Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Martyrs italiens. Varaglia. Paschali.

1550

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Varaglia était un capucin piémontais. Son éloquence, sa parole incisive, attirèrent les regards de ses supérieurs. Rome voyait toujours d'un oeil inquiet ces antiques églises vaudoises du Piémont qui avaient résisté victorieusement à toutes ses attaques; quand elle avait épuisé, pour un moment, son autorité Persécutrice auprès des ducs de Savoie ou d'autres puissances à ses ordres, elle recourait à la ruse, à l'appât des promesses, rarement à la voie de la persuasion. 

Cependant, quand elle trouvait quelque orateur assez courageux pour se mesurer avec les pasteurs vaudois, elle renvoyait aux Vallées dans ce but. Le capucin Varaglia, avec sa voix tonnante, son habileté polémique, surtout son aversion profonde pour ces invétérés hérétiques, parut l'homme le plus propre à cette périlleuse mission. 

Varaglia s'apprête à entrer dans la lutte. En homme intelligent et droit, il veut d'abord se rendre bien compte des erreurs des adversaires qu'il va combattre. Il se procure leurs écrits, leur confession de foi> en compare les doctrines avec celles de l'Ecriture, et, à sa grande surprise, il voit que l'hérésie est du côté de son église ! Quelle découverte ! Ces montagnards persécutés et dont les frères en la foi se retrouvent sur plusieurs points de l'Italie, en France, en Bohême, en Moravie, ces victimes de tant d'intolérance ne sont que des disciples de Jésus-Christ ! Leur doctrine est la doctrine de St. Paul et des autres apôtres ! Au lieu de les combattre, Varaglia se range sous leur drapeau. Devenu compagnon d'oeuvre d'Ochino, il prêche dès lors le salut par grâce en Jésus-Christ seul. Il ne quitte pas l'habit de son ordre et pare ainsi les coups de ses ennemis.

Bientôt il est lui-même dénoncé comme hérétique et conduit prisonnier à Rome, avec douze autres capucins qu'il avait gagnés à la cause de la vérité. Faute de preuves suffisantes, l'inquisition ne put déployer envers eux toutes ses rigueurs : ils furent détenus sur parole pendant cinq ans dans la ville papale. Au bout de ce temps, en 1556, Varaglia, travaillé dans sa conscience de ce qu'il ne confessait pas ouvertement sa foi, profite d'une occasion favorable pour se rendre à Lyon. Là, il abjure le papisme; puis, se rend à Genève.

L'église de Genève l'envoie à Angrogne, dans ces mêmes Vallées où, quelques années auparavant, il devait écraser l'hérésie. Il y prêche Jésus-Christ; mais les inquisiteurs sont instruits de cette détection ; il est arrêté, traîné à Turin comme un malfaiteur. « Avec qui étiez-vous dans ce pays d'hérésie? » lui demanda-t-on.

« Avec vingt-quatre ministres du Christ, pour la plupart venus de Genève. D'autres sont prêts à les suivre, et le nombre en est si grand que vous ne trouverez jamais assez de bois pour les brûler. »

Varaglia, l'ex-capucin, reçut à Turin la palme du martyre, le 29 mars 1558, à l'âge de 50 ans.

La réforme en Suisse, en France et dans une partie de l'Italie, avait ranimé la foi dans ces antiques églises vaudoises. Leurs colonies de la Calabre, de la Pouille, en ressentirent les salutaires effets. Là florissaient, depuis le XIIe siècle, de nombreuses communautés formées des débris des victimes immolées à la tyrannie papale en Provence , en Languedoc et en Piémont. Sous leurs mains laborieuses un sol inculte s'était couvert de riches moissons. De nombreux villages, des bourgs entiers habités par ces vieux protestants, offraient une des plus belles preuves de l'indestructibilité et des bienfaits de l'Evangile.

La prospérité matérielle les avait plongés dans le sommeil ; mais l'Esprit-Saint, qui soufflait sur presque tous les points de la Péninsule, alla leur rappeler leur sainte vocation. Leurs barbes ou pasteurs, hommes d'une foi simple et solide, parcouraient avec un zèle apostolique les villes et les hameaux pour instruire le peuple. Les Vallées du Piémont leur envoyaient de temps en temps de fidèles missionnaires.

L'un d'eux, Paschali ou Pascals, piémontais, après avoir étudié à Lausanne, avait été désigné pour ce périlleux apostolat. Fiancé à une jeune chrétienne, il avait dû la laisser à Genève, dans l'espoir d'un prompt retour. C'était en 1559, au moment où l'Italie se couvrait des cendres des martyrs. Paschali arrive en Calabre. A sa voix, l'antique piété vaudoise se ravive. Mais l'adversaire, qui ne sommeille jamais, était aux aguets. Au bout d'un an de travaux, Paschali nourrissait le doux espoir de rejoindre sa fiancée et de la conduire avec lui dans le champ que le Seigneur lui assignerait, lorsque tout à coup les agents de l'inquisition le saisissent et le jettent dans les prisons de Fiscaula; de là il est traîné à Cosenza.

- D'où es-tu? lui demande un prêtre appuyé de plusieurs gentilshommes.

- Du Piémont.

- N'as-tu rien d'autre à faire que de venir ici séduire ces pauvres gens simples de là Guardia?

- Si Jésus-Christ est un séducteur, je les ai séduits; autrement, non ; car je ne leur ai rien enseigné que ce que j'ai appris à son école.

- Où est cette école ?

- Partout où la Parole de Dieu est prêchée, à Genève et autres lieux semblables.

- Et qui l'a prêchée?

- Les ministres de l'Eglise.

- Et que veut dire le mot catholique?

- Ce mot veut dire universel.

- Voilà comme tu es convaincu, puisque tu veux que l'Eglise soit seulement à Genève.

- Cet argument est contre vous, puisque nous croyons que l'Eglise est partout, en quelque lieu que soient les fidèles, et nous ne l'attachons pas, comme vous le faites, à un lieu particulier, ni à des pompes et cérémonies extérieures; le Seigneur ne nous a jamais non plus décrit l'Eglise telle que celle de Rome. Mais vous, laissant les Ecritures sans vous en soucier, comme faisaient , jadis les scribes et les pharisiens, vous allez chercher la vraie Eglise dans la théologie de .votre propre cerveau, et, au lieu de vous attacher à cette église décrite dans cette Parole divine, et qui est pauvre selon le monde, méprisée, persécutée, vous vous en forgez une riche et triomphante. Mais, dites-moi, je vous prie, St. Pierre vous a-t-il appris à persécuter les chrétiens ? Et Jésus-Christ vous a-t-il commandé que vous demeuriez dans vos aises et délices, jouissant de gros revenus et de vos richesses infinies, et que cependant vous repaissiez les pauvres brebis de feu et de persécution cruelle? Et à qui parlait le Seigneur Jésus, disant que le serviteur n'est pas plus grand que le maître ? Et aussi quand il disait que le temps viendrait que celui qui nous ferait mourir croirait rendre un service à Dieu, parce qu'il n'a point connu ni le Père ni moi, et plusieurs autres sentences semblables? Et quand les apôtres voulaient faire descendre le feu sur les villes qui n'avaient point voulu recevoir l'Evangile, ne furent-ils pas repris de notre Seigneur? Il est bien certain qu'il parlait de vous et de votre église, laquelle fait tout le contraire de ce qu'ont fait Jésus-Christ, St. Pierre et les autres apôtres.

De Cosenza, le martyr est conduit à Naples, puis à Rome. Sa sentence était prononcée. Sa Sainteté, vicaire de Jésus-Christ, veut se donner le plaisir de voir périr dans les flammes un des plus fidèles serviteurs de Jésus-Christ. Le 9 septembre 1560, un bûcher est dressé près du château de St. Ange. Une foule empressée en couvre tous les abords. Aux premiers rangs, sur un vaste amphithéâtre, sont le pape, les cardinaux et toute une armée de prêtres et de moines. On amène le condamné ses membres sont amaigris, mais sur ses traits brillent le calme et la sérénité du chrétien. Monté sur le bûcher, il proclame encore la vérité pour laquelle il va mourir. « Quant à ceux, dit-il, qui tiennent le pape pour dieu et vicaire de Jésus-Christ, ils s'abusent étrangement, vu qu'en tout et partout il se montre ennemi mortel de sa doctrine, de son vrai service et de la pure religion, et que ses actes le manifestent vrai antichrist. »

Le pape frémit à l'ouïe d'un tel langage; a il aurait voulu être ailleurs, dit un historien, ou que Paschali eût été muet ou le peuple sourd. » Le signal est donné, et, tandis que les restes mortels du martyr sont dévorés par les flammes, son âme, rachetée et triomphante, entre dans les célestes parvis.

La fureur de l'inquisition entassa des milliers de victimes dans les belles vallées de la Calabre; un petit nombre purent s'enfuir et porter ailleurs la bonne odeur de Christ.


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Martyrs italiens. - Carnesecchi. Bartoccio.

1550

 

Comment vous dépeindre, même en quelques traits rapides, les innombrables attentats à la conscience, à la dignité humaine, commis par la papauté? L'époque dans laquelle nous vivons n'est plus souillée de crimes pareils, grâce aux progrès qu'a fait la notion de l'Etat, et par là même la liberté dans les pays affranchis du joug romain; mais vous les voyez encore, ces crimes, à des degrés divers, dans les contrées où le papisme est le maître. Si l'Italie se relève du misérable état où ses pontifes et ses rois l'ont réduite, ce ne sera qu'en ôtant des mains du clergé un glaive qu'il ne doit pas tenir. C'est ainsi que d'autres peuples ont retrouvé leurs droits, l'ordre, la paix, une marche ascendante vers cette justice qui seule fait leur gloire et leur sûreté. C'est par le libre cours laissé à l'Evangile de la grâce que cet Evangile doit remplir sa mission : amener tous les élus à la possession de la vérité révélée et des bienfaits moraux qui toujours l'accompagnent.

Nous n'avons pas encore épuisé notre album. Il est quelques autres illustres confesseurs de Jésus-Christ, en Italie, dont nous devons esquisser les traits.

Un noble Florentin, Pierre Carnesecchi, d'un extérieur des plus avantageux et d'un esprit pénétrant, avait sucé, dans la jeune Italie du XVIe siècle, ces idées libérales qui, bien dirigées, devaient le conduire à l'Evangile. Les plus acharnés adversaires des principes réformés ne parlaient de lui qu'avec respect. Secrétaire de ce Clément VII, qui, vous Pavez vu , fut témoin du sac de Rome, Carnesecchi, en récompense de ses services, fut nommé abbé de deux opulentes abbayes et exerçait sur le pape une influence telle qu'on disait que l'église était gouvernée par le chancelier plutôt que par son maître. 

Ce fut cet homme si haut placé qui devint un humble et fervent disciple de Jésus-Christ. Etant à Naples, il entre en rapport avec le gentilhomme espagnol Valdez, un des partisans les plus éclairés de la réforme. La lecture des livres saints, le commerce d'hommes instruits à cette école, la prière surtout, en lui dévoilant les erreurs, le conduisent à la source de la vérité. Il correspond avec ces novateurs, l'épouvantail de Rome. Ses rapports avec Valdez, ses opinions antipapistes n'échappent point aux regards perçants des inquisiteurs. En 1546; il est cité à Rome, comme suspect d'hérésie. Ce mot terrible suffit pour dissiper l'auréole d'estime qui l'entoure. Connaissant trop les procédés du tribunal qui l'appelle, il part pour la France, où règne le fougueux Henri II. La foi, la vie chrétienne, l'horreur des supplices pour cause de religion le rapprochent toujours davantage des chrétiens français. Il a connu plusieurs de ces hommes qui ont préféré la mort à l'apostasie et leur sainte persévérance au milieu des plus atroces épreuves n'a fait que l'affermir dans ses croyances évangéliques.

En 1552, Carnesecchi rentre en Italie et évite les provinces placées directement sous la main du pape. Il arrive à Padoue, dans la Vénétie, moins exposée que les autres parties de la péninsule aux ruses et aux coups du Vatican. Mais le pape a le bras long: Padoue n'est bientôt plus un lieu sûr pour l'ex-secrétaire papal. Le proscrit se retire en Toscane, avec l'espoir d'être toujours sous la protection de Cosmo, grand-duc de Florence. Après quelque temps de repos, le duc , cédant aux demandes de Pie IV, livre son hôte et le fait conduire à Rome.

L'inquisition, qui, depuis longtemps, guettait cette proie, procède sans délai. L'accusé reconnaît toutes les charges élevées contre lui : il veut être chrétien selon l'Evangile; il répudie toutes les traditions romaines en désaccord formel avec la Parole de Dieu., en croyant en Jésus-Christ, seul Sauveur, il n'a que faire de tout le reste. « Son coeur endurci, dit un écrivain papiste (qui, sans s'en douter, fait la plus belle apologie du martyr), son coeur endurci et ses oreilles incirconcises refusèrent de se soumettre à la nécessité il rendit inutiles les avertissements et les délais qui lui furent accordés à plusieurs reprises dans l'intérêt de sa liberté, de sorte que nulle considération ne put le ramener à abjurer ses erreurs et à rentrer dans le sein de la véritable religion, selon le désir du pape, qui se proposait de le traiter, s'il se repentait de ses crimes, avec plus de douceur qu'il n'en pourrait attendre. »

Au lieu d'endurcissement, lisez : foi ; au lieu d'erreurs, lisez : vérité au lieu de crimes, lisez: confession pure et franche du nom de Jésus-Christ. Durant quinze mois de détention, Carnesecchi résiste à toutes les offres, à toutes les obsessions, à toutes les menaces des agents de Pie IV, qui, jadis, fut son ami; et enfin, le 3 octobre 1567 comme l'apôtre St. Paul, il eut la tète tranchée; mais le pape, plus cruel que Néron , fit jeter aux flammes le corps du bienheureux martyr.

La même année, fut aussi conduit à Rome un autre enfant de Dieu, pour y périr.

Bartolomé Bartoccio, fils d'un riche habitant de Castel, dans le duché de Spolette, avait reçu dans son coeur la sainte et grande doctrine du salut par Jésus-Christ. Entré de bonne heure dans la carrière militaire, il apprit à combattre avec de meilleures armes que celles de la chair; selon le précepte de l'Ecriture, il était toujours prêt à rendre compte de son espérance et se faisait une joie et un devoir de répandre la vérité autour de lui. Après le siège de Sienne, en 1555, il rentre dans son pays natal, où l'on ne tarde pas à remarquer ses croyances nouvelles. Etant tombé gravement malade, il repousse les soins d'un confesseur et les tentatives de son évêque.

L'évêque, irrité, à bout de ressources, le fait citer devant le gouverneur. Le malade, épuisé, trouve encore assez de force pour s'enfuir. Il part de nuit, franchit les murs de la ville et arrive avec peine à Sienne, puis à Venise. Nulle part, dans cette misérable Italie, le pied n'est sûr pour tout chrétien qui répudie le pape pour suivre Jésus-Christ.

Bartocchio, toujours poursuivi, traverse les monts et atteint Genève, le noble rendez-vous des opprimés. Il a recouvré la santé et fondé une manufacture de soie. Il s'est marié ; mais l'amour de la patrie lui fait oublier les conseils de ses amis, qui lui écrivent qu'il est toujours l'objet d'actives recherches, que son père ne peut plus le revoir ni lui envoyer aucun argent, à moins qu'il ne reprenne la religion des auteurs de ses jours. Il part pour l'Italie. A Gênes, il est reconnu, bientôt saisi et enfermé dans les cachots de l'inquisition.

Gênes formait alors une république indépendante et forte; mais les griffes de la bête romaine y faisaient, comme ailleurs, sentir leurs atteintes. Berne et Genève, républiques alliées, réclament la liberté de leur ressortissant. Mais, déjà avant l'arrivée de la note suisse, le prisonnier, sur l'ordre de Pie IV, était emmené dans les fers à Rome. Il resta deux ans dans les cachots, et le feu du bûcher termina cette longue agonie. Au moment de rendre le dernier soupir, et quand les flammes l'enveloppaient de toutes parts, il s'écria : Victoire, victoire ! - Lequel était le vainqueur, ou du pape ou du martyr ?


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Martyrs italiens. - Paleario.

1534

 

Ainsi l'Italie voyait ses hommes d'élite, ses hommes de science, de foi apostolique, disparaître dans le feu des bûchers et sous la hache des bourreaux. L'Italie ou plutôt l'antichrist prédit par Daniel, par St. Paul, par St. Jean, remontait à l'âge des Domitien et des Néron; ceux-ci du moins ne prenaient pas le nom de Jésus-Christ; c'était en l'honneur de leurs faux dieux qu'ils immolaient les fidèles; les papes, au contraire, immolaient les membres de Jésus-Christ au nom de Jésus-Christ.

La lumière n'avait jeté que quelques rayons et ces rayons allaient s'éteindre.

Aonio Paleario occupe une des plus nobles places parmi les chrétiens d'Italie morts pour leur foi au véritable Evangile. Né à Véroli, dans la campagne de Rome, il fut l'ami d'Ochino et de tous ces courageux témoins de la vérité à Sienne, à Bologne, à Lucques. En 1534, il fut nommé professeur de grec et de latin à Sienne. Mais tout en expliquant les anciens, il sondait les saintes Ecritures, et, comme la plupart des savants de cette époque, il y fit d'atterrantes découvertes : le vrai christianisme s'était perdu dans le fouillis des altérations humaines; il fallait le remettre au grand jour. Quelle entreprise dans un pays courbé religieusement et politiquement sous le joug de la papauté ! Cette entreprise triomphait en Allemagne, en Suisse, dans tous les pays où le bras de Rome était lié par celui du pouvoir civil. Mais en Italie, où le pape est roi, domine sur les rois et terrorise les consciences par ses anathèmes, quelle oeuvre de géant à faire !

Paleario et ses frères dans la foi marchent par la foi; sans prétendre renverser le colosse romain, ils annoncent Christ ; voilà leur mission. La victoire appartiendra au vrai et divin Chef de l'Eglise; ses soldats n'ont qu'à combattre vaillamment. Ils sont soutenus par leurs compagnons d'armes en France, d'au delà du Rhin et de, la Suisse. Luther, Mélanchthon, Zwingle, Calvin, quoique absents, parlent à leur conscience et leur montrent l'admirable harmonie qui existe entre tous les vrais croyants de tous les âges et de tous les pays de la terre. Paleario, à Sienne, était entouré d'une jeunesse studieuse, avide de recevoir ses leçons puisées aux bonnes sources. Un jour, le pieux professeur dépeignait avec l'accent de l'indignation le caractère du mauvais prêtre, de celui qui s'agenouille chaque matin devant l'image ou l'habit d'un des saints du calendrier et qui nie ses dettes ou vit dans la souillure; cette hypocrite dévotion , disait-il, ces beaux dehors de piété, sont le partage de bien des dévots. Un tel tableau était trop fidèle pour ne pas irriter une foule de religieux. Quelques-uns, lui tendant un piège, lui demandent: «Quel est le premier fondement du salut?), Un bon papiste aurait répondu: l'Eglise romaine. Paleario répondit : « Jésus-Christ. » « Et le second fondement? » « Jésus-Christ. » « Et le troisième ?» « Jésus-Christ et Jésus-Christ seul.» 

C'en fut assez: l'accusation banale d'hérétique fut lancée contre lui. Cette accusation prit des proportions énormes en 1543, lors de la publication de soin écrit, si connu : Le Bienfait de la mort de Jésus-Christ. Cet écrit, dicté par la foi la plus pure, la plus onctueuse, mis à la portée des âmes simples et droites, proclamait la base fondamentale du salut: le salut par la foi vivante et efficace. Il fut promptement répandu et parvint sous les yeux du pape. Se déclarer disciple de Jésus-Christ, seul Sauveur, c'était se déclarer ennemi de son prétendu vicaire. Paleario est en effet accusé d'être ennemi du pape et des croyances romaines. C'était vrai. En conséquence, l'auteur du Bienfait fut condamné à la peine de mort.

Paleario se défendit devant le sénat de Sienne, sommé de faire exécuter la sentence. « Il est des personnes, dit-il, qui se scandalisent en nous voyant rendre gloire à l'auteur de notre salut, au Christ, Seigneur et Roi de toutes les nations. Parce que j'ai écrit cette année en langue toscane, pour montrer les immenses bienfaits que sa mort a procurés au genre humain, on en a fait le sujet d'une accusation criminelle. Peut-on rien concevoir de plus honteux?.... J'affirmais, conformément aux monuments les plus incontestables de l'antiquité, que ceux qui tournent leurs âmes vers Jésus-Christ crucifié, qui se donnent à lui par la foi, qui espèrent en ses promesses et s'attachent avec une entière confiance à Celui qui ne peut tromper, sont délivrés du mai et reçoivent le pardon de tous leurs péchés. Voilà ce qui a paru si détestable, si impie, si exécrable à ces douze bêtes féroces (car je ne puis leur donner le nom d'hommes), qu'ils ont décidé que l'auteur devait être livré aux flammes. Si je dois souffrir ce supplice pour le témoignage que j'ai rendu (car je regarde mon livre plutôt comme un témoignage que comme un libelle), alors, sénateurs, rien ne peut m'arriver de plus heureux. Dans un temps comme celui-ci, je pense qu'un vrai chrétien ne doit pas s'attendre à mourir dans son lit. Etre accusé, être emmené en prison, être fouetté, pendu, cousu dans un sac, être enfin exposé aux bêtes féroces, tout cela est bien peu de chose. Que l'on m'expose, si l'on veut, au feu le plus ardent, pourvu seulement que ma mort amène le grand jour de la vérité. » 

Le sénat refusa d'exécuter l'arrêt. Peu après, forcé de quitter Sienne, où la Réforme le comptait au nombre de ses plus fermes appuis, Paleario accepta un appel du sénat de Lucques, qui lui offrait une chaire latine et une place importante dans cette république. L'église de Lucques était alors florissante; ce petit état savait encore faire respecter ses droits. Mais, lors de la dispersion de ce troupeau et par suite de la lâcheté des magistrats, Paleario dût s'enfuir à Milan. La sentence de mort le poursuivait partout; cependant les Milanais, imitant le bel exemple donné par le sénat de Sienne, accueillirent le proscrit et même lui assurèrent des immunités particulières. Preuve éclatante que les foudres de Rome s'éteignaient là où le pouvoir civil connaissait et remplissait sa mission.

Paleario, professait depuis sept ans à Milan, avec d'éclatants succès; mais là encore il faillit plus d'une fois tomber dans les pièges que lui tendaient les agents du pape. Il se disposait à partir pour Bologne, en 1566, lorsque, à l'avènement de Pie V, l'inquisiteur Angelo parvint à le faire prisonnier. Conduit à Rome, il fut accusé de nier le purgatoire, d'attribuer la justification aux seuls mérites de Jésus-Christ, de condamner la vie monastique et les sépultures faites dans les églises. « Le Christ a souffert pour nous, dit-il à ses juges aveugles, en nous laissant un exemple afin que nous suivions ses pas, lui qui n'avait commis aucun péché et de la bouche duquel il n'est jamais sorti une parole trompeuse. Prononcez donc votre jugement; rendez une sentence contre Aonio; comblez de joie ses ennemis. »

Durant une captivité de 3 ans, il ne cessa de déployer la patience, la foi d'un chrétien éminent. Quelques heures avant son martyre, il écrivit à sa femme: « L'heure est venue, ma chère femme, où il me faut quitter cette vie pour paraître devant mon Seigneur, mon Père et mon Dieu. Je pars avec autant de plaisir que si j'allais aux noces du grand roi. Cette joie, j'ai toujours prié mon Seigneur de me l'accorder dans sa bonté et sa miséricorde infinie. C'est pourquoi, ma chère femme, il faut que la volonté de Dieu et ma résignation soutiennent votre courage. Vous vous devez tout entière à la famille désolée qui me survit. Instruisez-la ; maintenez-la dans la crainte de Dieu, et servez lui de père et de mère. Je ne suis plus aujourd'hui qu'un inutile vieillard de soixante et dix ans. Nos enfants doivent se suffire à eux-mêmes par leur vertu et leur industrie. Que Dieu, le Père, que notre Seigneur Jésus-Christ et le Saint-Esprit soient avec vous ! »

A ses deux fils, il écrivait : « Mes chers enfants, il plaît à Dieu de me rappeler à lui par ces voies qui semblent peut-être rudes et douloureuses; mais, si vous réfléchissez bien que j'accepte tout cela avec résignation et même avec joie, vous vous soumettrez à la volonté de Dieu, domine vous avez fait jusqu'ici. Je vous transmets pour patrimoine la vertu et l'industrie, avec le peu de biens dont vous êtes déjà en possession. Je ne vous laisse aucune dette. . . .. Adieu, mes enfants. L'heure approche. Que l'Esprit de Dieu vous console et vous protège par sa grâce.

Rome, 3 juillet 1570. » AONIO PALEARIO.

 

Le même jour où il traçait ces derniers mots, Paleario fut pendu à un gibet et son corps livré aux flammes.

Telle était l'infortunée Italie. Les hommes de foi, qui en grand nombre, échappèrent par la fuite aux bûchers de l'inquisition, les Calendrini, les Miquéli, les Lombardi, les Burlamachi, les Raya, les Guisani, les Turretini, les Pictet, les Eleforte, les Appiano, et tant d'autres mentionnés dans l'histoire, allèrent porter en Suisse, à Genève, à Lausanne, à Zurich, à Bâle, en Angleterre, en Allemagne, le vénérable exemple de leur attachement à l'Evangile; et aujourd'hui leurs descendants font l'expérience de cette parole du Maître: « Quiconque aura quitté des maisons, des frères, ou des soeurs, son père ou sa mère, ses enfants ou des champs à cause de mon nom, il en recevra cent fois autant, et héritera la vie éternelle. »


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L'Espagne et les Pays-Bas.

1500

 

Vous n'avez pas oublié ce puissant monarque qui latta si longtemps contre la réforme en Allemagne. Charles Y, que vous avez vu aux prises avec un simple moine, régnait, non-seulement sur ce pays-là, mais aussi sur l'Espagne, la Flandre, les Pays-Bas, aujourd'hui la Belgique et la Hollande, sur les deux Siciles, la Sardaigne, Milan, la Franche-Comté et sur le Nouveau Monde. Le soleil ne se couchait jamais sur tous ses états. Il résista avec le glaive aux prétentions envahissantes des papes, et leur prêta ce même glaive pour anéantir toute innovation religieuse. Il fut tout ensemble leur adversaire et leur appui.

Nous l'avons rencontré dans plusieurs de nos esquisses précédentes. Approchons-nous un peu plus près de lui. Né en 1500 et élevé en Flandre, Charles ne parlait que le flamand et le français ; toutes ses habitudes étaient étrangères à l'Espagne. Sa taille était médiocre, sa santé faible, sa lèvre inférieure pesante. Son visage allongé, maigre, annonçait la tristesse, quelque chose de lourd ; dans sa jeunesse, rien ne dénotait en lui le futur souverain du plus vaste empire de l'époque. On craignait même qu'il n'eût hérité de l'incapacité de sa mère, nommée Jeanne-la-Folle, fille de Ferdinand, roi d'Arragon. Mais, plus tard, la nécessité, l'ambition, les luttes qu'il eut à soutenir en firent un monarque dont le nom occupe une grande place dans l'histoire. Formé de bonne heure à toutes les pratiques romaines, il se montra, pendant son règne de près de 40 ans, hostile à tout ce qui pouvait altérer l'unité religieuse dans ses états. Sous son fatal gouvernement et sous celui de son fils Philippe II, ce ne fut qu'une effroyable série d'auto-da-fé.

La maxime dominante d'alors était, comme partout : « Un roi, une foi. » Vous avez vu l'abîme de maux où elle entraîna la France et l'Italie. L'Espagne et les Pays-Bas vont nous offrir le même spectacle. La main de Dieu est plus forte que celle des rois. En vain tentaient-ils de préserver leurs peuples de l'invasion de la prétendue hérésie qui éclairait et renouvelait les âmes au delà du Rhin ; en vain, au premier bruit des débats de Luther avec le pape, le clergé espagnol avait-il répandu l'alarme : la Parole de Dieu traversa les Pyrénées, comme elle avait franchi les Alpes. En 1234, un concile tenu à Saragosse, dans l'Aragon, avait « défendu à toute personne laïque de disserter, soit en particulier, soit en publie, sur la foi catholique. » Les contrevenants devaient être excommuniés par l'évêque du diocèse. D'après cette assemblée ténébreuse, nul ne devait posséder les livres de l'Ancien et du Nouveau Testament en langue vulgaire, sous peine de mort. Au commencement du XVIe siècle ces arrêts furent rappelés et remis en vigueur.

En 1521, Charles V, pressé par le clergé, porta un édit, daté de Worms, défendant de publier dans les Pays-Bas aucun livre qui fît mention de l'Ecriture sainte, sans une autorisation formelle des évêques. ( Il nous semble, disait le prince, que Martin Luther n'est pas une créature humaine, mais un diable sous la figure d'un homme, et revêtu d'un habit de moine, afin qu'il puisse plus aisément causer la mort éternelle et la destruction du genre humain. » Malgré ces édits, l'Ecriture et les livres réformés, traduits en espagnol, en flamand, se jouaient de toutes les barrières. Une active contrebande les portait sur les rives du Tage, de la Somme et de l'Escaut. Un Espagnol avait introduit en Espagne des ballots entiers de ces livres maudits, renfermés dans des tonneaux à doubles fonds qui contenaient un peu de vin. L'importateur fat découvert, mis à la torture et brûlé vit. En attendant, les livres circulaient et l'on recourait à d'autres voies pour s'en procurer de nouveaux. On s'entretenait des prêtres, de leurs richesses, de leur vie déréglée, puis de ces écrits renfermant une doctrine bien opposée à la leur.

Tandis que, d'un côté, le pouvoir perdait ses peines à interdire la Parole de Dieu, d'un autre côté, il cherchait à réprimer l'insatiable vénalité du clergé. Marguerite d'Autriche, gouvernante des Pays-Bas, renouvela, en 1521, un édit de Philippe, due de Bourgogne, et comte de Hollande. Cet édit, de 1445, s'élevait contre le trafic que faisaient les monastères, devenus de vraies, boutiques de marchands, accaparant les terres du voisinage. Les efforts de l'autorité contre de tels abus jetaient un aliment de plus aux censures contre les prêtres et aux aspirations vers une réforme.

Quelques rayons de lumière pénétrèrent jusque dans les couvents. L'an 1524, Zutphen, prieur des Augustins, à Anvers (alors de la Flandre), gémissait depuis longtemps des désordres qui régnaient parmi ses religieux. Mais ses conventuels sont fort contents de leur position ; ils vivent grassement, se livrent sans trop d'obstacles à leur molle sensualité ; ils ne veulent rien y changer. Le prieur insiste ; il a lu quelques-uns des écrits luthériens; sa conscience parle; il conjure ces hommes corrompus de changer de vie. Une coalition se forme contre lui; on l'accuse d'hérésie, et ses supérieurs le font conduire en prison. Assez heureux pour pouvoir s'enfuir, il atteint l'Allemagne et, peu après, il périt dans le Holstein sous les coups des prêtres.

La semence jetée çà et là dans les états de Charles V germait en silence, et la violente inimitié déchaînée contre ceux qui inclinaient vers un meilleur état de choses ne fit qu'en hâter les fruits. Erasme, écrivain hollandais, fut, à son insu, un des promoteurs des idées réformistes. Il croyait que Luther avait été suscité de Dieu pour expurger l'Eglise, mais la hardiesse, la sévérité, la précision des doctrines du moine réformateur effrayaient le philosophe. « C'est dommage, disait-il, qu'un homme qui a de si beaux talents soit poussé à bout par les invectives et les criailleries des moines. Nous devrions remonter à la source de ces maux. Le monde était accablé d'inventions humaines, chargé de dogmes purement scolastiques et opprimé par la tyrannie des moines. Je ne condamne pas tous les moines; mais plusieurs d'entre eux sont tellement extravagants qu'ils entreprennent d'assujettir la conscience des hommes par un intérêt mondain et par un esprit de domination. Mettant à l'écart Jésus-Christ et l'humilité, ils ne prêchent aujourd'hui que leurs innovations, et souvent même des doctrines impudentes. » Ainsi parlait Erasme. Le parti monacal fut furieux contre lui, et l'appela, par un misérable jeu de mots, Erasinus , ennemi de la religion, blasphémateur de Dieu et de la sainte Vierge, archi-hérétique, plus dangereux que Luther lui-même. Fun autre côté, les luthériens blâmaient son indécision, sa lâcheté, de ce qu'il ne rompait pas nettement avec l'Eglise romaine. La guerre qu'il faisait aux plus grossières erreurs à l'insolente domination du clergé, ouvrit les yeux de beaucoup de ces Hollandais, à l'esprit rassis, sérieux; aussi la réforme y fit-elle de plus rapides et plus solides conquêtes qu'en Espagne, où l'ignorance, le bigotisme, avaient jeté de plus profondes racines.

Vers 1525 , les monastères de la Zélande et d'une partie des Flandres devenaient peu à peu déserts ; une foule d'habitants de ces provinces, las d'un joug écrasant, accueillaient les vérités évangéliques , les uns par pure opposition au clergé , d'autres, en plus grand nombre, par une opposition ferme et éclairée. Anvers eut de bonne heure un troupeau de fidèles résolu à marcher dans la voie chrétienne. 

Parmi ces hommes qui quittaient la vie monastique, nous rencontrons d'abord Jean de Baker, qui fut le premier martyr hollandais. Entré fort jeune et malgré lui dans la prêtrise, il reçut avec joie la connaissance de Christ et ne tarda pas à sortir de son cloître. Quittant l'habit de son ordre, il contracte mariage. Double scandale qui ne peut rester impuni. Baker est arrêté et conduit dans les prisons de la Haye. Des prêtres l'assaillent de leurs remontrances. « Je ne connais, dit-il, pas d'autre règle de foi que l'Ecriture sainte. Quant aux règles de l'Eglise, on doit les observer quand elles sont d'accord avec la Parole de Dieu. Où avez-vous vu que le célibat des prêtres soit une ordonnance du Seigneur? Vous avez beaucoup d'indulgence pour les impudicités, et vous condamnez un mariage chaste, honorable, approuvé de Dieu ! »

Le 15 septembre 1525, on fait monter Baker sur une grossière estrade. Là, on le dégrade, on l'affuble d'un habit jaune, et d'un chapeau de la même couleur, puis on le mène au supplice. En passant devant la prison où plusieurs fidèles sont détenus, il leur crie: « Voyez, mes frères, je suis prêt à souffrir le martyre. Ayez bon courage, comme de fidèles soldats de Jésus-Christ, et, étant animés par mon exemple, défendez les vérités de l'Evangile contre toute injustice. » Les prisonniers lui répondirent en frappant des mains , par des cris de joie et le chant d'un cantique.

Attaché au poteau, Baker s'écrie: « 0 mort ! où est ton aiguillon ? 0 sépulcre ! où est ta victoire ? Seigneur Jésus, pardonne-leur, car ils ne savent ce qu'ils font. » Un instant après, son corps est dévoré par les flammes, et son âme s'envole dans le sein de son Dieu.

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