix moral égal, sinon supérieur à celui de l'acquiescement facile, empressé de sa jeune et aimable compagne ?

Les grandes personnes sont comme les enfants. Il en est parmi elles qui ne se décident qu'après de longs atermoiements, de véritables tourments intérieurs. Je vous en prie, ne souriez pas devant celui qui se résout tardivement à apporter à une oeuvre chrétienne l'offrande de sa charité. Ne souriez pas de celui qui, déterminé à se réconcilier avec son voisin, recule par trois fois au moment de franchir le seuil de la porte de ce dernier. Gardez-vous encore d'éprouver le moindre dédain pour l'âme souffrante, endolorie, ayant eu besoin de plusieurs années pour dire à Dieu en toute vérité : « Je me soumets à Dieu. » Ce qui importe, c'est qu'on finisse par cette soumission. L'obéissance vous est plus facile qu'à d'autres, évitez de vous enorgueillir ; rendez grâce à Dieu qui vous fait la soumission légère, car c'est de lui que procède votre empressement.

Mais quelle merveille d'arriver à se plaire dans une obéissance qui réclame l'immolation de ses affections ! Comment Abram en était-il venu à pouvoir dire, quel que fût l'ordre du Seigneur : « 0 Dieu, je suis prêt à faire ta volonté. » Comment Noé eut-il la fermeté de supporter pendant 120 ans, alors qu'il construisait l'arche, les moqueries de ses contemporains ? Comment Moïse, qui avait d'abord tremblé à l'idée de se rendre devant le Pharaon, prit-il tout à coup sur lui-même un suffisant empire pour braver la fureur du tyran et demeurer inébranlable en face de ses menaces ? Comment les trois jeunes hommes du livre de Daniel ont-ils été persuadés de se livrer aux flammes de la fournaise ardente, alors que, pour échapper, ils n'avaient qu'à faire ce que tout le monde faisait, à s'agenouiller, à se prosterner devant la statue d'or ?

Que parlons-nous des trois compagnons de Daniel ? Des millions, vous dis-je, des millions d'hommes, pour l'amour de Christ ont renoncé à leur liberté, supporté la prison, sont montés sur des bûchers ou ont donné leur vie dans d'autres martyres, dont la seule mention fait passer un frisson ! Et ils ont accompli le suprême sacrifice tranquillement, joyeusement, souvent en chantant les louanges de Dieu. N'est-ce donc pas là un miracle ?

Comment expliquer cette attitude ? Elle reste inexplicable pour qui ne comprend pas que la volonté de l'homme, purifiée, consacrée à Dieu dans un élan de confiance, reçoit en échange de sa consécration une force mystérieuse et divine. Cette force, véritable parcelle de la toute-puissance à laquelle rien n'est impossible, est ce qui nous rend à nous aussi, tout possible. Elle ne nous fait pas insensibles, mais elle verse dans l'âme une goutte d'éternelle jeunesse, et cette goutte vous permettra, tout en vous laissant homme, d'accomplir des oeuvres surhumaines.

Avez-vous compris cela, mon cher lecteur ? J'espère que vous pouvez me répondre par un oui sérieux et en même temps joyeux. Il n'est plus besoin même, je l'espère, de Noé, de David, d'Elie, d'Abram pour nous instruire dans ce mystère de la foi associant une force divine à notre faiblesse. Il ne sera plus besoin de la Bible pour nous le révéler. N'en avons-nous pas l'expérience ? N'est-il pas l'une des réalités les plus certaines de notre vie spirituelle ? Ne saurions-nous pas par notre propre passé que le Seigneur communique aux siens, dans les heures les plus douloureuses, dans les luttes les plus terribles, une énergie surnaturelle ?


2. Nous sommes des pèlerins.

L'auteur de l'épître aux Hébreux nous dit qu'Abram séjourna dans la Terre promise comme dans une terre étrangère. (Héb. XI, 9). Le texte de la Genèse lui a révélé le genre de vie du patriarche. Celui-ci avait quitté la Chaldée, entrepris un voyage où il était conduit pas à pas par le doigt indicateur de Dieu. Il dut ajouter les étapes aux étapes. Tantôt il traversait de souriantes plaines, tantôt il gravissait de hautes montagnes, tantôt il descendait dans les vallées solitaires, dans des gorges profondes, tantôt il longeait des lacs ou des fleuves. Plus d'une fois sans doute, devant quelque paysage attrayant, notre voyageur s'est dit : « Ne serait-ce point ici le lieu de mon repos, la terre promise ? » Mais toujours la voix divine lui criait : « Plus loin, plus loin encore ! » Il était parvenu jusqu'aux forêts de chênes de Moré, dans le site aimable appelé plus tard Sichem. C'est là seulement que Dieu lui dit : « C'est assez ! ».

Dieu parle à l'homme, et chacune de ses paroles mérite d'être retenue. Or les paroles de Dieu à l'homme ne sont pas des communications propres à satisfaire la chair et le sang. La révélation accordée à Abram dans le territoire de Sichem est résumée par notre texte en cette phrase : « Je donnerai ce pays à ta postérité. » C'est par là qu'Abram a appris qu'il touche enfin à la terre de ses voeux. Mais il apprend en même temps que cette terre ne sera pas sa propriété, qu'elle sera la propriété de sa descendance .... Le message pouvait à cet égard être une déception. Il n'était pas, en tout cas, pour réjouir le coeur naturel. Il faudra que le serviteur de l'Éternel erre dans la Terre promise comme un étranger ; il faudra qu'il vive dans la dépendance des possesseurs du sol, qu'il avance ou recule, conduit par les circonstances, par le soleil, la pluie, l'existence des sources d'eau, des citernes, la fertilité des prairies. Il posera sa tente ou la lèvera suivant les besoins. En un mot, s'il voit le pays promis, il restera lui-même, jusqu'au bout, étranger et voyageur dans ce pays.

Et Abram ne se scandalise pas. Il ne fait pas monter vers le ciel ses plaintes. Il élève au contraire un autel à Jéhovah, dans l'expression de sa gratitude. Ne vous semble-t-il pas par cet acte dire à Dieu : « J'ai compris ton dessein, je l'accepte, je continue à aimer ton grand nom ? »

Abram n'ignorait point que nous sommes tous plus ou moins des étrangers et des voyageurs sur la terre. « Il attendait, nous dit l'auteur des Hébreux, la cité dont Dieu est l'architecte et le fondateur. » (Héb. XI, 10). Assurément les espérances de la vie éternelle n'étaient pas pour lui aussi claires, aussi resplendissantes qu'elles le sont devenues pour nous par l'Évangile. Il nourrissait pourtant l'attente de la vie éternelle. Le Dieu auquel il s'était confié n'était-il pas plus fort que la mort ? N'était-il pas pour lui une source permanente de vie ? L'oublierait-il dans le sépulcre ? Ah ! le patriarche avait compris, par les expériences de sa foi, que Dieu le ferait vivre, même dans la mort. Il n'en doutait point. Mais. sentant que les croyants sont des voyageurs en chemin vers l'éternité, il n'avait pas de peine non plus à être un pèlerin ici-bas au sens propre du mot.

Nous sentons-nous pèlerins, comme Abram, comme lui en chemin vers la patrie éternelle ? À un certain point de vue, je le répète, tous les hommes sont ici-bas étrangers et voyageurs, les incrédules aussi bien que les croyants. Nul n'a en ce monde de demeure permanente. Que sont soixante-dix ou quatre-vingts ans passés entre les murs solides d'un château ou entre les parois plus légères d'une chaumière ? L'habitant du château et celui de la chaumière ont à quitter la vie. Tout est sans cesse en mouvement autour de nous. Tout passe, tout casse, tout lasse : l'or, les terres, l'honneur, la santé, les forces intellectuelles, la vie des nôtres. Ce que nous aimons ressemble aux nuages du ciel, perpétuellement agités, bientôt dissipés. Elle vous fatigue peut-être, cette plainte sur l'universelle vanité des choses, si souvent entendue. Elle est pourtant inspirée par le désir de quelque chose de meilleur. Elle est un signe de la noblesse de notre origine. Car l'animal se sent chez lui sur la terre. En s'attristant de ce devenir, de ce flux et reflux qui constamment nous ballotte, l'homme fait voir qu'il n'est pas ici-bas dans son véritable milieu.

Les mondains ont des heures où s'exhale aussi de leurs âmes un soupir vers l'invisible. Dans leurs deuils, ils font inscrire sur les tombes de ceux qu'ils ont perdus des passages consolants, parlant de la vie éternelle. N'avez-vous jamais été frappé de la popularité acquise par les cantiques qui peignent la patrie céleste ? Ils restent dans la mémoire plus facilement que d'autres. Les échos qu'ils éveillent en nous sont profonds. Notre aspiration naturelle à une vie meilleure est cependant souvent étouffée par les réalités brutales de l'existence. L'effrayant pouvoir de la mort se montre si visiblement chaque jour à tous les yeux qu'il finit par détruire l'espérance, quand celle-ci n'est pas enracinée dans la foi en l'Évangile. C'est dans sa communion avec Dieu qu'Abram puisait l'assurance de l'existence de cette cité dont Dieu est l'architecte et le fondateur. En proportion où nous voudrons être, à l'instigation d'Abram, étrangers sur la terre, nous le serons moins dans l'univers, parce que nous sentirons quelque part, au ciel, un foyer.

Ayons seulement l'esprit de notre vocation de pèlerins et cette terre ne sera plus au même degré pour nous une terre de larmes. Nous apprendrons à être du monde sans lui appartenir. Après cela, le monde continuera à nous intéresser. Il a beau avoir été souillé par le péché, il n'en est pas moins la création de Dieu, une oeuvre qui porte le nom de son ouvrier. Nous avons à être reconnaissants des biens offerts pour la vie présente, à en jouir avec modération, mais avec gratitude. Posséder comme s'il ne possédait pas, mais posséder, jouir comme s'il ne jouissait pas : telle est la devise du véritable pèlerin. Le monde, il va sans dire, ne comprend rien à un tel esprit. Mais le pèlerin ne se laisse point troubler par les jugements dont il est l'objet. Il s'efforce, qu'on le considère avec sympathie ou non, de répandre autour de lui la bonne semence des oeuvres de charité. Comment se livrerait-il à la colère ou garderait-il un coeur plein de froideur, celui qui déjà voit étinceler à l'horizon les créneaux de la patrie éternelle ?

Quel type complet du vrai pèlerin nous offre Abram !
Libre à l'égard des biens de la terre, il sait en même temps être la lumière et le sel de ceux qui l'entourent. C'est un nomade adonné à l'élevage des troupeaux, et dans la gestion de ses biens, il s'inspire d'abord de la volonté divine. (Gen. XIII, 8-9 ; XIV, 18-24.) Incompris des Cananéens, il demeure pour eux le plus aimable des voisins. (Gen. XXIII.) Il cherche la patrie éternelle, et cela ne l'empêchera pas, quand Lot sera emmené en captivité, de lever une petite armée, de se battre bravement avec elle, de la conduire à la victoire. (Gen. XIV). Il n'est pas insensible aux souffrances de son pèlerinage terrestre, et sur son front brille déjà un rayon de la lumière de la Jérusalem d'en-haut.

Suivons les traces d'Abram. C'est parce qu'il marchait avec Dieu, en son pèlerinage terrestre, que Dieu n'eut pas honte de s'appeler son Dieu. Le Père céleste s'appellera votre Dieu, dès que vous imiterez réellement et de tout votre coeur Abram.

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