Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

L'organisation du mouvement vaudois

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Les disciples de Valdo ne l'imitaient pas tous en renonçant à leurs biens pour devenir des prédicateurs itinérants. Ceux qui adoptaient cette manière de vivre recevaient l'ordination, qui n'était cependant pas considérée comme un sacrement. Ils étaient appelés ordonnés, consacrés, et le plus souvent parfaits. Dans certains documents des adversaires, le titre de Vaudois leur est réservé, à l'exclusion des simples fidèles. Ainsi, dans les Statuts de Pignerol, de 1220, qui défendent d'héberger aucun Vaudois ni aucune Vaudoise. C'est que, en effet, ils admettaient aussi le ministère des femmes, ce qui leur est reproché par plusieurs auteurs. Et plus d'une de ces courageuses disciples de Christ a scellé son ministère par le martyre.

Les parfaits, appelés aussi presbytres ou anciens, remplaçaient les prêtres auprès des fidèles, qui pourvoyaient à leurs besoins, puisqu'ils avaient fait le voeu de ne rien posséder. Quant au voeu de chasteté, ils n'y attachaient aucun mérite, mais ils le maintenaient pour être libres de se vouer au ministère. Celui-ci était forcément itinérant, puisqu'ils ne pouvaient demeurer longtemps dans le même endroit sans être activement recherchés et poursuivit.

Dans leurs pèlerinages à deux, l'aîné était appelé régidor, recteur, le cadet, coadjutor.

Les diacres annonçaient aussi la Parole en l'absence des parfaits. Mais leur tâche consistait surtout à recueillir les dons des fidèles pour les remettre aux ordonnés en faveur des pauvres.

Périodiquement, tous ceux qui le pouvaient se retrouvaient pour former le capitulum, assemblée qui prit plus tard le nom de congrégation, et enfin celui de synode.

On y entendait les relations de ceux qui revenaient de leurs longs voyages, on fixait l'itinéraire de ceux qui devaient partir ou repartir, on élisait le recteur général.

Bien que le titre d'évêque fût reconnu par eux comme biblique, ils le laissèrent bientôt tomber, Valdo ayant déclaré que cette charge suprême ne devait pas être conférée à vie, soit de son vivant, soit après sa mort. Lui-même se soumettait sans doute à une réélection à chaque chapitre. Les Vaudois de Lombardie ne tinrent pas compte de cette défense, ce qui fut sans doute une des causes de la rupture.

Quand les parfaits étaient trop fatigués ou trop âgés pour continuer leurs voyages, une retraite leur était ménagée en lieu sûr, dans un hospice tenu par quelques femmes âgées. Mais combien furent brusquement interrompus dans leurs pérégrinations ou subirent une longue détention dans les horribles cachots de l'Inquisition.

Là où les fidèles étaient nombreux, un hospice, tenu par des femmes, était aussi organisé secrètement. Le prédicateur était appelé par le peuple Barbe, ce qui, dans les dialectes des deux versants des Alpes Occidentales, signifie oncle et est encore employé couramment comme titre de respect envers des personnes âgées ou des étrangers. Quand l'arrivée du Barbe était signalée, les fidèles, qui se reconnaissaient à la manière de se serrer la main, se rendaient en cachette à l'hospice et, à défaut de celui-ci, dans une maison désignée. Là le Barbe écoutait les confessions, et appliquait les pénitences; puis il exhortait, encourageait, consolait. Après le régidor, le coadjutor ajoutait aussi quelques pensées, toujours tirées de la Bible. Si on n'en avait pas une sous la main, il y avait généralement plus d'une personne, qui pouvait en réciter par coeur de longues portions, et même des livres entiers, surtout des Evangiles. A côté de cette oeuvre de consolidation et de consolation, les Barbes en accomplissaient une autre plus directement missionnaire, auprès des non-croyants, ou de ceux qu'ils voyaient encore attachés aux superstitions romaines.

Pour accomplir plus sûrement ce ministère périlleux, ils se présentaient comme chirurgiens ou comme connaissant les vertus médicales des simples, pour avoir étudié les plantes aromatiques de leurs montagnes. Mais, plus souvent, ils prenaient l'aspect de merciers ambulants et pouvaient ainsi pénétrer jusque dans les manoirs, où ils étaient accueillis par les châtelaines, curieuses de rompre l'ennui de leurs longues journées d'isolement. Tout en étalant le contenu de sa balle de marchandises, le colporteur donnait les nouvelles de ce qui se passait par le monde. Enfin, lorsqu'il avait acquis la confiance de ses hôtes, il leur parlait de la perle de grand prix, et, sur leur demande, il leur montrait le précieux petit livre en parchemin, leur en lisait quelques chapitres et leur en exposait le contenu. Cette scène> souvent répétée, nous la connaissons dans tous ses détails, grâce à la diligence de l'inquisiteur de Passau, qui avait saisi la scène sur le vif, à moins qu'il n'en ait extorqué la confession de plus d'une de ces nobles dames.

Son récit a été reproduit dans les beaux vers du poète américain Whittier, dont nous donnons la traduction de M. de Félice. Quoique transcrit en langage poétique l'exactitude en est telle qu'il peut être considéré comme un document historique.

 

LE COLPORTEUR VAUDOIS

Oh! regardez, ma noble et belle dame,
Ces chaînes d'or et ces joyaux précieux;
Les voyez-vous, ces perles, dont la flamme
Effacerait un éclair de vos yeux?
Voyez encor ces vêtements de soie,
Qui pourraient plaire à plus d'un souverain,
Quand près de vous un heureux sort m'envoie,
Achetez donc au pauvre pèlerin. 

La noble dame, à l'âge où l'on est vaine,
Prit les joyaux, les quitta, les reprit
Les enlaça dans ses cheveux d'ébène,
Se trouva belle, et puis elle sourit.
- « Que le faut-il, vieillard?
Des mains d'un page
Dans un instant tu vas le recevoir.
Oh! pense à moi, si ton pèlerinage
Te reconduit auprès de ce manoir. »

Mais l'étranger, d'une voix plus austère,
Lui dit : « Ma fille, il me reste un trésor
Plus précieux que les biens de la terre,
Plus éclatant que les perles et l'or.
On voit pâlir, aux clartés dont il brille,
Les diamants dont les rois sont épris.
Quels jours heureux luiraient pour vous, ma fille,
Si vous aviez ma perle de grand prix

Montre-la moi, vieillard, Je t'en conjure;
Ne puis-je pas le l'acheter aussi? »
Et l'étranger sous son manteau de bure
Chercha longtemps un vieux livre noirci.
« Ce bien, dit-il, vaut mieux qu'une couronne;
Nous l'appelons la Parole de Dieu.
Je ne vends pas ce trésor, je le donne;
Il est à vous. Le ciel vous aide! Adieu! » 

Il s'éloigna. Bientôt la noble dame
Lut et relut le livre du Vaudois.
La vérité pénétra dans son âme,
Et du Sauveur elle comprit la voix;
Puis, un matin, loin des tours crénelées,
Loin des plaisirs que le monde chérit,
On l'aperçut dans les humbles vallées
Où les Vaudois adoraient Jésus-Christ.

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