Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Marie la sanguinaire. - Jean Hooper.

1553

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La mort de Jeanne Gray et des siens n'était que le prélude de la plus atroce tyrannie. Des vengeances politiques, jointes au fanatisme religieux, avaient dicté ces arrêts. Mais, durant tout son règne, Marie, ne redoutant plus de concurrents, n'écouta que sa haine contre l'Evangile et ses sectateurs. 

Une de ses premières victimes fut Jean Hooper. Eclairé par la Parole de Dieu durant les dernières années du règne de Henri VIII, il avait dû fuir en Allemagne. De retour à Londres, lorsqu' Edouard monta sur le trône, Hooper prêcha avec une grande force la vérité, dans la capitale. Le jeune roi, l'ayant entendu, en fut si touché qu'il le nomma évêque de Glocester. 

Hooper préférait la simplicité apostolique à l'extérieur pompeux, au costume épiscopal, reste du papisme, qui lui inspirait un profond dégoût. Il supplia le roi ou de lui ôter sa charge ou de le dispenser de ce cérémonial. Edouard appréciait trop bien le pieux évêque pour ne pas lui accorder cette dernière demande. Ses collègues, quoique partisans de la réforme, virent de mauvais oeil cette espèce de faveur. Chose étrange : la question du costume prit des proportions énormes et ne fit qu'entraver la solution d'autres points bien plus importants. Hooper dut céder et fut contraint de paraître en publie, au moins une fois, vêtu comme les autres évêques. Il se retira dans son église et se consacra avec un dévouement exemplaire à la prédication, aux soins des pauvres et à l'instruction du peuple. 

Mais ce calme ne dura que deux ans. Marie révoqua tous les édits d'Edouard, Hooper fut cité devant des commissaires de la reine, déposé de son évêché et jeté en prison.

- Rentrez, lui dirent-ils, dans le sein de l'Eglise romaine et reconnaissez le pape pour votre chef.

- Le pape ! répondit Hooper, je ne l'estime pas même comme membre du corps de Jésus-Christ; comment le reconnaîtrais-je pour le chef de l'Eglise? Le chef, l'époux de l'Eglise, c'est Jésus-Christ. Quant à la reine, si je l'ai offensée par imprudence ou de toute autre manière , je la supplie de me pardonner.

- La reine ne pardonne nullement à un ennemi du pape. Etes-vous marié?

- Oui, et rien ne pourra rompre ce mariage que la mort.

- Quand il n'y aurait pas autre chose, c'est bien assez pour vous rendre indigne de conserver votre évêché.

- Cette cause n'est ni valable, ni suffisante, à moins que vous ne vouliez déroger aux lois et au droit reçu publiquement dans ce royaume.

- Par quelle autorité niez-vous la présence réelle et corporelle de Jésus-Christ dans le sacrement de la cène?

- Par celle de l'Ecriture, où il est dit : Il faut que le ciel le contienne jusqu'au rétablissement de toutes choses. (Act. III, 21.) 

Hooper fut mis à Londres dans une prison humide, sale, infecte; sa santé s'altéra; une grave maladie le conduisit aux portes du tombeau. Transporté dans la prison de Newgate, il fut assailli par les instances des évêques papistes. Ne pouvant lui arracher une rétractation, ils firent courir le bruit qu'enfin il avait cédé. La plupart des habitants de Londres, favorables à la réforme, crurent cette odieuse calomnie. Le prisonnier, en étant instruit, parvint à se procurer une plume, du papier et de l'encre, et écrivit une noble protestation. « J'apprends, disait-il à ses frères en la foi, qu'on dit que je me suis rétracté et que j'ai démenti tout ce que j'ai prêché auparavant. Je connais assez les premiers auteurs de ce bruit; c'est Boner, évêque de Londres, et ses complices, qui venaient me trouver presque tous les jours. Or les frères devaient bien prévoir ce que le dit évêque et ses suppôts eussent jugé de moi si j'eusse ou refusé ou dédaigné de leur parler, et comment ils auraient dit que, soit par ignorance, soit par orgueil ou vaine gloire, je n'avais pas daigné entrer en dispute avec eux. C'est pour éviter tout soupçon que je leur ai résisté je suis content de ravoir fait, et suis prêt à le faire jusqu'au bout, avec l'aide de mon Dieu. - J'ai perdu mes biens; j'ai souffert la pauvreté et les peines indicibles de la prison, et maintenant encore, en l'infirmité de ce pauvre corps mortel, je suis aussi prêt que jamais à souffrir la mort. - J'ai jusqu'ici montré constamment la pure vérité du Seigneur, tant par parole que par écrit, et, avec la grâce de Dieu, je suis prêt à la sceller de mon sang. »

Le lendemain, on lui annonça qu'il allait être conduit à Glocester, pour l'exécution de la sentence de mort. A cette nouvelle, il lève les mains et les yeux vers le ciel et rend grâces à Dieu de ce qu'il mourra au milieu de ceux à qui il a annoncé l'Evangile, et pour l'édification, l'affermissement desquels il a toujours désiré exposer sa vie. - A son approche de son ancienne résidence, la foule accourt; ce sont ses fidèles brebis qui témoignent leur amour pour leur pasteur, par leurs gémissements et leurs larmes. L'escorte armée craint une émeute, un enlèvement du condamné. Le capitaine envoie en toute hâte chercher un renfort dans la ville. Le renfort arrive et disperse la foule.

Déposé en prison, Hooper passa la nuit en prières. Le jour de l'exécution, environ sept mille âmes se précipitèrent sur la place où le martyr devait recevoir la palme de la victoire. Tout près de là était le temple où il avait proclamé la parole du salut. En présence du bûcher, il la proclamait encore, mais avec une force toute nouvelle : sa mort n'était-elle pas le plus éloquent témoignage de sa foi ? Au pied de l'échafaud, il se met à genoux et prie; quelques amis dévoués sont à ses côtés et implorent avec lui le secours céleste. Pendant ce temps un homme apparaît, porteur d'une lettre de grâce signée de la reine, sous condition que le condamné rentre dans l'Eglise de Rome.

- Si vous m'aimez, lui dit Hooper, si vous vous intéressez à mon salut, remportez ce papier. 

Les commissaires de la reine font hâter tous les apprêts; on dépouille le martyr de ses vêtements et on ne lui laisse que sa chemise; il s'attache lui-même des sachets de poudre autour de ses jambes et de ses reins; trois chaînes le tiennent au poteau. Le supplice du feu dura près d'une heure, et, pendant cette longue agonie, on l'entendait répéter : « Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi ! Seigneur, reçois mon esprit. »


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Trois évêques.

1554

 

La réaction contre la réforme en Angleterre ne fit que grandir par suite du mariage de Marie avec le farouche Philippe d'Espagne. La reine s'efforça de le faire déclarer héritier présomptif de la couronne. Le parlement s'y opposa et sauva la liberté du royaume, mais les poursuites contre les réformés ne se ralentirent point. Les évêques évangéliques nommés par Edouard furent surtout en butte à la haine de cette reine implacable. L'historien Hume porte à deux cent soixante-dix-sept le nombre des victimes brûlées pendant les premières années de ce règne; les prisons, la fuite, des violences de toute espèce dépeuplaient le pays. Dans une de ces exécutions, une malheureuse femme accoucha au milieu des flammes; un des spectateurs voulut sauver l'enfant ; le barbare qui présidait à l'auto-da-fé (c'était un prêtre) ordonna de repousser dans le feu cette faible créature.

Parmi ces martyrs étaient les évêques Ridley, Latimer et Thomas Cranmer. Marie les fit incarcérer, puis comparaître à Oxford, devant une commission toute composée de leurs plus acharnés adversaires. Ils savaient qu'ils étaient condamnés d'avance, et ils défendirent néanmoins avec fidélité la cause pour laquelle ils étaient dans les fers.

- Nous tenons nos pouvoirs, dit un des commissaires, d'une puissance étrangère.

- Qu'ai-je à faire, dit Latimer, de ces noms barbares? Je suis Anglais, né en Angleterre, et par conséquent, selon la coutume du pays, soumis à la puissance de ce royaume.

- Répondez sur les articles qui vous sont proposés.

- Vraiment, vous m'avez mis en une école d'oubliance : les murailles nues m'ont été données pour bibliothèque; vous m'avez si longtemps détenu sans livres ni plumes, ni encre, que maintenant, me contraindre à une discussion, ce serait assaillir un homme amaigri en prison et tout à fait désarmé.

- Vous dites que vous êtes Anglais, et, à cause de cela, vous demandez à être soustraits à cette puissance, réunissant le pouvoir des clefs à celui du glaive.

- Je ne nie pas que Christ n'ait donné à ses apôtres la puissance de gouverner l'Eglise; mais lui-même aussi a mis des bornes à cette autorité. Vous, vous rompez ces bornes; vous rognez la monnaie de la loi sacrée. Prenez garde que vous ne soyez jetés au fond du lac dont parle St. Jean dans son Apocalypse. (XIV.)

L'arrêt de mort prononcé contre Ridley et Latimer ne tarda pas à s'exécuter.

- Aie bon courage, dit Latimer à son compagnon de martyre, en face du bûcher; nous allumons aujourd'hui en Angleterre un flambeau qui, je l'espère, ne cessera plus de brûler.

Cranmer, qui, dans le temps, s'était déclaré pour le divorce de Henri VIII, et montré partisan de la réforme, était archevêque de Cantorbéry à l'avènement de Marie.

Les regards vindicatifs de cette princesse avaient toujours été fixés sur lui. Arrêté comme rebelle et hérétique, il fut déposé de sa charge et jeté dans la fameuse Tour de Londres, qui avait déjà dévoré tant de victimes. De là, on le conduisit à Oxford, pour comparaître, avec Latimer et Ridley, devant ses ennemis. Pendant près de deux ans, il tint ferme le drapeau de la vérité. Enfin, accablé d'infirmités corporelles et un instant ébloui par les promesses de la reine, il succombe et signe une déclaration de soumission au pape, à Philippe et à Marie. Ah ! que sa main dut trembler en apposant sur ce fatal papier son nom jusque-là si vénérable.

On lui avait promis la vie sauve, et l'on dressait en même temps son échafaud. Déjà le parti papiste triomphait ! L'ancien archevêque de Cantorbéry était rentré dans le giron de l'église, et l'on allait par sa mort néanmoins frapper de terreur tous les réfractaires. Cranmer est conduit dans la cathédrale d'Oxford; là, sur une haute estrade, en présence du clergé, des commissaires de la cour, du peuple, il lira lui-même sa rétractation. Mais l'attente des papistes sera déçue. Le prisonnier s'avance, entouré de prêtres et de gens d'armes; il est couvert d'une méchante robe, coiffé d'un vieux bonnet; son visage est défait, on y lit les rudes combats d'une conscience chargée et pressée de rendre un éclatant hommage à la vérité. Dans la chaire est un des suppôts de la papauté, nommé Pole, qui ouvre la séance Par une prédication dirigée contre l'hérésie, et exaltant le bonheur de ceux qui la rejettent.

- Mes frères, dit-il, afin que personne ne doute de la repentance de cet homme, vous l'entendrez parler. M. Cranmer, je vous prie d'exposer ici publiquement la foi et la croyance que vous avez, afin que vous ôtiez tout soupçon aux hommes, et que le monde entende comment vous êtes vraiment catholique romain.

- Je le ferai volontiers, dit Cranmer. - Mes amis et frères en Jésus-Christ, continue-t-il en se tournant du côté du peuple, je vous supplie tous de prier Dieu qu'il lui plaise d'effacer mes péchés. Il y a une chose surtout qui me cause une extrême douleur. Je vous la dirai. Avant tout, prions.

Après une prière, mêlée d'abondantes larmes, il reprend et fait un exposé fidèle de sa foi :

- J'en viens maintenant à ce qui, par-dessus tous les péchés que je fis jamais, me tourmente le plus dans ce monde, c'est d'avoir signé de ma main l'écrit qui m'a été présenté car, sans aucun doute, je l'ai fait contre la vérité et contre ma conscience. Je pensais par ce moyen éviter la mort et prolonger ma vie en ce misérable monde; mais maintenant je proteste que je révoque et annule tous les écrits que j'ai faits et signés depuis le temps de ma dégradation. Je les désavoue d'hors et déjà totalement. Quant à cette malheureuse main qui m'a servi à signer cette méchanceté contre ma propre conscience, je la voue à être brûlée avant les autres membres de mon corps. Quant au pape, je le tiens pour l'ennemi de Christ et même pour l'antichrist. Je déteste toute sa doctrine comme fausse, et toutes ses erreurs comme pernicieuses et contraires à la Parole de Dieu.

A l'ouïe de ce langage, l'étonnement est à son comble; les évangéliques se réjouissent et rendent grâces à Dieu; les papistes grincent les dents. Bientôt après, le courageux témoin de Jésus-Christ est traîné au supplice. Sa barbe longue et épaisse, sa tête chauve, lui donnent une merveilleuse gravité. Heureux d'avoir confessé son divin Maître, il arrive avec calme auprès du bûcher, et, avec une constance héroïque, il avance sa main droite au milieu des flammes; elle est consumée la première, et, les yeux fixés vers le ciel, il s'écrie: « Seigneur, reçois mon esprit. »

Le règne de Marie entraîna l'Angleterre au bord d'un abîme. A l'instigation de Philippe II, l'Angleterre déclara la guerre à la France, affaiblie par l'échec de Saint-Quentin; mais la France, par un élan sublime, chassa les Anglais de toutes leurs anciennes conquêtes. Le duc de Guise leur arracha Calais. Marie, couverte du plus pur sang de ses sujets, effrayée de l'inutilité de ses efforts contre la réforme, désespérée de laisser le trône à sa soeur Elisabeth, mourut en 1558, après un règne de cinq ans.


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Elisabeth et la réforme anglaise.

1558

 

Ne vous étonnez pas si, en dépeignant les lattes qu'eut à soutenir le retour au christianisme primitif, nous signalons les débats de la politique. Partout vous avez vu l'affreux mélange des intérêts du ciel avec ceux de la terre, partout le pouvoir civil aux prises avec les consciences dans les questions qui ne sont pas de son ressort; partout les consciences éclairées par l'Evangile s'insurgeant contre de telles usurpations. Ce mélange, legs du paganisme, trouva un inépuisable aliment dans la papauté, qui s'appuya toujours sur la force matérielle pour faire triompher son symbole.

A leur tour, les états où prévalut la réforme religieuse ne surent pas abdiquer peu à peu une autorité que la nécessité des temps avait mise dans leurs mains. Pour repousser les incessantes prétentions de Rome, ils avaient cru devoir prendre sous leur protection le nouvel ordre de choses. De protecteurs ils devinrent maîtres; c'est ce qu'on voit encore aujourd'hui dans presque tous les pays réformés. L'Angleterre, depuis l'époque de Henri VIII ou de Marie, a fait de grands pas vers la séparation des deux domaines. La liberté des cultes, immortel trophée des chrétiens animés du véritable esprit de l'Evangile, n'a été conquise qu'au prix de douloureux martyres; elle est loin encore d'avoir attaché son dernier fleuron à sa couronne. 

Voyez l'action du pouvoir; Henri VIII prend la place du pape et veut écraser la réforme à son berceau. Son fils Edouard la défend ; Marie la poursuit avec le fer et le feu. Quelle perturbation ! Quel chaos ! Quel ébranlement dans les esprits ! Quel mépris jeté aux lois ! Quelle source de haine, de misères, de ruines ! Et tout cela est le fruit d'un principe antichrétien, illogique : l'Eglise acceptant un joug autre que celui qu'elle doit porter, l'état dépassant sa compétence et ses droits.

La mort de Marie, qui avait étendu un voile de sang sur l'Angleterre, fat une délivrance pour le royaume; elle ne mit pas nu terme aux maux qu'un tel régime avait produits.

Sa soeur Elisabeth, déshéritée dès sa plus tendre enfance par le despote qui lui avait donné le jour, flétrie dans son origine par le supplice de sa mère, Anne de Bullen, retenue longtemps dans les prisons, puis séquestrée dans une sombre retraite, avait appris, dans cette rude école, à discerner de quel côté était l'hérésie. Appelée à régner à l'âge de vingt-cinq ans, elle joignait à une vaste capacité naturelle des connaissances fort étendues, mais aussi un reste de cet instinct cruel et tyrannique, funeste héritage de Henri VIII. Sa longue solitude ne l'avait point mise à l'abri de cette corruption des moeurs, générale dans la haute classe et si commune à la cour.

Elisabeth avait été élevée dans la réforme; sa vigoureuse intelligence en avait seule saisi les doctrines; son coeur y était resté étranger. Habile politique, elle veut se concilier le parti papiste. Le jour de son couronnement, elle assiste à la messe; un mois plus tard, elle refuse de prendre part à ce service. Elle s'annonce comme favorable à la réforme. Assez éclairée pour savoir que l'Ecriture condamne le célibat forcé des ministres de la religion, elle leur reconnaît le droit de se marier, mais avec des restrictions qui l'annulent presque.

Deux lois, fatales, paraissent et jettent les bases du droit public d'Angleterre : celle dite de la suprématie et celle de l'uniformité. En vertu de la première, la reine est déclarée chef de l'église aussi bien que de l'état; c'est la continuation du régime inauguré par Henri VIII. En vertu de la seconde loi, le rituel anglais est fixé et coulé en bronze; les formes du culte, la liturgie, tout, dans le service divin, doit être le même partout; c'est un emprunt fait aux vieilles superstitions, adapté tant bien que mal aux innovations réformistes et qui prit le nom de rituel anglican. Les partisans du romanisme pur étaient encore fort nombreux; dans le but de les rattacher au nouveau règne, on remania ]a liturgie trop évangélique, adoptée sous Edouard VI.

Ce césaropapisme provoqua de vives résistances. D'un côté les adversaires de la réforme, malgré toutes les concessions qui leur étaient faites, de l'autre, les puritains, vrais défenseurs des droits de la conscience et de la liberté religieuse, causèrent les plus grands embarras au gouvernement. Les premiers avaient pour renfort les jésuites, dont l'organisation, l'activité, la science, décuplaient les forces. Les seconds, alliés naturels de la reine contre la papauté, blâmaient les tergiversations d'Elisabeth et soutenaient une lutte ouverte en faveur du pur Evangile. Leurs rangs se grossirent d'une foule de pieux et nobles proscrits. Durant leur expatriation ils. avaient, la plupart du moins, grandi dans la vie chrétienne, et ils apportaient dans leur pays natal la résolution énergique de professer cet Evangile pour lequel ils avaient enduré les douleurs de l'exil. Cette opposition puritaine, selon quelques historiens, trop peu mesurée et trop étroite à beaucoup d'égards, fut cependant un puissant préservatif contre ce vieux papisme qui aspirait sans cesse à reprendre la place qu'il avait perdue.

La résistance des puritains au semi-papisme anglican leur attira de violentes persécutions : cinquante-six d'entre eux furent jetés pêle-mêle dans un cachot, où la faim, la misère, les firent périr; trois autres périrent sur l'échafaud. En une seule année cent ministres de Jésus-Christ furent expulsés de leurs églises. Tous ces crimes, commis au nom de l'uniformité, ne démontrent-ils pas la fausseté du principe et ne s'élèvent-ils pas en accusation contre l'intrusion du pouvoir temporel dans un domaine qui ne lui appartient pas? Ne prouvent-ils pas aussi l'impérissable puissance de la foi? Malgré les violences cruelles du gouvernement d'Elisabeth, les doctrines évangéliques prirent de plus en plus racine dans les coeurs. Un gouvernement civil, toujours moins persécuteur que la tyrannie papale, peut s'égarer dans les voies qu'elle lui a tracées; mais il n'est pas, comme elle, ennemi né des libertés morales. Il a son jour, jour sombre, lugubre, chargé d'orages; et le calme succède à la tempête. Sous la Rome papale, au contraire, la lumière s'éteint, l'aspiration ou l'affranchissement du joug humain est étouffé, et le peuple reste figé dans la moule qu'elle a préparé. 

Sous Elisabeth, deux faits immenses étaient acquis et acquis pour toujours : divorce d'avec Rome; la Bible dans les mains du peuple. C'est à cette grande révolution que l'Angleterre doit, sous la bénédiction de Dieu, l'honneur d'être un des pays les plus libres, les plus moraux, les plus puissants du monde.



L'Irlande et la réforme.

1540

 

A l'ouest de l'Angleterre est une île d'environ quatre-cent-cinquante kilomètres de long, sur deux-cent soixante-dix de large : c'est l'Irlande.

Vous vous souvenez que d'Est de l'Irlande que, au Ve siècle, étaient partis de courageux missionnaires qui évangélisèrent les Gaules, l'Helvétie et l'Italie du nord. Colomban, Gall et leurs compagnons, quoique imbus de quelques erreurs de leur temps, montrèrent, par leurs pieux travaux, qu'à cette époque l'Irlande n'avait pas, complètement perdu la connaissance de l'Evangile., Jusqu'au XIle siècle, cette île jouissait d'une pleine indépendance. Le joug de Rome y était inconnu. Dès lors sa main de fer y riva des chaînes que la réforme, n'est pas encore parvenue à rompre.

Vers 1540, Henri VIII, roi d'Angleterre, déclaré aussi roi d'Irlande, prit le titre de chef de l'église, et en chassa, pour un temps, la suprématie papale. Vous avez vu que les innovations apportées par ce prince en Angleterre n'atteignaient que la surface: la destruction de quelques monastères, cloaques de corruption; l'expulsion des images, et autres mesures d'éclat, pouvaient être un acheminement vers une sérieuse réforme, mais rien de plus. Ainsi en fut-il en Irlande.

Le règne d'Edouard VI fut marqué par quelques progrès. A la messe, on avait substitué un culte moins grossier; les saintes Ecritures commençaient à répandre leur bienfaisante lumière, lorsque la fanatique et cruelle Marie, fille de Henri VIII, mit tout en oeuvre pour l'éteindre. La réforme avait pris quelques racines. Un moine anglais, devenu disciple fervent de, Jésus-Christ, G. Brown, y avait travaillé avec d'encourageants succès. L'archevêque de Dublin secondait de toutes ses forces ce mouvement, L'un et l'autre furent bannis. A l'instigation, du pape et de la reine, le parlement ordonna le rétablissement complet du culte romain.

En 1558, Marie avait envoyé en Irlande un fougueux papiste, le docteur Cole, pour exécuter cet ordre. Arrivé à Chester, il reçoit à l'hôtel la visite des magistrats de la ville, et se hâte de leur montrer le précieux parchemin contenant ses pleins pouvoirs. La dame de l'hôtel entend l'orgueilleuse confidence du commissaire et remarque avec soin la place où il dépose cette pièce importante. Elle a, à Dublin, un parent qui sera victime de l'arrêt. Que fait-elle ? Pendant que Cole accompagne les magistrats jusqu'à la rue, la hardie hôtesse enlève le parchemin de son étui et met à la place un jeu de cartes, referme l'étui et s'en va. Le docteur, ne se doutant de rien, fait porter son bagage à la voiture et poursuit sa route.

À Dublin, il se rend au château du gouverneur avec ses pleins pouvoirs. Là, dans une séance solennelle, il annonce qu'il a une grande mission à remplir, et, pour preuve, il remet l'étui au gouverneur. Celui-ci l'ouvre, cherche : 0 surprise! point de lettres patentes, mais un misérable jeu de cartes ! - « Allez chercher d'autres pleins pouvoirs, » lui dit le gouverneur.

Confus et ignorant l'auteur de cette piquante supercherie, le pauvre docteur repart pour Londres et obtient de nouveaux titres d'oppression. Déjà il avait atteint les rives d'Angleterre et allait traverser le détroit, lorsqu'il apprend la mort de la reine Marie et l'avènement d'Elisabeth.

Ce ne fut qu'un répit pour la malheureuse Irlande. Sous Elisabeth, le romanisme est sans doute menacé les progrès que fait la réforme en Angleterre trouvent de l'écho en Irlande. Mais un petit nombre seulement d'Irlandais avaient saisi par le coeur les doctrines chrétiennes. Le défaut de culture intellectuelle, l'empire de vieilles coutumes, l'action abrutissante d'un clergé riche et influent, opposaient de fortes barrières à une réformation générale et solide. Pendant dix ans, le peuple flotta entre la messe et l'Evangile. La partie de la population la plus résolue à se séparer de Rome, compta plus sur des moyens humains que sur le Seigneur. Rome, menacée de perdre l'Angleterre et l'Ecosse, redoubla d'efforts pour sauver au moins l'Irlande de ce ruineux naufrage. Elle y lança ses jésuites, et répara une portion de ses pertes.

Plus tard, par un fatal aveuglement, le gouvernement anglais, un gouvernement dit protestant, opprima l'Irlande; afin d'y maintenir son pouvoir, il se rangea du côté d'un clergé vénal. Ce n'est que depuis peu d'années seulement que la vraie réforme s'est mise en marche: une évangélisation active, éclairée, persévérante, sous des lois tutélaires, y répandent une vive lumière. Le papisme et l'Evangile y sont aux prises; nulle part de vexations d'aucune sorte; les romanistes jouissent de tous leurs droits,- et les évangéliques usent des leurs pour planter l'étendard de la vérité. Sur ce terrain-là, la victoire n'est pas douteuse.

Le catholicisme romain en Irlande est ruiné jusqu'à sa base. Dans l'espace des dix dernières années, plusieurs milliers d'Irlandais ont quitté Rome et ses autels, et, la plupart, pour suivre fidèlement la voie tracée par l'Evangile. Une émigration colossale, continue, jette chaque année des flots d'Irlandais sur les rives de l'Amérique du nord. En y cherchant le pain pour le corps, ils y trouvent le pain de l'âme, la Parole de vie, que le pays de leurs pères, pendant si longtemps, n'avait pas su leur offrir.



L'Ecosse. Le premier martyr écossais.

1530

 

En remontant, de l'Angleterre vers le nord, vous arrivez dans le pays des anciens Scots, ou l'Ecosse, aujourd'hui si florissante, et qui, au XVe siècle, était encore à l'état demi-sauvage. Taudis que, en Allemagne, en France, en Hollande, en Angleterre, le réveil des sciences avait précédé et favorisé le réveil religieux, l'instruction littéraire en Ecosse ne commença à se répandre que par la propagation de l'Evangile. Pays pauvre alors, sans commerce, sans industrie, épuisé par les extorsions d'un clergé cupide et ignorant, l'Ecosse doit sa merveilleuse transformation à cet Evangile du salut. C'est l'Evangile qui, en brisant le joug papiste, a soumis les coeurs à Jésus-Christ, et, sous son empire, les plus nobles facultés, longtemps enfouies, un amour inné pour la liberté, prirent un essor, une vigueur, qui font de l'Ecosse moderne une des contrées les plus riches et les plus remarquables par la pureté des moeurs et par sa haute civilisation.

Les Highlands, ou habitants des montagnes dont ce pays est couvert, avaient gardé de précieux restes des vérités chrétiennes remises au jour par Wicklef : au sein de ces vallées reculées, on lisait en secret quelques portions du livre de Dieu; mais ces faibles rayons de lumière étaient près de s'éteindre ; des prêtres ineptes, dociles aux ordres partis de Rome, s'efforçaient d'arracher ces derniers germes de la vie chrétienne.

Vers l'an 1530, un jeune abbé, Patrice Hamilton, appartenant à l'une des plus nobles familles du royaume, était allé faire ses études à Rome. De la cité papale, il s'était rendu en Allemagne, où le triomphe de la réforme causait une profonde agitation. Hamilton s'enquiert du sujet du débat, examine le pour et le contre, et reconnaît de quel côté est la vérité convaincu que la réforme n'est que le retour aux croyances apostoliques, il regagne ses montagnes avec la ferme résolution d'arborer l'étendard de Jésus-Christ. Il monte en chaire, dans son abbaye de Ferns, et annonce avec une clarté, une force jusque-là inconnues aux Ecossais, la bonne nouvelle de la grâce, Christ, unique médiateur, Christ, notre parfaite justice; plus d'invocation à Marie, ni aux saints, plus de prières mortes et machinales. Comme Zwingle, à Einsiedlen, Hamilton est entouré d'une foule affamée du pain de la vie; mais, moins heureux que le réformateur suisse, il n'est pas entouré d'amis protecteurs et puissants. Le clergé écossais l'accuse de luthérianisme, accusation banale jetée à quiconque déviait d'un cheveu du credo romain.

L'Ecosse ne dépendait pas alors de l'Angleterre, à laquelle elle ne fut rattachée qu'en 1707 ; mais la même inimitié contre toute innovation religieuse ralliait le clergé anglais et le clergé écossais. Celui-ci se demanda : comment faire taire cet imprudent abbé? Hamilton touche à la famille royale des Stuarts. Jacques V, en butte aux attaques de la noblesse, s'est jeté dans les bras du clergé et de la bourgeoisie. Les évêques, assurés de l'approbation du roi, veulent à tout prix écraser à sa naissance le germe de la dissidence. Hamilton est invité à une conférence qui doit se tenir à Saint-André, dans le comté de Fife, où, lui dit-on, il n'aura affaire qu'à un docteur, Alexandre Campbell. L'abbé, sans méfiance, se rend à l'invitation. Dans un entretien avec" Campbell, il lui ouvre son coeur et lui fait part de ses convictions nouvelles. Campbell ne le condamne pas et conduit Hamilton dans une salle voisine. C'est un piège habilement tendu.

Là se trouve une assemblée d'évêques et de moines, qui, bien loin de vouloir l'entendre et de discuter avec lui, l'accablent d'injures, et, sans aucune forme de procès, le condamnent à la peine du feu. Son plus acharné adversaire est ce même Campbell, qui, quelques jours auparavant, avait paru approuver les doctrines d'Hamilton. Aussitôt le bûcher est dressé. Le fidèle abbé sera le premier martyr écossais , sa plus éloquente prédication sera le témoignage rendu à la vérité au milieu des flammes. Le traître Campbell assiste au supplice. Hamilton l'aperçoit et lui crie : « 0 le plus méchant des hommes ! toi qui condamnes les doctrines que tu reconnais pour vraies, et que tu confessais il y a peu de jours, je te somme à comparaître devant le tribunal de Dieu. »

Le feu, allumé par le clergé, ne put ébranler la fermeté du martyr. Cette sinistre clarté se projeta sur l'Ecosse entière et ne fit que bâter la ruine des abominations papistes. Campbell, frappé au coeur par les paroles d'Hamilton, perdit, peu après, la raison, et périt dans un accès de démence.

Dès lors, le pays s'ébranla; les indécis s'affermirent; les partisans de la réforme puisèrent un nouveau courage; la Parole de Dieu, jusque-là si peu connue, fut lue avec plus de zèle : le fanatisme romain remplit les âmes d'un profond dégoût. Le chapelain du roi, Seaton, est au nombre des amis de la réforme; il n'échappe que par là fuite à la haine des papistes. Ceux-ci, pour faire taire les scrupules du roi, effrayé de ces supplices, lui abandonnent une partie des biens ecclésiastiques. Plus libre dans ses plans de persécution, le clergé redouble d'ardeur. Plusieurs couvents étaient infectés d'hérésie : c'est là que se dirigent les coups. Des moines sont mis à la torture, puis jetés aux flammes.

L'antichrist romain venait de voir la défection de l'Angleterre. Redoutant que l'Ecosse ne lui échappât, il plaça sur le siège archiépiscopal de ce pays un de ces hommes qui seront l'éternelle honte de la papauté. Le cardinal Beatoun, cruel, impie, avide de pouvoir, aveuglément dévoué au pape, fut pendant sept ans le fléau du royaume. A l'instigation de ce misérable, les prisons regorgèrent de victimes.

Jacques V mourut en 1542, à l'âge de trente ans, et la régence fut remise à un parent du roi, Jacques Hamilton, comte d'Arran, à Marie de Guise, veuve du feu roi, et au cardinal. A force d'intrigues, celui-ci fut l'âme du gouvernement : ruse, violences, terreur, cachots, bûchers, tout fut mis et oeuvre pour le maintien du papisme.


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Un cardinal et un ministre de Jésus-Christ.

1543

 

La mort de Patrice Hamilton, les cruautés du cardinal Beatoun, n'intimidèrent point les hommes de foi qui avaient le sentiment bien prononcé de leur mission. Le Seigneur voulait enlever de l'Ecosse les immondices romaines, et, pour cela, il avait préparé d'avance ses ouvriers. La lutte était engagée ; les lutteurs, dans le camp évangélique, pouvaient succomber; mais leurs défaites étaient autant de victoires. Il n'en est pas du combat pour la vérité comme du combat pour des intérêts d'un jour : la mort d'un héros sur un champ de bataille entraîne d'ordinaire la déroute d'une armée; la mort d'un vaillant soldat de Christ suscite de nouveaux combattants; une parole de leur divin chef retentit sans cesse à leurs oreilles : « Ayez bon courage, j'ai vaincu le monde. »

Tandis que le bûcher dévorait la dépouille mortelle du bienheureux Patrice, et que le parti romaniste poursuivait son plan d'extermination, d'autres fidèles serviteurs de Dieu répandaient avec succès la bonne semence. L'un d'eux, Georges Wishart, d'une honorable famille du comté de Mearns, était doué des plus précieux dons. La supériorité de ses connaissances, sa parole en traînante, sa profonde piété, son courage à toute épreuve, son habile polémique, son extérieur agréable, joints à une inépuisable douceur, lui assignent une des premières places parmi les réformateurs écossais. Il allait de ville en ville, prêchant les doctrines évangéliques. Etranger à toute menée politique on de parti, il n'avait qu'un but : amener des âmes à Christ. Les démêlés continuels entre la noblesse et le clergé, ou entre le clergé et le gouvernement, n'avaient aucune prise sur lui. Chassé, traqué, de lieu en lieu, comme une bête fauve, par les agents du cardinal, il s'abandonnait tout entier à la protection du Seigneur. À sa voix, les idoles s'ébranlaient, et les foules pressées autour de lui recueillaient avec avidité ses paroles si onctueuses, si instantes et si propres à répondre aux besoins des âmes. Partout où il évangélisait, les doctrines réformées prenaient racine. Ses auditeurs à Dundee, à Montrose, où il exerça quelque temps son ministère, le chérissaient et le vénéraient.

Mais le cardinal guettait sa proie. N'osant l'arrêter, il lui fit interdire la chaire. Wishart renonce à la chaire et prêche en plein air. C'en est trop aux yeux de ses adversaires : un coup de poignard habilement porté lui fermera la bouche. Un jour il descendait d'une tribune dressée sur une place publique. Il voit près de lui un prêtre dont il soupçonne le meurtrier projet. Au moment où l'émissaire de Beatoun sort de dessous sa soutane le poignard, Wishart lui saisit le bras. La fermeté et la douceur évangélique du serviteur de Dieu frappent de stupeur l'assassin. Celui-ci avoue son crime et implore sa grâce. La foule allait le mettre en pièces, lorsque Wishart le couvre de son corps, supplie qu'on ne fasse aucun mal à ce malheureux, et lui sauve la vie.

Une autre fois, il se rendait de Montrose, avec quelques amis, auprès d'un mourant qui réclamait ses soins.

Arrivé à peu de distance d'une forêt propre à quelque embuscade, il s'arrête tout à coup et dit à ses compagnons : « Dieu me défend d'aller plus loin ; il y a un complot contre moi. » Il rebrousse chemin et ses compagnons poursuivent leur route. Quelle n'est pas leur surprise ! Ils découvrent soixante cavaliers cachés dans un massif d'arbres et prêts à saisir l'homme qui avait ,désarmé l'assassin. Wishart échappe donc providentiellement aux coups de ses ennemis; mais le moment approchait où le confesseur de Jésus-Christ donnerait sa vie pour lui.

En 1545, Wishart s'était rendu au château d'Ormiston. Le seigneur du lieu et quelques amis venaient de se nourrir, avec le fidèle évangéliste, de la Parole de vie. Après de ferventes prières et d'instantes recommandations de rester formes dans la profession de la vérité, Wishart va goûter quelque repos. Au milieu de la nuit, la porte du manoir retentit de coups violents ; c'est Botwell, shériff du comté, qui demande l'entrée; il est accompagné d'une troupe armée. Ormiston refuse, Botwell insiste et déclare que toute résistance est inutile, puisque le cardinal et le régent Arran sont là, résolus à s'emparer de Wishart mort ou vif. Le shériff promet de le garantir contre toute espèce de mauvais traitements. Ormiston, comptant sur cette parole, fait ouvrir la porte et désigne au magistrat la chambre où le pasteur est logé.

Beatoun est ravi de joie. Son prisonnier est traîné au château de Saint-André. Le faible régent déclare qu'il ne consentira jamais à la mort de Wishart qu'après un procès dans toutes les formes. Le shériff Botwell, séduit par Marie de Guise, foule aux pieds sa parole et livre le détenu à ses plus acharnés adversaires.

Aussitôt les évêques s'assemblent. L'archevêque de Glascow, redoutant la responsabilité d'un jugement capital prononcé par des ecclésiastiques, veut faire juger l'accusé par un tribunal laïque. Des commissaires laïques refusent nettement de juger un homme aussi vénéré et à qui l'on ne peut reprocher le moindre délit. Des évêques s'en chargent, et, après un semblant de procédure, la peine du feu est prononcée.

Un bûcher est dressé dans la cour du château. Sur des estrades élevées sont Beatoun et ses complices, tout alentour une forte troupe, des canons chargés pour écraser la moindre tentative en faveur du condamné. Le martyr paraît, couvert d'une chemise blanche, à laquelle sont suspendus des sachets de poudre. Monté sue l'échafaud, il se tourne vers le peuple et l'exhorte à ne pas s'éloigner de cet Evangile qui lui a été prêché, ni à se laisser effrayer par les souffrances que lui-même endure. « Exhortez vos prêtres, dit-il, à étudier la Parole de Dieu, afin, du moins, qu'ils sachent rougir du mal et faire ce qui est bien. S'ils se refusent à revenir de leurs coupables erreurs, bientôt ils tomberont sous le poids de la colère de Dieu, et ils ne pourront y échapper. » Pas une plainte, pas un murmure ne sort de sa bouche; quelques instants après, il entre dans le repos réservé au peuple de Dieu.

Trois mois plus tard, le château de Saint-André, résidence de Beatoun, est envahi par une troupe de conjurés, qu'avait poussés à bout cette exécrable tyrannie. Beatoun est massacré. - Cet acte de vengeance, contre lequel Wishart aurait hautement protesté, n'est-il pas un déplorable indice des moeurs de ce temps-là, un des fruits de ce farouche fanatisme auquel les fureurs de Rome avaient façonné toutes les classes de la population ?

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