Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Vaudois et Albigeois

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L'accord entre Vaudois et Albigeois a induit plusieurs écrivains à les considérer comme un, seul corps (1). Il faut néanmoins faire une distinction.

Persécutés en Piémont dès l'an 1028, les Cathares n'avaient pas tardé à être signalés aussi dans le Midi de la France, où un concile les condamne en 1119, et de nouveau en 1163 et 1165. D'autre part, ils se réunissent près de Toulouse en 1167 pour se donner une organisation définitive, à l'aide d'un évêque venu de Constantinople.

C'est donc tout un organisme bien établi que les fuyards de Lyon trouvèrent dans le Languedoc, où étaient aussi nombreux les disciples de Pierre de Bruis et d'Henri de Lausanne., Le peuple semble avoir bientôt préféré la simple prédication biblique des Vaudois aux théories compliquées, que les Cathares avaient apportées de l'Orient. Ce phénomène se rencontre partout où ces deux mouvements se mélangèrent. Le catharisme persiste jusqu'à là veille de la Réformation, mais il va en s'éteignant a mesure que la prédication vaudoise gagne les âmes au pur Evangile.

Mais retournons au Languedoc.

Guillaume de Puylaurens, chapelain de Raymond le jeune, comte de Toulouse, dans le prologue de sa chronique, dit : « Il y avait des Ariens, des Manichéens et des Vaudois ou Lyonnais, qui étaient dissidents entre eux. Tous, dans la perversité de leurs âmes, conspiraient contre la foi catholique; mais les Vaudois disputaient ardemment contre les autres. »

Les Ariens étaient les derniers restes des Wisigoths, les Manichéens n'étaient autres que les Cathares. Quant aux Vaudois, s'ils discutaient avec eux., la Bible à la main, pour soutenir la divinité de Christ et le salut par son sacrifice, ils disputaient ardemment surtout contre le clergé romain.

Nous avons la relation de la première de ces disputes dans l'ouvrage Contra Valdenses, due à Bernard, abbé de Fontcaude. Elle eut lieu près de Narbonne, où se trouvèrent les champions des deux croyances, vers l'année 1191. Les Vaudois sont accusés de violer le commandement apostolique qui dit : Obéissez à vos conducteurs, puisqu'ils se rebellent contre les prêtres et les évêques. Ils répondent: Nous ne leur obéissons pas, parce qu'eux-mêmes désobéissent à la Parole de Dieu. Nous suivons donc l'apôtre Pierre qui a dit: Mieux vaut obéir à Dieu plutôt qu'aux hommes.

On leur reproche de prêcher sans y être autorisés. Ils répondent qu'ils ont demandé cette autorisation et qu'elle leur a été refusée. « Nous pécherions >, « si, étant capables d'enseigner l'Evangile, nous ne le faisions pas. Jacques a dit: Celui-là pèche qui, sachant faire ce qui est bien, ne le fait pas. Aux disciples, qui voulaient imposer silence à un homme qui chassait les démons en Son nom, Jésus a dit: « Ne l'en empêchez pas ! » Et Saint Grégoire a dit

« Quiconque a ouï dans son coeur la voix de l'Amour Suprême, doit à son prochain la voix de l'exhortation. »

On les blâme encore de faire parler des femmes en public, de nier l'efficacité des prières et des messes pour les morts,- ainsi que le purgatoire, doctrine relativement nouvelle dans l'Eglise, et que le Dante devait rendre si populaire.

Le président et arbitre était un prêtre, qui prononça naturellement que les Vaudois étaient hérétiques sur les points sur lesquels portaient les accusations. Il n'est parlé nulle part du dualisme, qu'on reprochait aux Cathares ou Vallenses, ce qui prouve qu'ils n'ont pas pris part à ces disputes. Mais, bien que nous n'ayons que la version de leurs adversaires, on voit que les Pauvres de Lyon comptaient dans leur nombre d'habiles dialecticiens qui, comme Jésus,. repoussaient les tentateurs en disant : Il est écrit, sans dédaigner de recourir aux écrits des Docteurs, que le pape lui-même leur avait recommandes.

Comme si la décision du prêtre président les avait pleinement convaincus, Alphonse d'Aragon, marquis de Provence, par un rigoureux décret de 1192, or donna que : « les Vaudois ou Ensabatés, qui sont aussi nommés Pauvres de Lyon, et tous les autres hérétiques anathématisés par la Sainte Mère Eglise, soient expulsés de nos Etats comme ennemis de la Croix du Christ, violateurs de la religion et ennemis publics. C'est pourquoi quiconque osera désormais nourrir ou assister en aucune manière les dits Vaudois ou autres hérétiques, encourra l'indignation de Dieu et la nôtre, et ses biens seront confisqués selon la peine infligée aux coupables de lèse-majesté. » Cet édit fut rafraîchi en 1194 et 1197. Le surnom d'Ensabatés, employé encore plus tard, était. dû à la simple chaussure des Vaudois, qui portaient des sandales. Toujours en 1192, un édit de l'évêque de Toul, en Lorraine, disait : « Quant aux hérétiques nommés Waldoys, nous ordonnons à tous les fidèles, qui en rencontreraient, qu'ils les arrêtent et les amènent à notre siège de Toul, afin qu'ils soient punis. »

Cette mesure de répression, prise en Lorraine, prouve que les Vaudois du Lyonnais s'étaient répandus dans toutes les directions, bien que nous possédions plus de données concernant le Midi, à cause de la sanglante tragédie dont il allait être le témoin.

Les décrets menaçants n'eurent aucun effet en Languedoc, la masse de la population étant gagnée à la cause des soi-disant hérétiques, qui jouissaient de la protection, explicite ou tache, de la haute noblesse. Quelques années, assez paisibles, s'écoulèrent donc jusqu'à cc qu'une nouvelle mission, envoyée de Rome, se présenta, non plus en grande pompe et dans des équipages luxueux, mais en s'efforçant ,,d'imiter l'humilité apostolique et celle des Pauvres de Lyon. D'habiles théologiens accompagnaient les légats du pape. Ils reprirent les séries de disputes.

 

Les plus connues sont celles de Pâmiers, en 1206, et de Montréal, en 1207. Cette dernière dura quinze jours, sous la présidence de, quatre laïques. Arnaud Othon dépeignit sous des couleurs si vives la corruption de l'Eglise et de ses ministres que les ecclésiastiques présents se retirèrent brusquement. Les arbitres n'eurent pas lieu de se prononcer. La dispute de Pâmiers eut lieu dans le château du comte de Foix> dont nous avons vu la femme et la soeur affiliées aux Vaudois. C'est à la suite de cette dispute qu'un certain Durand, natif d'Huesca dans les Pyrénées, se détacha des Vaudois avec quelques adhérents et alla demander au pape l'autorisation de continuer dans leur genre de vie, sans sortir du giron de l'Eglise. Ils promettaient de ne confier la prédication qu'à des gens lettrés. Ils conservaient le vêtement simple des Lyonnais, mais ils s'en distinguaient en ce que leurs chaussures étaient coupées par en haut, car ils voulaient être séparés des Vaudois aussi longtemps que ceux-ci ne se seraient, pas réconciliés avec l'Eglise.

 

C'est là l'origine des Pauvres Catholiques, nom qui leur fut donné par Innocent III. Cet ordre, dont les chefs tendaient vers un accord impossible, entre l'indépendance de la pensée et de la consciente, et l'obéissance au pontife, n'eut pas une longue vie. Il en fut de même des Vaudois d'Italie qui se réconcilièrent avec le pape en 1210. Dès l'année 1256, ils étaient englobés avec les Augustins, sans même qu'on s'aperçût de leur disparition.

Si ces transfuges se vantaient d'être des lettrés et regardaient avec quelque mépris Valdo et ses disciples, qui n'avaient pas fait d'études, leur départ ne ralentit guère l'activité des vrais Pauvres de Lyon.

On ignore ce que devenait Valdo pendant ce temps. Son rôle semble avoir été assez effacé, tandis que les plus illustres et capables de ses disciples soutenaient vaillamment la lutte contre les théologiens romains. Le point de départ de la protestation de Valdo concernait surtout la pratique de la vie chrétienne et il continua sans doute, ainsi que ceux qu'il envoyait deux à deux, à parcourir les campagnes, enseignant la voie parfaite par sa parole et par son exemple. S'il se rendit aussi dans le Languedoc, il ne borna probablement pas là son activité. Nous pouvons au contraire nous le représenter allant d'une région à l'autre pour visiter et encourager les nouveaux groupes de fidèles, qui surgissaient de tous côtés.

On a vu l'évêque de Toul signaler le péril vaudois dans son diocèse, dès 1192. Leur présence est pareillement dénoncée à cette époque dans le reste de la Lorraine, notamment à Metz. Leur secte y pullulait. In ube Metensi pullulat secta quoe dicitur Valdensium, telle est l'expression d'un chroniqueur presque contemporain. Albéric, évêque de cette ville, informe le pape que les Vaudois faisaient circuler une traduction des Evangiles, des Epîtres de Paul et des Psaumes, sans doute des copies de la Bible de Valdo. On la lisait dans des réunions secrètes, où la parole était libre, et la protestation de quelques prêtres présents n'avait pas réussi à empêcher ces témoignages de laïques zélés.

En 1199, Innocent III chargea d'une enquête trois abbés, qui brûlèrent quelques livres traduits du latin en langue romane et se vantèrent d'avoir extirpé la secte. Il n'en fut rien, si même il y eut un certain nombre de victimes. La chronique, citée plus haut, assure que l'hérésie n'était pas éteinte dans la ville de Metz en 1221, c'est-à-dire bien après la Croisade, qui fut aussi prêchée par ce même évêque et dont nous allons raconter le déchaînement.

En 1201, un décret papal ordonnait de même qu'on remît toute traduction des Ecritures, tant françaises qu'allemandes, à l'évêque de Liège dans les Flandres.

D'après certains auteurs, les Vaudois auraient aussi pénétré dès cette époque, dans le Briançonnais, et de là, à travers les Alpes, dans les hautes vallées de la Doire et du Cluson, géographiquement italiennes, mais qui dépendaient du Dauphiné. Il s'en trouvait, en tous cas, dans l'Embrunais, appartenant alors à la Provence; la frontière avec le Briançonnais était marquée par une longue et forte muraille, qui porte encore le nom de Mur des Vaudois.

Il est du moins certain que, le 21 avril 1198, Innocent III écrivit une lettre pressante aux archevêques d'Embrun, d'Aix, de Narbonne, et de Tarragone en Espagne, et à leurs suffrageants, leur intimant de chasser de leurs diocèses les Vaudois, Cathares et Patarins. Il écrivit dans le même sens aux seigneurs temporels de ces contrées.

On a vu que les relations des Vaudois avec la Lombardie sont encore plus anciennes et que la communauté de leur cause et leurs revendications les y avait rapprochés des Humiliés dès l'époque du retour de Valdo de Rome.

Crespin parle même de Vaudois brûlés en Angleterre en 1174, ce qui est impossible, quelques mois seulement après la conversion de Valdo.

Mais, si la dispersion des Vaudois, expulsés de Lyon, servit à répandre leur prédication évangélique dans toute l'Europe Occidentale, cette dissémination eut lieu surtout à la suite de la féroce répression, qu'il nous reste à rappeler.

1. Le nom d'Albigeois, en effet, a été appliqué à toutes les dissidences du Languedoc et a souvent désigné les Vaudois,, surtout au temps de la croisade.

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