Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Valdo et le concile de Latran

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Mais Valdo ne prit pas son parti de la prohibition injuste qui l'avait exilé de sa ville. Si le chef du catholicisme à, Lyon l'empêchait d'accomplir une oeuvre aussi sainte, il recourrait à Rome et obtiendrait justice auprès du Chef Suprême de l'Eglise. Généreuse illusion, que la plupart des réformateurs de tous les temps ont partagée au début de leur carrière !

Valdo en appela donc au pape Alexandre III, qui venait de convoquer le troisième concile de Latran.

Cette assemblée solennelle de la chrétienté occidentale siégea du 5 au 19 mars 1179, avec le concours de 302 évêques, outre les Autorités de l'Eglise et de la ville de Rome. Le pape, que ses sujets avaient tenu en exil pendant dix ans, était rentré depuis un an à Rome.

Bien que Valdo ne soit pas nommé dans les actes du concile, sa présence est attestée par plus d'un auteur. La chronique, qui nous sert de guide principal dans ce récit, assure que les prédicateurs lyonnais furent appelés au concile; c'est-à-dire, que leur appel était admis et que leur cause allait être jugée.

Valdo arrivait dans la Ville Eternelle, sûr du succès de sa cause, le vicaire de Christ ne pouvant manquer de l'approuver pour avoir suivi le précepte donné par le Sauveur au jeune homme riche.

Les prélats, chamarrés d'or et de pourpre, ne daignèrent sans doute pas remarquer ces pauvres pèlerins vêtus de bure. Par contre, Alexandre, qui à Venise avait donné son pied à baiser à l'orgueilleux empereur; Frédéric Barberousse, aurait embrassé Valdo. Valdesium amplexatus est papa, dit notre auteur., en signe d'approbation de son voeu de pauvreté volontaire. Un nouvel ordre monastique ne pouvait être qu'un régiment de plus au service dé la Cour de Rome. Valdo dut promettre d'observer, à côté des Saintes Ecritures, les enseignements &et quatre grands Docteurs, Ambroise, Augustin, Grégoire et Jérôme. D'ailleurs, des maximes, tirées de ces auteurs, constituaient déjà les Sentences, qui étaient annexées à la traduction de la Bible qu'il avait fait faire. D'après une relation, de source vaudoise et quelque peu tardive, Valdo aurait prêché dans la ville en y faisant plusieurs disciples et aurait acquis l'approbation et l'appui d'un cardinal des Pouilles. Au reste, l'Inquisiteur Moneta assure qu'il aurait reçu du pape la charge de prêcher. Mais ce ne fut qu'un instant. Depuis des années, Alexandre avait été entraîné dans les démêlés des Guelfes et des Gibelins, et son action et ses préoccupations avaient été surtout politiques. En accordant à Valdo le droit de prédication, il n'avait pas mesuré toute la portée de son acte, et les conséquences qui en découleraient. Quel mépris ne rejaillirait pas sur les prélats si le peuple voyait de simples laïques lui enseigner ce dont ils négligeaient et dédaignaient de s'occuper!

L'évêque Guichard et ses collègues comprirent le danger qui les menaçait et, sans contredire formellement la concession accordée par Sa Sainteté, ils se préparèrent à couvrir de ridicule ces laïques, en dévoilant leur ignorance et leur présomption, et en leur montrant combien ils étaient peu digne du haut privilège auquel ils prétendaient.

Mais, à ce propos, laissons parler un autre contemporain, Walter Map, archidiacre d'Oxford, délégué au concile par le roi d'Angleterre, Henri Il.

« Je vis au concile des Valdesii, ignorants et sans instruction, appelés ainsi du nom de leur chef, Valdo, qui avait été citoyen de Lyon sur le Rhône. Ils présentèrent au pape un livre écrit dans le dialecte de la Gaule, contenant le texte et l'explication du Psautier et de la plupart des autres écrits de l'Ancien et du Nouveau Testament », sans doute l'ouvrage de Bernard Ydros et Etienne d'Anse. « Ces gens demandaient avec instance qu'on leur reconnût le droit de prêcher. Ils s'en croyaient dignes, tandis qu'ils n'étaient que dm sots, pareils à ces oiseaux qui, ne voyant pas les mailles des filets, pensent toujours trouver une issue. Tout en me sentant bien petit dans une assemblée aussi imposante, je ne pouvais pas ne pas trouver ridicule que leur demande fût prise au sérieux et si longuement discutée. Invité à parler, je lançai mon dard. On amena donc, en présence de plusieurs théologiens versés dans le droit canon, deux Vaudois réputés parmi les principaux de la secte. Ils n'étaient pas sans prétention et pensaient me' réduire au silence. Je pris place timidement, me demandant si mes péchés ne me privaient pas de parler dans un si grand concile. Mais le pape m'ordonna de les interroger, ainsi que je m'y étais préparé. Je commençai par les questions les plus simples, qu'il n'est permis à personne d'ignorer.

- Croyez-vous en Dieu le Père?

- Nous y croyons, répondirent-ils.

- En son Fils?

- Aussi.

- En l'Esprit-Saint?

- De même

- En la mère de Christ ?

- Oui.

A ce moment toute l'assemblée partit d'un gros éclat de rire. »

C'est que les Vaudois n'avaient pas remarqué qu'on emploie la préposition en pour exprimer la foi aux trois personnes de la Trinité, tandis qu'on ne s'en sert pas pour indiquer les autres objets de notre foi. L'importance que la mère de Jésus a acquise depuis lors dans l'Eglise romaine ne permettrait pas à un concile du XXe siècle d'accueillir par un rire homérique cette particule qui lui était appliquée.

C'est sur cette subtilité que l'auguste assemblée s'arrêta dans l'examen de la doctrine que les Vaudois entendaient prêcher. « Ces gens, poursuit Map, se retirèrent confus, et avec raison. Ils prétendaient guider, étant eux-mêmes sans guide. Ils n'ont pas de demeure fixe. Ils s'en vont deux à deux, nu-pieds, en robe de laine, sans rien posséder. Ils suivent nus un Christ nu, ayant tout en commun comme les Apôtres. Ils commencent maintenant très humblement, parce qu'ils ne peuvent pas entrer. Mais si nous les admettions, nous-mêmes serions chassés. »

On voit percer ici la vraie raison du refus, dont la mesquine dispute théologique n'avait été qu'un prétexte. La persuasion que le désintéressement, le zèle et le dévouement de ces simples formerait un contraste criant avec le luxe et l'oisiveté des prélats, poussa le concile à refuser ce que le pontife avait déjà accordé.

Cependant, pour ne pas paraître se contredire, « il fut défendu tant à Valdo qu'à ses compagnons, de faire l'office de prédicateurs, si ce n'est à la requête des ecclésiastiques ».

La relation vaudoise dit que « la réponse finale de la cour de Rome à Valdo fut que l'Eglise romaine ne pouvait supporter sa parole ».

C'est, en effet le vrai sens de la décision du concile, car les Vaudois comprirent bien que jamais les prêtres ne recourraient d'eux-mêmes au ministère des laïques.

Tant les prélats que les Vaudois considérèrent cette réponse comme un refus et une condamnation. En effet, un autre auteur contemporain, Allain de Lille, mort en 1212, dans son traité contre les erreurs des Vaudois, dit tout droit qu'« au concile de Latran une sentence d'excommunication fut prononcée contre eux, sentence apostolique qui les a retranchés de l'Eglise. Aussi ne doit-on avoir aucune communication avec eux ». Ils ne sont pas nommés dans le dernier acte du concile, qui lança l'anathème contre les Cathares, Patarins ou Albigeois, répandus surtout en Italie et dans le Midi de la France, ainsi que contre ceux qui les recevraient et contre leurs seigneurs. Mais le tableau, qui représente le concile, a porté, dit-on, cette inscription en latin : Sous le pape Alexandre III et l'empereur Frédéric 1er, les hérétiques Vaudois et Cathares sont condamnés.

Que fera Valdo devant ce déni de justice? Ici se place une période de sa vie sur laquelle nous n'avons que des données bien rares et très laconiques.

Il ne se rebella pas aussitôt, attendant peut-être ces appels du clergé qui l'autoriseraient à prêcher. La chronique dit que les Vaudois observèrent pendant quelque temps la décision du concile. La relation vaudoise assure que, en traversant l'Italie sur le chemin du retour, Valdo ne tint pas la lumière sous le boisseau et qu'il recruta de nouveaux adhérents. Il connut peut-être alors les Humiliés de Lombardie, qui avaient aussi demandé le droit de prêcher, sans pouvoir l'obtenir.

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