Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Un moine réformateur.

1542

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La pensée de la réforme allait donc chercher ses plus éloquents avocats dans les cloîtres, dans les universités, parmi les savants. Vous venez de voir à l'oeuvre le général des capucins, Ochino. Sous la soutane, sous le capuchon, pouvait battre un coeur altéré de vérité et s'abreuvant à la bonne source. Les formes, les costumes, certaines pratiques restaient, jusqu'à ce qu'on en reconnût l'inutilité ou le péril ; mais la lumière se répandait.

Pendant qu'Ochino allait de Venise à Naples, de Naples à Venise, semant quelques grains de l'Evangile, un autre religieux, Pierre Martyr Vermigli, né à Florence en 1500, abbé de Spolette et inspecteur général de l'ordre des Augustins, étonnait ses auditeurs par la hardiesse de ses discours. Eclairé, lui aussi, par la méditation des saintes Ecritures, sur les aberrations romaines et sur l'unique voie du salut, il a la joie de voir se former à Lucques une congrégation évangélique. Il est frappé des désordres qui règnent dans les couvents et veut y introduire quelques réformes; mais ses soins se portent avant tout sur ce petit troupeau de fidèles rassemblés sous sa conduite et qui s'accroît de jour en jour.

Ses confrères ne veulent ni changement dans leur vie ni assemblées illicites, et, sur leurs instances, Vermigli .est cité devant une assemblée générale de son ordre. Il sait que des pièges lui sont tendus. Au moment où ses dons oratoires lui ouvraient un brillant avenir, il se démet de sa charge d'inspecteur général, quitte Lucques et arrive à Pise.

De Pise, il écrit à ses moines et au cardinal Pole, pour leur dévoiler les erreurs , les abus dont l'Eglise est atteinte, et les conjure de s'enquérir eux-mêmes du chemin qu'il faut suivre : la Parole de Dieu le leur apprendra. Sa conscience ne lui permet plus de rester dans une église déchue, et dans un ordre aussi corrompu que le leur. Il leur rappelle toutes les haines soulevées contre lui, les embûches dont il est entouré, et il leur renvoie l'anneau, insigne de sa charge. 

Il ne nous appartient pas de juger si, dans l'intérêt de la sainte cause de la réforme, il n'eût pas mieux valu que Vermigli, Ochino et d'autres hommes de foi bravassent tous les périls, en poursuivant leur oeuvre en Italie. Vraisemblablement leur voix se serait éteinte dans les cachots ou dans les flammes. D'un autre côté, le Seigneur conduit ses serviteurs ; il voulait donner une preuve de plus de l'impossibilité d'une réforme générale sous le règne de l'antichrist romain et employer ailleurs ses ouvriers. Il a dit d'ailleurs : « Quand ils vous persécuteront dans une ville , fuyez dans une autre. » (Math. X, 23.) 

De Pise, Vermigli se rendit à Florence, où il serra la main d'Ochino, comme lui, fugitif: ils réglèrent ensemble leur départ, chacun de leur côté, pour échapper aux coups des adversaires. Tandis qu'Ochino fuyait à Genève, Vermigli, avec trois autres frères sortis de prison, traversa, déguisé, Bologne, Ferrare et Vérone, et atteignit Zurich en 1542. Suivons les traces de ce fidèle confesseur de Christ et de l'église dont il fut le fondateur. De Zurich, il reçoit une vocation pour Strasbourg. Nommé professeur dans cette ville, il n'oublie pas sa chère église de Lucques et prie chaque jour pour qu'elle s'affermisse. Le départ de son conducteur l'avait profondément affligée et surprise, mais ne l'avait pas dissoute. Elle grandit sous les soins de pasteurs distingués et de professeurs de l'université de cette ville. Parmi ces derniers était Secundo Curio, que nous rencontrerons bientôt.

Mais si l'église réformée de Lucques prospérait, le monastère de Vermigli, qu'on supposait infesté d'hérésie, ne fut pas épargné. Une visite rigoureuse eut lieu ; plusieurs moines gagnés à l'Evangile furent jetés dans les fers; dans le courant d'une année, dix-huit autres prirent la fuite et allèrent peupler ou servir les églises italiennes en Suisse.

La renommée de Martyr Vermigli était parvenue en Angleterre. L'université d'Oxford, sous le règne du pieux Edouard VI, lui ouvrit une de ses chaires. Mais, à la mort de ce prince , il dut reprendre le chemin de Strasbourg. Là il apprend qu'une affreuse tempête s'est déchaînée sur l'église de Lucques. Le traître Carafa, Paul IV, venait de prendre la tiare, et un de ses premiers soins, comme vicaire de Jésus-Christ, fut de frapper les membres du corps de Jésus-Christ. Durant plus de onze ans, depuis le départ de Vermigli, les réformés de Lucques avaient déployé une fidélité inébranlable.

Tout à coup, en 1555, les membres le plus en évidence sont arrêtés et traînés dans les cachots de l'inquisition. Plusieurs s'effraient à la vue des instruments de torture et rentrent sous le joug de Rome. D'autres préfèrent l'exil à l'apostasie. Vermigli écrit de Strasbourg : « Comment retenir mes gémissements quand je songe qu'une tempête affreuse a désolé la florissante église de Lucques, sans en laisser, pour ainsi dire, de vestiges? Ceux qui ne vous connaissaient pas pouvaient craindre que vous ne fussiez trop faibles pour tenir tête à l'orage; mais moi j'étais loin de m'attendre à vous voir succomber si honteusement. Vous connaissiez la fureur de l'antichrist et le danger qui menaçait vos têtes, quand vous refusiez de fuir et de profiter de ce que certaines personnes nomment les ressources des faibles, et que j'appelle, moi, précautions sages dans certaines circonstances. Ceux qui estimaient votre courage disaient: Ces généreux soldats de Christ ne fuiront point , parce qu'ils sont déterminés à assurer, au prix de leur sang et du martyre, les progrès de l'Evangile dans leur pays ; parce qu'ils ne veulent pas rester en dessous des glorieux exemples que leurs frères leur donnent chaque jour, en France, en Belgique, en Angleterre. Ah ! que ces espérances ont été cruellement déçues ! Quel sujet d'orgueil et de joie pour nos impies oppresseurs! c'est avec larmes plutôt qu'avec des paroles qu'il faut déplorer cette douloureuse catastrophe. »

Rome avait pu torturer les chrétiens de Lucques, arracher à plusieurs d'entre eux une rétractation , en forcer d'autres à prendre la fuite; néanmoins, longtemps encore la bonne semence resta dans les coeurs. Des correspondances secrètes, mais actives, entre les Lucquois et leurs frères proscrits, les communications fréquentes d'ouvrages protestants parle concours de marchands de Lyon et de Genève , l'irrésistible action de l'Esprit de Dieu dans des âmes élues, maintinrent de précieux germes des doctrines évangéliques.

Pendant que l'ennemi dévastait la bergerie du Seigneur formée par les travaux de Vermigli, celui-ci poursuivait son ministère en Alsace, puis à Zurich. En 1561, nous l'avons vu à la fameuse conférence de Poissy. Uni d'une tendre et solide affection aux réformateurs suisses et allemands, il occupe une des premières places parmi les restaurateurs de l'Evangile en Italie et dans les pays où il fut appelé. Il était aussi distingué par sa piété, sa modestie, que par son profond savoir. Bullinger, le rédacteur de la Confession de foi helvétique, l'aimait comme son frère. Ce fut lui qui lui ferma les yeux. Conrad Gesner et plusieurs membres de l'église italienne de Zurich entouraient en larmes le lit du mourant, qui remit paisiblement son âme à son Sauveur le 12 novembre 1562.


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Un proscrit.

1523

 

Parmi les compagnons de Vermigli était, avons-nous, dit, Curio, professeur au séminaire de Lucques, lors du départ du premier. Curio naquit, à Turin en 1503. Au plus fort de ses études, éclatait le mouvement réformiste italien. La conscience de l'étudiant, éclairée par l'Esprit de Dieu et la lecture des livres saints, s'effraie à la vue de ses péchés; il lit sa condamnation dans la loi divine, et, après bien des luttes, il découvre que le salut est gratuit et que l'homme n'est justifié que par la foi. Mais, en même temps, il voit que l'Eglise romaine lui trace une, tout autre voie de salut: sa conscience, sa raison, protestent contre ces déviations officielles, générales, où Rome a entraîné la chrétienté. Il ne veut suivre que Jésus-Christ, dont la Parole, en Allemagne, vient de reconquérir la place qui lui appartient. Pour s'affermir dans cette voie, il se décide à visiter ces hommes de foi dont les travaux ont dissipé tant de ténèbres.

A l'âge de vingt ans, il part pour l'Allemagne avec deux amis qui, comme lui, veulent se consacrer au ministère évangélique. Mais on les soupçonne atteints d'hérésie. Leur départ éveille l'attention de l'adversaire. Des espions sont sur leurs traces. A Yvrée, l'évêque les fait arrêter et conduire en prison.

Curio, grâce à l'intervention de sa famille, est relâché, puis placé dans un prieuré pour y achever ses études. Là, il travaille à répandre la vérité, et plusieurs des religieux entr'ouvrent les yeux à la lumière. Un jour il ouvre une châsse ou coffre à reliques, placé sur l'autel, les en retire et met à leur place une Bible, avec ces mots écrits de sa main : « Ceci est l'arche d'alliance, contenant les oracles infaillibles de Dieu et les vraies reliques des saints; » puis il referme le coffre. Longtemps après, lors d'une fête où l'on exposait les reliques aux yeux de la foule, on ouvre la châsse. 0 scandale ! Plus de ces objets tant vénérés! Mais le livre des hérétiques! Qui est l'auteur d'un tel attentat? Ce ne peut être que Curio. On va le saisir; mais aussitôt il prend la fuite et court à Milan. Il n'a que 27 ans, et, bravant les embûches qu'on peut lui tendre, il va visiter Rome et d'autres villes d'Italie. La prédication en public de la Bonne Nouvelle est impossible ; mais il y supplée par de fréquents entretiens avec, des prêtres, auxquels il fait entendre la Parole du salut. De retour à Milan, il y professe avec éclat les belles lettres et contracte mariage avec une dame qui partage sa loi. Chassé de Milan par l'arrivée et les excès des troupes espagnoles, il passe quelques années en paix à Casale, sous la protection du comte de Montferrat.

Des affaires de famille l'appellent à Turin, sa ville natale. Aussitôt une accusation d'hérésie est portée contre lui par son beau-frère, avide de son patrimoine. Forcé encore de fuir, il se retire dans un village comme précepteur chez un noble savoisien. Un dimanche, un moine de Turin prêchait dans l'église d'une ville voisine contre les réformateurs allemands et en faisait la plus hideuse peinture, citant effrontément plusieurs passages falsifiés d'un écrit de Luther. Curio assistait à l'office et avait en poche cet écrit. Au moment de sortir de l'église, il se rend auprès du moine, et, en présence de plusieurs des auditeurs, lui démontre que les citations lues en chaires sont fausses. Les assistants, parmi lesquels étaient des notables, sont indignés contre l'impudent falsificateur et le chassent de la ville.

Le moine accourt auprès de l'évêque, se plaint de l'insulte qu'il a reçue. Curio est saisi et traîné dans les prisons de Turin. Tous ses méfaits lui sont reprochés : son projet de voyage en Allemagne, ses paroles aux religieux, l'affaire de la châsse, sa dispute avec le moine. En voilà plus qu'il n'en faut pour assurer un arrêt de mort. Un des agents de l'inquisition se hâte de se rendre à Rome, afin de presser la condamnation. Pendant ce temps-là, Curio est jeté, les fers aux pieds, dans le plus étroit cachot. L'enflure s'étant mise à ses jambes, il obtient d'un compatissant geôlier que ses entraves lui soient ôtées. Pendant la nuit, il parvient à ouvrir les portes de sa prison, saute par une fenêtre dans la cour, escalade les murailles et prend la clef des champs. Après plusieurs pérégrinations, il arrive à Lucques auprès de Virmigli. Il y travaille à l'oeuvre du Seigneur durant plusieurs années ; le sénat de Lucques protège les savants de cette ville, parmi lesquels plusieurs faisaient partie de l'Eglise réformée. Lucques, nous l'avons vu, était alors un des principaux centres des idées nouvelles,

En 1543, le pape, irrité, effrayé des ravages que faisait l'hérésie, somma le sénat de lui livrer Curio, dont la fuite des prisons de Turin avait fait grand bruit. Le sénat résiste; mais, sur des avis secrets, Curio se retire à, Ferrare, puis en Suisse. La noble et pieuse duchesse Renée de Ferrare lui avait donné des lettres de recommandation pour les magistrats de Berne et de Zurich.

Curio traverse les Alpes et arrive à Lausanne, où la réformation venait de s'établir. Il avait dû partir seul et laisser sa femme et ses enfants à Lucques. A peine a-t-il passé quelques mois dans le pays de Vaud pour s'y faire une position, qu'il retourne affronter les périls: il va en Italie et s'arrête près de Lucques, où sa famille doit le rejoindre. Les sbires de l'inquisition ne tardent pas à le découvrir. Curio était logé dans une modeste auberge, attendant de serrer sa femme et ses enfants dans ses bras. Un des agents de l'inquisition entre tout à coup dans la chambre du proscrit et lui ordonne, au nom du pape, de le suivre à l'instant. Curio se lève pour se rendre sans résistance; il allait prendre son repas et tenait à la main un couteau. L'agent du pape s'effraie à la vue de cet homme d'une haute taille, armé d'un couteau, et s'enfuit dans un coin de la chambre. Curio ne perd pas la tète: profitant de ce moment de stupeur, il descend de l'hôtel, passe, la tête haute, dans les rangs des soldats stationnés à la porte, prend sa monture et part au galop.

Le Seigneur veillait sur les jours de son serviteur. Curio traverse sain et sauf les monts et arrive une seconde fois à Lausanne. Grâce à la protection visible de Dieu et aux soins de quelques fidèles amis, toute sa famille alla l'y rejoindre. Le sénat de Berne lui confia la direction du collège de Lausanne, fonction qu'il remplit pendant trois ans. En 1547, l'université de Bâle l'appela à la chaire d'éloquence latine. Sa réputation, sa piété, sa science, attirèrent à Bâle un grand nombre d'étudiants. Heureux de servir la sainte cause des lumières et de la réformation dans un pays affranchi du joug du pape, il refusa divers appels qui lui furent adressés de Vienne, puis de Weissembourg, en Transylvanie. Le pape même l'invita à rentrer dans son pays, lui fit de magnifiques promesses, sous la seule réserve de taire ses opinions religieuses. Curio refusa tout, principalement les offres du pape. Il resta à Bâle, qu'il illustra de ses travaux, et mourut en paix en 1569.

C'est ainsi que la papauté enlevait à l'Italie les hommes les plus propres à l'arracher à ses idolâtries. Nous la verrons bientôt s'enivrer du sang des chrétiens.



Deux héroïnes chrétiennes.

1542

 

Un des plus riches centres des sciences, du goût, en Italie, au XVIe siècle, était Ferrare, ville située dans ce qu'on appelle les Etats de l'Eglise, prés des confins de la Vénétie. L'illustre maison d'Est en avait fait un refuge à d'illustres proscrits. L'Arioste et le Tasse, plus tard Clément Marot, Calvin, sous le pseudonyme de Charles d'Heppeville, Curio, Pérégrino Morata, et une foule d'autres savants ou de victimes de l'intolérance, trouvèrent à Ferrare un lieu où ils purent jouir de quelque repos. Ferrare est éloignée de Rome, à l'extrémité nord des états du roi-pontife, ainsi moins exposée à ces miasmes délétères qu'exhalait une cour despotique, corruptrice, sous un masque religieux. Le duc Hercule II, plus éclairé que son frère Alphonse, accueillait avec bienveillance et sans trop de prévention, des hommes entachés de luthéranisme. Son médecin, Sinapi, avait reçu avec délices la connaissance de ces doctrines maudites par le pape. Calvin, durant son séjour à Ferrare, avait été un organe ferme, intelligent, béni, de cet Evangile dont il devait être un des grands restaurateurs. 

Une pieuse princesse, la fille de Louis XII de France, Renée, l'épouse du duc, avait été témoin à Paris des affreux supplices infligés à d'humbles et fidèles chrétiens. Ce spectacle l'avait révoltée. Instruite plus que la plupart des femmes de cette époque, elle se mit à s'enquérir des principes religieux des martyrs français, et se promit, en changeant de patrie, de protéger ceux qu'un fanatisme atroce poursuivait. Epouse d'Hercule, elle tint sa promesse. Mme de Soubise, sa gouvernante, qui l'accompagna dans sa nouvelle résidence, et mère du célèbre chef huguenot de ce nom, favorisait l'émigration des proscrits de France.

La duchesse Renée donna pour compagne d'études à sa fille Aune une jeune et spirituelle amie, Olympia Morata, fille d'un des professeurs de l'académie de Ferrare. Olympia avait le bonheur d'être sous les soins d'un père pieux, affranchi des erreurs de Rome, sans toutefois avoir ostensiblement rompu avec elle. Elevée de bonne heure selon les préceptes de l'Evangile, Olympia les sentit prendre racine dans son esprit et dans son coeur. Cet amour pour la vérité se joignait chez elle à l'amour de la poésie, des langues anciennes et de tout ce qui peut développer les nobles facultés dont le Créateur nous a doués.

Des assemblées religieuses avaient lieu à Ferrare, selon la Parole de Dieu. Olympia en était un des membres les plus assidus et y puisait chaque fois de nouvelles lumières et un précieux aliment pour son âme. Les proscrits français affluaient. Ferrare était une oasis dans le désert.

Hercule II ne voyait pas sans alarmes ce progrès des idées réformatrices. Sa maison avait toujours vu plusieurs de ses membres aux plus hautes sommités ecclésiastiques. Lui-même portait le titre de prince-évêque; il tremblait à la pensée de trop déplaire au souverain pontife.

En 1543, le pape faisait dans ses états un de ces voyages princiers qui éblouissent le vulgaire et qui, trop souvent, rivent les fers. Presque partout des foules abusées, asservies, se jetaient à ses genoux, implorant sa bénédiction ; des ambitieux se pressaient sur ses pas pour avoir part à ses faveurs. Il arrive à Ferrare, dernière limite septentrionale de son royaume. De brillantes et somptueuses fêtes l'accueillent; un théâtre est dressé on joue la comédie en l'honneur et pour le plaisir du pape. Naturellement les assemblées évangéliques sont suspendues. De fréquents et de secrets entretiens ont lieu entre le duc et Paul III. L'histoire ne les connaît que par leurs résultats. 

Bientôt les étrangers furent forcés de partir. Hercule avait reçu ses instructions : il ne devait pas tolérer chez lui des ennemis des doctrines romaines, des hommes qui lisaient la Bible , qui discutaient sur une question que Rome a dès longtemps résolue: hors de son sein point de salut. Les réunions devinrent plus difficiles, puis impossibles, sous les peines les plus sévères.

En 1550 , la persécution s'accrut. Le voluptueux Jules III, continuant l'oeuvre infernale de ses prédécesseurs, publia des bulles qui prononçaient un arrêt de mort contre les réfractaires. Olympia Morata avait perdu son père et venait d'épouser un fidèle chrétien, qui avait étudié la médecine à Ferrare. André Grunthler fut le digne époux d'une des femmes les plus remarquables de cette époque. Disgraciés de la cour, après le départ d'Anne d'Est, qui allait donner sa main au trop fameux duc de Guise, Olympia et son mari durent partir pour l'Allemagne.

D'Augsbourg, Olympia écrivait à Curio, qu'elle appelait son divin protecteur: « Nous ne sommes pas venus ici dans l'intention de retourner en Italie ; car vous n'ignorez pas combien il est dangereux de professer le christianisme dans ce malheureux pays, où l'antichrist a établi son trône. J'apprends que la fureur qui s'acharne sur les saints est maintenant si violente que les rigueurs du temps passé n'étaient que jeux d'enfants auprès de celles du nouveau pape, qui, différent en cela de son prédécesseur, ne se montre accessible ni aux prières ni aux supplications. » - A un autre ami, elle écrit: « Des lettres que j'ai reçues il y a peu de temps d'Italie, m'informent que les chrétiens sont traités à Ferrare avec une excessive cruauté. La persécution n'épargne aucun rang; on condamne les uns à la prison, les autres à l'exil et le reste est obligé de fuir pour sauver ses jours. »

Durant le siège de la ville qu'elle habitait, Schweinfurt, sa vie fut plus d'une fois en péril. Mais elle conserva toujours, au milieu de douloureuses épreuves, cette sérénité, cette force morale, cette paix évangélique, dont la vie cachée avec Christ en Dieu a seule le secret. Du fond de son exil, elle correspondait activement avec plusieurs fidèles restés dans la fournaise papale; elle encourageait les faibles, fortifiait les indécis. « Demandez des forces au Seigneur, écrivait-elle à une amie, afin que la crainte de ceux qui ne peuvent tuer que le corps ne vous entraîne pas à offenser votre miséricordieux Rédempteur; afin aussi qu'il vous rende capable de confesser son nom selon sa volonté, en présence de cette génération perverse, et de vous souvenir toujours de ces paroles de David : Je hais l'assemblée des pécheurs et je ne m'assiérai point à l'assemblée des méchants. Je suis trop faible, direz-vous, pour me séparer d'eux. Oh ! pensez-vous que tant de saints et de prophètes, tant de martyrs, même de nos jours, soient restés inébranlables par leur propre vertu, et que ce n'était pas Dieu qui leur donnait des forces? Le reniement de St. Pierre ne nous est point donné comme un exemple à imiter; mais il sert à nous faire comprendre l'infinie miséricorde de Christ et à nous montrer notre faiblesse, sans pour cela l'excuser. Le Seigneur nous a fait l'honneur et la grâce de nous parler, de nous instruire et de nous consoler par sa Parole ; mépriserons-nous un trésor d'un si grand prix? »

Olympia Morata mourut à Heidelberg, en 1555.

Ce n'était pas assez pour Jules III d'anéantir l'église de Ferrare par l'emprisonnement ou la fuite de ses membres; cet antichrist osa diriger ses coups sur la noble princesse Renée. L'épouse d'Hercule ne craignait pas de manifester sa foi et d'exprimer hautement l'horreur que lui inspiraient ces violences contre de paisibles et humbles brebis du Seigneur. Les agents du pape menacèrent le duc des foudres de l'Eglise et l'accusèrent de lâcheté, s'il souffrait plus longtemps l'hérésie de la duchesse. Il la conjure de rentrer dans l'église de ses pères. Elle refuse et se déclare prête à tout endurer plutôt que de renoncer à sa foi. On lui enlève ses enfants, objets de la plus tendre affection; ses plus fidèles serviteurs sont arrêtés et punis comme hérétiques. Elle-même est retenue prisonnière dans son propre palais. Son mari l'accable de reproches. Renée supporte tout avec la fermeté du chrétien.

La persécution redouble en 1556, à l'avènement de Paul IV. La duchesse, dévorée du désir de revoir ses enfants, fait quelques concessions à ses bourreaux. Calvin en est instruit et écrit à Farel: « J'ai de tristes nouvelles de la duchesse de Ferrare ; elle a succombé sous le coup des menaces et des opprobres. » Mort ou apostasie: telle était la maxime du faux prophète Mahomet; telle était aussi celle du prétendu vicaire de Christ. Renée ne pouvait résider en Italie sans y périr ou sans renier la vérité. Elle quitta Ferrare en 1559, après la mort du duc.

Rentrée en France, elle fut, dans son château de Montargis (Loiret), une constante protectrice des réformés. Un jour, son gendre de Guise s'approche de la demeure de la duchesse, avec une troupe de convertisseurs armés, et la fait sommer de renvoyer tous les rebelles qu'elle a dans son château, à défaut de quoi il le mitraillera. « Dites à votre maître, répond la duchesse, que je monterai moi-même sur les créneaux, pour voir s'il osera tuer la fille d'un roi. » Guise se retira..

De temps en temps le peuple de Rome protestait, mais à sa manière, contre la tyrannie papale. Ainsi à la mort de Paul IV, le 18 août 1559, la foule exaspérée brûla les prisons de l'inquisition, délivra les détenus, attaqua le couvent des Jacobins, arracha partout les armoiries de la famille des Caraffa, exécrée pour son orgueil, son faste, ses fureurs contre les réformés, décapita la statue de ce pape, qu'un Juif coiffa d'un bonnet jaune dont Paul IV avait affublé les Israélites. Ses cardinaux eurent quelque peine à sauver son cadavre du traitement que la vengeance populaire avait fait subir à sa statue. Pareilles scènes se passèrent à d'autres époques ; celles de 1848 rappelaient celles de 1559. Tout cela n'est qu'une protestation fébrile, passagère, impuissante, mais dénote au moins une plaie invétérée, que les papes sont incapables de guérir, et dont ce malheureux peuple ignore le véritable remède.



Martyrs italiens. - Jean Mollio.

1533

 

En 1533, deux ans avant que Genève rompît décidément avec Rome, au moment des premières persécutions auxquelles François 1er livra son royaume, l'université de Bologne recevait dans son sein un pieux savant, qui, sous l'habit d'un moine, sentait battre un coeur chrétien. Jean Mollio, né près de Sienne, était entré, jeune encore , dans l'ordre des Frères-mineurs. Sans se perdre dans de stériles et abrutissantes pratiques, il se mit à étudier les saintes Ecritures. C'est toujours là que l'homme découvre la véritable lumière.

Un jour quelques-unes de ces feuilles plaidant, par la plume des réformateurs, la sainte cause de la vérité, tombent sous les yeux du moine. Il les emporte dans sa cellule, et là, seul avec Dieu, il confronte ce que croient ces hommes qu'on anathématise, avec les enseignements divins : l'oeuvre commencée parla simple lecture de « ce que Dieu a dit, » se poursuit, s'achève. Le Saint-Esprit fait du religieux un croyant, un disciple du crucifié. Mollio est au comble de la joie il a découvert la doctrine centrale du christianisme la gratuité totale, absolue du salut, la justification par la foi. Hélas ! ce terrain solide, Rome l'a déserté car si l'homme est sauvé par grâce, que signifient ces indulgences, ces absolutions tombées de la bouche d'un pécheur, les oeuvres surérogatoires , le purgatoire et tout l'échafaudage romain?

Mollio l'a compris. Doué d'un rare talent, comme prédicateur et comme professeur, il prêche , il enseigne tour à tour à Brescia, à Milan, à Pavie, à Bologne, et sa parole puissante, empreinte d'un cachet évangélique, touche, remue, réveille des consciences endormies dans les liens de l'erreur et du péché. À Bologne, surtout, on est frappé de la nouveauté de cette doctrine; et Mollio démontre que, c'est celle de Jésus-Christ, de tous les apôtres , des Pères de l'Eglise ; mais ce n'est pas celle de Rome.

Aussi une telle déviation du crédo papiste devait attirer sur le courageux docteur un violent orage. Mollio avait parmi ses collègues de l'université un professeur de mathématiques nommé Cornélio; celui-ci avait éprouvé une défaite dans une dispute académique sur une matière étrangère à l'Evangile; le vainqueur dans cette joute littéraire était Mollio lui-même et cela au moment où son exposition des vérités chrétiennes excitait le plus l'attention des Bolonais. Cornélio, pour se venger de sa défaite, dénonce son collègue comme coupable d'hérésie.

L'accusation est portée à Rome. L'accusé s'y rend et comparaît devant Paul III. Soit habileté dans sa défense, soit, chez le pape, crainte de traiter trop rudement un homme entouré d'un grand crédit, Mollio est acquitté sur le chef d'hérésie ; mais ses opinions, dit la sentence pouvant être nuisibles à l'autorité du saint-siège, il est interdit au professeur de continuer à expliquer les épîtres de St. Paul. Mollio brave l'interdiction. Rentré à Bologne, il reprend ses travaux. Des foules accourent l'entendre. Il ne restait au pape qu'une ressource : n'osant encore recourir ni à l'incarcération ni au bûcher, il fait chasser de Bologne le hardi prédicateur et croit étouffer la réforme à son berceau.

La semence avait germé. Vers 1540, Bologne et les environs renfermaient des milliers d'hommes déplorant les erreurs de l'Eglise et voulant une réformation. Se rendaient-ils bien compte du vrai moyen de l'obtenir? Le souverain remède qu'on invoquait partout, c'était un concile. Ne connaissait-on pas assez l'oeuvre des conciles?

Les Bolonais s'adressèrent à Jean Planitz, ambassadeur de l'électeur de Saxe en Italie, auprès de Charles Y. Le bruit courait que cet ambassadeur avait pour mission de presser le monarque et le pape pour la convocation d'un concile qui éclairât et calmât les esprits. « Si telle est votre mission, écrivirent-ils à Planitz, nous vous remercions de ce que vous daignez visiter cette terre de Babylone. Nous avons déjà vu que, comme de généreux et fidèles chrétiens, vous avez secoué le joug tyrannique de l'antichrist; vous avez assuré vos droits aux privilèges sacrés du royaume libre de Jésus-Christ; aussi partout vous pouvez lire, écrire et prêcher publiquement Nous espérons qu'on permettra aux chrétiens comme une chose raisonnable et conforme aux maximes des apôtres et des saints Pères, d'examiner les diverses croyances, puisque les justes ne vivent pas par les actions des autres, mais suivant leur propre foi. Il ne peut pas se faire que la persuasion qui ne procède pas de Dieu dans l'esprit s'appelle proprement croyance; c'est plutôt une impulsion violente et forcée , que tout homme, quelque ignorant qu'il soit, ne croira jamais utile au salut. Si la malice de Satan prévaut encore au point de nous empêcher d'obtenir cette faveur, du moins accordera-t-on au clergé , comme au simple fidèle , la liberté d'acheter la Bible, sans encourir le soupçon d'hérésie, et de citer les paroles de Jésus-Christ et de St. Paul sans passer pour luthérien, Car, hélas ! nous avons sous les yeux des exemples de ces préjugés abominables; et, si ce n'est pas une marque du règne de l'antichrist, comment appeler un temps où la loi, la grâce, la doctrine, la paix et la liberté de Christ sont si ouvertement combattues et foulées aux pieds ? »

Pendant que le fameux et si désiré concile s'assemblait (1545) à Trente (Tyrol), et préparait ses foudres contre les chrétiens évangéliques, Mollio, chassé de Bologne, persévérait de plus en plus dans la foi. A Naples, il remplit les fonctions de lecteur et de prédicateur dans le monastère de St. Laurent. Il y courut les plus grands dangers. Forcé de s'enfuir à Ravennes, il est découvert, en 1553, et conduit à Rome, où son cachot l'attendait. Jules III régnait alors. Résolu à poursuivre à outrance tout partisan des idées nouvelles, il sévissait principalement contre les religieux, selon lui, infidèles à leur vocation et ne prêchant pas selon les croyances communes.

L'inquisition le fait comparaître devant elle, une torche allumée à la main. D'autres prisonniers pour la même cause se rétractent ; mais lui tient ferme et défend avec une mâle énergie tout ce qu'il a enseigné sur la voie du salut, sur la confession auriculaire, sur la tyrannie papale. Ecoutons-le : «Evêques et cardinaux, vous avez foulé aux pieds la modération, l'honneur et la vertu, et je me sens forcé de vous déclarer sans détour que votre pouvoir vient du démon et non pas de Dieu. Si vous étiez revêtus de la puissance apostolique, comme vous voudriez le faire croire aux hommes simples, votre doctrine et votre vie ressembleraient à celles des apôtres. Votre doctrine est-elle autre chose qu'un rêve, qu'une imposture forgée par des hypocrites? Votre extérieur n'annonce-t-il pas assez hautement que vous faites un Dieu de votre ventre ? Vous êtes incessamment altérés du sang des élus. Comment osez-vous vous, nommer les successeurs des apôtres, les successeurs de Jésus-Christ, vous qui méprisez le Christ et sa Parole, vous qui mettez à mort ses fidèles disciples, vous qui agissez comme si vous étiez persuadés qu'il n'y a point de Dieu dans le ciel, vous qui rendez inutiles les préceptes du Seigneur et violentez la conscience de ses saints ? »

Calvin et Luther auraient-ils plus vigoureusement protesté contre l'antichrist romain ?

« J'en appelle, dit l'intrépide athlète, j'en appelle de votre sentence, et je vous somme, tyrans barbares et homicides, de répondre au dernier jour devant le tribunal de Christ, alors que vos titres pompeux et vos superbes ornements ne vous éblouiront pas plus que vos bourreaux et vos tortures ne nous effraieront, et, en témoignage de ceci, je vous rends ce que j'ai reçu de VOUS. »

En disant ces mots, il jette à terre le flambeau qu'il tient à la main et l'éteint. Les inquisiteurs, les évêques, les cardinaux frémissent de fureur. Leur conscience les accuse, et ce cri accroît leur rage. Aussitôt Mollio et quelques autres compagnons de martyre sont traînés au supplice.

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