Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Un piège.

1562

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La ruse, la trahison étaient une des armes favorites des soutiens du romanisme. Les ministres de l'Evangile étaient partout les plus exposés à leurs coups. 

L'église d'Anvers, qui se réunissait toujours en secret, avait pour pasteur un ancien moine, Christophe Smit, heureux de se dévouer à l'édification d'un troupeau dont il avait été longtemps l'ennemi. Les prêtres mirent tout en oeuvre pour le faire saisir. Dans ce but, ils postèrent une marchande, nommée la grande Marguerite, femme dévote. Feignant de s'enquérir de la vérité, elle s'adresse à quelques personnes soupçonnées d'hérésie.

- Je veux savoir, leur dit-elle, si ce qu'on débite contre la religion romaine est vrai, et je promets d'eu sortir si l'on me prouve, en présence des prêtres, qu'ils sont dans l'erreur.

- Vous courez un grand danger, lui dit-on.

- Je ne crains rien et je suis prête à mourir pour la vérité, si l'on parvient à me la faire connaître.

On la conduit auprès de Smit. Après un long entretien, elle demande d'assister à l'assemblée des fidèles et que le pasteur ait une conférence avec le curé. Les amis du pasteur, prévoyant un piège, le suppliaient de ne rien avoir à démêler avec le prêtre. Smit, pénétré de la justice de sa cause, croirait être coupable d'infidélité, s'il n'adhérait pas à la demande de cette femme. Celle-ci, afin de faire deux victimes à la fois, désire aussi entendre quelque homme savant, qui puisse, avec le pasteur, confondre le curé. Il y avait alors accidentellement à Anvers le professeur Bock, d'Heidelberg; il fut prié de prendre part au débat. 

Chacun se rendit au lieu fixé, et, dans deux séances, le prêtre fut incapable de soutenir les croyances romaines. Quelques jours plus tard, l'hypocrite femme feint d'être malade et appelle le pasteur et le professeur Bock. Pendant qu'ils cherchent à l'éclairer, à la consoler, le margrave et des soldats envahissent la maison. Smit et Bock sont emmenés au cachot et mis à la torture.

- Quelle est votre vocation? demande-t-on au pasteur.

- Ministre de Jésus-Christ.

- Etes-vous marié ?

- Oui. J'étais moine de l'ordre des Carmes, à Bruges; mais, par la grâce de Dieu, je suis maintenant ministre de l'Eglise chrétienne, et, selon l'ordonnance de St-Paul, j'ai épousé une femme.

- Quels sont vos disciples?

Smit ne répond pas.

Voulez-vous suivre les bons conseils que des gens doctes vous donneront?

- Je ne rejette aucun bon conseil et je les suis volontiers.

Aussitôt les moines qui assistaient à l'interrogatoire l'accablent de questions, auxquelles il répond avec calme et la réserve la plus sage. Après cette scène, ils font courir le bruit que Smit s'est rétracté et qu'il va rentrer dans l'église. Les fidèles, trop crédules, pleurent déjà sur l'apostasie de leur pasteur. Celui-ci, informé de cette abominable calomnie, écrit à ses frères que tout ce bruit est faux et qu'il persévère plus que jamais dans la foi au par Evangile et leur raconte, les tentatives des moines pour l'y faire renoncer. L'hypocrite Marguerite reçoit aussi du prisonnier une lettre des plus touchantes. Après lui avoir dépeint, sans amertume, la grandeur de la faute qu'elle a commise et l'avoir assurée qu'il lui pardonnait, il ajoute : « Pauvre et misérable femme, où es-tu tombée ? Les prêtres, les moines, les jésuites, te pourront-ils défendre et répondre pour toi devant le tribunal de Christ? J'espérais quelque chose de meilleur de toi, croyant à tes beaux mots et pensant que tu voulais abandonner l'abominable idolâtrie. Si nous et la Parole de Dieu, que nous L'annoncions, ne te plaisions pas, tu nous pouvais laisser en paix. Mais tu courais après nous. Ta perdition et ta damnation seront plus pesantes à porter. Tu es maintenant ivre du sang des chrétiens avec Babylone la prostituée. »

Le procès de Smit dura plus de trois mois. Le 3 octobre 1564, il fut mené sans bruit sur la place où l'on donnait la lecture de la sentence des condamnés.

- Nous ne l'interrogeons pas sur ta foi, lui disent les juges, mais nous voulons savoir si tu as été ministre et si tu as prêché en quelque lien secret, comme tu l'as confessé en prison?

- Oui, et je ne m'en repens point ; j'aurais voulu prêcher davantage.

- Ce n'est pas nous qui te faisons mourir; c'est le mandement du roi.

- Avisez donc bien que ce mandement réponde pour vous, et qu'il vous garantisse en cette grande et épouvantable journée du jugement.

- Hommes bien-aimés, s'écria-t-il, en s'adressant à la foule, quand il eut entendu sa sentence de mort; ne vous étonnez point de cette condamnation ; il en est ainsi arrivé dès le commencement à tous les fidèles serviteurs de Dieu, - Voyant près de lui plusieurs de ses frères en la foi : Je vous exhorte, mes frères, que vous soyez fermes et constants en la vérité ; soyez -hardis au Seigneur Jésus-Christ pour confesser son nom. Ne craignez point ceux qui tuent le corps, car ils ne peuvent rien de plus. N'ayez pas honte de mes liens; ne soyez point offensés, ni scandalisés en ma croix, et ne perdez pas courage; plutôt, préparez-vous vous-mêmes à cela par veilles et prières. Je me réjouis grandement, à cette heure, de ce que j'ai hardiment confessé le Fils de Dieu devant les tyrans infidèles, étant certain que le Fils de l'homme me confessera devant son père et ses saints anges. 

Le lendemain, la force armée et un détachement de prêtres le conduisent au supplice. Le bourreau, frappé d'une telle paix et d'une si angélique charité, se jette à genoux et lui demande pardon. « Je te pardonne volontiers. » Le peuple frémit; une émeute est prête à éclater. « Que personne ne s'avance pour me délivrer, dit le martyr; laissez le Seigneur achever son oeuvre en moi. » Les sergents repoussent la foule, et les magistrats ordonnent de faire feu sur elle à la moindre tentative ; quelques hommes s'approchent du condamné l'ordre de tirer est donné de nouveau et les soldats tirent en l'air. Alors les pierres pleuvent sur les magistrats; ils s'enfuient, la troupe les suit en désordre. Le patient, déjà lié au poteau, allait être délivré mais un des garçons du bourreau lui avait brisé la tète avec sa hache et percé le dos de sa dague. Plusieurs hommes du peuple se jettent dans l'enclos de l'exécution, enlèvent les fagots et coupent les cordes. C'était trop tard ; Smit, à demi-mort, fut atteint par les flammes. Les magistrats firent enlever le corps et ordonnèrent qu'on le jetât dans la rivière.

Voilà quelques-unes des scènes que le fanatisme le plus aveugle et le plus féroce donnait dans ces contrées. Aujourd'hui, les départements français formés des provinces espagnoles, ainsi que la Belgique, ne sont plus témoins de spectacles pareils. La Parole de Dieu, plantée au prix de tant de souffrances, n'a pu être déracinée par l'adversaire. Après trois siècles de luttes, de barbaries de toute espèce, après les triomphes apparents de l'antichrist, l'Evangile y compte des milliers de sectateurs.


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Le prince d'Orange. Un martyr hollandais.

1555

 

Deux puissances formidables étaient donc liguées pour prévenir ou pour écraser toute réforme basée sur l'Evangile : les rois et les papes s'armaient contre les saints. Les rois étaient les valets, les complices ou les dupes des papes. Ceux-ci marchaient sur les traces des prêtres juifs, qui accusaient Jésus et ses disciples d'être des ennemis de César; les princes, crédules, tremblant pour leurs couronnes, ne voyaient que complots dans de paisibles assemblées de prières, que des révolutionnaires chez d'humbles et sincères sectateurs du Christ; obéir aux papes qui commandaient la croisade, c'était, pour les rois, autant un devoir de conscience qu'une barrière contre l'émancipation des peuples.

Mais, dans plus d'un pays, les excès de ces deux ennemis de la vérité concoururent à son triomphe. La papauté, prêchant l'absolutisme sur les âmes et sur les corps, immolant sans pitié les droits imprescriptibles de l'homme, foulant aux pieds les affections domestiques, la liberté du foyer, avait creusé un abîme où elle devait périr. En annulant la patrie, elle réveillait l'amour pour la patrie et préparait l'insurrection. La Hollande va nous en offrir un exemple célèbre.

En 1533, naissait au château de Dittembourg, en Allemagne, un prince qui devait être un des plus grands hommes de cette époque. Guillaume de Nassau, prince d'Orange, représentait l'illustre maison de Nassau, qui possédait de vastes domaines dans les Pays-Bas. Charles V, frappé des talents et du noble caractère de Guillaume, le prit de bonne heure à sa cour. Il le consultait dans des cas graves, et, en 1554, il lui donna le commandement d'une armée en Flandre. Le jeune général se trouva en présence de Coligny, dont il eut la gloire de tenir les troupes en échec. Encore étranger aux vérités évangéliques, il ne supposait guère que, plus tard, il serait un des plus hardis défenseurs de la réforme et qu'il épouserait la fille de l'amiral.

Lorsque, en 1555, Charles V descendit du trône pour s'enfermer dans un cloître, il se montra en public appuyé sur le bras de Guillaume et le chargea d'aller porter la couronne impériale à son fils, Philippe Il. Le nouveau monarque, esprit sombre, dur, avait une aversion prononcée contre le jeune courtisan. Le traité de Cateau-Cambrésis entre l'Espagne et la France venait d'être conclu (1557); Guillaume en avait été un des négociateurs. Il apprend que le traité renferme une clause secrète par laquelle Henri II de France et Philippe s'engageaient à extirper l'hérésie par le fer et par le feu dans leurs états. Guillaume, qui compte de nombreux amis parmi les réformés des Pays-Bas, s'empresse de les avertir. Dès lors la haine de Philippe ne fait que s'accroître.

Guillaume ne peut croire qu'une religion qui s'appuie sur le glaive soit celle de Jésus-Christ. Le spectacle d'une cour corrompue, d'un clergé gorgé de richesses, les cruautés inouïes exercées contre des innocents, tout le pousse de plus en plus du côté des opprimés. Quoi ! partout les prisons remplies des victimes de l'inquisition ! partout des bûchers ! Un despote farouche accablant, en pleine paix, la Hollande, de troupes étrangères, et tout cela dans un but que Guillaume connaît bien ! Est-ce là, ce que prescrit l'Evangile, cette loi de grâce et d'amour? Aussi longtemps que la Hollande sera courbée sous le joug de l'Espagne, la lumière évangélique n'y pénétrera jamais. Toutes ces pensées agitent le prince, et chaque supplice infligé à de prétendus hérétiques lui dévoile l'effrayant état où son pays est plongé. Celui de Mérula conquit une foule d'adeptes à la réforme.

Un curé hollandais, Mérula, homme savant et fort attaché à l'étude des saintes Ecritures, avait reconnu que l'Eglise romaine était sortie de la voie de la vérité. Dans sa paroisse, à Henfleet, il faisait quelques changements à l'office de la messe, et, dans ses prédications, il parlait de réformes. « Il n'y a, disait-il, de nécessaire au salut, que ce qui est écrit dans la Parole de Dieu; la foi sans la charité n'est pas la vraie foi. Ceux qui abandonnent leurs biens pour vivre aux dépens d'autrui, ne sont pas de véritables pauvres. » Tout autant de paroles malsonnantes aux oreilles de ses confrères. Mérula est dénoncé, en 1553, comme hérétique, et, selon la loi, jeté en prison. 

A la nouvelle de cette incarcération, les magistrats du, lien, le peuple, les pauvres, surtout, dont le vénérable septuagénaire est le soutien, sont remplis d'une indignation profonde. De Henfleet, le prisonnier est transporté comme un malfaiteur à la Haye. Ses amis y accourent en foule pour demander son élargissement. Vaines instances; les inquisiteurs veulent à tout prix que le vieillard périsse. Mais ils redoutent le peuple. Que faire? Une pensée infernale surgit dans leur esprit.

Un ecclésiastique se rend auprès du prisonnier, se jette à ses pieds et lui dit, les larmes aux yeux : « Vous êtes cent fois plus savant que nous tous. Nous sommes persuadés de votre bonne intention et nous convenons avec vous sur les principaux articles. Nous ne différons que dans quelques coutumes. Soumettez-vous donc à l'Eglise et à ses décisions. » Mérula tombe dans le piège. Il est sourd et distingue à peine ce qu'on lui dit. Peu après on le fait monter sur une estrade, en présence du peuple, et là, au lieu de lire les articles sur lesquels il pourrait être d'accord avec ses adversaires, on lit ce qu'il n'avait point accordé : qu'il abjure les hérésies de Luther et toutes les erreurs contraires à la foi de l'Eglise romaine; qu'il croit tout ce qu'enseigne l'Eglise.

Le peuple, croyant que Mérula a abjuré ce qu'il a enseigné, s'agite, s'irrite. Le prisonnier soupçonne la ruse et veut lire lui-même son abjuration avant de la signer. On le lui refuse, sous prétexte que la foule va causer du désordre. Alors le vieillard, découvrant l'insigne fourberie, s'écrie : « Est-il possible que ces calomniateurs m'aient trompé d'une manière si honteuse? Non, mon Dieu, je n'ai jamais eu la pensée de renier la vérité ! Je n'ai jamais formé une telle résolution avec les ennemis de ton nom. 0 mon Dieu ! ils m'ont trompé d'une manière solennelle et ils ont trompé ton peuple ! »

Le tour est joué. Mérula, à demi-mort, est reconduit dans sa prison. Il proteste de nouveau contre l'odieux mensonge dont on le charge et déclare qu'il croit fermement tout ce qu'il a prêché, tout ce qu'il a écrit, et qu'il le soutiendra jusqu'à la mort. De la Haye, il est transféré en secret à Louvain, puis à Mons. Des docteurs, des moines s'évertuent à le convertir. Il est ferme comme un rocher et repousse toutes leurs attaques.

Philippe II, craignant que les Etats de Hollande ne revendiquent leurs droits, ordonne qu'on termine ce procès, c'est-à-dire, qu'on fasse périr l'accusé. La peine du feu est prononcée, et, le 27 juillet 1557, à dix heures du matin, le vénérable ex-curé est traîné au supplice. Courbé sous le poids de l'âge et affaibli par quatre années de captivité, il peut à peine marcher. Dans le trajet, un jeune homme perce la foule et se précipite aux pieds du martyr; c'est son neveu, qui vient d'apprendre le fatal arrêt. « Voici l'heure, mon fils, dit-il, où Dieu vent que je scelle de mon sang la vérité que j'ai puisée dans sa Parole. On m'a fait sortir de ma patrie, et, après m'avoir transporté en divers lieux, on m'a enfin amené ici. Je suis prêt à être offert à Jésus-Christ. Mon âme est dans l'impatience d'être avec mon Dieu. Les voleurs et les meurtriers sont traités plus doucement que je ne le suis. »

Arrivé vers le bûcher, il demande qu'on lui permette de prier. Là, à genoux, les mains levées vers le ciel, la paix la plus sereine empreinte sur ses traits, il élève son coeur au trône de la grâce; ses lèvres murmurent quelques sons, puis elles se ferment : l'âme du martyr s'est envolée dans le sein de son Dieu. Mérula est mort en face de l'échafaud. Le bourreau n'a plus devant lui qu'un cadavre. Les inquisiteurs, furieux de ce que leur proie leur échappe, font jeter son corps dans les flammes.


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Affranchissement des Provinces-Unies.

1564

 

Le martyre de Mérula ne fit qu'attiser l'incendie. Le pouvoir et le clergé croyaient étouffer le cri des consciences; les consciences protestaient toujours plus fortement contre de tels attentats. Depuis plus de quarante ans, les Pays-Bas n'étaient qu'un vaste champ labouré, fouillé par ces bêtes féroces. Des charretées de captifs de tout âge et des deux sexes étaient menés de ville en ville, pris, torturés, et allaient sceller de leur sang leur foi au pur Evangile.

De telles atrocités ne pouvaient s'accomplir qu'au moyen d'un grand déploiement de forces militaires. La Hollande était écrasée de troupes et d'impôts. Les Etats ou les représentants des provinces dont Philippe n'avait osé saper toutes les libertés, demandèrent, sur la proposition du prince d'Orange, le renvoi de ces troupes. Philippe, craignant de trop heurter un peuple qui avait encore la conscience de ses droits, feint d'avoir égard à la demande des Etats et part pour l'Espagne. Le gouvernement est remis à une femme, à la duchesse de Parme, avec Granvelle, évêque d'Arras, pour conseil. Granvelle, bientôt nommé cardinal, d'un caractère hautain, emporté, remplaça dignement son maître.

Le cardinal Granvelle se rendit odieux par ses exactions et ses violences. De toutes parts s'élevèrent des plaintes contre son administration. Muni des décrets du concile de Trente, dont il avait fait partie, ayant quatre mille hommes de troupes à ses ordres et sous la main le tribunal de l'inquisition, Granvelle ne put tenir tête à l'orage et dut se retirer dans la Franche-Comté, alors à l'Espagne. De là, il se rendit à Madrid, en 1564, et fit aisément accroire à Philippe que le prince d'Orange, les comtes d'Egmont et de Horn, étaient les promoteurs des troubles. Philippe se propose une éclatante vengeance. Il feint quelque temps et laisse espérer aux Pays-Bas qu'un allégement sera apporté à leur sort. 

Peu après, un nouveau gouverneur est envoyé dans ces provinces. C'est le duc d'Albe, homme infatigable pour les intérêts de son maître. Il arrive avec une armée considérable, un pouvoir illimité. Aussitôt il organise un tribunal sanguinaire, qui fait des procès aux présents, aux absents, aux vivants, aux morts. Plus de cent mille Flamands, surtout de riches manufacturiers, émigrent en pays étrangers. Guillaume de Nassau est proscrit, condamné à mort par contumace, et ses biens dans les Pays-Bas sont confisqués. Les comtes d'Egmont et de Horn périssent sur l'échafaud. Le pape envoya au duc d'Albe une épée et un chapeau bénits en témoignage de satisfaction pour ses exploits.

Des milliers de fugitifs s'étaient rangés sous le drapeau de Guillaume. Ce prince équipa une flottille qui osa se mesurer avec les flottes d'Espagne. Peu à peu les cruautés du gouvernement grossirent les rangs des insurgés, et le nombre des vaisseaux hollandais dépassa bientôt celui des vaisseaux du roi. Les troupes de Guillaume chassèrent les Espagnols de plusieurs places fortes, et, après plusieurs alternatives de défaites et de victoires, les Etats remirent les rênes du gouvernement à ce prince, qui combattait pour l'affranchissement de son pays. Pleins d'aversion pour la papauté, ils la proscrivirent de leurs provinces, qui, dès lors, prirent le nom de Provinces-Unies.

Le duc d'Albe rentra en Espagne, en se vantant d'avoir fait périr plus de dix-huit mille personnes dans les supplices, sans compter celles qui avaient succombé sur les champs de bataille et par les misères sans Dom qu'enfante la guerre. Le départ de ce gouverneur ne pacifia pas le pays. La ruse, jointe à la force, le plongea longtemps encore dans une désastreuse agitation. En 1577, les Provinces-Unies, pour s'affranchir complètement de l'exécrable servitude espagnole, formèrent un traité connu sous le nom de paix de Gand, et, deux ans plus tard, le traité d'Utrecht devint la base du droit public de Hollande. Ces provinces étaient au nombre de sept : Hollande, Zélande, Utrecht, Groningue, Frise, Guelder et Overyssel.

Voyant que ces riches fleurons de sa couronne allaient lui être ravis, Philippe fit d'abord plier sa fierté au point de teinter de gagner le prince d'Orange; mais toutes ses offres furent repoussées avec un profond mépris. Le roi recourut à la ressource ordinaire des tyrans : vingt-cinq mille écus furent promis à quiconque lui livrerait Guillaume mort ou vif. Enfin, en 1581, les Etats réunis à la Haye déclarèrent le roi d'Espagne déchu de la souveraineté des Pays-Bas. Trois ans plus tard, Guillaume, retiré à Delfort, en Zélande, périt sous les coups d'un des sicaires de la cour de Madrid. Son dernier mot fut

« Mon Dieu, aie pitié de ce pauvre peuple. »

Dieu eut en effet pitié de ce peuple. Le joug de Rome brisé, le despotisme espagnol détruit, la réforme prit dans ces provinces d'impérissables racines. Charles V, Philippe II, en méconnaissant le caractère national, en torturant les consciences, en portant atteinte à des privilèges que ce peuple regardait, avec raison, comme son bien le plus précieux, ont causé une révolution qui a rendu la Hollande indépendante. Dès lors, devenue pendant longtemps maîtresse de la mer et du commerce européen , elle a offert une des preuves les plus belles des bienfaits de la liberté. Mais ces bienfaits sont avant tout le fruit d'un christianisme biblique : si les superstitions romaines avilissent et démoralisent les âmes, les vérités évangéliques les ennoblissent et leur inspirent des vertus que l'erreur leur refuse. La justice élève une nation mais le péché est la honte des peuples.



Les Jésuites.

1521

 

Vous avez vu quelle sanguinaire coalition existait entre le pape et Charles-Quint contre la réforme en Allemagne, en Italie et dans les Pays-Bas. Que devait-elle être en Espagne, centre de cette vaste monarchie ?Quelle lutte ne dut pas avoir à soutenir toute tentative de réforme dans ce royaume vendu à l'antichrist? 

Comme l'Italie, l'Espagne se croyait riche et placée à la tête des nations, parce que la papauté, un clergé fastueux, des cathédrales magnifiques y déployaient une pompe éblouissante. Comme l'Italie encore, l'Espagne a fait la triste expérience que la vraie civilisation moderne, la liberté des peuples, la culture morale, l'ordre et la paix, ne peuvent fleurir sur un sol privé de la semence évangélique. Il est des pays, la France actuelle, par exemple, où cette loi des nations semble démentie. Le papisme, dit-on, y domine, et pourtant la civilisation, les arts, les grandes entreprises, n'en souffrent aucune atteinte. Erreur : pour ne parler que de la France, l'ordre n'y règne que sous l'empire de la force, et tous les essais d'une liberté vraie et durable ont échoué de plus, la haute position qu'elle occupe dans l'aréopage européen, elle la doit à la demi-réforme qu'elle a subie malgré elle-même, à son gallicanisme, qui l'a soustraite à moitié à l'action délétère de la papauté à ses gloires militaires, à sa révolution, qui ébranla l'Europe, tout en proclamant des droits ensevelis sous la poussière du moyen âge et de la féodalité, et dont la pleine réalisation est encore à venir. Une réforme religieuse dans le sens de l'Evangile pourra seule la lui léguer et en garantir la durée.

Mais nous sommes dans l'Espagne du XVIe siècle. C'est dans son sein que nous voyons naître l'institution la plus habile, la plus compacte, la plus puissante qui ait existé contre le christianisme vraiment évangélique. Vous devez la connaître pour bien comprendre quel genre d'ennemis la réforme a rencontrés. 

En 1491, la noble dame du château de Loyola, en Biscaye, mettait au monde un fils, auquel elle donnait le nom d'Ignace. Elevé sous les yeux de sa mère, fervente adoratrice de Marie, le jeune Ignace associa la dévotion la plus minutieuse à l'esprit chevaleresque, aventureux, qui caractérise la nation espagnole. A peine adolescent, il entra en qualité de page à la cour de Ferdinand V, et bientôt dans l'armée. Au siège de Pampelune contre la France, en 1521, il eut la jambe gauche blessée et la droite cassée. Durant cette maladie, qui le rendit boiteux pour la vie, il demanda à la noble dame des romans de chevalerie, dont il avait toujours fait ses délices. Au lieu des romans des chevaliers, on lui donna les romans ou Fleurs des saints. Son imagination, déjà toute méridionale, s'enflamme, et, nouveau chevalier, il fait voeu de se consacrer à la défense de la vierge et de son culte. 

Après sa guérison, il revêt l'habit de mendiant et de pénitent, se couvre la poitrine d'un cilice et se livre aux plus austères abstinences. Il n'a pas de peine à s'associer quelques-uns de ses compatriotes, dévorés, comme lui, de cette exaltation mystique qui brise les liens de la famille. Au bout de dix-huit ans d'épreuves, de voyages, il est à la tête de dix hommes liés par les voeux de pauvreté, de célibat et de soumission absolue à leur chef. Un nouvel ordre est créé il prend le nom le plus saint, le plus auguste : c'est la société de Jésus ou des Jésuites. 

En 1539, Ignace et ses compagnons vont se jeter aux pieds de Paul III pour lui exposer leurs vues. Parmi eux sont François Xavier, gentilhomme navarrais; Rodriguez et Lainez, célèbres dans leurs luttes contre la réforme. Paul III s'effraie en présence d'un plan si gigantesque, qui, selon le fondateur, doit se multiplier partout et subsister jusqu'à la fin des siècles. Le pape craint d'être débordé mais, attaqué de toutes parts, d'un côté, par la réforme, de l'autre, par les princes, qui osent contester au pontife le droit de disposer de leurs couronnes, le pape se résigne et accepte les Jésuites comme ses plus intrépides défenseurs. En 1541, Ignace est élu général de l'ordre. Jamais monarque n'eut dans son royaume une autorité aussi absolue, aussi illimitée que celle du général des Jésuites. Il résidait à Rome, et, de là, par d'innombrables affiliés, il avait l'oeil sur tout ce qui se passait dans ses états, embrassant toute la chrétienté papale.

En peu d'années , les Jésuites eurent, dans presque tous ces pays-là, des collèges, des établissements divers, enrichis par la munificence de leurs adeptes ; la souplesse, la duplicité la plus raffinée, jointe à la plus vaste ambition, une cupidité insatiable, quelques travaux scientifiques , ont rendu tristement célèbre l'ordre de Loyola. Vous le trouverez s'insinuant dans les conseils des rois et dirigeant leur conscience dans des voies qui toujours menaient à un abîme. « C'est, dit le baron Dupin, une épée dont la poignée est à Rome et la pointe est partout. Protée n'est qu'une fable ; le jésuitisme est la réalité. » 

Si vous mettez l'Evangile en présence du jésuitisme , vous voyez que celui-ci en est la contrefaçon, l'antipode le plus évident. Sa morale perfide, astucieuse , pallie, excuse, encourage les crimes; elle va jusqu'au régicide ; les livres sortis de son sein en font foi. « Les jésuites, a dit un écrivain, avaient au moins le mérite d'un ardent patriotisme et leur ordre était leur patrie. »

Selon eux, le but sanctifie les moyens. St. Paul a dit:

Ne faites jamais le mal sous prétexte du bien; -l es jésuites disent: toutes les voies sont bonnes, même celles du mensonge, du vol , du meurtre, pour atteindre un but saint.

Le Seigneur a dit, par un de ses apôtres : Soumettez-vous à Dieu; - les jésuites disent : Soumettez-vous à votre général.

Un apôtre a dit : Jugez vous-mêmes de ce que je dis; - les jésuites disent : Ne jugez pas ; votre maître juge pour vous.

Le Seigneur a dit : Mon règne n'est pas de ce monde; - les jésuites disent : Notre règne est de ce monde; corps , biens, âmes, tout nous doit être assujetti.

En un mot , le jésuitisme est la quintessence du papisme , le papisme à sa plus haute puissance.

Une telle association devait rencontrer de formidables résistances : tour à tour patronnée, répudiée, relevée, puis détruite par les papes ; tour à tour accueillie, puis expulsée par les rois, elle fut, dès sa naissance, le plus infatigable auxiliaire de l'inquisition. L'Espagne, qui fut son berceau, a nourri dans son sein une vipère, dont le venin mortel a laissé des traces que rien encore n'a pu guérir.


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L'inquisition; deux de ses victimes.

1481

 

L'Espagne, avant la fondation de l'ordre des Jésuites, s'était déjà acquis une triste célébrité par son inquisition. Quelque répugnance que nous ayons à nous arrêter devant d'aussi hideux tableaux , nos esquisses seraient trop incomplètes si nous ne tracions pas avec un peu de détails une des plus grandes aberrations de l'humanité.

Vous avez vu fonctionner ce tribunal en France , en Italie, dans les Pays-Bas ; vous avez vu cet argus aux mille yeux, épiant, condamnant, brûlant les hérétiques. Mais vous n'en connaissez pas l'origine et les affreux appareils. L'Espagne va nous les produire au grand jour.

Les premières traces de l'inquisition datent du XIle siècle. Les papes Licinius, en 1184 , Innocent III , en 1198, en furent les créateurs. Leurs premières victimes furent les Vaudois, en Italie, et les Albigeois en France, sous Philippe-Auguste.

La plus sanglante et la plus odieuse de toutes les inquisitions fut celle d'Espagne. Son règne dévastateur y peut être divisé en deux périodes : celui de l'inquisition ancienne du XlIe au XVe siècle, jusqu'à 1481 ; celui de l'inquisition moderne , appelée Saint-Office , établie en 1481 sous le roi Ferdinand. Dans la première période, l'exil , la déportation , la perte des biens, l'infamie et la peine de mort étaient les arguments employés par ce tribunal pour ramener les errants dans le giron de l'église : les condamnés au dernier supplice avaient le droit d'en appeler au pape. 

L'inquisition moderne trouva les procédures trop lentes et les pénalités trop douces. La torture se perfectionna; le pouvoir des inquisiteurs fut sans limites et au-dessus de celui du monarque. Plus d'appel au pape.

Le malheureux suspect d'hérésie était appliqué à ce. qu'on appelait « la question, o par la corde, on l'eau ou le feu. Dans le premier cas, ou lui liait les mains derrière le dos, par une corde passée dans une poulie attachée à la voûte du cachot ; les bourreaux , en présence des inquisiteurs, élevaient et descendaient le patient et opéraient des secousses qui lui disloquaient les membres ; la corde entamait les chairs ; ce supplice durait une heure, jusqu'à ce que le médecin déclarât que la mort s'ensuivrait si l'on continuait à faire jouer la poulie. Si la victime ne succombait pas et si elle n'avouait point son hérésie, on l'étendait et la liait sur un chevalet de bois, de manière que les pieds étaient plus hauts que la tête; elle pouvait respirer; par un raffinement de barbarie, on lui versait lentement de l'eau sur la figure et l'on introduisait au fond de la gorge un linge mouillé, qu'on retirait brusquement, comme pour lui arracher les poumons. C'était la question par Peau. Celle par le feu était plus atroce encore. Le patient avait les jambes et les mains liées; on lui frottait les pieds avec des matières grasses, pénétrantes, et on les lui rôtissait devant un énorme brasier, toujours juste au point où il ne devait pas périr; assez pour le torturer, pas trop pour qu'il conservât encore quelque signe de vie, en cas d'un supplice final, le bûcher. Plusieurs succombaient à l'un des premiers coups; d'autres , frappés de terreur, s'accusaient de crimes dont ils étaient innocents, dans l'espoir d'en finir plus tôt. Les chrétiens, humbles agneaux, supportaient tout en confessant jusqu'au bout le nom de Jésus-Christ.

Les Juifs convertis au papisme ou qui feignaient de l'être , s'élevaient alors en Espagne au nombre de près d'un million. Quiconque d'entre eux ne remplissait pas exactement les pratiques romaines était dépouillé de ses biens, mis à la torture ou à mort. Les partisans de la réforme subissaient les mêmes supplices. Durant le XVIe et le XVIIe siècle et sous le règne de quarante-cinq inquisiteurs généraux , en tête desquels se place l'exécrable Torquemada , l'inquisition espagnole a dévoré plus de cinq millions de victimes.

Il était impossible, humainement parlant, que la réformation prît quelque racine dans un milieu pareil. La suprématie du Saint-Office , la ferveur brûlante des jésuites , la faiblesse du pouvoir civil en présence de ce tribunal, les instances des papes, l'ignorance, la superstition abrutissante des masses avaient fait de l'Espagne un champ clos où l'antichrist dominait en plein.

Cependant, en dépit des fureurs de l'adversaire, quelques rayons lumineux percèrent ces ténèbres épaisses. Suivons-en les traces.

Nous rencontrons d'abord, en Andalousie, Jean d'Avila, le Bridaine de l'Espagne. Convaincu que le salut ne s'achète pas , il parcourait le pays en annonçant Christ, seul Sauveur, et ne parlait pas de ces prétendus médiateurs que Rome a mis entre l'homme et Dieu. Il poursuivait son fidèle ministère, à l'âge de soixante et dix ans, lorsque l'inquisition mit la main sur lui. Trop pur dans ses moeurs et proclamant avec un zèle condamnable la grande doctrine de l'expiation opérée sur la croix, il s'était attiré la haine de ses confrères et l'inquisition se chargea de l'assouvir. Le vieillard est conduit en prison, mis à la torture et traîné, comme un malfaiteur, devant le tribunal. Celui-ci l'aurait condamné à périr, si de puissants amis n'eussent obtenu son élargissement. Il termina ses jours peu après sa sortie du cachot. Le moment des grands auto-da-fé des chrétiens s'approchait.

Charles V avait pour chapelain un moine nommé Virvès. Cet homme avait parcouru l'Allemagne à la suite du monarque et vu de près les réformés allemands. Leur piété, la pureté de leurs croyances, puisées dans les saintes Ecritures, frappèrent beaucoup le chapelain. De retour en Espagne , il blâma hautement les cruautés exercées contre ceux qui étaient soupçonnés de partager ces doctrines. Un irrésistible attrait l'entraînait vers les vérités évangéliques. En lisant en secret les écrits qu'il avait apportés d'Allemagne et en les confrontant avec la Parole de Dieu, dont, en qualité de prédicateur de la cour, il était pourvu, il s'assura toujours mieux qu'on faisait périr des innocents et que l'Eglise romaine n'était plus l'Eglise de Jésus-Christ.

Epié par l'inquisition, Virvès est déclaré suspect, arraché de son domicile et jeté en prison. Charles V, en remettant au Saint-Office le pouvoir de poursuivre l'hérésie, s'était donné un maître et devait, lui, le plus grand potentat de l'Europe, courber la tête devant l'exécrable tribunal. L'empereur, bientôt informé de l'incarcération de son ami, le vénérable chapelain, ordonne qu'on l'élargisse. L'inquisition brave le monarque et Virvès est détenu pendant quatre ans. Charles insiste; vains efforts. Toutefois son intervention épargna la peine de mort au prisonnier. Après cette longue détention, Virvès est condamné comme hérétique à subir deux ans de pénitence dans un cloître.

Les documents qui nous restent sur ce tressaillement réformiste en Espagne sont bien moins nombreux que ceux sur l'Italie. Les amis de la réforme dans ce dernier pays avaient plus de relations avec l'Allemagne et la Suisse que ceux de la péninsule ibérique. L'oeuvre y fut moins générale, moins agressive qu'au delà des Alpes. Toutefois le peu de données que nous possédons nous montre que ni l'inquisition, ni le despotisme impérial ne pouvaient arrêter les aspirations vers une réforme.

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