Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Etats-généraux. - Une conférence.

1561

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Rien ne dévoila mieux le déplorable état de la France que les Etats-généraux : un roi mineur, entouré d'ambitieux qui se disputaient le pouvoir, une noblesse s'élevant contre la corruption des prêtres et leur intrusion dans les affaires publiques ; le tiers-état émettant les mêmes plaintes; un clergé riche, cupide, obéissant à un maître étranger et refusant tout sacrifice pour venir en aide au trésor publie: au sein de ces tiraillements, les réformés et leurs amis demandant en vain leur place au soleil: Voilà l'aspect que nous offrait la France. 

Les Etats se réunirent à Orléans. Le chancelier L'Hôpital ouvrit la session au nom du jeune roi et de sa mère, déclarée régente du royaume. C'était un homme d'une haute probité, tolérant, convaincu que les prisons et les bûchers n'étaient pas des moyens de pacification et que rien n'avilit une religion comme la violence mise à son service. « Nous avons fait, dit-il, comme les mauvais capitaines qui vont assaillir le fort de leur ennemi avec toutes leurs forces, laissant dépourvus et dénués leurs logis ; il nous faut, maintenant , garnis de vertus et de bonnes moeurs, les assaillir avec les oeuvres de la charité, avec prières, persuasion, paroles de Dieu, qui sont propres à de tels combats. »

Les longues discussions de cette auguste assemblée ne servirent qu'à mettre au jour les vices des évêques, la faiblesse du pouvoir pour rétablir quelque ordre dans les affaires publiques ; nulle tentative sérieuse de réforme : les évangéliques seuls en avaient le secret et y recouraient. Cependant le parti ultra-catholique en sortit froissé, battu: les églises crurent un moment que la cause de la vérité et de la liberté allait triompher. Cet espoir fut de courte durée. Les Guise, aidés du clergé, du pape Pie IV et de Philippe II, roi d'Espagne, voyant que le pouvoir était sur le point de leur échapper, rapprochèrent leurs rangs. A force d'intrigues, de calomnies contre les protestants, la nature et le but de leurs assemblées, ils firent porter un édit, celui de juillet 1561, interdisant toute réunion publique de religion, sauf celle du culte romain, jusqu'au concile national, sous peine de bannissement et de confiscation des biens.

Un concile ! Mais on savait depuis longtemps qu'un concile n'est qu'un leurre, un tonneau des Danaïdes, où les vérités les plus fondamentales de l'Evangile allaient se perdre, une assemblée vendue au pape. Depuis 1545, il y en avait un, celui de Trente ( Tyrol), convoqué par Paul III, et, durant plus de 15 ans de travaux interrompus et repris, repris et interrompus, l'Eglise romaine cherchait à stéréotyper ses innombrables hérésies et anathématisait les réformés et leurs doctrines. On le savait en France: les papistes voulaient forcer leurs adversaires à courber le genou devant les arrêts de ce fameux concile, qui n'avait pas encore dit son dernier mot. En attendant ce dernier mot, le chef du parti, le cardinal de Lorraine espérait confondre les réformés dans une conférence publique ; il obtint qu'elle eût lieu à Poissy, à 5 lieues de Paris.

Le 9 septembre 1561, Charles IX et toute la cour, les cardinaux, les évêques et docteurs, des officiers, sont réunis dans la grande salle d'un couvent, et là, en l'absence des délégués des églises, le jeune roi, enfant de 11 ans, à qui l'on a fait la leçon, invite les prélats à pacifier le royaume. Après lui, le chancelier L'Hôpital leur recommande de procéder avec humilité, de chercher à bien comprendre la Parole de Dieu, de s'y soumettre pour réformer l'Eglise dans les moeurs et dans la doctrine. Excellent conseil qui fait froncer le sourcil aux prélats. - De réforme, ils n'en veulent point, ni dans les moeurs, ni dans la doctrine, à laquelle, selon eux, personne n'a le droit de toucher que l'Eglise, c'est-à-dire eux-mêmes. Tout ce qu'ils veulent, c'est de terrasser les réformés en présence de la cour; s'ils se sont rendus à la conférence, c'est uniquement pour fermer la bouche à leurs adversaires. Ils demandent une copie du discours du chancelier, afin d'en délibérer et d'y répondre. Le chancelier le refuse. 

Après ce début, qui annonce déjà ce qui sortirait de cette assemblée, on introduit les députés des églises. Ils sont au nombre de 22, dont dix sont pasteurs. Les romanistes ont 6 cardinaux, 36 évêques et une foule de docteurs en théologie. Théodore de Bèze, appelé de Genève; l'Italien Pierre Martyr Vermigli; Marlorat, pasteur à Rouen, occupent, par leur savoir et leurs travaux, le premier rang. En entrant dans la salle, ils se dirigent du côté des docteurs papistes. On les retient et on leur ordonne de se placer en dehors de la balustrade; on les traite comme des accusés. Ils acceptent humblement ce déni de justice; puis, tous mettent les genoux enterre, et Bèze prononce avec solennité une fervente et onctueuse prière, la même qui est conservée presque littéralement dans nos liturgies, sous le nom de confession des péchés. La cour ni les prélats n'osent l'interrompre; ils peuvent voir qu'ils n'ont pas affaire avec des impies.

Après cette prière, Bèze remercie le roi de ce qu'il fournit aux réformés l'occasion d'exposer publiquement leur foi, et il conjure les docteurs, les évêques et toute l'assemblée de s'enquérir de la vérité d'après les saintes Ecritures. Il montre en quoi l'Eglise évangélique s'accorde avec l'Eglise romaine, puis les points dans lesquels elle en diffère. Quant à la présence réelle dans la cène, il déclare que le vrai corps de Jésus-Christ est aussi éloigné de son symbole que le ciel est éloigné de la terre. Le cardinal de Tournon l'interrompt et témoigne de sa douleur de ce que le jeune roi a dû entendre de telles impiétés. 

Quelques jours plus tard, nouvelle séance. Le cardinal de Lorraine daigne répondre à des hommes qu'un an auparavant il eût fait jeter dans les flammes. Presque tout son discours roule sur les dogmes favoris de son église, la présence réelle, l'unité de l'Eglise romaine. « C'en est assez, s'écrie de Tournon, c'en est assez; les conférences ne peuvent plus avoir d'objet, puisqu'il n'y a pas de bonne foi chez nos adversaires. »

- Je m'engage, dit Bèze, à réfuter sur l'heure tous les raisonnements qu'on vient de nous opposer.

On ne le lui permit pas.

Quelques conférences privées eurent encore lieu avec les cardinaux. Parmi ceux-ci était Lainez, général des jésuites, qui y apporta l'astuce et l'effronterie dont cette secte est le type. Les romanistes rédigèrent un formulaire vague, élastique, et que la Sorbonne condamna comme entaché d'hérésie : les deux partis devaient s'y soumettre. La Sorbonne, fort mécontente de l'oeuvre des prélats, en fit un autre purement dans le sens romain; la reine régente l'accepta; les réformés devaient signer cette pièce et promettre de ne pas s'en écarter sous peine de bannissement. C'était leur enjoindre de répudier leur foi, de rentrer dans la voie de l'erreur, qu'ils avaient pour toujours abandonnée. Aucun d'eux ne la signa.


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Paix trompeuse. Un massacre.

1562

 

Vous venez d'assister à la conférence ou colloque de Poissy. Il dépeint bien l'époque: une cour bigote, corrompue, qui s'évertue à ramener ce qu'elle appelle la paix dans le royaume, c'est-à-dire l'unité de culte; un clergé dominateur, ayant depuis des siècles la parole haute et irrévocablement hostile à toute réforme; dans cet étau, une minorité purement évangélique, entourée d'amis dangereux, faisant de la réforme un instrument. Tandis que les chrétiens n'y voyaient qu'un retour à la vérité apostolique, des hommes politiques en faisaient une arme pour combattre l'ambition des Guise. 

Cependant la cause de l'Evangile fat loin d'avoir faibli à Poissy; le résultat immédiat fut nul, en apparence du moins; il ne fut pas nul dans plus d'une âme. La fermeté des réformés, leur calme en présence des injures des évêques romains, montrèrent que le papisme était fortement entamé. On avait porté un édit interdisant toute assemblée publique, et les rangs des réformés grossissaient, leurs assemblées se multipliaient; on put bientôt compter plus de 2000 églises ou congrégations. Près de la moitié de la France était désabusée sur les erreurs de Rome. Des édifices publics, naguère ornés des insignes du rite romain, se vidaient et des assemblées protestantes y célébraient leur culte. D'ordinaire ces transformations extérieures étaient l'oeuvre d'une foule irritée contre les abus, plutôt qu'éclairée sur les vérités chrétiennes ; idoles , crucifix , chasubles , étaient enlevés, brûlés. Les pasteurs, les amis de mesures plus pacifiques, s'opposaient en vain à ces actes téméraires. Le nouvel édit était une faible barrière contre l'insurrection envers. des pratiques séculaires et antichrétiennes. 

Toute loi inique, absurde, impraticable, est une source de trouble; en portant atteinte à ce que nous avons de plus sacré, la conscience, en voulant nous imposer par la force des croyances inadmissibles, la loi manque son but: au lieu de pacifier, elle pousse à la révolte. Chez les uns, cette révolte est secrète, cachée au fond de l'âme et ne se montre que dans une résistance passive ; chez d'autres elle éclate et se traduit dans des faits répréhensibles. Ainsi des bris d'images, des prises d'armes, seront toujours, aux yeux du chrétien éclairé, des moyens condamnables, en dehors de ceux que la Parole de Dieu lui permet.

Transportons-nous à Lyon, en octobre 1561. L'église réformée se réunit au centre de la ville. Deux ou trois mille personnes accourent pour y entendre le par Evangile. Deux mois plus tard, sur l'ordre du magistrat, les assemblées se transportent dans un des faubourgs , à la Guillotière ; le nombre des assistants ne fait que s'accroître; il est bientôt de 6 à 7000. La France est déchirée par les factions; les gouverneurs des provinces sont ou pour ou contre les Guise. Condé, ami de la réforme, a dans le Dauphiné un de ses ardents partisans, le baron des Adrets. Celui-ci s'empare de Lyon, le 30 avril 1562, au nom du prince: la messe est abolie dans la seconde ville du royaume; les prêtres prennent la fuite. Le roi Charles IX, incapable de faire exécuter son édit, accorde aux réformés lyonnais deux des temples romains; les autres sont rendus à l'ancien culte. L'oeuvre de la réforme ne peut se maintenir que par la force. Des Adrets, malgré tout son courage, est impuissant à garder ses conquêtes. La réaction se poursuit: en juillet 1563, un seul temple reste aux réformés, et, prévoyant qu'ils en seront bientôt chassés, ils en construisent un près des fossés de la Lanterne, à quelques pas de cette place des Terreaux si souvent éclairée des bûchers des martyrs. Hommes, femmes, enfants, riches et pauvres, y travaillent avec un zèle héroïque.

A Paris mêmes progrès. Après le fameux colloque de Poissy, une vingtaine de mille âmes suivent les prédications ; elles se tiennent aux portes de la ville, dans les faubourgs Saint-Antoine et Saint-Martin : on y court en foule. Bèze, avant son départ pour Genève, s'y fait entendre, et l'ex-gentilhomme, l'éloquent adversaire des cardinaux, y prêche à d'immenses auditoires. D'autres villes importantes, Nîmes, Montpellier, Sainte-Foy, se prononcent de plus en plus pour le mouvement vers l'Evangile. Presque partout la faiblesse du pouvoir, la constatation des erreurs, les besoins des âmes, élargissent la voie.

Le parti papiste s'en effraie et sollicite en vain l'exécution de la loi, l'expulsion des prédicateurs. La cour, fort embarrassée, modifie son édit. Celui de janvier 1562 permet de s'assembler aux portes de la ville et ordonne de rendre au culte dominant les édifices qui lui ont été enlevés.

Ce fut un moment de répit. Toutefois l'édit était encore inexécutable. Comment contraindre des populations entières à sortir des murs d'une ville pour célébrer leur culte? L'eût-on pu, n'était-ce pas un ferment de haine contre le catholicisme romain, qui ne savait se maintenir que par la violence ? Les réformés se soumirent; ils avaient obtenu l'essentiel, la liberté de s'assembler quelque part et d'adorer Dieu selon sa Parole. 

Cette tolérance, quelque faible qu'elle fût, ne fut pas même respectée. Les papistes n'en voulaient dans aucune mesure et l'édit fut bientôt violé par eux. Une assemblée de 1200 réformés était réunie dans une vaste grange, près de Vassy (Haute-Marne). C'était le 1er mars 1562. Le pasteur Léonard Morel présidait, lorsqu'une troupe armée, conduite par le duc de Guise, envahit la modeste chapelle. Les assistants, réunis sous la protection de l'édit porté deux mois auparavant, sont frappés d'épouvante ; les uns tentent de fuir par le toit, d'autres par les portes ; mais les satellites du duc les repoussent et les taillent en pièces. Soixante-huit personnes, dont les noms sont connus, périssent sous les coups de ces bourreaux ; parmi les morts se trouvent plusieurs femmes. Deux cents autres sont mutilés; le reste est parvenu à s'échapper. Le pasteur Morel est au nombre des victimes respirant encore: les massacreurs vont l'achever, lorsque deux gentilshommes de la suite du duc le reconnaissent et le traînent auprès de Guise. Heureux d'une telle capture, le duc fait conduire Morel en prison, avec l'espoir de lui infliger un plus atroce supplice.

Tous les protestants de France se sentirent frappés dans l'horrible massacre de Vassy. Les plus éminents d'entre eux, Condé, Coligny, le chancelier L'Hôpital, toujours plus attiré du côté des opprimés, portèrent leur plainte à la régente Catherine de Médicis. Le consistoire de Paris délégua Bèze à la cour. Il rappela au roi l'édit de janvier, qu'on violait le lendemain de sa promulgation, et demanda la répression des coupables. Le faible Antoine de Bourbon, roi de Navarre, qui avait apostasié la réforme, se trouvait présent à l'audience. Il s'écria : « Ils ont jeté des pierres contre mon frère, le duc de Guise. » C'était faux. - « Sire, répond de Bèze, c'est vraiment à l'Eglise de Dieu, au nom de laquelle je parle, d'endurer les coups et non d'en donner ; aussi vous plaira-t-il de vous souvenir que l'Eglise est une enclume qui a usé beaucoup de marteaux. »

Le gouvernement intervint et fit faire une enquête, non pour atteindre et punir les coupables, mais pour frapper des innocents. Les pasteurs, les anciens et les diacres de l'église de Vassy furent arrêtés; un des anciens fut pendu; Morel, fait prisonnier dans le massacre, fut relâché défense fut faite aux fidèles de se réunir. Voilà comment la cour observait son propre édit.


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La Réforme et la guerre.

1562

 

La déloyauté, la faiblesse du pouvoir légitime, la prédominance du parti lorrain, avide de régner, allumèrent la guerre sur presque tous les points du royaume. Comment vous peindre cette France se déchirant de ses propres mains? Comment vous tracer ces combats acharnés, dans lesquels la victoire se range tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, et où chaque goutte de sang versé est un crime ? Ce n'est pas là qu'il faut chercher l'Eglise, l'humble et fidèle épouse de Jésus-Christ. Des réformés, dérisoirement appelés aussi huguenots, prennent les armes; ceux qui le font défendent leur roi, abhorrent la tyrannie des Guise , et luttent pour sauver leur vie, leurs droits, leurs libertés; mais l'Eglise ne combat pas avec l'épée; son divin Chef a dit ; « Celui qui prendra l'épée, périra par l'épée. » L'Eglise, telle que le Seigneur la veut, proteste contre l'erreur en professant la vérité s'il le faut, les membres de ce corps savent mourir pour elle.

Traversons donc rapidement ces champs de bataille; l'histoire politique de la France s'y arrête : elle le doit; l'histoire du peuple de Dieu s'en éloigne avec horreur ; elle n'y jette ses regards que pour déplorer une des plus hideuses preuves de la chute et des aberrations humaines.

Après ses exploits à Vassy, le duc de Guise entre à Paris comme un triomphateur. Il va frapper un grand coup. Deux complices dévoués, André de Montmorency et le maréchal St André, le secondent. L'apostat Antoine de Bourbon leur prête son appui. Guise enlève le roi, Charles IX, sa mère, Catherine de Médicis, et les fait parader, comme des captifs, à Fontainebleau, Melun, Vincennes et Paris. Il veut montrer qu'il est le maître. La régente, humiliée d'un tel affront, recourt à Condé, un des chefs huguenots, et l'engage à prendre les armes.

Condé et les gentilshommes, déjà résolus à la guerre, sont encouragés dans leurs projets; ils resserrent leurs rangs, et demandent la mise en liberté du roi, la punition des instigateurs de l'attentat commis à Vassy ; ils déclarent qu'ils ne veulent que l'honneur de Dieu, l'affranchissement de leur légitime souverain, le rétablissement de l'ordre et l'exécution de l'édit.

Les deux partis font appel à l'étranger : les romanistes au pape et à l'Espagne ; les réformés à Elisabeth, reine d'Angleterre, et aux princes protestants d'Allemagne. Ainsi la France offre deux camps; la guerre civile est déchaînée; la papauté, la persécution dont elle est le type et la source, ont creusé cet abîme.

Tandis que le parti lorrain fanatise de plus en plus le peuple de Paris, en expulse les huguenots, les troupes de Condé s'emparent d'Orléans, de Tours, de Bourges, de Poitiers de Rouen, du Havre, de Lyon, de Montauban et d'un grand nombre de places fortes du Languedoc, de la Saintonge et de la Guyenne. Toutes ces conquêtes eurent lieu presque sans effusion de sang, en quelques semaines. Mais la lutte ne tarda pas à devenir plus sanglante. Dans l'espace des huit années suivantes, ce ne fut qu'une longue suite de combats, suivis chacun de paix trompeuses. Le siège de Rouen, les batailles de Dreux, de St. Denis, de Jarnac, de Moncontour, les massacres de Cahors, de Toulouse, que nous ne voulons que Mentionner, sont autant de monuments des affreux résultats qu'entraîne la confusion des intérêts civils et de ceux de la conscience. La condamnation des religions d'état y est écrite avec le sang de milliers de Français.

Ce n'était pas seulement la guerre entre des armées régulières, sur de vastes champs de bataille, mais la guerre de province à province, de ville à ville : immense école de démoralisation, de relâchement des liens de la famille, de la société ; incendies, pillages, dévastation des chaumières comme des châteaux, appauvrissement général, voilà le bénéfice de ces luttes armées.

Et pourtant, malgré leurs fautes, les huguenots, rangés sous les drapeaux, offraient, au début de la guerre, les fruits d'une morale bien plus élevée que celle de leurs adversaires. Au camp, une discipline sévère, point de jeu, point de maraudes , point de jurements, des prières publiques soir et matin pour le roi et la paix du royaume ; dans les villes assiégées, un culte régulier. L'armée papiste présentait un tout autre aspect; on y voyait des femmes de mauvaise vie, l'intempérance, le pillage et tout ce qui pouvait enflammer les plus viles passions. Mais à mesure que la vie des camps se prolongea, la pureté huguenote n'alla qu'en déclinant. Quelques chefs, quelques hommes, d'une foi à toute épreuve, furent seuls à montrer que la réforme n'était pas pour eux un mot vide de sens.

Le prince de Condé périt à la bataille de Jarnac. (1569.) La même année, Coligny fut grièvement blessé à celle de Moncontour. Rien ne pouvait abattre cet illustre défenseur de la réforme. Treize jours après cette désastreuse défaite, il écrivait à ses enfants : « Il vous faut suivre Jésus-Christ, notre Chef, qui a marché devant nous. Les hommes nous ont ravi ce qu'ils pouvaient, et, si telle est toujours la volonté de Dieu, nous serons heureux et notre condition bonne, vu que cette perte ne nous est arrivée par aucune injure que vous eussiez faite à ceux qui vous l'ont apportée, mais par la seule haine qu'on me vent de ce qu'il a plu à Dieu de se servir de moi pour assister l'Eglise. »

A peine remis de ses blessures, il rassemble une nouvelle armée, dans le midi, et marche sur Paris. La paix est signée à St. Germain en Laie (1570) ; liberté de culte partout où il existe , amnistie, admission des huguenots aux charges publiques, droit de séjour dans tout le pays, quatre villes d'otages, Montauban, La Rochelle, La Charité, Cognac : tel fut le résultat de tant de sacrifices. C'était plus que tous les précédents. Aussi cette paix ne fut pas de longue durée.

Pendant tous ces conflits, que faisait l'Eglise ? Décimée par le feu des combats, ruinée par de continuelles levées d'hommes et d'argent, c'était elle qui souffrait le plus. Les fidèles restés au foyer domestique, les pasteurs échappés à la mort, priaient pour le triomphe de leur cause. A l'abri des villes conquises ou dans les intervalles de paix, les églises avaient leurs synodes. Nous avons vu le premier de tous, celui de Paris, en 1559 ; le second se tint à Poitiers, en 1561 ; le troisième à Orléans, en 1562; le quatrième à Lyon , en 1563, sous la présidence de Pierre Viret ; le cinquième à Paris, en 1565 ; le sixième à Verteuil , en 1567, et le septième à La Rochelle , en 1571, sous la présidence de Bèze. Là fut solennellement sanctionnée la confession de foi de 4559.

Après tant de luttes sanglantes, en présence d'une persistance si ferme, ne reculant devant aucun sacrifice, il semblait que les réformés pouvaient enfin jouir d'une longue paix. Le parti adversaire, tour à tour vaincu et vainqueur, aurait dû apprendre qu'on peut tuer des hommes et non pas des croyances; mais un tel parti ne se regarde jamais comme vaincu. Deux ans après la paix de St. Germain, il recourut à une arme qui , plus d'une fois, l'avait fait triompher.


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La St. Barthélémy à Paris.

1572

 

Pendant que les réformés jouissaient de quelque repos, Charles IX, sa mère et les Guise préparaient une des plus effrayantes razzias que l'histoire ait à retracer. Tout ce que la duplicité, la perfidie la plus raffinée, ait jamais pu produire, fut mis en Oeuvre dans ce but. Attirer à Paris les principaux chefs huguenots, les combler de caresses, pour les massacrer tous à la fois, voilà le plan infernal déjà conçu en 1564, et ajourné jusqu'au moment propice. Le vieux chancelier L'Hôpital, témoin des entrevues mystérieuses de Catherine avec le pape, à Avignon, plus tard à Bayonne, avec le duc d'Albe, eut des soupçons, puis une pleine certitude de nouvelles atrocités contre les réformés. En 1570, retiré des affaires avec le sentiment de son impuissance à faire naître une paix durable, il supplie la cour de ne pas étouffer la voix de la justice et de la clémence. Vains conseils. Coligny, trop droit pour croire à l'infraction de l'édit de St. Germain et à de vils guets-apens, s'est ému du bon accueil que lui fait le roi, qui l'appelle son père. Les églises de La Rochelle et de Troyes ont à se plaindre des violations de l'édit. L'amiral est leur organe auprès de la cour ; il sait défendre les libertés des églises aussi bien dans les palais que sur les champs de bataille. Le roi promet que justice sera rendue, et la confiance de Coligny dans les bonnes dispositions du souverain se consolide de plus en plus.

Vers le milieu d'août 1572, de splendides fêtes égaient tout Paris; Henri de Navarre (plus tard Henri IV) célèbre ses noces avec Marguerite, soeur du roi, princesse catholique, qui remplira d'amertume la vie du jeune prince ; Henri, fils de la pieuse princesse d'Albret, est huguenot ; n'importe aux yeux des adversaires de la réforme ; on croira mieux à une complète réconciliation entre les partis, et les traîtres atteindront plus de victimes.

Le 22 août, Coligny, amiral de France, le bien-aimé du roi, sortait du Louvre. Chemin faisant, il lisait une requête de ses frères en la foi, et allait s'occuper de la meilleure voie à suivre pour répondre à leurs voeux. Tout à coup, près de l'église de St. Germain l'Auxerrois, une balle l'atteint à l'épaule et lui fracasse un doigt. L'assassin Maurevel, aposté par les Guise, par Catherine, par le duc d'Anjou, a tout prévu ; un cheval l'attend derrière la maison qui lui sert d'abri; le meurtrier prend la fuite. Aussitôt les seigneurs protestants accourent chez l'amiral, qu'on a transporté, tout meurtri dans son hôtel. «Voilà, leur dit-il, le fruit de cette belle réconciliation, dont le roi s'est rendu garant ! » Charles IX. malgré l'opposition de sa mère, se rend auprès de l'illustre blessé. « Mon père, lui dit-il, je vous tiens pour un des plus grands capitaines de mon royaume. Calmez-vous; ne songez qu'à vous guérir ; j'aurai soin de tout. J'ai toujours souhaité et je souhaite encore que mon édit soit observé.»

Pendant ce temps, le parti de Guise prépare ses gens pour le massacre. Coligny est couché sur un lit de souffrances; ses amis, réunis pour la plupart à Paris, songent moins que jamais à reprendre les armes; les propos du roi, sa conduite envers l'amiral, la tranquillité dont, en général, jouissent les églises, tout les rassure et les porte à se livrer au repos. C'est ce moment-là que leurs infâmes adversaires choisissent pour les accuser de conspirer contre le roi et la sûreté de l'état ! Dans un conciliabule secret, Cosseins, chef des gardes, et ses satellites reçoivent le mot d'ordre : à minuit , ils feront main basse sur tous les huguenots. Coligny tombe le premier sous le poignard de Cosseins ; son corps est jeté dans la cour, où Guise l'attend ; il reconnaît les traits de l'amiral, le frappe de son pied, et la tête de la victime est portée au roi et à sa mère. - Le cri : mort aux huguenots ! retentit partout; ces malheureux sont paisiblement retirés chez eux, et les meneurs se vantent d'avoir arrêté une conspiration prête à éclater! Effroyable scélératesse !

Henri de Navarre et Condé, fils du fameux Condé, tué à Jarnac, logeaient au Louvre. Le roi les fait amener devant lui et les accable d'injures. « Je ne veux, leur dit-il, qu'une religion dans mon royaume. Mort ou messe! Choisissez ! » Henri est conduit dans la chapelle du palais. Condé déclare que sa liberté, sa vie sont à la merci du roi, mais que nulles menaces, nuls supplices ne le feront aller à la messe, dût-il périr. Charles le menace de lui faire trancher la tête si dans huit jours il ne se ravise.

Quelques seigneurs protestants s'étaient réfugiés au Louvre, sous la sauvegarde du roi de Navarre. Charles leur ordonne de descendre dans la cour; là, 200 gentilshommes sont taillés en pièces par les assassins et les gardes. L'un de ces gentilshommes, le brave capitaine de Piles, s'écrie : « Est-ce là cette parole que le roi nous a donnée? Dieu juste, vengez un jour cette perfidie et cette cruauté si détestables. » Le peuple de Paris se chargea, deux cent vingt ans plus tard, de cette vengeance.

Plusieurs autres gentilshommes réformés, entre autres Montmorency, étaient logés de l'autre côté de la Seine. Montmorency, informé de l'assassinat de Coligny et de la boucherie du Louvre, prévient aussitôt ses amis. Accourus sur le quai, ils voient des soldats tirant sur de malheureux fuyards ; le roi lui-même, posté à une fenêtre du palais, vis-à-vis de la Seine, arquebuse ses propres sujets et fait l'office de bourreau. A cette vue, Montmorency et ses compagnons n'ont qu'une ressource, la fuite; ils montent à cheval et gagnent une des portes de la ville. Henri de Guise se met à leur poursuite et lâche après eux un détachement de cavalerie. Les fuyards ont l'avance et trouvent sur leurs terres un abri sûr Montmorency et les siens purent plus tard sauver la vie à une foule de gens qui cherchèrent auprès d'eux un refuge.

Guise, de retour de sa course effrénée, parcourt les rues de la ville avec les ducs d'Alençon , d'Aumale et quelques autres chefs de sicaires, pour enflammer le zèle des égorgeurs. Les maisons sont envahies; des magistrats, des savants, des femmes, des enfants, des gens de toute condition, connus comme hérétiques ou soupçonnés de l'être, sont impitoyablement massacrés. On dirait une place de guerre, sans défense, prise par une horde de brigands. Le célèbre Ramus , une des gloires de ce siècle, s'est caché dans sa cave ; un vil rival, Charpentier, le cherche, le découvre, lui arrache une forte rançon, en lui promettant la vie sauve ; après l'avoir obtenue, il le fait poignarder.

Les annales du monde entier renferment peu de scènes aussi ignobles que celle de la St. Barthélémy. Les passions les plus basses, le fanatisme le plus froid et le plus atroce, s'y étalent dans toute leur horreur. « C'était être huguenot, dit Mézeray, que d'avoir de l'argent, ou des charges enviées, ou des ennemis vindicatifs, ou des héritiers affamés. » Le même historien évalue à 4000 le nombre des victimes à Paris pendant les trois premiers jours. Parmi elles, se trouvaient 500 gentilshommes ; 600 maisons furent dévastées par le pillage. D'autres écrivains nous disent que ce chiffre était bien plus élevé, et portent à 1200 celui des seigneurs massacrés dans cette ville. Mézeray ne parle que des saturnales des trois premiers jours. Or le massacre, dans la capitale, dura quinze jours. Jugez de ce que dut être cette cité qui respirait à peine, après dix ans de guerres civiles: un vaste cimetière, un champ couvert de morts, qui, pour la plupart, n'étaient coupables que du crime de préférer Jésus-Christ au pape et à la messe.


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La St. Barthélémy dans les provinces.

1572

 

Ce n'était pas assez que Paris fût inondé de sang; des ordres furent envoyés dans toutes les provinces de se jeter à main armée sur les huguenots. Lyon renfermait une église considérable par le nombre et la position de ses membres. Aussitôt les ordres reçus, le gouverneur Mandelot fait fermer les portes de la ville ; des milices envahissent les maisons des protestants les plus connus, et les emmènent en prison ; plusieurs d'entre eux sont massacrés dans les rues. Les cachots de l'archevêché, des couvents, ceux de la ville, ne suffisent plus à contenir les victimes. Les égorgeurs ont à leur tête un voleur de profession, Boidon, qui, plus tard, périt pour meurtre sur un échafaud. Le pillage des demeures des protestants , les assassinats duraient depuis trois jours, lorsque de Pérat arrive de Paris avec des lettres de la cour, portant que le roi voulait que Lyon fît comme la capitale, et que les huguenots fussent exterminés.

Le procureur du roi ordonne au bourreau de remplir son office; le bourreau, plus humain et meilleur légiste que le magistrat, répond : « Je ne prête mon ministère que pour l'exécution des arrêts des juges, et non pour assassiner des innocents; » même réponse de la part des soldats de la citadelle : « Ce que vous nous de mandez est contre l'honneur; nous ne sommes pas des assassins. Quel mal ont donc fait ces malheureux qu'on veut que nous égorgions? » Les complices ou agents d'une cour égarée et pervertie avaient-ils besoin d'autres bras que de ceux qui étaient déjà couverts de sang ? Boidon et sa bande, encouragés par des échevins, sont tout prêts. Les portes des prisons s'ouvrent; les détenus en sortent et sont taillés en pièces, et leurs cadavres jetés dans la Saône et le Rhône. Toutes les rives du fleuve, jusqu'à la mer, sont couvertes de ces débris humains, les eaux rougies de leur sang, et, pendant longtemps, les riverains ne voulurent toucher aux poissons du Rhône, ni faire usage de son eau. Des quatre pasteurs de l'église de Lyon, trois parvinrent à s'échapper ; le quatrième, Langlois, fut arrêté sur un des ponts de la Saône, percé de coups et jeté à moitié mort dans les flots. Plusieurs négociants protestants s'étaient, sur la parole de Mandelot, laissés conduire à l'archevêché, où, leur disait-on, ils seraient à l'abri de tout danger. Les assassins arrivent, leur imposent de fortes rançons, puis les massacrent tous. Lyon seul peut compter plus de 1500 victimes de la St. Barthélémy.

A Meaux, Orléans, Troyes, Bourges, La Charité, Rouen, Toulouse, dans un grand nombre d'autres villes et dans toutes les provinces, mêmes scènes de barbarie, et toujours en vertu des ordres de la cour. Sancerre, ville presque toute protestante et remplie des fugitifs d'Orléans et des lieux circonvoisins, prit une attitude déterminée; les ligueurs n'osèrent pas l'attaquer. A Valence, à Romans, les atrocités furent moins générales, grâce à l'humanité du comte de Tende, commandant dans le Dauphiné. Le refus d'exécuter les ordres sanguinaires lui coûta la vie; il mourut empoisonné à Avignon. A Bayonne, le vicomte d'Orte, gouverneur, prit de sages mesures contre les exécuteurs, et répondit aux ordres du roi - « Sire, j'ai communiqué les commandements de votre Majesté à ses fidèles habitants et gens de guerre de la garnison ; je n'y ai trouvé que bons citoyens. et braves soldats, et pas un bourreau ; c'est pourquoi, eux et moi supplions humblement votre Majesté de vouloir employer nos bras et nos vies en choses possibles, quelque hasardeuses qu'elles soient ; nous y mettrons jusqu'à la dernière goutte de notre sang. » Ce noble citoyen mourut empoisonné peu de temps après. A Nîmes, les catholiques qui ne partageaient pas le fanatisme sauvage des partisans du clergé et des Guise, prirent eux-mêmes la défense des huguenots, et le sang fut épargné. À Mâcon, le gouverneur, de la Guiche, fit enfermer les protestants et les sauva.

La France, ou plutôt le parti qui la dominait, les sectateurs aveugles de la papauté, les créatures des Lorrains, qui faisaient de la religion un instrument pour s'emparer du pouvoir, la portion abrutie, ignorante, farouche, d'un peuple abusé par les prêtres, la France, dans la personne de son roi, se couvrit de honte par les saturnales de la St. Barthélémy. Il y avait alors à la cour d'Angleterre Salignac-Fénelon. Cet ambassadeur fut chargé de justifier, auprès de la reine Elisabeth, tout ce qui venait de couvrir de deuil le royaume. Il répondit à Charles IX : « Sire, je deviendrais coupable de cette terrible exécution, si je tâchais de la colorer. Votre Majesté peut s'adresser à ceux qui la lui ont conseillée. » L'ambassadeur fut menacé d'un châtiment sévère, et la mission dont on osait le charger, fut éludée.

Taudis que toute l'Europe civilisée flétrissait l'affreux attentat, Rome était au comble de la joie. Le pape Grégoire XIII savait les projets de Charles, et attendait impatiemment des nouvelles. Enfin un messager arrive de de la part du nonce Salviati. La lettre est du 24 août : « Tout s'est bien passé à Paris ; on va en faire de même dans tout le royaume.» Le sang des huguenots a été versé à grands flots. Quel heureux, quel glorieux triomphe ! Le messager reçoit une gratification de mille pièces d'or. Aussitôt le pape fait tirer le canon du château St. Ange ; un solennel Te Deum a lieu, de ferventes actions de grâces retentissent dans tous les temples de la cité pontificale; une médaille est frappée; on y lit: « Extermination des hérétiques, » c'est-à-dire: honte éternelle à la papauté.

Il ne se trouve plus aujourd'hui d'apologistes de la St. Barthélémy, si ce n'est dans les bas-fonds de quelques ultramontains. Ces odieux crimes sont jugés; des catholiques honnêtes en ont fait justice. Préparé de longue main par un ténébreux fanatisme, résolu dans un conciliabule des adeptes du pape, exécuté par des ambitieux, ce crime ruina pour longtemps la France, dépeupla des provinces, et démoralisa de plus en plus le peuple.

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