Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Les assemblées évangéliques.

1551

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Les assemblées des chrétiens évangéliques se tenaient le plus souvent de nuit, pour échapper aux poursuites des prêtres et de leurs agents. Le culte était simple, sans ornement, en esprit, en vérité, comme celui des chrétiens primitifs ; les fidèles les plus affermis célébraient la sainte cène selon l'institution apostolique. En rejetant les erreurs romaines en matière de foi , ils rejetaient, par là même, les formes, les pratiques qui s'y rattachent: plus d'adoration d'images, d'invocation des saints ; plus de messes payées, d'indulgences achetées à prix d'argent, puisqu'ils avaient en eux le témoignage du Saint-Esprit, et qu'ils lisaient dans l'Ecriture qu'il ne faut adorer et servir que Dieu seul, et que le sang de Christ nous purifie de tout péché ; plus de confessions aux pieds d'un homme, ni d'absolution mensongère demandée à un prêtre, puisqu'ils lisaient dans l'Ecriture que c'est à Dieu et à ceux qu'on a offensés qu'il faut confesser ses péchés ; plus de barrière entre eux et la Parole de leur Père céleste, puisqu'ils savaient que ce divin trésor de grâce et de lumière a été donné de Dieu pour que tous y puisent la lumière et la grâce.

Mais tous les partisans de la réforme n'étaient pas conséquents avec eux-mêmes ; il y avait les timides, les indécis, et la foule plus grande encore des romanistes négatifs, de ceux qui, tout en rompant avec des croyances absurdes, ne saisissaient pas, ne pratiquaient pas les vérités chrétiennes. N'en est-il pas encore de même aujourd'hui ? - D'autres aussi se jetaient plus ou moins ouvertement du côté de la réforme, par pure haine pour l'oppression, la tyrannie cruelle des chefs de l'état et de l'église dominante ; d'autres, par une répugnance instinctive envers un clergé corrompu, orgueilleux, gorgé de richesses et pressurant le pauvre peuple. Ainsi, quoique le mouvement réformiste comptât, en apparence, de nombreux amis, les vrais et sincères réformés, c'est-à-dire les vrais disciples de Jésus-Christ, formaient le petit nombre. Il y avait comme toujours, et selon la Parole du Seigneur , beaucoup d'appelés, mais peu d'élus. 

Quant à la vie, aux moeurs des évangéliques, plusieurs historiens catholiques n'ont pu s'empêcher de leur rendre un éclatant témoignage. De l'aveu de ces écrivains , ennemis décidés de ce qu'ils appelaient la nouvelle religion, les moeurs des bons réformés étaient d'une pureté qui tranchait avec la corruption générale. Ils se distinguaient par leur loyauté, leur tempérance, leur éloignement de tout plaisir frivole ; leur respect pour le nom de Dieu, leur charité, leur amour pour l'ordre et le travail, leur soumission aux lois, sauf à celles qui leur interdisaient ce que Dieu lui-même nous commande. Leur foi se traduisait dans leurs oeuvres. En les persécutant, le roi et le clergé frappaient en aveugles la portion la plus honnête, la plus morale des habitants.

Les prêtres, les moines convertis à l'Evangile, les prédicateurs, les instituteurs étaient surtout en butte aux poursuites de l'adversaire. Ainsi, le principal du collège de Clermont, en Auvergne, le docteur Claude Monnier, d'un caractère fort doux , avait puisé dans la Parole de Dieu une connaissance vivante de la vérité. Forcé de quitter Clermont pour éviter les rigueurs de l'édit, il parcourt les contrées voisines et répand la bonne semence. Telle est toujours une foi réelle ; elle est expansive, et nous porte à faire pour les autres ce que le Seigneur a fait pour nous , à chercher les âmes, à les prévenir, à leur dire : « Voilà le chemin du salut; il n'y en a pas d'autres. Venez-y. »

Monnier, brûlant du désir de l'annoncer à ses compatriotes, visite, les chaumières de l'Auvergne ; mais, là encore, le parti prêtre ne le perd pas de vue, et Monnier, s'il veut sauver sa vie sans renier sa foi, doit passer la frontière ; il arrive à Lausanne, où, vous vous en souvenez, l'idolâtrie papiste avait été officiellement abolie. Il y séjourne quelque temps , mais, soit mal du pays, soit regret de manquer de persévérance dans son oeuvre en France même, il quitte la Suisse, descend le Rhône, et le voilà à Lyon. 

Lyon, depuis bien des années, renfermait un bon nombre de personnes complètement en dehors des aberrations romaines. Vous n'avez pas oublié les travaux du fidèle Valdo, au XII ème siècle. Ne pensez pas que tous les germes de la vérité eussent été arrachés après le départ de ce vaillant confesseur de Jésus-Christ. Déjà en 1524, les prêtres s'agitaient à la vue de ces âmes, qui, en grand nombre, leur échappaient pour se réfugier dans une foi pure et simple en Jésus-Christ. Quatre ans plus tard s'y était tenu un concile provincial ; l'évêque de Mâcon, qui présidait, en l'absence de l'archevêque de Lyon, avait exposé les motifs de cette convocation : envahissement de l'hérésie ; nécessité de pourvoir à la réforme des moeurs chez le clergé et dans le peuple; anathèmes terribles contre tout changement en matière de religion. Vains efforts; la tyrannie papale révoltait de nobles esprits; les massacres de Meaux , l'introduction de plusieurs brochures évangéliques, le séjour de quelques hommes éminents attachés de coeur à la saine doctrine, l'action secrète de l'Esprit-Saint, qui voulait reformer à Lyon un peuple de vrais adorateurs, d'autres causes encore, avaient dissipé bien des ténèbres. En 1536, Calvin, Louis du Tillet , Pierre et Bertrand de La Place y avaient passé quelque temps avant de se rendre à Genève, et leur exemple , leurs instructions, n'avaient fait qu'affermir les disciples dans la bonne voie. Lyon, appelé de bonne heure à une position brillante dans le commerce et l'industrie, en suite d'une ordonnance du roi Charles VII, en 1453, renfermait , à l'époque de la réforme, une petite colonie de Suisses évangéliques.

En 1549, plusieurs négociants de ce pays-là, presque tous des cantons réformés, jouissaient de privilèges importants, et, ce qui valait mieux encore, d'une haute réputation de probité. Leur qualité d'étrangers et de citoyens d'une république qui, plus d'une fois, s'était mesurée avec de puissants états , les mettait peut-être aussi à l'abri des vexations. En 1551, le mouvement réformiste était assez prononcé pour que le 23 juin de cette année-là, dans une séance consulaire, Hugues de la Porte signalât l'accroissement des assemblées calvinistes : « Quelques-uns, disait le rapporteur, prétendent que ces hérétiques menacent de piller les maisons; d'autres, au contraire, disent que ces gens-là sont très austères de moeurs, et qu'ils veulent ramener la religion telle qu'elle était au temps de St. Pothin, avant que le clergé dissolu l'eût altérée et gastée. » Mais revenons à Monnier.

Arrivé à Lyon, l'année même de ce rapport, il ouvre une école et enseigne à ses élèves les saintes Lettres. Les réformés de cette vaste cité sont heureux de l'entendre. Monnier seconde Fournelet, pasteur de cet intéressant troupeau. Mais il ne peut longtemps éviter les griffes des persécuteurs. Un jour, c'était le 5 juillet 1551, pendant qu'il était dans la demeure d'un de ses frères en la foi, à l'évasion duquel il avait pourvu, les sbires arrivent, le saisissent et l'entraînent dans les prisons de l'archevêque. Le lendemain, il comparaît devant les juges et confesse hautement sa foi. Reconduit dans son cachot, il écrit à ses frères un résumé de cet interrogatoire, où nous lisons ces paroles dignes des premiers chrétiens: » Courage, mes frères, courage ! marchez hardiment, ne les craignez point Qu'on se garde

bien, sous peine de la hart (corde), de changer ses armes contre celles de fer. Le fer , le bras, la chevalerie , ni aucune force humaine n'ont point de place en la guerre chrétienne. Laissons cela aux tyrans. » - Les réformés ne songeaient point encore à défendre leur sainte cause avec des armes charnelles. Monnier languit quatre mois dans les prisons de Roanne (Lyon), et, le 30 octobre, il fut brûlé vif sur la place des Terreaux.


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Encore des martyrs à Lyon.

1552

 

Deux ans après le martyr de Claude Monnier, Lyon fut le théâtre d'un auto-da-fé plus horrible encore.

Au printemps 1552, cheminaient sur la route, de Genève à Lyon six voyageurs, dont cinq venaient de Lausanne, où ils avaient étudié sous la direction de Bèze et de Viret. C'étaient de jeunes Français, pleins du désir de porter à leurs compatriotes l'heureuse nouvelle qu'ils avaient trouvée dans l'Ecriture. Tout en marchant dans cette route tortueuse qui, tantôt borne le Rhône, tantôt s'élève sur les flancs des monts, ils s'entretenaient sur leurs futurs travaux, et, sans méfiance aucune envers leur compagnon de voyage, ils aimaient à parler de leur long séjour sur les bords du Léman , du bon accueil qu'ils avaient reçu des réformateurs genevois. L'étranger ne perd pas un mot de leur entretien et paraît applaudir à leur projet d'aller évangéliser la France.

- Où voulez-vous aller loger, leur demanda-t-il en franchissant les portes de la ville?

- Aux Trois poissons, et de là nous continuerons notre route.

- Venez vous reposer chez moi demain; puis vous pourrez repartir.

- Dans quel quartier?

- A Ainay.

Le lendemain , ils se rendent chez cet aimable compagnon de route, qui n'était autre qu'un espion des prêtres. Pendant le dîner, survient le prévôt Poullet, suivi de sergents.

- Vos noms et votre lieu d'origine ? demanda le prévôt.

- Martial Alba, de Montauban; Pierre Escrivain, de Boulogne-sur-Mer; Bernard Seguin, de la Roële; Charles Faure, de Blanzac; Pierre Navihères, de Limoges.

- Liez-les, dit Poullet à ses gens. 

Nos voyageurs n'opposent aucune résistance. Garrottés deux à deux, comme de vils malfaiteurs, ils sont aussitôt conduits en prison. Le même jour, un juge les interroge; le lendemain , nouvelle comparution et ordre de mettre par écrit leur profession de foi : ce qu'ils font en toute simplicité chrétienne.

Quelques jours après arrivent des moines qui les somment de renoncer à l'hérésie. Sur leur refus, les juges ecclésiastiques les condamnent à la peine du feu et les livrent au juge civil pour exécuter la sentence. A l'ouïe de cet arrêt, un des condamnés, Pierre Escrivain dit: « Nous savons bien que nous ne sommes pas tombés entre vos mains à l'aventure, mais par la providence de Dieu. Vous êtes ordonnés de Dieu pour être juges de notre cause; c'est pourquoi regardez maintenant comment vous jugerez, car si vous jugez mal, il y a un autre juge au-dessus de vous, qui en connaîtra et jugera selon l'équité. Il faudra que vous veniez quelque jour devant sa face, pour ouïr sentence contre vous, si vous condamnez sa Parole. Nous en appelons au roi comme d'abus. » 

En entendant ces mots, l'official est tout tremblant; il se promène dans la chambre et enfin s'écrie : « Vous en appelez au roi ! Votre appel est reçu. »

On les reconduit dans leurs cachots. Jusqu'alors ils avaient été dans des cellules séparées, mêlés à d'autres prisonniers ; mais, dans la crainte qu'ils ne pervertissent ceux-ci , ou les renferma tous les cinq dans la même prison. Quelle consolation pour ces jeunes martyrs d'être réunis et de pouvoir se fortifier les uns les autres dans la fidélité au Seigneur ! Deux autres détenus pour la même sainte cause, Pierre Bergier, pâtissier, et Loys Corbeil, étudiant, originaire de Vaud, furent jetés dans le même cachot.

Un des négociants suisses, Jean Lyner, St. Gallois, fut bientôt informé du procès intenté à ces détenus, qui, par leur longue résidence dans le canton de Berne, pouvaient être envisagés comme placés sous la protection de cet état, allié de la France. Lyner écrit sans délai aux magistrats bernois et les supplie d'intercéder auprès de la cour. Berne répond, le 12 juin : « Nous avons décidé d'écrire au roi, et, de n'épargner ni frais, ni peine, ni travail, pour leur délivrance et d'y mettre la plus sérieuse sollicitude. Nous désirons aussi que vous leur fassiez, de notre part et en notre nom, tout le bien possible, en sorte que, en prison, ils ne souffrent ni de faim, ni de soif. Vous nous rendrez par là un service agréable, que nous serons prêts à récompenser. (L'avoyer et ville de Berne.) »

Le procès dura plus d'une année. Dans cet espace de temps, les prisonniers écrivirent à leurs parents, à leurs frères en Christ, à Lyner, plusieurs lettres dictées par la foi la plus vive et la patience la plus touchante. Calvin et Viret leur en adressèrent de bien propres à montrer ce puissant amour fraternel qui rallie tous les enfants de Dieu. Toutes les démarches de Lyner, de la république de Berne, l'appel instant fait par cet état à la justice, au coeur de bronze de Henri II, ne servirent qu'à attester l'inexorable fureur du parti prêtre et le profond aveuglement du roi.

Enfin, le 6 mai 1553, un bûcher se dresse au milieu de la place des Terreaux. Les portes de la prison s'ouvrent et les cinq condamnés en sortent, couverts de robes grises, les mains et les pieds liés. Leurs corps amaigris, la pâleur de leurs traits dénotent les souffrances qu'ils ont déjà subies. Encore quelques instants et leurs âmes, blanchies dans le sang de l'Agneau, entreront dans l'éternelle gloire. Dans leurs regards est empreinte la paix des rachetés. Ils ne peuvent marcher ; on les hisse dans une charrette et là ils entonnent tous d'une voix le Psaume IX :

Sans cesse je te bénirai, etc.

Des escouades de moines et de soldats les entourent, et veulent leur fermer la bouche. Les confesseurs de Christ continuent, puis récitent à haute voix le symbole des apôtres. Le funèbre cortège a bientôt atteint le lieu du supplice. Au pied de l'échafaud, ils se donnent un dernier baiser un dernier adieu. Quel coeur n'eût pas été brisé à la vue d'un tel spectacle, si le fanatisme, la plus odieuse superstition, n'eût pas éteint tout reste d'humanité ! Par une sorte d'adoucissement, le bourreau passe au cou des condamnés une corde qui doit les étrangler avant que les flammes les atteignent ; la corde se rompt et les martyrs sont précipités tout vivants dans le brasier; on les entend encore s'écrier : « Courage ! mes frères, courage !.... » Un instant après on n'entendit plus que le pétillement du bois et des ossements de ces héros chrétiens. Les chants avaient cessé.

Aujourd'hui, à la place même où s'accomplissaient ces holocaustes commandés par la papauté, se dresse une magnifique fontaine d'où découlent de belles nappes d'eau. Combien de gens qui admirent ce monument de la civilisation moderne et qui ignorent que, il y a trois siècles, au lieu d'une onde limpide, c'était le sang des enfants de Dieu qu'on y faisait couler, et que, pendant plus de deux cents ans, le bûcher y consuma d'innombrables victimes de l'antichrist romain !

Le cardinal de Tournon, alors archevêque de Lyon, était un des grands pourvoyeurs de ces auto-da-fés. C'est à lui que fut dû l'insuccès de la noble intercession de Berne en faveur des cinq ministres de Jésus-Christ. Henri II, par politique, aurait peut-être cédé aux instances des magistrats bernois: de Tournon, fidèle à soin nom, l'en détourna. 

L'année suivante, Lyon eut encore plusieurs fois le triste honneur d'augmenter notre long martyrologe. Pierre Bergier, de Genève, simple artisan, avait partagé la prison de Martial Alba et de ses frères. Pouvant visiter les autres prisonniers, il eut la joie d'amener à la foi en l'Evangile un malheureux détenu pour vol, Jean Chambon, qui périt sous la roue. Bergier marcha à la mort avec le calme et l'espérance d'un vrai confesseur de la vérité. Les noms de Matthieu Dimonet, négociant, des gentilshommes de Marsac, du menuisier Gravot, exécutés à Lyon; ceux de Denis Peloquin, brûlé vif à Villefranche, et d'autres encore, sont, comme les précédents, gravés par le burin de l'histoire dans les annales de cette époque; ils le sont aussi dans le ciel.

Cependant des femmes, des vieillards, des enfants étaient restés dans la maison. Déjà la populace, toujours dirigée par des hommes en soutane, allait enfoncer les portes, lorsque Martine, le procureur du roi, arrive avec des archers en armes. A la vue de ces femmes en pleurs, de ces enfants suspendus au cou de leurs mères, Martine est ému jusqu'aux larmes; il voudrait les sauver tous, mais l'édit du roi est formel; tout ce monde inoffensif est arrêté, garrotté et traîné en prison, au milieu des injures, des huées, d'une foule égarée. Ils étaient au nombre de cent quarante, et des forcenés demandaient à grands cris qu'on conduisît sur-le-champ tous les prisonniers au supplice. 

Le lendemain trois d'entre eux comparaissent devant les juges; ce sont : Gravelle, avocat, qui avait reçu l'assemblée chez lui; l'instituteur Clinet, l'un et l'autre anciens de l'église de Paris ; une jeune veuve nommée De Luns, âgée de 23 ans. Ecoutons l'interrogatoire qu'on fait subir à la jeune dame :

- Vous ne voulez pas croire à la messe ?

- Je crois seulement ce qui est écrit au Vieux et au Nouveau Testament.

- Vous ne croyez même pas au sacrement de l'hostie?

- Je crois aux sacrements institués de Dieu, et Dieu n'a pas institué la messe.

- Depuis quand vous êtes-vous confessée au prêtre?

- Je ne sais, mais. tous les jours je me confesse à Dieu, comme il l'a commandé. Il n'y a aucune autre confession instituée par Jésus-Christ, parce que lui seul a puissance de pardonner les péchés.

- Priez-vous la vierge Marie et les saints?

- Je ne sais d'autre oraison que celle que Dieu m'a enseignée, s'adressant à lui par Jésus-Christ. Je sais que les saints du paradis sont bienheureux; mais je ne dois leur adresser aucune prière.

- Que croyez-vous des images?

- Je ne veux leur porter aucune révérence.

- D'où avez-vous appris cette doctrine ?

- Dans le Nouveau Testament.

- Faites-vous distinction des viandes le vendredi et le samedi?

- Je ne mangerais pas de viandes ces jours-là, si je pensais blesser la conscience de mon prochain infirme ; mais la Parole de Dieu ne fait point de distinction pareille.

- Mais l'Eglise ordonne de la faire.

- Le pape ni l'Eglise n'ont le pouvoir de faire de telles ordonnances.

- Qui vous a ainsi instruite ?

- Je n'ai pas eu d'autre instructeur que le Nouveau Testament.

Quelle droiture, quelle fermeté, quelle intelligence dans toutes ces réponses ! Celles des deux autres prisonniers furent à peu près les mêmes. lis savaient d'avance ce qui les attendait: tant de supplices atroces avaient déjà eu lieu, qu'ils ne pouvaient ignorer qu'un sort pareil leur fût réservé. Mais, chez le chrétien, la crainte d'être infidèle au Seigneur l'emporte toujours sur toute autre crainte. Quant aux juges, rien ne put les fléchir ; ni les antécédents si honorables des accusés, bien connus par la pureté de leurs moeurs, ni la franchise avec laquelle ils confessaient hautement leur foi, ni l'âge, ni le sexe de la noble De Luns : tous les trois furent condamnés au supplice du feu, et, par un redoublement de barbarie qui ne se trouve que chez les sauvages, on leur coupa la langue, de peur que leurs paroles, sur le bûcher, ne vinssent exciter quelque pitié dans la foule.

L'exécution eut lieu le 27 septembre, ainsi après une détention de vingt-trois jours. Quatre autres victimes de la papauté, dont deux étudiants, périrent quelques jours plus tard du même supplice.

On allait procéder à celui des autres condamnés; les bûchers étaient prêts, lorsque les cantons réformés de la Suisse et les princes protestants de l'Allemagne, avertis par les réformateurs Farel et Calvin , intervinrent en faveur des détenus; on leur fit grâce de la vie et non de la liberté. Henri Il et ses complices avaient besoin de l'assistance de ces états contre l'Espagne. La France, outre la tache indélébile de ces affreux attentats aux droits les plus sacrés, subit encore la honte de céder à l'intervention étrangère. 

Ce qui se passait alors à Paris se répétait sur plusieurs points du royaume. Partout où le fanatisme clérical dominait, partout où les représentants du roi, les détenteurs du pouvoir, se courbaient sous cet exécrable joug, les prisons regorgeaient de confesseurs de Jésus-Christ, les bûchers se dressaient : des familles entières fuyaient une patrie cruelle aux meilleurs de ses enfants.

Ainsi tout semblait se liguer pour écraser la Réforme française encore à son berceau. La fureur des papes, la haine inexorable du clergé, les édits royaux, la corruption inouïe de la cour, la fréquence des supplices, un espionnage organisé, la rareté des ministres de la Parole, l'impossibilité à peu près générale de rendre publiquement culte à Dieu, l'émigration. forcée de milliers de fidèles, les confiscations, les primes séduisantes offertes aux délateurs, les calomnies sans fin des adversaires, rien ne manquait à cette coalition contre le triomphe des doctrines évangéliques.

Eh bien , ce fut précisément en face de ces formidables barrières que les chrétiens réformés firent preuve de la foi la plus ferme, la plus pure; c'est au sein de ces noires ténèbres que leurs églises brillèrent du plus vif éclat; c'est au milieu de ces violentes tempêtes qu'elles fixèrent le plus directement leur regard sur le divin pilote qui conduisait leur frêle nacelle. Le premier synode national tenu à Paris, vingt mois après les scènes de la rue St. Jacques, est incontestablement Pacte qui dénote le mieux et la haute intelligence des besoins de ces églises, et leur inébranlable assurance que le Seigneur était avec elles et pour elles.

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