Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Après la St. Barthélémy.

1573

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Vous vous demandez naturellement ce que devint la réforme en France, après ces massacres.

Elle se releva toute sanglante, mais résolue à tout souffrir plutôt que de renier Jésus-Christ.

Charles IX et ses complices n'avaient pu atteindre tous les réformés. Les survivants, et ils étaient nombreux, ne songèrent plus qu'à se défendre contre un prince en démence et le parti papiste. Ils se dirent: le roi viole sans cesse sa parole ; au lieu de nous protéger, il nous égorge; nulle sécurité pour nous, pour nos familles; aux armes ! - Durant près de 26 ans, à dater de la St. Barthélémy, une lutte armée ravagea la France.

Il n'entre pas dans notre plan de vous décrire en détail ce long drame, de temps en temps interrompu par des paix menteuses et qui se termina par l'avènement de Henri IV au trône et par un édit célèbre, celui de Nantes. Bornons-nous à quelques traits. 

Déjà avant 1572, un parti tout politique avait compromis, faussé la réforme; tout en la défendant, elle s'en fit une arme contre l'ambition des Guise. L'histoire de l'Eglise réformée se confond avec celle de l'état: l'état veut anéantir la réforme, et celle-ci reçoit pour auxiliaires des hommes qui, en trop grand nombre, n'en acceptent ni les doctrines, ni l'austérité, et qui la trahissent selon les intérêts du jour. Ce fut un grand malheur, inévitable peut-être au sein de l'anarchie qu'avait produite un pouvoir aveugle et oppresseur. Cependant, au milieu même de cet affreux désordre, la vraie réforme française resta fidèle à son drapeau. Le synode de 1559 avait formulé ses croyances et tracé sa discipline; on ne pouvait plus accuser les huguenots d'immoralité et d'athéisme. La confession de foi resta comme un point de ralliement qui, d'un bout de la France à l'autre, proclamait leur unité ce n'était plus des congrégations éparses, sans lien entre elles, mais un corps, un corps compacte, qui, malgré ses blessures, avait assez de vie pour affronter de nouveaux périls.

La main de Dieu s'appesantit sur la race des Valois. Depuis François 1er cette famille, avilie parla débauche, qu'elle croyait expier dans le sang des huguenots, n'avait cessé de servir la cause du pape ; ce fut sa ruine. Moins de 21 mois après la St. Barthélémy, Charles IX expirait, à peine âgé de 24 ans; mort affreuse, qui rappelait celle d'Hérode, le meurtrier des chrétiens de Judée. Seize ans plus tard, sa mère, Catherine de Médicis, ce fléau de la France, cette veuve de Henri II, trois fois régente, mère de trois rois et qui avait occupé le premier trône de l'Europe pendant près d'un demi-siècle, mourait comme elle avait vécu, dévorée d'ambition et ne laissant après elle que le mépris. Son fils, Henri III, apprit sa mort avec la plus profonde indifférence, et lui-même, miné par le vice, périt, la même année 1589, par le poignard d'un moine, Jacques Clément. Son frère, le duc d'Anjou, un des massacreurs du 24 août, victime aussi de ses excès, l'avait précédé dans la tombe.

Le trône échut au roi de Navarre, à cet Henri qui s'était joué de l'excommunication du pape. En septembre 1585, Sixte V, dans une bulle ampoulée, doucereuse, avait déclaré Henri et son frère, le prince de Condé, hérétiques, et, par là même, déchus de leurs titres, principautés, domaines et fiefs; leurs sujets et vassaux étaient déliés de tout serment de fidélité et d'obéissance. Le pape se croyait encore en plein moyen âge. Mais les temps étaient changés; grâce à la semence jetée par la réforme, la liberté avait fait quelques progrès: une minorité imposante, en France, lui avait frayé la route. Que répondirent les excommuniés? Le 6 novembre , Henri écrivait à Sixte V - « Henri, prince souverain du Béarn, etc., s'oppose à l'excommunication de Sixte V, soi-disant pape de Rome, la maintient fausse et en appelle comme abus en la cour des pairs de France, desquels il a l'honneur d'être le premier. Et en ce qui touche le crime d'hérésie, dit et soutient que monsieur Sixte, soi-disant pape, en a faussement et malicieusement menti, et que lui-même (le pape) est hérétique.... Que si, par le passé, les rois, ses prédécesseurs, ont bien su châtier la témérité de tels galants, comme est ce prétendu pape Sixte, lorsque ces galants ont méconnu leurs devoirs et passé les bornes de leur vocation, confondant le temporel avec le spirituel, le dit roi de Navarre, qui n'est en rien inférieur à eux, espère que Dieu fera la grâce de venger l'injure faite à son roi (Henri III), à toutes les cours de parlement, auxquelles ce fait touche; aussi prie tous les alliés de s'opposer avec lui contre la tyrannie et usurpation du pape. »

Henri de Navarre avait combattu dans les rangs des réformés, sans être lui-même pleinement réformé ni dans sa foi, ni dans ses moeurs. En 1593, il prononça une formule d'abjuration, à laquelle son coeur ne prit aucune part. «Paris vaut bien une messe,» avait-il dit; ce seul mot dépeint l'homme. Elevé par une pieuse mère, Jeanne d'Albret, dans les vérités chrétiennes ; lancé de bonne heure en pleine corruption ; poussé par les événements et par son rang dans le parti anti-romaniste, Henri, brillant capitaine, ami du peuple, dont il devint l'idole, ne put sans doute jamais effacer de son coeur les précieuses traces que l'Evangile y avait empreintes. Parvenu au pouvoir, il chercha à concilier les partis et donna à la France un édit qu'on peut regarder comme son plus beau titre de gloire.

L'édit de Nantes (1598) accordait l'exercice public du culte réformé dans un grand nombre de lieux, l'admission des huguenots aux charges publiques, quatre académies, convocation des synodes, des places de sûreté, restitution des biens au clergé catholique, réouverture d'un grand nombre d'églises de ce culte. Ce n'était qu'un pas vers la liberté religieuse, une trêve, qui dénotait l'épouvantable état de la France. Les réformés murmurèrent; ils attendaient davantage de celui qui longtemps avait été à leur tête; le pape Clément VIII frappa de ses anathèmes un édit qui tolérait l'hérésie dans « le royaume très chrétien » et déclara qu' « une loi qui permettait la liberté de conscience à chacun était la plus maudite qui fût jamais. »

Malgré la colère du pape et de ses fougueux adhérents, l'édit permit à la France de respirer. De part et d'autre on déposa les armes. On était las d'échafauds et de massacres; la guerre avait épuisé le pays. Les boucheries de Mérindol, de Passy, de Cahors, de la St. Barthélémy, les émigrations en masse, les violations de traités par la cour et ses agents, la mort de deux millions d'hommes, trois milliards dévorés par le fanatisme romain, première source de tous ces maux, laissaient d'ineffaçables traces ; tout cela sans avoir extirpé cette plante vivace de la réforme qui grandissait sous l'orage ! Quelle leçon qui aurait dû apprendre que la persécution, en matière religieuse, est la plus désastreuse aberration d'un peuple! Elle fut perdue comme tant d'autres fournies par l'histoire.

La guerre civile avait cessé mais la guerre à coups de plumes prit des proportions énormes. Un synode, tenu à Gap, en 1603, ajouta à la confession de La Rochelle un article portant que le pape était l'antichrist. La thèse était vraie, mais des plus irritantes. Le pape se plaignit au roi; le roi se plaignit auprès du synode ; quatre ans plus tard, le synode de La Rochelle, tout en déclarant que celui de Gap avait raison, résolut, sur l'ordre du roi, d'effacer cet article ; mais, afin qu'on ne crût pas qu'il faiblissait, il chargea un de ses membres de prouver la justesse de l'accusation.

La position était donc fort tendue. Pour sauvegarder leurs droits, les réformés avaient des assemblées dites politiques, composées des représentants des provinces, de députés du tiers-état, de pasteurs et de délégués du gouvernement. Là on exposait les plaintes des églises, les violations de l'édit.

Les jésuites, cet autre chancre du royaume, ne pouvaient pardonner à Henri IV l'édit de Nantes. Déjà avant sa promulgation , en 1594, un des leurs, Jean Châtel, poussé par leur doctrine du régicide érigée en dogme, avait attenté aux jours de ce prince. La trop célèbre Société, chassée dès lors de France, avait obtenu sa rentrée ; et sa première victime fut cet Henri qui lui avait rouvert les portes du royaume. Le 14 mai 1610, un émissaire des jésuites, le moine Ravaillac, poignarda le roi dans son propre cabinet et avoua que «le roi, en faisant la guerre an pape, la faisait à Dieu ; car, dit-il, le pape est Dieu. » Aussitôt toutes les craintes des réformés se réveillent. Qu'attendre de la veuve de Henri IV, de Marie de Médicis, de la race de Catherine, d'une femme bigote, déclarée régente ? Son fils, Louis XIII, n'a pas 9 ans. La France retombera-t-elle sous le joug d'un Charles IX et d'une seconde Catherine ?

Dès lors, jusqu'en 1787, la réforme en France fut sans cesse poursuivie comme un fléau dans l'état. Nous n'esquisserons pas la patience héroïque des protestants, la révocation de l'édit de Nantes (1685), les dragonnades de Louis XIV, la démolition de tous les temples, l'expatriation des pasteurs, l'enlèvement des femmes et des enfants, les galères peuplées de martyrs, la guerre des Cévennes, les émigrations de 500000 Français, les maux de toutes sortes dont la papauté et une royauté sans entrailles accablèrent le royaume. Vous pourrez lire dans des écrits spéciaux le long et douloureux récit de cette lutte acharnée entre les ténèbres et la lumière, entre l'asservissement et la liberté.

Tous ces flots de sang, ces cruautés dignes d'un peuple barbare, cette fureur implacable contre les chrétiens évangéliques, ont-ils détruit l'oeuvre de Dieu ? Non.

Un plus puissant que les puissants de la terre veillait sur les enfants des martyrs. Moins d'un siècle s'est écoulé depuis les derniers actes de vandalisme, et l'Evangile, remis en lumière par la réforme, a reconquis tout le terrain qu'on croyait perdu. La réforme, même dans les plus mauvais jours, n'a pas cessé d'avoir en France ses fidèles représentants. A la réforme, au christianisme évangélique, appartient l'avenir.



L'Italie.

1500

 

« Italie , Italie ! tes vieux morts se sont levés ; des portes de l'Apennin, les pâtres les ont vus, le front triste, les cheveux couverts de la poussière du sépulcre, promener leurs fiers regards sur cette terre jadis si glorieuse, si libre; et, comme s'ils ne l'avaient point reconnue, secouant la tête avec ait sourire amer et formidable, ils se sont recouchés dans leurs tombes. »

Ainsi pleurait le prêtre Lamennais, en écrivant son livre : Affaires de Rome.

Les poètes, les artistes, les orateurs ont trouvé entre l'Italie moderne et l'antique Italie des contrastes tels que l'un d'eux, Lamartine, s'est écrié : 

« Italie ! Italie ! ah ! pleure tes collines, Où l'histoire du monde est écrite en ruines Où l'empire, en passant de climats en climats, À gravé plus avant l'empreinte de ses pas ; Où la gloire, qui prit ton nom pour son emblème, Laisse un voile éclatant sur ta nudité même ! »

Cette péninsule, si riche en souvenirs , ces rives battues par deux mers et dont le ciel est si pur; ce siège des maîtres du monde et berceau de la grande hérésie romaine, l'Italie n'a-t-elle pas été entamée par la réforme ? Nous n'avons pas à retracer ses gloires éteintes, ses malheurs empreints sur ses monuments. Dans nos rapides esquisses, ce qui doit attirer nos regards, c'est la lutte héroïque qu'elle soutint au XVIe siècle.

La noble cité où St. Paul avait proclamé la Bonne Nouvelle n'entendait plus que les anathèmes contre les humbles sectateurs de l'apôtre. La pompe enivrante d'un culte mi-païen, mi-juif, avait été substituée au culte en esprit et en vérité. C'est à Rome même que se forgeaient les lourdes chaînes dont la chrétienté devait supporter tout le poids. Si, en Allemagne, en Suisse, en France une sorte de paganisme christianisé avait hébété, corrompu les peuples, que devait être l'Italie sous le rapport religieux? La cour de Rome, c'est-à-dire le pape et ses cardinaux, était alors plus corrompue qu'aucune des cours princières de l'Europe. Le meurtrier Sixte IV (1471-1484); l'émule de Néron , Alexandre VI (1492-1503) ; le belliqueux Jules II (1503 - 1513) ; le fastueux Léon X (1513-1521), occupent de honteuses places dans l'histoire.

Que l'artiste exalte la protection accordée aux arts par quelques-uns de ces princes romains; que l'homme politique admire l'habileté de quelques autres pour l'extension de leur pouvoir, le chrétien n'y voit qu'une déviation plus flagrante des principes qui doivent régir l'Eglise : faire des arts autant d'idoles, ériger de vastes basiliques sans annoncer le Dieu qu'il faut y adorer; s'abandonner à toutes les séductions de l'orgueil, tout en s'appelant le serviteur des serviteurs de Jésus-Christ; verser le sang humain pour remplir ses trésors; se mêler à tous les débats des rois plutôt en boute-feu qu'en pacificateur; donner l'exemple des passions les plus viles; s'enivrer du sang des saints ; interdire la lecture de la Bible pour qu'elle ne dévoile pas les mensonges mis à la place de la vérité voilà quelques traits seulement de la papauté romaine. « Les papes, dit un écrivain italien du XVIe siècle, perdirent de vue le salut des âmes et les préceptes de l'Evangile. Toutes leurs pensées se bornaient aux grandeurs de ce monde. L'autorité spirituelle ne fut plus dans leurs mains qu'un moyen d'envahissement; et alors, négligeant leur titre d'évêques , ils voulurent jouer le rôle de princes séculiers.

Dès ce moment, leur occupation ne fut plus de mener une vie sainte, d'étendre la religion, d'enseigner, par leurs exemples, la charité envers les hommes; il ne fut plus question que d'avoir des armées pour faire la guerre aux chrétiens et d'accumuler des trésors. Bien plus, on les vit, l'esprit encore plein de leurs noirs projets, offrir, avec des mains souillées de sang, la Victime sans tache. Pour se procurer de l'argent de tous côtés, on publia de nouveaux édits, on inventa de nouvelles ressources, on fulmina des censures spirituelles, et l'on n'eut pas honte de vendre tout, le sacré comme le profane, sans aucune distinction. D'immenses richesses amassées par ces moyens et distribuées à des courtisans, amenèrent le luxe, la débauche, la licence et les désordres les plus révoltants; on ne prit plus aucun soin de la dignité du pontificat. Sans aucun égard pour ses successeurs, le pape régnant ne pensait qu'à illustrer ses neveux et ses autres parents, non-seulement par des richesses énormes, mais par l'éclat des principautés et des couronnes. Au lieu de conférer les dignités ecclésiastiques et les pensions à des hommes vertueux et distingués par leurs services, il les vendait au plus offrant ou les prodiguait à ceux qui promettaient de servir son ambition, son avarice et Son pût pour le plaisir.

« Quoique tout cela eut affaibli dans les esprits le respect qu'on ressentait autrefois pour les papes, cependant leur autorité se soutenait par l'auguste influence du nom de religion, et par la facilité qu'ils avaient de servir les princes et les courtisans au moyen des dignités et privilèges ecclésiastiques qu'ils leur accordaient.»

Ainsi les appuis de la papauté étaient la force, la ruse, d'une part, la vénalité, la superstition, de l'autre. L'Italie en était le siège, et c'est là surtout que cet anti-christianisme devait porter ses fruits. Mais là, comme dans toute la chrétienté, déjà au XVe siècle, bien des consciences s'insurgeaient. Plusieurs savants se demandaient : « Où allons-nous? Qu'est devenue cette religion des âges apostoliques ? » Déjà avant que parût Luther, ils s'étaient mis à exhumer de la poussière divers écrits des anciens. Vers 1510, ils prirent parti dans une dispute fort vive qui agitait l'Allemagne. Un décret de la chambre impériale, sollicité par des ecclésiastiques de Cologne, condamnait au feu tous les livres juifs, sauf la Bible. Un savant de la Souabe, Jean Reuchlin, au nom de la science, s'opposa de toutes ses forces à cet arrêt, et s'attira la haine du clergé de Cologne et de la Sorbonne de Paris. Reuchlin en appela à Rome. Jules Il ajourna toute décision; mais plusieurs docteurs italiens embrassèrent la cause de Reuchlin.

Les cendres de Savonarola, brûlé vif à Florence en 4498, étaient éteintes ; l'amour pour la vérité proclamée par ce martyr ne l'était pas. Les libertés asservies avaient trouvé un dernier abri dans les universités de Bologne, de Pavie, de Ferrare ; il ne fallait qu'une légère étincelle pour allumer un vaste incendie. 

En 1517, lors de la noble protestation de Luther contre l'infâme trafic des indulgences, l'Italie tressaille. Les écrits du réformateur sont traduits en italien et pénètrent dans les cellules des moines et jusque dans les palais des prélats. Un moine allemand résidant à Venise écrivait en 1520, à Spalatin, chancelier de l'électeur de Saxe : « Conformément à votre demande, j'ai lu les ouvrages de Martin Luther, et je puis vous assurer que, depuis quelque temps, ce docteur est fort estimé, dans notre ville ; mais on dit partout: « Qu'il prenne garde au pape.»

En attendant, un esprit de recherche s'emparait des hommes les plus indifférents. De mordantes satyres circulaient contre les prêtres, leur immoralité, leur avarice. La bulle papale contre Luther fut lue dans les églises de Venise, uniquement pour la forme et après que le peuple en fut sorti. Ailleurs on l'accueillit avec le sourire du dédain. Les écrits de Mélanchthon, de Zwingle, de Bucer, tous proclamant les vérités capitales de l'Evangile et sapant les croyances romaines, paraissaient dans chaque ville d'Italie sous des noms empruntés, et jetaient des flots de lumière dans les esprits.



Une caricature à Rome.

1527

 

En 1527, un ardent adversaire de la réforme fat, sans le vouloir, un des promoteurs des idées nouvelles. Charles Y, que vous avez vu si acharné à défendre en Allemagne les intérêts du pape, s'irrita d'une alliance conclue par Clément VII avec la France et résolut de châtier cet infidèle pontife. Ses troupes s'avancent contre Rome, et la saccagent. Le pape est confiné dans le château de Saint-Ange. Parmi les troupes de l'empereur se trouvaient plusieurs soldats réformés ou peu attachés aux croyances romaines. Ceux qui venaient d'Allemagne comparaient l'opulence, le faste, la corruption des prélats italiens, à la simplicité, à la pureté des moeurs de Luther et de ses amis. De là des entretiens, des sarcasmes dont les prêtres étaient l'objet.

Un jour, pendant la captivité de Clément, une scène burlesque, au fond fort blâmable, eut lieu dans la cité papale. Un des soldats de Charles-Quint, nommé Grundwald, d'une taille gigantesque, se revêt d'un costume semblable à celui du souverain pontife, et parcourt les rues, monté sur une mule ; un long cortège l'accompagne; ce sont des militaires affublés en cardinaux ; une foule immense le suit; le pape Grundwald bénit le peuple et imite en tous points les cérémonies usitées. Après la bénédiction, les soldats cardinaux le portent sur leurs épaules. Puis la procession s'avance jusque sous les fenêtres du château, où le vrai pape est prisonnier. Là, elle s'arrête et Grundwald fait signe qu'il veut parler. Le silence le plus absolu règne partout; alors le prétendu pontife, prête serment à ses cardinaux de demeurer fidèle à l'empereur; ceux-ci, de leur côté, prêtent serment de ne plus troubler la paix de l'empire et de se soumettre, selon l'exemple des apôtres, an pouvoir civil. Dans une longue harangue, il expose les droits de l'empereur; l'empereur a été, choisi pour venger les crimes du chef de la chrétienté. « Quant à moi, dit-il, je remettrai mon autorité à Luther, qui seul peut abolir les abus. Que tous ceux qui adoptent ce projet lèvent la main » ! Toutes les mains de la procession se lèvent et l'on n'entend qu'un cri. « Vive le pape Luther ! »

 

Cette comédie n'est-elle pas un des traits dépeignant l'état des esprits? Les Italiens regardaient les désastres commis à Rome par les troupes impériales et les insultes faites au pouvoir pontifical comme des châtiments divins. Clément subit une honteuse capitulation et se sauva, déguisé en marchand, dans la nuit du 9 au 10 décembre, après une captivité de 7 mois. Il se retira dans la place d'Orviéto, pour attendre que l'armée française vînt le délivrer. Et tous ces maux, tous ces outrages, provenaient des troupes de celui qui se posait en protecteur de la papauté ! Pour comble d'humiliation, Clément dut sacrer Charles-Quint à Bologne.

Après le départ de l'armée ennemie, l'évêque Staphylo disait à Rome, en présence du pape, dans l'assemblée appelée rote apostolique : « Pourquoi tant de malheurs ont-ils fondu sur nous? N'est-ce pas parce que toute chair a corrompu sa voie ? N'est-ce pas parce que nous sommes habitants, non de la sainte cité de Rome, mais de Babylone la prostituée ? La parole du Seigneur prédite par Esaïe 1, 21 s'accomplit de nos jours : « Comment la sainte cité est-elle devenue une prostituée ?..... Les principaux de ton peuple sont rebelles; ce sont des compagnons de voleurs; chacun d'eux aime les présents. » « Ces paroles, disait-il, s'appliquent, non pas seulement à la cité des Juifs, mais à Rome même. L'apôtre St. Jean, dans son Apocalypse (XIII, XIV), ne parle pas de Jérusalem (alors détruite), mais de Rome, de la cité aux sept collines. L'ange, parlant à l'apôtre, désigne Rome, cette ville remplie de blasphèmes, cette mère de l'impudicité: tous les vices ont fixé leur empire au milieu de nous. » Ainsi parlait un évêque, en pleine cour de Vatican; l'application qu'il faisait de la prophétie était juste. Dans la rue, le peuple avait applaudi à la grossière parodie faite par les soldats impériaux ; au Vatican, les prélats n'eurent rien à répondre à l'écrasante flétrissure imprimée par l'un d'eux à la papauté.

Un autre fait plus important et dont les fruits pouvaient être bien meilleurs que tous les outrages du peuple ou que les déclamations de quelques hauts dignitaires, c'était la traduction et la propagation des saintes Ecritures en langue italienne. Le clergé avait toujours fait croire que l'idiome latin était le seul qui convînt à la dignité de la chaire et à la sainteté de la parole de Dieu. La vraie cause de cette exclusion absolue de la Bible en langue vulgaire, c'était la crainte qu'on ne découvrît l'abîme qui séparait la vérité révélée des ordonnances humaines. Aussi de fréquents édits avaient proscrit toute autre version que la latine , dont les prêtres seuls et quelques savants pouvaient se servir.

Au premier mouvement des esprits vers une réforme, se joignit de bonne heure le besoin de, remonter aux origines. Jusque-là on n'avait bu que des eaux bourbeuses, malsaines, offertes par des hommes qui n'inspiraient plus de confiance : on voulut recourir à la source, à la révélation elle-même, et la mettre entre les mains du peuple. De pieux savants entreprirent cette oeuvre. Bracioli, de Florence, publia, en 1530, une version italienne du Nouveau Testament, qui se répandit avec une prodigieuse rapidité. L'Ancien Testament parut plus tard. Dans sa traduction du livre de Job, qu'il dédia à la reine Marguerite de Navarre , il ne craignit pas d'appeler cette princesse du nom de protectrice de la réforme et des chrétiens persécutés. D'autres hommes d'élite déployèrent le même esprit d'indépendance, la même ferveur à proclamer le droit qu'a tout homme de s'enquérir par lui-même de la volonté de Dieu.

Ajoutez à ces utiles travaux les rapports fréquents étroits, que l'Italie soutenait avec l'Allemagne. La jeunesse studieuse allemande allait poursuivre ses études dans les universités, alors célèbres, de Bologne, de Padoue, de Florence. A leur tour, les Italiens lettrés visitaient celles de Suisse, de Saxe, où la lumière évangélique brillait d'un vif éclat. De là des relations personnelles, des correspondances épistolaires, qui, le plus souvent, étaient au profit de l'affranchissement de la pensée et des progrès vers la vérité. Ainsi un moine Augustin, de Côme, Egidius de la Porte, écrivait en 1525 à Zwingle : « Il y a maintenant 40 ans que, poussé par un certain mouvement de piété plutôt que par une raison éclairée, j'ai fui mes parents pour prendre la règle de St. Augustin Mais Dieu n'a pas permis que je périsse pour jamais; je me suis écrié: Seigneur que faut-il que je fasse ? Je me suis rendu auprès de vous et vous m'avez retiré des filets de l'oiseleur. Je puis vous assurer que vous en avez sauvé d'autres avec moi. » Une autre fois il conjure Zwingle de lui écrire et de lui citer, pour le faire lire à d'autres, des passages de l'Ecriture établissant les pures doctrines du salut.

C'est avec larmes, écrivait, en 1526, un carmélite de Locarno aux chrétiens suisses, que nous vous supplions de nous envoyer des écrits des grands maîtres, du divin Zwingle, de l'illustre Luther, du spirituel Mélanchthon, du scrupuleux Oecolampade. Faites tous vos efforts pour que notre ville lombarde, maintenant esclave de Babylone, possède cette liberté que procure l'Evangile et dont nous sommes totalement privés.


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Une enquête. Une dispute dans une église.

Un capucin prêchant l'Evangile.

1537

 

L'élan était donné. L'Esprit-Saint ranimait quelques-uns des ossements desséchés et l'Italie semblait devoir briser ses fers.

Le pape et ses courtisans s'en émurent. De divers côtés on demandait la convocation d'un concile. Les hommes les plus éclairés ne voyaient que là le souverain remède qu'ils cherchaient. L'empereur, fatigué des résistances des princes allemands, irrité de l'inutilité de ses efforts pour dompter le schisme, voulait à tout prix un concile. C'était la panacée universelle. Les conciles de Constance, de Bâle, réunis pour détruire des abus, n'avaient fait que les constater sans les abolir; et, sous l'empire d'un aveuglement fatal, on s'obstinait à demander à un corps gangrené un remède pour le guérir. 

Malgré l'impuissance bien prouvée des conciles pour réformer l'Eglise, le pape les redoutait. Son pouvoir y était mis en question. Toujours quelques téméraires dévoilaient des plaies qu'on tenait cachées ; de dures vérités, comme celles que Gerson avait proclamées à Constance, et Staphylo au Vatican, compromettaient l'autorité du souverain pontife. Il ne fallait donc point de concile. Il fallait pourtant opposer une digue au torrent qui se formait et qui allait tout envahir.

Paul III, en 1537, charge une commission de neuf ecclésiastiques d'examiner s'il y a réellement des abus (il en doutait !) et quels moyens à employer pour les faire disparaître. La commission se réunit à Rome, et, après plusieurs laborieuses séances, elle fait un rapport foudroyant. Après avoir pallié les plus grossiers désordres du clergé, les prélats disaient : « Puisque Rome est la mère de l'Eglise, le culte divin et la pureté des moeurs ne devraient-ils pas y briller plus que partout ailleurs ? Et pourtant, tous les étrangers qui entrent dans l'église de St. Pierre sont scandalisés de voir l'ignorance, la négligence, avec lesquelles les prêtres y disent la messe. L'impudicité y marche à tête levée; des ecclésiastiques de tout ordre, des cardinaux même sont souillés des plus hideux péchés. » Il était plus facile de signaler le mal que d'y apporter un curatif efficace. Hélas ! le véritable baume, ils ne le connaissaient pas. Et encore, ce rapport n'avait tien de bien sincère de la part de plusieurs de ses auteurs. L'un d'eux, Caraffa, élu pape, en 1555, n'eut rien de plus pressé que de mettre à l'index le travail de la commission.

Mais cet écrit avait été publié. Quelle arme mise aux mains des opposants! Luther traduisit en allemand le fameux rapport; Starmius, recteur de l'académie de Strasbourg, le publia en latin, et bientôt l'étrange opuscule vola par toute l'Europe. Luther fit mettre en tête de son écrit une gravure représentant le pape assis sur son trône ; ses cardinaux l'entourent, ayant dans leurs mains de longues perches, auxquelles sont suspendues des queues de renard, leur servant de balai pour enlever les immondices. Dans ses notes, il reproche aux cardinaux de n'élaguer que de petites branches et de laisser intact le tronc totalement corrompu. En effet, les hauts commissaires, tout en mettant à nu l'affreux état de l'Eglise, ne demandaient que d'insignifiantes réformes, ,la répression d'actes trop ostensibles de simonie, du cumul de certains bénéfices.

En 1542, cinq ans après l'imprudente enquête ordonnée par le pape, les aspirations vers une réforme se manifestant partout, des mesures coercitives furent remises en vigueur contre. les novateurs. Il en était temps : l'incendie gagnait de proche en proche et ne respectait pas même les états du pape. La Romagne en faisait partie.

Un jour, en 1544, un moine prêchait dans l'église d'Imola, petite ville de cette province, que l'homme peut mériter d'entrer dans le ciel par ses bonnes oeuvres. Tout à coup, une voix sortie de l'auditoire couvre celle du prédicateur:

- Vous blasphémez, s'écrie l'inconnu. La Bible ne nous dit-elle pas que c'est Jésus-Christ qui nous a ouvert le ciel par ses souffrances et par sa mort?

Une dispute s'engage entre l'interrupteur et le moine, en pleine église. Le défenseur de la vérité plaide avec calme et clarté la doctrine du salut gratuit, et l'assistance applaudit.

- Retirez-vous, jeune écervelé, s'écrie le moine furieux et à bout de réplique : retirez-vous ; vous êtes à peine sorti du berceau, et déjà vous voulez décider en matière de religion ce que les plus instruits ne peuvent résoudre!

- N'avez-vous pas lu, repartit le jeune chrétien, ces paroles de l'Ecriture: « 0 Eternel, notre Seigneur ! que ton nom est magnifique par toute la terre ! Par la bouche des petits enfants, même de ceux qui sont à la mamelle, tu fondes ta louange, à cause de tes adversaires, pour ,réduire au silence l'ennemi et celui qui veut se, venger. »

Le pauvre moine descend de la chaire, recourt aux sbires de l'évêque, et le fidèle disciple de Christ est traîné en prison.

L'inquisition papale en voulait surtout aux ecclésiastiques qui penchaient vers la réforme. Abordons maintenant les plus éminents d'entre eux.

Bernardino Ochino, né à Sienne, en Toscane, l'année 4487, entra de bonne heure dans la vie monastique. En 1538, il est élu général des capucins. Peu à peu les notions évangéliques pénètrent dans son coeur ; il étudie les saintes Ecritures et proclame quelques-unes des vérités qu'elles renferment. Doué d'un rare talent de prédication, il attire la foule et annonce la voie du salut, sans toutefois attaquer les erreurs dominantes. Sa noble figure, sa chevelure blanche, sa longue robe, son teint .pâle, l'austérité de ses moeurs, commandent le respect. Quoique à la tête d'un ordre puissant, il voyage à pied et est accueilli comme un saint dans les palais des évêques ou des princes. Et pourtant Ochino n'a encore saisi qu'un côté de l'Evangile; il n'a pas encore rejeté toute justice propre pour ne vouloir que Christ. Une circonstance providentielle va lui faire faire un pas décisif dans la voie du salut.

Appelé à Naples comme prédicateur, il attire l'attention d'un gentilhomme espagnol, converti à l'Evangile. Ce gentilhomme se nommait Waldez et présidait dans cette ville, alors à Charles V, des réunions secrètes, où se rendaient les Napolitains qui partageaient sa foi. Ochino y est introduit, et là il peut entendre exposer dans toute leur pureté les doctrines du salut. Au sortir de ces assemblées, le général des capucins monte dans les chaires de la ville et prêche avec une force toute nouvelle cet Evangile qui fait sa joie.

En 1544, il écrit aux magnifiques seigneurs de Sienne.

« Dans ma jeunesse, je fus dominé par cette erreur commune à tous ceux qui vivent sous le joug impur de l'antichrist; je croyais au salut par les oeuvres, par les jeûnes, par les prières, par les mortifications, par les veilles et autres pratiques de cette espèce. Inquiet de mon salut, je cherchai quel genre de vie je devais suivre. J'entrai dans l'ordre des moines de St. François, le plus sévère et à mes yeux le plus conforme à la vie de Christ. Je n'y trouvai pas ce que j'étais venu y chercher et j'y restai jusqu'à l'institution des Frères Capucins. » Là encore, point de paix ; l'autorité de l'Eglise lui imposait silence. Ce ne fut qu'en lisant l'Ecriture qu'il découvrit la bonne route. « Je suis parvenu, dit-il, à reconnaître les trois vérités suivantes :

1- Christ, par son obéissance et par sa mort, a mérité le ciel pour ses élus

2 - les voeux religieux d'invention humaine sont, non-seulement inutiles, mais nuisibles et criminels

3 - l'Eglise romaine, malgré son art de fasciner les sens par une pompe et une magnificence extérieure, est contraire à l'Ecriture et abominable aux yeux de Dieu.

Ochino produisit un effet immense ; mais l'inquisition ne le perdait pas un instant de vue. Les Vénitiens, parmi lesquels étaient plusieurs antipapistes, l'invitèrent auprès d'eux. Paul IV le laissa partir, en le signalant comme suspect au saint office. Le nonce, à Venise, fut tout spécialement chargé d'avoir l'oeil sur lui. La foule se précipitait pour l'entendre. Bientôt Ochino apprend qu'on l'épie, qu'un de ses amis à Naples est jeté en prison à cause de sa foi. Il s'écrie, du haut de la chaire, en présence des sénateurs et du nonce lui-même : « 0 ! noble Venise ! reine de l'Adriatique, si les prisons, les cachots et les fers attendent les hommes qui t'annoncent la vérité, dans quelles cités, dans quelles campagnes la vérité pourra-t-elle encore retentir? Oh! si nous pouvions la faire entendre, cette vérité ! que d'aveugles, qui S'en vont aujourd'hui errant dans les ténèbres, verraient enfin la lumière ! »

A ces mots, le représentant du pape interrompt l'orateur et lui interdit la chaire. Les Vénitiens protestent; au bout de trois jours, l'interdiction est levée et Ochino reprend ses émouvantes prédications. Pendant ce temps-là, informé de ce qui se passe à Venise, l'antichrist cite le capucin à comparaître à Rome.

Ochino, convaincu que la mort l'attend dans la ville papale, se réfugie à Ferrare et de là à Genève, puis à Zurich, où s'était fondée une église italienne, dont Ochino fut quelque temps le pasteur. Peu après, il fut appelé à Bâle pour l'impression de ses écrits et comme prédicateur de ses compatriotes émigrés dans cette ville. La fin de la carrière évangélique d'Ochino ne répondit pas à son début: des idées erronées, sur de graves matières, ses rapports avec Socin, qui niait la divinité de Jésus-Christ, abreuvèrent d'amertume ses derniers jours. Il alla mourir en Moravie, en 1564.

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