Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

La doctrine des Vaudois primitifs

-------

On l'a vu, ce qui poussa Valdo à réformer sa manière de vivre et, plus tard, à sortir de l'Eglise romaine, ce ne furent pas les erreurs de celle-ci, ni même la vie scandaleuse d'un grand nombre de ses ministres. Il voulut, en vue de son salut personnel, suivre la voie la plus sûre pour arriver à la perfection; il s'efforça ensuite de faire connaître cette voie, pour y entraîner les âmes qui se perdaient. La réforme de Luther, partie des paroles : Mon juste vivra par la foi, a donné dès l'abord une grande importance à la doctrine, et a combattu d'emblée les erreurs de Rome. Celle de Valdo, partant de l'ordre: Va, vends ce que tu as et le donne aux pauvres; après cela viens et suis-moi! eut un but éminemment pratique.

Cependant, puisque c'était un passage biblique qui avait mis un terme à l'incertitude angoissante de son âme, il s'appliqua à mieux connaître le Livre' qui contenait de tels trésors. Et, comme on ne le trouvait qu'en latin, et non sans peine, il avait dépensé' une forte somme pour le faire traduire dans le langage du peuple et pour en avoir des copies à mettre entre les mains de ceux qui allaient de lieu en lieu annoncer la Bonne Nouvelle. En lisant assidûment et avec avidité les préceptes de Jésus et des Apôtres, il ne devait pas tarder à constater sur combien de points les enseignements et la manière de vivre des prêtres s'en 'éloignaient.

Avec son caractère décidé, et comme il n'avait pas hésité à abandonner tous ses biens pour obéir, à la lettre, à la Parole de Christ, il n'hésita pas davantage à s'y conformer chaque fois qu'il s'aperçut qu'il ne pratiquait pas Sa Volonté.

Sa connaissance de la Bible fut progressive, et sa doctrine se développa ainsi peu à peu. Nous ne possédons aucune profession de foi de Valdo. Ici encore, nous devons recourir au témoignage de ses adversaires, les papes et les inquisiteurs.

Les compte-rendus des disputes, qui eurent lieu en Languedoc entre Vaudois et Catholiques, ne touchent aucun point de doctrine, mais uniquement les moeurs du clergé, et les prétentions du pape et des évêques à l'obéissance de tous les chrétiens. Par contre, le concile de Vérone, en les condamnant en 1183, dressa trente-cinq articles, sur lesquels 'il prétendit qu'ils étaient dans l'erreur. Quelques-uns sont de pures calomnies contre leurs moeurs, contredites par les inquisiteurs mêmes. On les jugea évidemment nécessaires pour donner à la sentence quelque apparence de raison. Voici ceux qui touchent aux croyances.

« Ils croient que tout laïque en état de grâce peut prêcher l'Evangile, et même consacrer l'Eucharistie et prononcer l'absolution.

Ils rejettent les sacrements du chrisme et de l'extrême-onction, ainsi que la confession auriculaire.

Ils dépouillent le baptême des 'éléments qu'on y a ajoutés et ne. le considèrent que comme une cérémonie extérieure, c'est-à-dire qu'ils ne croient pas à la régénération par le baptême, qui n'en est que le symbole.

Il en est de même de l'Eucharistie, qui ne doit pas être consacrée et qu'ils réduisent, selon les paroles de Saint Paul, à la bénédiction du pain et du vin, après avoir récite l'Oraison Dominicale. (Cependant, d'après la discussion qui eut lieu à Bergame, on voit qu'ils croyaient à la présence réelle du Christ au sacrement de la Cène.)

Ils rejettent le culte des saints et de la Madone; l'Ave Maria est une salutation, et c'est un usage superstitieux que d'en faire une prière. Ils n'admettent pareillement ni indulgences, ni prières pour les morts, ni purgatoire, toutes choses, disent-ils, inventées par les papes pour faire de l'argent.

Ils n'ont point de vénération pour les églises, le culte pouvant être rendu à Dieu en tous lieux.

L'Eglise ne peut dicter des lois. Aucune obéissance n'est due au pape ni aux évêques. Il n'y a d'ailleurs que trois ordres dans l'Eglise : le diacre, l'ancien et l'évêque, et ce dernier n'a aucune supériorité, ni en dignité, ni en pouvoir. L'exorcisme est une tromperie, de même que la bénédiction des objets et des lieux. La sépulture en lieu saint n'assure aucun avantage à l'âme.

Le jeûne et l'abstinence ne sont nullement méritoires, et l'état monastique est une invention du diable.

« On ne doit croire à aucun miracle », dit un article. (Il s'agit évidemment, non pas des miracles racontés dans la Bible, mais de ceux qu'on attribuait aux saints et aux religieux.)

Persuadés que le culte romain était en grande partie la continuation de celui des païens, les Vaudois n'admettaient pas le chant d'église, qui ne consistait, surtout alors, qu'en de vaines redites chantées sur de monotones litanies. Les prières du bréviaire et les heures canoniques étaient du temps perdu, l'unique prière enseignée par Jésus étant le Notre Père. Aussi rejetaient-ils de même le Symbole des Apôtres, parce qu'il ne se trouve pas dans la Bible.

Les points spécialement distinctifs de leur réforme, qui leur sont reprochés, sont la condamnation de la peine de mort, ainsi que la défense de prêter aucun serment, selon l'enseignement de Jésus.

Les parfaits, qui avaient prononcé les voeux et qui s'adonnaient à la prédication itinérante, devaient renoncer à s'occuper de travaux manuels, et ne rien posséder en propre.

Les trois cents articles de foi, attribués à Valdo, et qui furent saisis à Strasbourg par l'Inquisiteur en 1212, ne faisaient sans doute que développer et préciser ces principes. Il est regrettable qu'ils n'aient pas été conservés.

Comme on le voit, la doctrine est à peine effleurée en ce qui concerne les sacrements. Les Vaudois admettaient la confession faite librement à un des parfaits. Celui-ci imposait ensuite comme pénitence le jeûne et la répétition de l'Oraison Dominicale; mais au lieu de prononcer l'absolution, il se limitait à dire : Que Dieu t'absolve de tes péchés!

Sans croire au mérite des oeuvres, ils les estimaient cependant nécessaires au salut.

Telle 'était la doctrine des Vaudois au temps de Valdo. Elle demeura, dans le fond, la même jusqu'à l'époque de la Réformation. Cependant elle subit quelques variations de détail selon les divers pays et les diverses époques où elle fut professée. Ainsi, quelques-uns, plus radicaux, enseignèrent ensuite que le baptême n'était pas nécessaire aux enfants et ne devait être administré que plus tard, comme Jésus l'avait reçu lorsqu'il était déjà adulte, la vertu de ce sacrement n'agissant pas sans la foi.

Bien que, dans plus d'une contrée, ils continuassent à fréquenter le culte romain, l'inquisiteur Bernard Guidonis nous apprend que, dès le XIIIe siècle, ils célébrèrent eux-mêmes, avec une certaine solennité, l'Eucharistie, à laquelle il conserve le nom de messe. Voici comment il décrit cette cérémonie :

« Les Pauvres de Lyon célèbrent leur messe. une fois par an, le Jeudi Saint (1). A la nuit tombante, celui qui préside parmi eux, s'il est consacré, convoque tous ses familiers des deux sexes; il fait dresser devant eux un banc ou un coffre, que l'on couvre d'une nappe propre, OÙ l'on place un verre de bon vin pur et un gâteau de pain sans levain. Puis celui qui préside dit : Prions Dieu que, dans ses compassions, il pardonne nos péchés et nos transgressions et qu'il daigne exaucer nos prières. A cet effet, nous allons dire sept fois : Notre Père, à la gloire de Dieu et de la Sainte Trinité. Alors tous s'agenouillent et répètent l'oraison dominicale; puis ils se lèvent.

Celui qui consacre fait le signe de la croix sur le pain et sur la coupe et, coupant le pain, il en donne un morceau à chacun; après quoi il passe la coupe à tous. On reste debout pendant toute la célébration. Ainsi finit leur sacrifice. Ils croient fermement et confessent que c'est le corps et le sang de Notre Seigneur Jésus-Christ. S'il reste quelque chose du sacrifice, ils le gardent jusqu'à Pâques et finissent alors de le manger. Et s'il y a là quelqu'un qui de. mande à le recevoir, ils le lui donnent. Pendant toute une année, ils ne donnent plus à leurs malades que du pain béni et du vin. Tous les Pauvres des deux partis observaient cette même manière de consacrer, avant la division qui est survenue entre eux», (sans doute celle dont nous avons parlé à l'occasion de la conférence de Bergame). On trouve dans la cérémonie, qui vient d'être décrite, quelques restes des coutumes catholiques, auxquels les Vaudois ne renoncèrent qu'à l'époque de la Réformation.

On voit, d'après ce qui précède, que la Sainte-Cène était célébrée, même si aucun parfait n'était présent.

Un laïque pieux pouvait présider, pourvu qu'il sût les paroles sacramentelles de la consécration des éléments. Une partie des Vaudois reconnaissaient aussi ce droit aux femmes. Etienne de Bourdon dit avoir vu une hérétique prononçant la formule de consécration sur un coffre préparé en guise d'autel.

D'autres usages ont eu cours parmi les Vaudois d'Allemagne, de Catalogne et d'ailleurs. Mais leur étude nous conduirait loin de Valdo et de son temps.

En résumé, on peut affirmer que ce qui distingue les Vaudois d'avec l'Eglise romaine, c'est bien moins la différence des dogmes que la libre prédication, et la morale rigide dont nous devons maintenant parler.


1) C'est en effet le jour où Christ l'institua.

Chapitre précédent Table des matières Chapitre suivant