Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Une émeute à Paris.

1551

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Aucune assemblée des évangéliques ne pouvait s'assurer d'être à l'abri des attaques ou des recherches des papistes. Quelques mesures qu'ils prissent, ils étaient sans cesse épiés par les prêtres ou leurs émissaires et sous le poids des plus grossières accusations. Quelquefois, au moment où ils se nourrissaient de la Parole, priaient pour le roi et le royaume, Une populace effrénée, ayant à sa tête des ecclésiastiques, les assaillait; puis la force publique intervenait, Don pour réprimer les agresseurs, mais pour saisir leurs victimes.

Le 4 septembre 1557, Une assemblée d'environ 400 personnes, la plupart de hautes classes, rendait culte à Dieu, le soir, dans une maison de la rue St. Jacques, à Paris. Pendant qu'elles célèbrent la sainte cène, des prêtres ameutent le peuple et font cerner la maison, de manière qu'aucun des hérétiques ne puisse s'échapper. Tous ces préparatifs se font sans bruit. Le service terminé, les fidèles veulent sortir et sont reçus à coups de pierres, et les rues retentissent de cris de mort. Ils rentrent; après un instant de délibération, les gentilshommes et les plus déterminés, parmi lesquels les pasteurs, décident de se frayer un chemin à travers les assaillants. Un seul d'entre eux est atteint et mis en pièces sur place.



Un synode à Paris.

1558

 

Ainsi que nous l'avons vu, la Parole de Dieu ne se borne pas à révéler au pécheur quelle est la vraie et seule voie du salut; elle veut que ceux qui y croient se reconnaissent comme enfants de Dieu , comme frères et se réunissent pour servir et adorer le Seigneur: de là l'Eglise et les églises ou les assemblées.

Cette sainte Parole trace, non-seulement aux individus mais aux églises, leurs devoirs, leur marche ; elle veut que celles-ci aient des présidents, des conducteurs, des diacres, tout autant de charges ou de services institués dans l'intérêt de l'Eglise et pour son développement.

Il y avait en France, à l'époque où nous sommes parvenus et déjà longtemps auparavant, des milliers de personnes complètement détachées de Rome et de son culte, et converties de coeur à Jésus-Christ. Dans quelques lieux seulement, des églises s'étaient constituées selon les prescriptions bibliques : à Paris, Lyon, Angers, Bourges, Poitiers et dans quelques autres localités, les fidèles avaient leurs pasteurs, leurs anciens, leurs diacres, spécialement chargés du soin des pauvres; peu à peu , là où cela put se faire, en présence des violences atroces des persécuteurs, un grand nombre d'églises s'organisèrent. 

Mais ce n'était pas assez: il fallait que ces congrégations éparses, toutes formées par des adhésions libres et volontaires se rattachassent les unes aux autres, Elles avaient la même foi: il fallait la constater, la proclamer; elles avaient les mêmes règles de discipline intérieure et d'ordre à suivre : il fallait reconnaître ces règles puisées dans les saintes Ecritures. On calomniait les chrétiens ; on les accusait de fouler aux pieds les croyances chrétiennes : ils devaient confesser leur foi et répondre ainsi à leurs adversaires. On les. accusait de tolérer, de favoriser les vices les plus honteux, et même de faire de leurs assemblées des sortes d'orgies obscènes: ils devaient montrer, non-seulement dans leur vie privée,, mais encore par une espèce de charte disciplinaire, que la pureté, l'ordre régnaient parmi eux, que les scandales étaient réprimés et les pécheurs endurcis exclus de leur sein. Bien plus, au milieu de cette tourmente suscitée par la persécution, les églises sentaient le besoin d'avoir un lien commun, de s'aider, de s'éclairer, de se fortifier mutuellement et de marcher toutes du même pas dans la noble et sainte route de la fidélité à leur Chef commun, Jésus-Christ.

En décembre 1558, un des pasteurs de l'église de Paris, Antoine de Chandieu, échappé à l'émeute de la rue Saint-Jacques, s'était rendu à Poitiers. Heureux d'y trouver des frères, une église florissante, en dépit de l'adversaire, il s'entretient, avec les pasteurs de cette ville, de l'oeuvre importante qu'ils ont à accomplir, des victimes immolées à Paris, de leur constance dans la foi et de leur glorieux martyre. Puis ces fidèles serviteurs en viennent à parler de la nécessité de rallier toutes les églises de France par un symbole commun, d'exprimer, mieux qu'on n'avait pu le faire jusqu'alors, cette grande et admirable manifestation de l'Esprit de Dieu, arrachant, dans une infinité de lieux, un grand nombre d'âmes aux erreurs romaines et les transportant ainsi des ténèbres dans la lumière. Le même Evangile, le même Dieu a opéré ces prodiges; les églises en auront une conscience plus nette, plus précise, par une confession unanime de leur foi, et, dans l'occasion, elles pourront dire au monde, à leurs ennemis, aux magistrats : Voilà ce que nous croyons, et, par une discipline commune, puisée dans la Parole divine : Voilà comment nous vivons.

Après de sérieux entre tiens et de ferventes prières, de Chandieu et ses compagnons d'oeuvre sont bientôt d'accord. Mais comment s'y prendre ? Par voie de délégations. Chaque grand groupe d'églises choisira ses mandataires dans le but indiqué. Où les réunir? Dans une ville de province? Impossible. Un nombre un peu considérable de ces hommes mis hors la loi, rassemblés dans un lieu peu peuplé, attirerait inévitablement les regards des inquisiteurs, et quelle capture pour le clergé de Rome ! Il n'est qu'un centre un peu sûr, une ville où l'étranger se perd dans la foule: c'est Paris, Paris, où les bûchers sont en permanence, la ville où résident la cour et les plus acharnés ennemis de toute réforme. La prudence leur impose ce choix; mais aussi quelle foi, quel courage chrétien chez ces défenseurs de la vérité ! Le 26 mai prochain est le jour fixé. Aussitôt une circulaire est rédigée; elle renferme toutes les données ci-dessus: l'urgence d'une confession de foi et d'une discipline qui fussent les mêmes pour toutes les églises, le lieu, le jour de la réunion, la nomination des représentants; ce sera le premier synode général des églises réformées de France. Des messagers dignes de confiance partent. L'appel est compris.

Dans la dernière semaine de mai de l'an 1559, arrivent à Paris des députés de Saint-Lô, Dieppe, Angers, Orléans, Tours, Poitiers, Saintes, Marennes, Chatellerault, Saint-Jean-d'Angely. Ils sont peu nombreux, mais ils le sont assez pour atteindre au but proposé. Les autres églises, ou trop éloignées, ou non prévenues, ou dans l'impuissance de se faire représenter, recevront une copie du travail du Synode, l'examineront et s'y rallieront avec joie.

La session s'ouvre sous le regard protecteur du vrai Chef de l'Eglise, Jésus-Christ. La présidence est remise au collègue de Chandieu, au vénérable pasteur Morel, ancien gentilhomme, qui a préféré l'opprobre de son Maître aux honneurs du monde. Après quatre jours de prières, de supplications, de délibérations dirigées par la plus entière obéissance aux saintes Ecritures, une confession de foi, puis un résumé des règles de conduite dans l'église, sont rédigés, adoptés pour être offerts à l'acceptation des troupeaux. Dans la première sont proclamées les vérités capitales de l'Evangile, puisées uniquement dans la Parole, à l'exclusion de tous les errements dans lesquels le papisme avait entraîné les peuples. Voilà ce que les églises, rendues au christianisme apostolique, professent de croire. Non-seulement elles ont rompu avec le romanisme ou autres sectes anti-chrétiennes, mais , de plus, elles reconnaissent l'Ecriture divinement inspirée comme leur seule règle de foi; Dieu comme leur Créateur; Jésus-Christ, Dieu manifesté en chair, comme l'unique Sauveur et Médiateur; le Saint-Esprit, comme le consolateur et le régénérateur des âmes, et toutes les autres doctrines qui constituent le véritable christianisme. Dans la discipline sont posés les principes d'après lesquels l'Eglise est en marche: troupeau des fidèles, composé de ceux qui ont la foi évangélique ; nomination par l'église, d'anciens, de pasteurs chargés de paître, de surveiller ces âmes; diacres appelés à s'occuper des nécessiteux, des malades; consistoires, presbytères on conseils d'anciens; colloques ou réunions des consistoires les plus voisins; synodes provinciaux, ou assemblées de délégués des colloques; enfin, au sommet de cette organisation, synodes généraux- composés des députés des synodes des provinces; égalité la plus complète entre les pasteurs, comme entre les églises; point de prééminence nulle part, rien de cette hiérarchie papale qui enlève aux troupeaux leurs droits, constitue un état-major à des titres divers, et, à sa tête, un pape. Le système presbytéral des églises réformées, le seul que nous sachions voir dans les églises fondées par les apôtres, concilie deux éléments qui doivent toujours être réunis: la liberté et l'ordre, l'ordre et la liberté. Presbytères et synodes, conseils d'anciens et réunions de leurs délégués, ce rouage qui n'a rien d'opposé ni à l'esprit ni à la lettre des Ecritures, était admirablement propre à fondre ces 'deux conditions de vie et de progrès.

Le synode de Paris, ayant terminé son oeuvre, la soumit aux églises, et toutes y adhérèrent.


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Un conseiller au Parlement.

1559

 

À peine les délégués au synode ont-ils regagné leurs foyers qu'un nouvel orage éclate encore à Paris. La populace et les prêtres, dans la rue Saint-Jacques, avaient crié: « Mort aux hérétiques ! » Le roi, se rangeant du côté des meurtriers, pousse le même cri. D'après lui et ses conseillers intimes, le parlement, gardien des libertés, ne se montre pas assez résolu dans l'exécution des édits. Là, dans ce noble corps, tout respect pour l'humanité, pour la conscience, pour l'ordre publie, n'est pas entièrement détruit. Plusieurs de ses membres voudraient qu'on usât de modération, et, si possible, qu'on cherchât à rallier les deux cultes au moyen de quelques réformes ou concessions mutuelles ; d'autres demanderaient, au contraire, une répression plus énergique. Un petit nombre seulement, parmi lesquels Anne Dubourg et Louis Faur, protestent contre toute persécution, sont pleinement entrés dans la voie de la vérité et convertis de coeur à l'Evangile.

Anne Dubourg, né en Auvergne, en 1521, était fils d'Antoine Dubourg, chancelier de France sous François 1er, et par là même avait devant lui un glorieux avenir. Après avoir exercé quelques années la profession d'avocat, tout en ayant reçu l'ordination de diacre, il était entré comme conseiller-clerc dans le parlement de Paris. Anne Dubourg se distinguait par ses connaissances en matière de lois, de droit-canon ou lois de l'église, et encore plus par la droiture de son esprit et sa profonde horreur pour l'effrayante tyrannie et les aberrations du clergé. L'ayant vue de très près, en sa qualité de clerc, il avait jugé que l'Eglise de Christ n'était point celle du pape, et que ce n'était pas du côté des suppliciés pour crime d'hérésie que se trouvait l'hérésie. En plusieurs occasions, il s'était prononcé contre les auto-da-fé, et sa piété éclairée, en harmonie avec celle des victimes de l'inquisition, ne pouvait manquer d'attirer sur lui la haine de l'adversaire.

En août 1559, Henri II se rend au parlement et ordonne à chacun des conseillers d'émettre, séance tenante et devant lui, son avis sur les mesures à prendre contre les novateurs, pour mettre un terme aux différends. Les romanistes forcenés, autant pour plaire au roi que par aveuglement personnel , demandent qu'on dresse sur tous les points de la France des bûchers et des échafauds; d'autres répudient de tels moyens, et s'élèvent avec un saint courage contre la corruption du clergé et contre les édits de persécution. Le conseiller Faur va jusqu'à dire en face du roi : « Craignez qu'on ne dise de vous comme autrefois Elie à Achab: C'est toi qui troubles Israël. » - Henri Il frémit de colère, mais se contient.

Anne Dubourg, un des plus jeunes conseillers, prend à son tour la parole; son visage est calme, mais sa bouche va dire des vérités qui soulèveront une violente tempête : « Il est des hommes, dit-il, qui commettent contre les lois plusieurs crimes dignes de mort, des blasphèmes, des adultères, des débauches de toute espèce, et ces crimes restent impunis, malgré leur énormité tandis qu'on demande des supplices contre des gens à qui l'on ne peut reprocher aucun crime. » C'était lancer, sans le vouloir peut-être, un trait contre le roi lui-même, dont la vie adultère était assez connue. 

Le fidèle conseiller continue : « Peut-on en effet imputer le crime de lèse-majesté à des hommes qui ne font mention des princes que dans leurs prières, et pour appeler sur eux la protection du Très-Haut? On sait parfaitement qu'ils ne sont pas séditieux ; mais on affecte de les regarder comme tels parce que, s'appuyant sur les saintes Ecritures, ils ont arraché tout prestige à la puissance romaine et exposé au plein jour la turpitude d'une église qui penche vers sa ruine; parce qu'enfin ils demandent de salutaires réformes, qui, seules, peuvent ramener l'Eglise à sa dignité primitive. »

Henri II, blessé au vif, foulant aux pieds l'inviolabilité du parlement, fait aussitôt saisir Dubourg et Faur, et les jette à la Bastille, prison d'état. 

Trois jours après , Dubourg est interrogé. Dans ses réponses, il se montre non-seulement très instruit dans les Ecritures, habile juriste, mais, ce qui est plus rare encore , chrétien solide et confessant sa foi, la même que celle des Leclerc, des Pivanne, des Milon, des De Luns, et de tous ces disciples de Christ qui ont péri dans les flammes. Du Bellay, évêque de Paris , et l'inquisiteur Desmocharès le déclarent hérétique , c'est-à-dire digne de la peine du feu. Dubourg en appelle à l'archevêque et on le reconduit en prison. 

A ce moment survint un incident des plus graves, qui aurait pu changer la France, si la France n'eût pas été livrée entre les mains de l'antichrist. Dans la séance où Anne Dubourg avait fait entendre un si noble langage et avant tout jugement, Henri II, oubliant le serment qu'il avait fait lors du supplice du tailleur, s'était promis de voir de ses yeux celui du conseiller. Cette infernale joie ne lui fut pas accordée. Pendant que les prisonniers priaient dans leurs cachots , le roi jouait dans un tournoi. Montgomeri, un de ses courtisans , le blesse involontairement à un oeil Aussitôt le roi , souffrant d'atroces douleurs , est transporté dans son palais. Sa conscience est bourrelée; il s'écrie : « Ils sont innocents; Dieu me punit de les traiter si mal. » « Rassurez-vous , Sire, lui dit le cardinal de Lorraine un de ces Guise qui furent le fléau de la France , rassurez-vous ; de telles pensées ne sont que des suggestions du démon. » Tout l'art des médecins fut inutile ; le mal ne fit qu'empirer, et, au bout d'un mois, ce cruel prince expira en laissant le trône à son fils, François II, enfant de 16 ans.

Le parti antiréformiste, sous l'influence des Guise, fait bâter le procès de Dubourg. L'accusé rédige un long mémoire pour l'envoyer au parlement; c'est un réquisitoire complet, serré, de la plus haute éloquence, contre la papauté et ses flagrantes déviations du christianisme apostolique. Ses amis, ayant eu connaissance de cette pièce , pénètrent auprès du prisonnier et le supplient de tenir un langage moins précis et moins périlleux. Dubourg est sur le point de céder; il prend la plume et va modifier son mémoire , lorsque le pasteur Marlorat parvient aussi à pénétrer dans là prison, relève le courage du martyr et lui démontre que l'acte destiné au parlement doit rester tel quel, et que le chrétien ne peut mettre la chandelle sous le boisseau. Le détenu , un instant ébranlé, comprend son pasteur et fait remettre au conseil la première confession de foi qu'il avait écrite.

Le parlement, sourd à la voix de la justice et de la vérité, le condamne à être « pendu et guindé à une potence, en la place de la Grève; au-dessous sera fait un feu où le dit Dubourg sera jeté, brûlé et consumé en cendres; ses biens seront confisqués, suivant les édits du roi. »

Deux jours après, les Parisiens, accoutumés à ce genre de spectacle, accouraient en foule. Le martyr marche à la mort en priant Dieu à haute voix de pardonner à ses juges égarés, et proteste qu'il meurt pour la doctrine de l'Evangile. - « Nous fondions en larmes, » raconte un témoin oculaire, jeune alors, Florimond de Rémond, plus tard un des chroniqueurs acharnés contre la réforme; « nous fondions en larmes dans nos collèges , au retour de ce supplice , et nous plaidions sa cause après son décès; nous maudissions ces juges iniques qui l'avaient injustement condamné. Son prêche en la potence et sur le bûcher fit plus de mal que cent ministres n'eussent su faire.


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Trois frères.

1559

 

Parmi les gentilshommes qui partageaient les convictions de Dubourg, étaient trois frères, tendrement unis et que des directions diverses conduisirent au même but : la pleine possession de la vérité. C'étaient comme trois nacelles lancées sur une mer en tourmente et qui, après bien des avaries, se rencontrent au même port.

Odet de Châtillon, d'une des plus anciennes familles nobles de France, avait à peine 16 ans, quand il fut nommé cardinal par Clément VII. C'était en 1553. Bientôt après, il est nommé archevêque de Toulouse et prieur (chef) d'un grand nombre d'abbayes. Ses revenus ecclésiastiques étaient si considérables qu'il céda à ses frères tous ses biens patrimoniaux. 

Le jeune archevêque fit plusieurs séjours à Rome. Tel que Briçonnet, mais avec plus d'énergie et de constance, Odet, de retour de la ville papale , veut opérer des réformes dans son diocèse. Ils étaient rares, les prélats qui tentaient résolument d'expurger l'Eglise. Odet, loin d'être secondé par son clergé et par ses collègues , ne trouve en eux que des adversaires ou des lâches. Nommé membre de l'inquisition que le cardinal de Lorraine tentait d'établir en France, Odet décline ce triste honneur : nouveau grief contre lui. Indigné des traitements infligés aux victimes de la rue St. Jacques, au noble Dubourg, il se met à lire pour lui-même ce livre auquel les martyrs en appellent sans cesse. A Bauvais (Oise), son palais épiscopal s'ouvre à des assemblées de culte, à ces hérétiques proscrits; on y prêche, on y célèbre la sainte cène. Un jour, pendant le service, une émeute se forme à la porte du palais; un maître d'école, réformé, placé sous la protection d'Odet, est massacré lui-même est sur le point d'être mis en pièces par cette foule qui ne voit plus dans son archevêque qu'un apostat.

Cette guerre déclarée faite à l'Evangile, sous le commandement du pape, le profond aveuglement de son clergé, pénètrent Odet de douleur; il est de plus en plus convaincu que la vérité ne peut être le partage d'un parti qui recourt à de telles armes; il dépose sa mitre épiscopale et prend le titre de comte de Beauvais.

L'ex-archevêque se range du côté des opprimés. Affreux scandale aux yeux du pape ! Odet et sept autres évêques français, suspects d'hérésies , sont cités devant l'inquisition à Rome. Odet brave la fureur du pape et contracte mariage avec Elisabeth de Hauteville. 

La France était toujours plus entraînée dans le parti des Guise, princes de Lorraine, tout dévoués à Catherine de Médicis, mère du jeune roi. Les Guise aspiraient au trône, et faisaient de leur opposition à la Réforme un instrument pour parvenir à leur fin. Telle fut une des principales causes des guerres civiles en France. Durant ces conflits, Odet fut envoyé auprès d'Elisabeth, reine d'Angleterre, pour réclamer son appui contre l'ambition des princes lorrains. Il allait rentrer en France, en 1571 , lorsqu'il périt, empoisonné par un de ses valets.

Gaspard de Coligny, frère d'Odet, joua un rôle bien plus important que celui de ce dernier. Appelé à un rang éminent dans l'armée du roi, il déploya, dans maintes Occasions, les plus rares talents militaires, et n'eut jamais en vue que l'indépendance et la prospérité de son pays. Il fut fait prisonnier par les Espagnols à la bataille de Saint-Quentin ( 1557) et conduit au fort de l'Ecluse , puis à Gand. Durant sa détention, Coligny lut avec fruit la Bible et plusieurs écrits sur les grandes questions qui agitaient alors la chrétienté. L'indomptable patience des réformés jetés dans les cachots ou sur les bûchers , inspira à cette âme généreuse une vive sympathie. Au sortir de sa captivité, en 1559, il se rangea ouvertement sous l'étendard de la Réforme. Coligny, avec sa foi nette , son caractère intrépide, sa prudence calme, ses moeurs pures, éloignées du faste, est un des plus nobles caractères que nous offre la France. Nous le rencontrerons plus tard en butte à la fureur des Guise et des autres adversaires de l'Evangile.

D'Andelot, de cinq ans plus jeune que Coligny, fut amené un peu plus tôt que lui à la connaissance de la vérité. Entré, comme son frère, dans la carrière des armes, il s'illustra aussi de bonne heure par des prodiges de valeur. En 4551, il est fait prisonnier en Italie et enfermé dans la forteresse de Milan. C'est là , dans la solitude de la prison, qu'il lit quelques-uns des ouvrages de Calvin et découvre l'effrayante distance qui sépare Rome du véritable christianisme. La méditation de la Parole de Dieu, accompagnée d'humbles et ferventes prières, lui apprend quel est le chemin du salut. Aussitôt il fait part de ses nouvelles convictions à ses frères et les conjure de suivre son exemple.

En 1556, Andelot recouvre sa liberté et confesse sans crainte sa foi. Un ministre de l'Evangile, Gaspard Carmel, l'accompagne dans ses vastes domaines en Bretagne. La Bonne Nouvelle y est proclamée par ses soins; des églises se fondent. Le cardinal de Lorraine l'accuse d'hérésie, et le dénonce à Henry II. Le roi estimait, aimait Andelot; mais les instances du fougueux cardinal l'emportent sur l'estime et l'amour. Henri fait venir auprès de lui ce dangereux hérétique. Celui-ci arrive.

- Que pensez-vous de la messe? demande le roi.

- Je la tiens pour une invention des hommes, répond le gentilhomme.

Henri II, furieux, saisit le premier objet qui lui tombe sous la main (les uns disent une pique, d'autres, un plat) et le lance à la tête du noble colonel. Il le manque et le coup atteint et blesse le jeune dauphin. Doublement irrité, le roi fait saisir Andelot et ordonne qu'on le conduise dans les prisons de Meaux. Le pape Clément VII blâma le roi et le cardinal de Lorraine de n'avoir pas fait brûler sur-le-champ cet impie, qui avait osé mal parler de la messe.

Au bout de plusieurs mois de détention, Andelot sortit de prison , sous condition qu'il assisterait à une messe célébrée dans sa chambre. Il y consentit, au grand scandale des chrétiens évangéliques. L'infatigable et fidèle Calvin lui écrivit, de Genève, en juillet 1558 : « Vous savez comment de pauvres âmes débiles ont été troublées d'un tel scandale et combien de gens pourront prendre pied à votre exemple. Et quand ce mai ne serait pas d'avoir ruiné ce que vous avez édifié, ce n'est pas une offense petite ni légère d'avoir préféré les hommes à Dieu.... Mais le principal est que les ennemis de la vérité ont eu de quoi faire leurs triomphes, non-seulement d'avoir ébranlé votre foi, mais d'avoir fait approuver leurs abominations Puisqu'il est question d'une constance qui surmonte le monde, recourez à Dieu, le priant qu'il vous fortifie. »

Andelot suivit ces salutaires réprimandes, reconnut sa faute, en gémit, et, jusqu'à sa mort, ne cessa de la déplorer.


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Complots.

1560

 

N'y a-t-il pas, dans ce pur Evangile, repoussé par Rome, une force, une vitalité surhumaines, puisque tous les efforts dirigés contre lui ne font que démontrer l'impuissance et l'iniquité des adversaires ? On ne combat que ce qu'on redoute. La lutte acharnée, sans fin ni terme, que la papauté a engagée contre le christianisme primitif, dénote qu'elle le craint; elle le craint parce qu'elle y voit le renversement d'une tyrannie de l'homme par l'homme , et l'affranchissement de ce qui distingue l'homme de la brute, la conscience. 

Jusqu'ici nous avons rencontré partout ces deux athlètes : le chrétien et l'antichrétien: le premier ne reconnaissant, en matière de religion, qu'un maître, Jésus-Christ ; le second courbant le front sous la main d'un homme. Celui-ci a beaucoup de sectateurs ; sa morale est complaisante; le salut qu'il donne s'acquiert sans trop de renoncements ; l'autre a compris ce mot prononcé par son Sauveur: « Je suis venu chercher ce qui était perdu ;» il le croit et se donne à lui.

Vous avez remarqué de plus, que ce n'est ni la science mondaine, ni la richesse, ni les faveurs des rois, qui s'opposent invinciblement à la vraie et solide conversion du coeur : l'Eglise réformée, qui est celle de l'Ecriture, s'est recrutée dans les cours, aussi bien que dans les chaumières ; sans cela serait-elle l'église de Jésus-Christ ?

Vous venez de voir Coligny et ses frères. Ils n'étaient pas les seuls seigneurs qui fussent détachés des erreurs dominantes et résolus à marcher dans la vérité. Plusieurs autres possesseurs de magnifiques fiefs marchaient sur leurs traces. D'autres, sans partager leurs convictions religieuses, étaient d'accord avec eux dans leur répulsion contre le parti des Guise. De là une guerre sourde ; puis un complot qui avait pour but de les expulser de France, ou tout au moins de rendre au roi sa liberté et aux princes légitimes leur place dans l'état. Ainsi la politique se mêlait à la religion ; du côté des Lorrains, agents dévoués du pape, c'était encore l'argile mêlé au fer, selon la prophétie de Daniel ; du côté de quelques amis de la liberté des cultes, C'était une vive résistance aux menées de l'ambition qui voulait le maintien du papisme.

Prévoyant un coup de main de la part de leurs adversaires, les Guise se retirèrent, avec François II, au château d'Amboise (Indre et Loire). Des conjurés voulurent leur enlever le roi. Parmi eux étaient peu de réformés dans le vrai sens du mot. Les Coligny se tenaient en dehors de ce projet. Plus tard seulement, lorsque l'anarchie sera à son comble, on les verra prendre les armes pour défendre leur roi, leur vie et leurs droits.

La conjuration d'Amboise échoua. Douze cents conjurés, assaillis par les troupes royales , que les Guise avaient habilement disposées, périrent dans d'affreux supplices. L'un d'eux, le baron de Castelneau, partisan secret de la réforme, entendant prononcer le jugement qui le déclarait criminel de lèse-majesté , s'écria : « je suis innocent de ce crime. Si c'est un crime de lèse-majesté d'avoir pris les armes contre des étrangers, infracteurs de nos lois et usurpateurs de l'autorité souveraine, qu'on les déclare donc rois. C'est à ceux qui me survivront à prendre garde qu'ils ne ravissent la couronne aux princes du sang royal. La mort va me délivrer de cette crainte; je ne dois plus tourner mes pensées que vers une meilleure vie. »

Pendant ces luttes intestines, qui proprement sont étrangères à l'histoire de la réforme, la foi évangélique poursuivait ses conquêtes. Ni les bûchers dressés par François 1er, ni les massacres de la Provence, ni les édits écrits avec du sang, ni les tueries sous Henri II, ni les calomnies du clergé, ni les foudres des papes, n'avaient pu arrêter cette immense révolution religieuse, qui devait arracher à l'antichrist romain la moitié de ses sectateurs. Vers la fin du court règne de François Il, le culte réformé commença à prendre une position mieux appropriée aux besoins des populations. A Nîmes, Montpellier, dans le Dauphiné, le Languedoc, le Poitou, la Normandie, la Bourgogne , le culte protestant put être publie; on le tint dans les temples, d'où l'on enleva les idoles et les insignes romains, comme aux temps de la première propagation de l'Evangile dans les Gaules. Dans plus d'un endroit, cette révolution s'opéra brusquement, avec violence, sous le poids d'une inimitié profonde des rites légués par nos ancêtres païens. Telle était l'exaspération des esprits, que de part et d'autre on méconnaissait ce qu'on proclame aujourd'hui dans les pays de liberté, les droits des consciences, même des consciences mal éclairées. Les romanistes recouraient à la force ; trop de partisans d'une réforme y recoururent aussi. Mais , parmi ces derniers, les plus sages désapprouvaient hautement ces voies de fait et comprenaient qu'une rénovation plus lente, plus intelligente, aurait été plus durable, parce qu'elle aurait été plus solide et plus profonde.

La destruction des images, l'invasion d'édifices publics regardés comme sacrés, portèrent à leur comble la rage d'un clergé déchu et des fauteurs des persécutions. Dans le Dauphiné, dont le duc de Guise était le gouverneur, les troupes du duc, commandées par Maugiron, se jetèrent sur Valence, Roman, et les pillèrent ; deux pasteurs et plusieurs protestants notables furent mis à mort.

Aussitôt, des représailles. Des troupes de réformés, conduites par les gentilhommes Montbrun et Mouvans, repoussent celles du duc, saccagent des églises et font subir à des prêtres les mêmes supplices qu'on avait infligés aux deux ministres. 

C'était donc la guerre civile, la plus odieuse de toutes les guerres : des citoyens d'un même pays, de la même ville, du même hameau, des parents, des frères, armés les uns contre les autres ! Que c'est horrible ! Quels sont ceux qui en furent les premiers promoteurs ? Vous venez de le voir.

Effrayé d'un tel spectacle, le conseil du jeune roi veut y mettre un terme, et convoque à Fontainebleau, en août 1560, une assemblée nommée assemblée des notables, où se trouvent des représentants des deux partis. La réunion offrait un aspect imposant, mais peu rassurant : François II et Marie Stuart, son épouse, sa mère, Catherine de Médicis, dont l'astucieuse politique est une des causes de ruine, une foule de cardinaux, d'évêques, les Guise, mis en présence de quelques rares défenseurs de la vérité ; que peut-on en attendre? Le brave et pieux Coligny présente au roi et à Catherine, de la part des réformés , une supplique exposant leur foi, leur pleine soumission au pouvoir légitime, et demandant la faculté de célébrer leur culte à huis-ouverts. Deux prélats, plus éclairés, plus tolérants que leurs collègues, Mont-Luc, de Valence , et Marillac, de Vienne, dépeignent les hideuses plaies dont l'Eglise est couverte et font l'éloge des ministres protestants. lis demandent un concile universel, et, dans le cas où le pape s'y opposerait, un concile national. C'est reconnaître la nécessité d'une réforme. Les membres les plus avancés de l'assemblée des notables, Coligny lui-même, ne rêvent qu'une unité de culte ; ils ne peuvent se faire à la pensée qu'il y ait en France plus d'une forme de religion. 

La grande majorité repousse ou ajourne l'idée d'un concile, et l'on décide de convoquer d'abord les Etats-généraux, composés des représentants des diverses provinces, de la noblesse, du clergé et des bourgeois, ou tiers-état. On ne les convoquait que dans des circonstances rares et de la plus haute importance , et encore le despotisme d'une part, les divisions intestines de l'autre, ne permettaient jamais de connaître dans ces assemblées la véritable volonté du pays.

Les Etats-généraux ne devaient s'assembler qu'en décembre. Dans l'intervalle, les Guise et leurs partisans recoururent à leur tactique habituelle : des arrestations, des assassinats. Le prince de Condé, un des soutiens du parti réformiste, fut brutalement, et sans forme de procès, jeté en prison ; l'assassinat de son frère, Antoine de Bourbon, fut décidé ; le roi, prince de 18 ans, devait, dans une entrevue, en donner le signal. Le projet meurtrier manqua , et , peu après , François Il mourut par le poison. Il n'avait régné que 17 mois.

Son frère, âgé de moins de 11 ans, monta sur ce trône entouré de tant d'affreux conflits. On lui donna le nom de Charles IX. Sous ce triste règne, l'arène des guerres civiles, qui venait de s'ouvrir, s'élargira de plus en plus.

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