Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

La croisade contre les Albigeois

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On a vu le résultat des disputes de Pâmiers et de Montréal en 1206 et 1207. Sauf Durand d'Huesca et ses quelques compagnons, les Vaudois persévérèrent dans leur voie, convaincus de suivre la volonté de Dieu, telle qu'ils la trouvaient exprimée dans la Bible. D'autre part, l'Eglise romaine prétendait que ses Docteurs avaient prouvé, dans ces disputes, que les dissidents étaient dans l'erreur. Aussi renouvela-t-elle ses condamnations comme contre des hérétiques obstinés.

Mais Rome ne put pas appliquer les peines canoniques, qu'elle édictait, aux populations du Languedoc, que sauvegardaient leur nombre même et la protection de leurs seigneurs.

Les choses traînèrent ainsi quelques mois, pendant lesquels les trois légats pontificaux, Arnaud et Rodolphe, abbés cisterciens, et Pierre de Castelnau, continuèrent à parcourir la région, menaçant les populations des foudres papales. Pierre de Castelnau n'hésita pas à excommunier le comte de Toulouse, que l'Eglise jugeait trop indulgent envers ses sujets hérétiques. Mais, le 15 janvier 1208, ce légat périt assassiné par un écuyer du comte, un Provençal, qui prit la' fuite vers son pays. Le comte en était innocent. Mais l'occasion était trop propice pour que l'Eglise de Rome la laissât échapper

Le pape Innocent III, celui dont le règne représente l'apogée de la puissance du Saint-Siège, agréa la proposition de son légat Arnaud de publier une croisade contre les hérétiques de Provence et de Languedoc. C'est dire que les armes, qui jusque-là avaient été portées, au nom de la Croix, contre le Croissant de Mahomet, allaient être employées, aux ordres du prétendu vicaire de Christ, contre des chrétiens coupables, surtout, de vouloir lire leur Bible en dépit du clergé romain. La croisade fut publiée dans toute la chrétienté occidentale par les moines de Cîteaux, et les croisés affluèrent de toute la France centrale et septentrionale, ainsi que de l'Italie du Nord.

Le pape favorisa dans ce but les divers sentiments de rapacité et de 'jalousie, que suscitait chez les voisins la prospérité extraordinaire des domaines de Raymond de Toulouse. Ils étaient si étendus et si peuplés que son suzerain, le roi de France, dont les fiefs personnels étaient assez limités, aurait difficilement pu le réduire à l'obéissance, si le comte de Toulouse avait voulu se rebeller à ses ordres. Le Roi Très Chrétien accepta donc avec empressement cette occasion de briser le pouvoir de cette famille et d'arrondir ses domaines aux dépens des vaincus. La noblesse, qui accourut en bon nombre à l'appel du pape, se promettait de recevoir, pour prix de son zèle, les châteaux et les fiefs des seigneurs languedociens, qu'il s'agissait de massacrer pour en partager les dépouilles. Quant aux simples croisés, ils comptaient sur le butin qu'ils trouveraient dans les opulentes cités du Midi et dans leurs fertiles campagnes. Pour grossir leur nombre, Innocent permit l'enrôlement des repris de justice, ouvrit les prisons et promit des indulgences aux vivants et le paradis à ceux qui mourraient au cours de cette sainte oeuvre, comme 'étant des martyrs de la foi.

D'autre part, tout était permis au détriment des pauvres populations, sur lesquelles allait se ruer cette formidable armée, où le fanatisme coudoyait le brigandage le plus effréné. Parjures, pillage, incendie, dévastation systématique, viols, tortures, massacres en masse, tout devenait méritoire pour les soldats qui marchaient sous la bannière de la Croix; tout devait être détruit à la façon. de l'interdit. Il serait trop long et trop odieux de raconter cette horrible guerre, qui ensanglanta pendant plus de trente ans les plus belles contrées de la France. En voyant fondre sur son pays cette formidable avalanche de 300.000 hommes d'aucuns disent d'un demi-million, le comte Raymond n'osa pas résister, pour ne pas être enveloppé dans la ruine de ses sujets. Plus tard, se voyant quand même privé de ses Etats, il rentra dans Toulouse acclamé par les habitants et, aidé de son fils, il la défendit vaillamment. Il mourut excommunié en 1222.

Dix-huit villes populeuses, cent soixante-quatre villages furent incendiés et rasés au sol, avec l'hécatombe de soixante mille habitants, pour venger la mort d'un ecclésiastique romain. D'après certains récits, ce chiffre de morts aurait été atteint dans la seule tuerie, qui eut lieu à Béziers. Quand cette ville, où s'était réfugiée la population des campagnes environnantes, fut réduite aux abois et que la résistance fut devenue inutile, le légat Arnaud ordonna aux. croisés de massacrer tous ceux qui s'y trouveraient. On lui représenta que cette cité comptait aussi un certain nombre de catholiques.

- Il n'importe, répondit ce ministre de la religion, tuez-les tous, Dieu connaît ceux qui sont à Lui!

Ce légat, dans son rapport à Sa Sainteté, parle de 20.000 morts. Il conclut son récit par ces mots :

- Un très grand massacre d'ennemis a été fait, la ville entière a été saccagée et livrée aux flammés, la vengeance divine ayant merveilleusement sévi.

Un troubadour du temps, après avoir rappelé le massacre de sept mille personnes, réfugiées dans l'église de Sainte-Madeleine, conclut ainsi : « Rien ne put les sauver, ni croix, ni crucifix, ni autels; il n'en échappa, je crois pas un seul. » C'est ce qu'atteste aussi un moine, Pierre de Vaux-Cernay, qui prit part à la croisade et qui en a 'écrit l'histoire. A Cabaret, la dame du lieu fut jetée dans un puits et quatre cents personnes brûlées dans un pré, ars e cremat, dit le poète populaire. D'autres tragédies épouvantables et abominables se déroulèrent à Lavaur, à Carcassonne, dans maints autres endroits, qu'il serait fastidieux d'énumérer. Le moine de Vaux-Cernay raconte qu'« à Lavaur nos pèlerins brûlèrent avec une grande joie d'innombrables hérétiques » et qu'à Carcassonne « les habitants durent sortir de la ville absolument nus, ne portant pas autre chose que leurs péchés ».

A Marmande, raconte le troubadour, fidèle et minutieux chroniqueur de toute la croisade : de lo sanc espars qui lai ses espandut - Es la terra vermella ci solsie la paluts - No remers hom ni felle ni joyes ni canutz - ni nulha creatura... C'est-à-dire : « Du sang qui y a été répandu - la terre, le sol et le marais en sont vermeils - il n'y reste ni homme, ni femme, ni jeune, ni vieillard - ni aucune créature. »

C'est par centaines de milliers que ceux, qui purent échapper au fléau dévastateur, abandonnèrent leur cher pays natal pour sauver leur vie et garder leur foi.

Ces régions florissantes furent réduites en un désert; les vignes, les oliviers, tous les arbres fruitiers avaient été coupés, les puits comblés, les ponts rompus. Le pays ne se repeupla que très lentement; mais l'Eglise de Rome, qui y avait laissé de tels souvenirs, n'y retrouva plus jamais l'influence à laquelle elle prétendait. Pendant trois siècles, les Vaudois parcoururent, plus ou moins en cachette, la région et y entretinrent le culte en Esprit et en Vérité. Aussi ces populations se trouvèrent-elles toutes prêtes à saluer la Réforme du XVI ème siècle et à y adhérer. Le Languedoc et les Cévennes devinrent les forteresses du protestantisme français.

La révocation de l'Edit de Nantes et ses suites les remplirent de nouveau de désolation, y causèrent plusieurs victimes et provoquèrent une nombreuse émigration vers les pays étrangers. Aussi peut-on dire que, aujourd'hui encore, ce pays n'a pas retrouvé le nombre d'habitants qu'il comptait avant la croisade contre les Albigeois.

Ce grand crime de la papauté a eu une autre conséquence, la ruine de la brillante littérature de la langue d'oc.

Le provençal, l'idiome des troubadours, était alors formé, tandis que les autres langues néo-latines n'étaient guère plus que des dialectes. Les poètes italiens, même le Dante, s'exercèrent à écrire des vers dans la langue d'oc, avant de s'essayer le faire dans le parler de leurs contrées, qu'on appelait vulgaire et qui paraissait indigne de chanter, soit les affections du coeur, soit les gestes des héros.

Le Midi de la France, dépeuplé, appauvri, asservi au Nord moins civilisé, morcelé en plusieurs souverainetés, parcouru par les Inquisiteurs, aux yeux desquels toute pensée originale était suspecte et digne de mort, perdît la haute situation politique, économique et intellectuelle qu'il avait acquise et splendidement maintenue.

La langue provençale, réduite à l'état de dialecte, cessa presque d'être écrite, et même les nobles efforts récents des Félibriges n'ont pas réussi à lui rendre la place d'honneur d'où la croisade l'a brutalement fait tomber.

L'Université, créée à Toulouse vers 1250, déclara. la guerre aux livres écrits en provençal, comme suspect d'hérésie. La langue d'oïl devint officielle.

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