Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

La réforme et l'Espagne.

1550

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Dans plusieurs villes étaient des groupes plus on moins nombreux de fidèles, détachés des superstitions romaines et goûtant avec délices les bienfaits d'une foi pure en l'Evangile de Christ.

A Séville, le prédicateur de la cathédrale, Egidius, occupait un poste qui lui rapportait un riche revenu. Pendant longtemps, malgré toute sa science, il ne voyait aucun fruit de ses travaux. Ignorant alors la vivifiante doctrine du salut par la foi, il ne pouvait, ainsi que ses confrères, prêcher que les croyances en vogue et dont l'effet était nul pour la régénération des coeurs et de la vie. Egidius n'était point un mercenaire, il mettait à son oeuvre toutes ses forces; mais sa conscience lui reprochait d'occuper une chaire d'où sa parole tombait morte sur des âmes mortes. Inquiet, plein d'angoisse, il allait résigner son office, lorsque le Seigneur plaça un jour sur son chemin un de ces humbles et intelligents disciples de Christ, simple bourgeois, nommé Valer, depuis longtemps en butte aux attaques des prêtres à cause de sa foi. 

- Savez-vous, lui dit Valer, ce qui frappe de stérilité votre ministère?

- Eh ! non.

- Vous ne prêchez pas la foi pure et simple en Jésus-Christ, seul Sauveur. Demandez, priez, et vous recevrez.

Egidius, ému de cette remarque, rentre chez lui, se jette à genoux, supplie le Seigneur de lui donner la connaissance de la vérité. Sa requête, partant d'un coeur droit et humble, est bientôt exaucée. Une lumière céleste inonde son âme; il s'enquiert, comme il ne l'avait jamais fait, de la révélation; il laisse son obscure scolastique pour l'Evangile, et devient un homme nouveau. Le prédicateur remonte en chaire; ses discours, empreints d'un cachet évangélique, trouvent accès dans les coeurs, et bien des âmes, jusque là sans vie, accourent lui poser la question des questions : Que faut-il faire pour être sauvé?

Si celles-ci se réjouissent d'avoir trouvé la perle de grand prix, les prêtres s'alarment, s'irritent. Egidius recevait de hauts témoignages de Charles V, qui allait le nommer évêque de Tortosa, lorsque l'inquisition le fait saisir et le plonge dans un cachot. L'empereur tente en vain de lui faire rendre la liberté : la volonté du souverain se brise encore une fois contre l'inflexible, l'impitoyable tribunal. Egidius est condamné à trois ans de détention et à la peine du feu, s'il cherche à propager ses erreurs et à s'enfuir.

Durant sa captivité, il s'affermit de plus en plus dans les doctrines évangéliques. Les traitements qu'on lui inflige, les promesses de l'Ecriture, l'Esprit-Saint qui habite en lui, tout concourt à le séparer de Rome et à le fortifier dans la bonne part qu'il a choisie. Au bout d'un an de prison, il parvint à s'évader, et, peu après, loin des regards de ses adversaires, il mourut dans la paix. C'était une proie de moins pour l'inquisition; mais, ayant appris où était le corps d'Egidius, elle le fit exhumer et brûler en public.

L'Eglise de Séville resta sous les soins de Constantin Foncius, ami d'Egidius. Foncius, d'un esprit droit, subtil, et versé dans les langues anciennes et dans les saintes Ecritures, flétrissait l'hypocrite dévotion du clergé. Il connaissait toutes les ruses des inquisiteurs et sut les déjouer pour prolonger ses utiles travaux. Au nombre de ses amis était un ancien membre du redoutable tribunal, Zafra, qui l'aidait à se tenir à l'abri des attaques.

Un jour, une malheureuse femme qui fréquentait les assemblées secrètes des réformés, est atteinte de folie et court auprès des inquisiteurs dénoncer le lieu de leur réunion. Zafra, qui avait le pied dans les deux partis, se rend au saint office et démontre qu'on ne peut faire aucun cas des propos d'une femme qui a perdu le sens.

Foncius échappe pour cette fois aux griffes du lion. Mais, peu après, en 1557, il est surpris en flagrant délit d'assemblée, enfermé dans une prison où l'ardeur du soleil le consume à petit feu. Au bout de deux ans de souffrances inouïes, on le trouva mort dans son cachot.

Il y avait à Séville un couvent de St.-Isidore, célèbre par sa dévotion. Les moines y faisaient bonne chère, après leurs offices chargés de toutes sortes de pratiques. Les moeurs y étaient plus dépravées que partout ailleurs. C'est dans ce cloaque que pénétrèrent quelques rayons lumineux. Pendant qu'on incarcérait Egidius, Foncius et d'autres fidèles, les religieux de St.-Isidore se demandaient s'ils n'auraient pas eux-mêmes besoin de quelque réforme. Là-dessus, ils redoublent leurs austérités et se livrent au jeûne et à des macérations corporelles. A ce moment, quelques écrits réformés, traduits en espagnol, leur sont remis par des partisans de l'Evangile; ils les lisent et reconnaissent avec surprise que la voie qu'ils suivent n'est pas celle de Jésus-Christ. 'Peu à peu, la dissolution disparaît, les moeurs s'épurent, les croyances se modifient : plus de prières pour les morts, plus d'invocations aux saints : au lieu de jeûnes méritoires, c'est la sobriété ils célèbrent encore la messe, mais avec un sérieux et un esprit tout nouveau. Le réveil est tel que ce qui reste encore d'idolâtrie leur inspire une horreur profonde.

Mais l'inquisition est là. Que faire? Fuir cette Espagne où la profession ouverte du pur Evangile conduit inévitablement au bûcher? Comment fuir en si grand nombre? Comment abandonner le couvent le plus renommé de toute l'Andalousie ? Douze des plus déterminés s'échappent par divers chemins et se donnent rendez-vous à Genève. La plupart de ceux qui restèrent au couvent périrent sous les coups de l'inquisition.

Valladolid, dans la province de Léon, Madrid, siège de la cour, eurent aussi de nombreux confesseurs de la vérité. On ne les connaît que par leurs martyres. Les églises issues de la réforme en Espagne s'éteignirent dans le sang et dans l'exil. A peine quinze années s'étaient écoulées depuis la première apparition des nouvelles doctrines dans cet infortuné pays, que le papisme n'y trouva plus que de rares adversaires et le laissa dans cette atonie profonde, dans ce bigotisme à la mode, dans ce paganisme énervant où il est encore aujourd'hui.



L'Angleterre. Henri VIII.

1509

 

L'Angleterre va nous offrir les scènes les plus étranges. un despote pédant et cruel, brisant le joug de Rome et préparant, à son insu, les voies à une révolution religieuse; une femme investie du pouvoir et versant des flots de sang au nom de la religion; une église à demi romaine aux prises avec une église fidèle; l'Evangile et la liberté s'implantant enfin dans un peuple pour le placer au premier rang des nations chrétiennes.

Un prince qui rompt les chaînes d'un tyran pour en forger d'autres ne peut être appelé qu'un tyran. Si celui dont il repousse l'autorité est le pape, quelque avantage que le pays retire de cette rupture, on ne saurait donner le nom de réformateur à l'auteur du schisme. Tel fut Henri VIII, que nous trouvons sur le. trône d'Angleterre de 1509 à 1547. Bien loin d'avoir voulu réformer le royaume, il défendit à outrance les vieilles aberrations, et prétendit au titre de défenseur de la foi romaine. Un tel titre convenait à un monstre pareil ; la vraie et pure réformation aurait été souillée par ses mains teintes de sang; il ne put qu'en être l'ennemi. Mais Dieu, qui fit servir un fratricide au salut de la famille de Jacob et à la réalisation des promesses, sut tirer des crimes d'un roi l'affranchissement d'une nation généreuse, luttant pour ses droits les plus sacrés. 

Henri Tudor, comte de Richemont, après un règne de vingt-quatre ans, mourait en 1509 et léguait à son fils, Henri VIII une couronne longtemps disputée par plus d'un concurrent. A l'avènement du nouveau roi, le pays était épuisé par d'effroyables extorsions et couvert de couvents, de moines vivant largement aux dépens du peuple. La noblesse était courbée sous une étroite sujétion. La cour de Rome poursuivait avec rigueur les débris de la précédente réforme tentée par Wiklef; la lumière projetée par les saintes Ecritures, que ce grand serviteur de Dieu avait traduites en langue vulgaire, n'était pas toute éteinte. Lors du grand réveil de la foi sur le continent, une portion de l'Angleterre, ébranlée aussi par cette vaste commotion des âmes, était déjà prête à faire divorce d'avec Rome, lorsqu'un événement honteux vint hâter la rupture. 

Avant de monter sur le trône, Henri VIII avait épousé Catherine d'Aragon, veuve de son frère et tante de Charles V. Après vingt ans de mariage, Henri prétendit avoir des scrupules sur la légitimité de cette union. Le fait est qu'une autre femme, Anne Bullen, avait attiré ses regards. Tout son rêve était de rompre son mariage avec Catherine. Pour cela, il fallait qu'un pape défît ce qu'un autre pape avait permis. Les docteurs examinèrent la question, objet de vives disputes.

Un savant, nommé Cranmer, déclara devant le roi que le pape n'avait pas le droit de dispenser des ordonnances de Dieu, qu'une union avec la veuve de son frère était illicite. Cranmer fut invité par le prince à émettre sa thèse par écrit. Le docteur, professeur à l'université d'Oxford, se retira, pour ce travail, chez le comte de Witschire, père d'Anne Bullen, dont il devint l'ami dévoué. Cranmer avait puisé dans les saintes Ecritures et les livres des réformateurs allemands la connaissance de la vérité. Après une étude sur la question qui lui était soumise, il conclut pour l'illégitimité du mariage.

De son côté, la cour de Rome, à laquelle l'affaire a été soumise, délibère : si elle se prononce pour le divorce, elle s'aliène l'empereur Charles V, neveu de Catherine; si elle s'y refuse, elle mécontente Henri. Le pape, pour se tirer d'embarras, cite à sa barre le roi et la malheureuse épouse. Henri s'indigne, il ne peut reconnaître cette juridiction étrangère et refuse de comparaître.

Un nouvel incident surgit et dessine encore mieux la position. Par reconnaissance pour l'appui moral que Cranmer lui a donné, Henri le nomme archevêque de Cantorbéry, première dignité ecclésiastique du royaume. Cranmer, peu avide d'honneurs, accepte par dévouement pour le roi, mais sous réserve de n'admettre l'autorité du pape qu'autant qu'elle ne serait pas contraire à la Parole de Dieu, et qu'il lui serait permis en tout temps de se prononcer contre le pape et de combattre ses erreurs chaque fois que l'occasion s'en présenterait.

A cette nouvelle, le pape s'irrite, il ne veut point de réserves, mais une soumission complète. Cranmer tient ferme, et, pour ne pas trop cabrer l'ombrageux Henri, le pape confirme la nomination du nouvel archevêque. Le roi refuse toujours de se rendre à Rome : le pape le menace de l'excommunication. Après six ans de débats, Henri rompt en visière avec la papauté, répudie Catherine et épouse Anne Bullen. Le souverain pontife n'est plus reconnu pour chef de l'Eglise en Angleterre. C'est Henri qui prend sa place. Autre anomalie qui va causer de grands maux.

Cette rupture était un événement d'une portée immense. Si elle eût été le fruit d'une conviction éclairée, et non de motifs tout personnels; si, nouveau Josias, Henri eût banni de ses états les idolâtries de Rome et accueilli la prédication fidèle de l'Evangile, l'Angleterre eût pu entrer, sans de trop violentes secousses, dans les voies fermes et pures de la réforme. Néanmoins l'expulsion de la papauté eut de tout autres résultats que ceux auxquels le roi aspirait.

Le premier acte de ce prince fut la suppression des petits monastères, tous dévoués au pape et ignobles foyers des plus grossières impostures. Ainsi, dans l'un de ces établissements, à Londres, un ingénieux mécanisme procurait de magnifiques profits : un crucifix attirait les regards de la foule; l'idole entrouvrait la bouche, lorsqu'on lui présentait une pièce d'argent; elle agitait sa barbe, si la pièce était d'or. D'aveugles dévots criaient au miracle. Après le coup d'état de Henri, la ruse fut découverte : un hardi novateur montra au peuple les fils secrets qui faisaient mouvoir la machine. En 1536, trois cent soixante et seize abbayes furent supprimées et leurs biens versés dans le fisc. 

Peu après, ce fut le tour des grands monastères. Le parlement en prononça la suppression en 1539. C'était déblayer le terrain sur lequel l'édifice d'une réforme devait s'établir. Mais, tout en fermant ces maisons, le roi voulut élever une barrière contre l'invasion des doctrines évangéliques. Dans ce but, une commission de prélats fut chargée de rédiger un symbole qui devint loi de l'état. La commission se déclara incompétente. Le roi, devenu théologien, dressa lui-même le formulaire, en six articles : c'était la reproduction pure et complète des croyances romaines, moins le pape du Vatican. Le parlement l'adopta.

Cranmer fit tous ses efforts contre l'adoption. Les évêques Latimer, Shaxton, refusèrent de s'y soumettre et déclarèrent ne vouloir d'autre règle de foi que la Parole de Dieu. Toute résistance au nouveau pape était un crime d'état et punissable comme tel.


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Un roi - pape.

1530

 

Tout principe mauvais doit porter des fruits mauvais. En faisant d'un symbole religieux une loi d'état, on érigeait en crime toute déviation de ce symbole : on organisait le plus grand des fléaux d'un pays, l'oppression des consciences, des persécutions sans fin. Les fruits sont d'autant plus inévitables quand les hommes chargés de l'exécution des lois ont des convictions arrêtées, profondes, et qu'à leurs yeux l'hérésie est le crime des crimes.

Déjà avant la rupture définitive d'avec Rome, au milieu des plus vifs débats, l'Angleterre avait à souffrir de cette affreuse confusion du civil et du religieux. Henri VIII avait pour chancelier Thomas Morus, un des hommes les plus éminents de ce siècle si riche en nobles et beaux caractères. Fervent catholique, il savait associer à une rigoureuse orthodoxie une bonté naturelle qui aurait dû empêcher sa foi de devenir cruelle. Il défendait par conscience le purgatoire, la transsubstantiation, l'adoration des saints, tout le particularisme romain. A ses yeux, l'hérésie de Wiklef, de Luther, était assimilée au crime de haute trahison; l'hérétique était un rebelle. C'était l'opinion dominante; mais aucun homme d'état, peut-être, ne l'a poussée avec plus de sang-froid jusqu'à ses dernières limites. Morus comparait l'hérésie à un chancre qui infecte la main qui le touche; il disait qu'aucun homme ne devait avoir le fatal courage de parler souvent à un hérétique, « de peur que, comme la peste s'empare de la main du médecin qui veut la guérir, les hommes d'une foi faible ne fussent empoisonnés par l'hérésie à laquelle ils avaient touché. » N'oubliez pas, que pour lui et pour tous les adversaires d'un retour pur et simple au christianisme primitif, ce mot sinistre d'hérésie signifiait le rejet ou le soupçon de rejet des croyances romaines. 

C'est avec un tel homme inflexible, quoique bienveillant, que les partisans de la réforme en Angleterre durent lutter. D'un côté, un roi despote, esclave de ses passions, imbu de toutes les erreurs de son temps, en lutte avec le pape et cramponné au symbole romain; de l'autre, un chancelier d'état, armé d'un immense pouvoir, un clergé résolu à tout pour se maintenir, voilà la formidable opposition que rencontrait la réforme.

Le collège d'Oxford comptait parmi ses professeurs deux pieux savants qui furent les premiers atteints. Guillaume Tyndal et Jean Fryth avaient traduit en anglais l'Ancien et le Nouveau Testament. C'était marcher sur les traces de ces rebelles qui mettaient entre les mains du peuple, et contre la volonté de Rome, la sainte Parole de Dieu. Tyndal, dénoncé par les évêques, fut exilé et se retira en Flandre. Fryth, après une cruelle détention, fut aussi proscrit. En 1529 il rentre en Angleterre. Le chancelier le poursuit de lien en lien et enfin le fait jeter dans la tour de Londres. Un débat s'engage par écrit entre lui et Morus sur l'eucharistie et le purgatoire. Selon Morus, la foi en la transsubstantiation est indispensable au salut. Fryth soutient le contraire. Il est condamné au supplice du feu. (1534.) Deux ans plus tard, Tyndal est arrêté par trahison et brûlé vif à Wilford, en Brabant.

L'autorité du pape venait d'être brisée et transférée au roi : il n'y avait eu que changement de maître. Tous les. réfractaires au symbole royal furent regardés comme des criminels d'état; et il fallait toute la force inhérente à la vérité, pour prendre quelques racines sur un sol si dur et si bien gardé. La suppression des monastères avait ébranlé les croyances du peuple. Ces maisons, naguère si vénérées, maintenant détruites; ces moines, si longtemps dominateurs des consciences, enrichis des fruits de superstitions séculaires, maintenant expulsés ; ces bouleversements, sacrilèges pour les uns, pleins d'un heureux avenir pour les autres, sapaient par leur base les croyances erronées et préparaient le terrain où la bonne semence devait être jetée. La version de Tyndal circulait malgré le martyre infligé à son auteur. Bien des yeux s'ouvraient à la lumière. Un édit du roi à contresens de ses anathèmes, favorisa ce mouvement. À la demande de Cranmer, on autorisa la vente des saintes Ecritures en langue vulgaire; il fut même prescrit d'en déposer un exemplaire dans chaque cathédrale et d'en faire la lecture au peuple : pas énorme vers une réformation. On vit les foules accourir pour entendre lire le livre de Dieu.

L'archevêque Cranmer, chez qui l'on regrette de ne pas trouver l'énergie et les lumières d'un Luther ou d'un Calvin, fit paraître sous sa direction un écrit intitulé : « le livre des évêques, 9 renfermant une exposition du symbole des apôtres et de l'oraison dominicale; il y joignit malheureusement les sept sacrements, l'Ave Maria, une apologie du purgatoire et du mérite des saints. Mais on y censurait l'importance superstitieuse attachée à de vaines cérémonies. Sur les instances de Cranmer, on enleva des temples quelques images favorites, dont en faisait un abus trop criant; des paroisses furent moins mal desservies; l'archevêque, quoique plus qu'à demi romain, y plaça des hommes dévoués à la cause dont il désirait timidement le triomphe.

Mais, à côté de ces demi-mesures, se formait tout un parti qui devait être, pour l'Angleterre, le vrai levain de la réforme évangélique; c'est celui de ces hommes qui ne voulaient que Jésus-Christ pour chef spirituel, et qui puisaient dans la Parole de Dieu l'unique règle de leur foi et de leur vie. D'une conduite pure et sainte, ils furent plus tard désignés sous le nom dérisoire, mais honorable, de « puritains. » C'est dans leurs rangs qu'il faut chercher à cette époque les premières traces de cet amour pour la liberté, de ce respect des droits de l'homme et du citoyen, qui placent aujourd'hui l'Angleterre à la tète des peuples libres et chrétiens.

En répudiant l'omnipotence de Rome, Henri VIII et ses courtisans ne réformèrent pas le royaume. La conduite privée de ce prince n'était d'ailleurs pas celle d'un réformateur. Il souilla son règne par d'atroces cruautés. Catherine d'Aragon répudiée, Anne Bullen décapitée, Anne de Clèves honteusement chassée, Catherine Howard livrée au bourreau, son chancelier, Thomas Morus, qui tenta d'opposer une barrière à un odieux despotisme, traîné sur l'échafaud; des exécutions implacables infligées à 72,000 papistes ou réformés qui contrariaient son césaropapisme:, voilà le panégyrique que tous les historiens ont écrit sur sa tombe. Ce monstre à froid mourut le 28 juillet 4547, en pressant la main de Cranmer, à qui, et à qui seul, dit Blunt, dans la bonne comme dans la mauvaise, fortune, il était toujours resté fidèle. L'Eglise, en Angleterre, était en ruine, les revenus épuisés, les pasteurs divisés, la réforme à peine ébauchée!

Et, pourtant, de ce chaos va sortir un monde nouveau.


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Edouard VI.

1547

 

Henri avait un fils et deux filles; tous les trois furent successivement appelés au trône.

Edouard VI n'avait que dix ans à la mort de son père. Quoique élevé dans une cour corrompue et entouré de papistes, le jeune prince manifesta de bonne heure son aversion pour certaines pratiques romaines et sa prédilection pour les doctrines évangéliques. Il souffrait, en silence, à la vue des cruautés commises contre des sujets paisibles, dont tout le crime était de vouloir suivre la Parole de Jésus-Christ. Son oncle maternel, le comte de Hertford, zélé protestant, favorisa les bonnes dispositions d'Edouard, et, à l'avènement de ce dernier, le comte parvint à se faire investir d'une sorte de protectorat, avec le titre de duc de Sommerset. 

Edouard aimait à lire, dans la retraite du cabinet, les saintes Ecritures. A l'âge de quatorze ans, il écrivit de sa propre main un recueil de passages condamnant toute espèce d'idolâtrie, et en particulier le culte des images. Aussi se prononça-t-il ouvertement en faveur de la réforme. Le duc employa tout son crédit pour hâter cette réaction contre le régime précédent. La confession auriculaire, les images, furent abolies; la cène se célébra selon l'institution apostolique sous les deux espèces. Sommerset entretenait une correspondance avec Calvin, alors à Genève, et, selon les conseils de cet illustre docteur, un asile fut ouvert en Angleterre à une foule de proscrits. Bucer, Ochino, Pierre Martyr, y trouvèrent le plus bienveillant accueil.

En octobre 1548, Calvin écrivait au duc : « Nous avons tous à rendre grâce à notre Dieu et Père de ce qu'il s'est servi de vous en oeuvre tant excellente que de remettre au-dessus la pureté et droite règle de son service en Angleterre par votre moyen, et faire que la doctrine du salut soit fidèlement publiée pour tous ceux qui voudront l'écouter de ce qu'il vous a tenu la main forte en bénissant tous vos conseils et labeurs pour les faire prospérer. » Il lui recommande de faire enseigner au peuple la pure et saine doctrine, d'extirper les abus et de « corriger soigneusement les vices, et de tenir la main à ce que les scandales et dissolutions n'aient point la vogue, tellement que le nom de Dieu en soit blasphémé. »

Plus tard, il écrivait à Edouard, à qui il dédiait plusieurs ouvrages : « Il y a des choses indifférentes qu'on peut licitement souffrir. Mais il nous faut toujours garder cette règle qu'il y ait sobriété et mesures aux cérémonies, en sorte que la clarté de l'Evangile n'en soit obscurcie, comme si nous étions encore sous les ombres de la loi. .... Or il y a des abus manifestes qui ne sont à supporter, comme de prier pour les trépassés, comme de mettre en avant à Dieu l'intercession des saints en nos prières, comme de les adjoindre à Dieu en jurant. Je ne doute pas, Sire, que vous ne soyez averti que ce sont autant de corruptions de la vraie chrétienté. Je vous supplie au nom de Dieu qu'il vous plaise y tenir la main, à ce que le tout soit réduit à sa droite intégrité. »

On regrette de ne pas entendre aussi de la bouche du réformateur des conseils de mansuétude, de tolérance, envers les errants. La tolérance n'était pas de ce siècle-là l'idée de l'unité, en religion comme en politique, primait tout et ouvrait la voie des persécutions. Il a fallu de douloureuses expériences pour apprendre à l'Angleterre et à tant d'autres pays, qu'on peut être en dehors de la religion de l'état sans être ennemi de l'état. Combien encore qui l'ignorent et s'égarent dans la route de l'intolérance!

Aidé des conseils de Calvin, soutenu par le duc de Sommerset et inspiré par l'amour de la vérité, Edouard VI poursuivit courageusement l'oeuvre de la réforme. En 1550, il accorda aux protestants étrangers résidant à Londres, la permission d'ériger un temple à leur usage. « Considérant, disait-il, que d'est l'office d'un prince chrétien, pour bien administrer son royaume, de pourvoir à la religion et aux malheureux affligés et bannis à cause d'elle, nous vous faisons savoir que, ayant pitié de la condition de ceux qui depuis assez longtemps demeurent dans notre royaume et y viennent journellement, de notre grâce spéciale, .... ordonnons qu'il y ait dans notre cité de Londres un temple appelé le temple du Seigneur-Jésus, où l'assemblée des Allemands et des autres étrangers puisse se tenir et se célébrer, dans le but que, par les ministres de leur église, le saint Evangile soit interprété purement, et les sacrements administrés selon la ]Parole de Dieu et l'ordonnance apostolique. »

Le symbole de Henri VIII fat aboli par le parlement, et Cranmer publia plusieurs écrits propres à spiritualiser le culte et à répandre de justes notions sur le christianisme biblique. Mais le sang des papistes fut versé, et un zèle inintelligent de la part des conseillers du prince, souilla la réforme anglaise. Le pieux Cranmer, oubliant la Parole de Jésus-Christ dans Matthieu XXVI, 52, et entraîné par le torrent, demandait souvent au roi des sentences de mort contre les rebelles à la réforme. « Si je fais mal, répondait le prince, vous en serez responsable. » Et il signait.

Cependant un parti s'était formé contre Sommerset; le duc de Northumberland se plaça à la tête de la régence. Cette révolution de palais n'arrêta pas les progrès du protestantisme. Le nouveau régent la favorisa de toutes ses forces, et bien des flots de sang eussent été épargnés si Edouard, ami de la justice, n'eût pas été enlevé par une mort prématurée. Atteint d'une maladie, grave, et prévoyant sa fin, il céda aux instances du duc et désigna dans son testament Jeanne Gray, cousine du roi, pour régner après lui. Les deux filles de Henri, Marie et Elisabeth, l'une issue de Catherine d'Aragon, l'autre d'Anne de Bullen, avaient été déclarées illégitimes par acte du parlement. Jeanne Gray, prononcée pour la réforme, semblait d'ailleurs bien plus propre que Marie, papiste, à pacifier le royaume.

La maladie du jeune roi faisait de rapides progrès. Toutes ses pensées étaient pour sa patrie céleste : « Seigneur Dieu ! s'écriait-il quelques heures avant d'expirer, délivre-moi de cette misérable vie et reçois-moi en ta compagnie; toutefois que La volonté soit faite et non la mienne. Seigneur, je te recommande mon esprit. Tu sais combien ce serait chose heureuse pour moi d'être avec toi; mais, à cause de tes élus, garde cette vie et me rends ma première santé, afin que je puisse m'employer vraiment à ton service. Seigneur, bénis ton peuple et sauve ton héritage. Préserve ton peuple élu d'Angleterre. « mon Dieu ! défends ce pauvre royaume de toute erreur papiste et maintiens ta vraie religion et le service de ton nom. » Peu après, on l'entendit murmurer encore : « Seigneur, aie pitié de moi et reçois mon esprit. » 

Ainsi mourut Edouard, à l'âge de seize ans; le pays tout entier fut sur le point de se couvrir de nouveau d'épaisses ténèbres.


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Jeanne Gray.

1553

 

Jeanne Gray, à peu près du même âge que le prince qui venait de descendre dans la tombe, avait épousé Guilford, fils du duc de Northumberland. Supérieure par ses talents, son érudition, et par une piété éclairée, à la plupart des femmes de ce temps-là, elle fut malgré elle élevée sur le trône: l'ambition de son père et de son époux causa sa ruine.

Marie, fille aînée de Henri, réclama ses droits. Fervente catholique, elle promit aux évangéliques de ne rien changer aux édits d'Edouard en matière de religion. La guerre civile éclata, Northumberland s'arma pour défendre Jeanne, il fut défait et Marie s'empara du pouvoir. Elle avait trente-sept ans. Après un an d'un règne fort agité, Jeanne céda avec joie la couronne à sa rivale. Celle-ci, redoutant une réaction, fit saisir et jeter dans la Tour de Londres Guilford, Northumberland et leurs amis. Marie, foulant aux pieds les promesses faites aux évangéliques, se mit à l'oeuvre d'extermination commencée par son père. Cruelle, altière, fanatique, elle avait résolu d'éteindre la réforme dans des flots de sang.

Sa première victime fut l'innocente Jeanne. Elle envoya auprès de la noble captive un zélé papiste, le docteur Feknam. Dans cette entrevue, vous n'admirerez pas moins la fermeté que la haute intelligence de cette jeune princesse. Entrons dans son cachot: Jeanne est seule; elle a dû laisser toutes les grandeurs royales pour prendre des fers. Sa couronne, elle ne la regrette pas; une bien meilleure lui est destinée; armée d'une foi inébranlable, elle confesse Jésus-Christ, en qui seul elle a cherché et trouvé son salut. Feknam se fait introduire auprès de la captive.

Il a ordre de la ramener à la foi romaine.

- Je suis envoyé vers vous, dit-il, de la part de la reine et de son conseil pour vous établir en foi catholique, bien que je pense que vous n'en avez aucun besoin.

- Je remercie la reine qui a souvenance de moi, sa pauvre sujette ; en même temps j'ai confiance que vous vous acquitterez saintement et purement de votre charge.

- Quelle chose est requise d'un chrétien?

- De croire en Dieu le Père, Dieu le Fils, Dieu le Saint-Esprit, trois personnes et un seul Dieu.

- N'y a-t-il pas autre chose requise, sinon de croire en Dieu?

- Si bien : il faut l'aimer de tout notre coeur et le prochain comme nous-mêmes.

- Il s'ensuit donc que la foi ne nous justifie pas?

- Si bien : la foi seule, comme nous dit St. Paul, nous justifie.

Feknam lui oppose en vain tous les arguments papistes et se retire en lui disant:

- Je suis assuré que jamais nous ne nous retrouverons l'un l'autre.

- C'est vrai, dit Jeanne, si vous ne vous convertissez ; car vous êtes dans l'erreur. Je prie Dieu que, par sa miséricorde, il vous donne son Saint-Esprit pour reconnaître la vérité.

Durant sa détention, elle écrit des pages brûlantes de foi et de renoncement pour la cause de Christ. S'adressant à un ami qui, par crainte du monde, s'était détourné de la voie droite, elle lui dit : « Dieu est un Dieu jaloux; il est écrit: « Tu adoreras le Seigneur ton Dieu « et tu le serviras lui seul. » Et toi, tu veux le délaisser, honorer une idole inventée par le pape de Rome et par l'abominable secte des cardinaux ! Et tu dis : Je ne veux troubler personne, ni rompre l'union ! Quoi ! tu ne veux pas rompre l'union de Satan et de ses membres, l'union de l'antichrist et de ses adhérents ! Sois assuré que Christ est venu mettre en division le fils contre le père, la fille contre la mère. L'antichrist a son union, encore non pas en effet, mais en apparence. Qui es-tu, toi qui crains l'homme mortel et qui oublies le Seigneur? Pense au dernier jour, au sort terrible réservé aux apostats. Pense aux joies préparées à ceux qui n'auront redouté aucun péril, ni l'épouvantable mort, mais qui auront combattu courageusement et triomphé de toutes les puissances des ténèbres ! »

A l'une de ses soeurs, elle écrit, en lui léguant son Nouveau Testament grec : « Je vous envoie, ma chère Catherine, un livre qui, bien qu'il ne soit pas revêtu d'or, est plus précieux que ne le sont les pierres précieuses elles-mêmes. C'est le livre, chère soeur, de l'Evangile du Seigneur Jésus-Christ; c'est sa dernière volonté, c'est son testament qu'il nous a laissé, à nous, pauvres misérables, et qui vous enseignera le vrai chemin de la joie éternelle. Il vous enseignera à bien vivre et à bien mourir. Faites comme le serviteur qui veille, afin que, quand la mort viendra, vous ne soyez pas trouvée, faute d'huile, comme les vierges folles. Touchant ma mort, réjouissez-vous comme je fais, ma douce soeur; car je serai déchargée de la corruption. Je suis assurée qu'en perdant la vie mortelle, j'aurai la vie immortelle. Je vous exhorte au nom de Dieu de ne point décliner de la foi chrétienne. Si vous voulez renier la vérité pour prolonger votre vie, Dieu vous reniera; si, au contraire, vous vous adressez à lui, il prolongera vos jours pour votre consolation et pour sa gloire. »

Son arrêt de mort ne se fait pas attendre. Jeanne Gray, persistant dans l'hérésie, est condamnée à périr par la main du bourreau. Conduite au lieu du supplice, dans la Tour, elle adresse à la foule qui l'entoure des paroles propres à percer les coeurs les plus durs. Le convertisseur Feknam. est à ses côtés. Elle lit à haute voix le psaume LI ; puis elle remet à une de ses servantes ses gants, son voile; au frère du geôlier, un album, sur lequel elle a tracé quelques mots de sérieux avertissements. Le bourreau s'approchant d'elle pour l'aider à détacher une partie de son vêtement, elle le repousse ; ses servantes en pleurs lui ôtent les restes de sa parure, et lui mettent dans la main le bandeau dont sa tête doit se couvrir au moment suprême. Le billot était prêt. La pieuse princesse se jette à genoux : « Seigneur, s'écrie-t-elle, je remets mon esprit entre tes mains. » Au même instant, sa tête roule aux pieds des assistants.

Le supplice de Jeanne, reine involontaire, excita une compassion universelle, augmentée encore par sa jeunesse et sa beauté. Elle n'avait que dix-sept ans. Elle ne voulut pas dire un dernier adieu à son mari, détenu à quelques pas d'elle, de peur que cette entrevue n'affaiblît son courage. Northumberland, Guilford et plusieurs autres, périrent aussi sur l'échafaud.

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