Il est écrit: TA PAROLE EST LA VERITE(Jean 17.17)... cela me suffit !

Une procession à Paris.

1534

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François 1er était alors à Blois. Un matin, on aperçoit à la porte de sa chambre un écrit qu'une main téméraire n'a pas craint d'y coller. On s'approche, on lit. Oh ! horreur ! c'est un pamphlet à l'adresse des prêtres, un de ceux dont Paris est couvert. Quel est l'audacieux capable d'un tel attentat au respect dû au roi? Ce ne peut être qu'un ennemi des réformés ; jamais le fait n'a pu cependant s'éclaircir. L'accusation retombe sur eux. Le cardinal de Tournon, un des plus fougueux papistes, se trouve auprès du roi, dont il attise la colère. Ce n'est qu'un cri : « Mort, mort aux hérétiques ! Le roi l'ordonne ! »

A Paris, sur un ordre de la cour, le lieutenant criminel et ses agents se mettent aussitôt à la poursuite des réformés. En vain la plupart protestent qu'ils ne sont pour rien dans l'affaire des placards et même qu'ils s'y sont opposés de toutes leurs forces. Tous ceux qu'on peut atteindre sont conduits en prison. Féret, le grand coupable, et beaucoup d'autres sont en fuite.

Un pauvre paralytique, Barthélémy Milon, homme de foi, était immobile dans son lit. Tout à coup il entend des pas lourds s'approcher de sa chambre. Ce sont des gens-d'armes : ils lui crient : « Lève-toi ! »

- Impossible ; il faudrait un plus grand maître que vous pour me faire lever : Je suis paralytique. Que me voulez-vous ?

Pour toute réponse, les agents emportent le pauvre perclus et le jettent dans un cachot. Les prisons regorgent de victimes. Comment les mettre toutes à mort? Les matines de Paris, la St. Barthélémy, n'étaient pas encore là. On voulut du moins frapper un grand coup. Les Sorbonnistes, le clergé, tous les papistes fanatisés saisissent avec ardeur cette nouvelle occasion de tomber à bras raccourcis sur ces maudits hérétiques. Six des plus notables sont condamnés au supplice du feu : ce sont Milon, Valeton, receveur à Nantes et accidentellement en séjour à Paris ; Jean de Bourg, marchand drapier; l'institutrice de Laforge ; La Caselle et le maçon Poille, de Meaux. Si Roussel et ses amis eussent encore été détenus, à coup sûr ils auraient figuré en tête, de ces martyrs. Heureusement qu'une main puissante leur avait fait recouvrer la liberté et quitter Paris. 

Un supplice ordinaire ne suffisait pas : il fallait y joindre le pompeux spectacle d'une procession monstre. Le, 29 janvier 1535, toutes les rues de la capitale, les toits des maisons sont couverts d'une foule immense. Les portes de la cathédrale s'ouvrent; archevêques, évêques, cardinaux, revêtus de leurs insignes empruntés aux juifs et aux païens, moines, religieux sortent processionnellement; les reliques les plus vénérées, un morceau soi-disant de la vraie croix, un clou, un fragment de la sainte lance, la tête du roi St. Louis, attirent tous les regards. Voyez cette longue foule de dévots qui vont se délecter à la vue des souffrances infligées aux condamnés. Dans les rangs est toute la cour. Voilà François Ier, la tête nue, un cierge allumé à la main ; près de lui sont ses trois fils, les magistrats et les plus hautes notabilités de l'état. La procession serpente dans les rues et passé sur la place de Grève, où sont déjà garrottés les six confesseurs de Jésus-Christ.

Par un raffinement de barbarie, digne des cannibales, le bourreau couronné a fait couper la langue à ceux des martyrs dont on redoute de laisser entendre une seule parole. À l'approche du roi, l'estacade commence : chaque condamné est suspendu à une corde sur un brasier ardent ; afin de prolonger l'infernale fête, on lève, on baisse tour à tour le patient, on le rôtit à petit feu.

Les fauteurs de cette affreuse tragédie ne sont pas encore satisfaits. Le roi réunit ses gentilshommes et le clergé ; il prononce la peine de mort contre quiconque serait entaché d'hérésie et même contre ses propres enfants qui auraient le malheur d'en être infectés. Même peine contre les receleurs ou amis d'hérétiques; le quart des biens des condamnés est dévolu au dénonciateur.

Voilà où conduit l'aveuglement, en matière de religion. N'avions-nous pas raison de dire que François, qui aurait pu être le bienfaiteur, le régénérateur de la France, en fut le premier bourreau ? Le clergé, son complice, était l'âme de ces horribles exécutions; lui, le roi, en était le bras. Jamais le sol français n'aurait été arrosé du sang le plus pur, si le roi, protecteur-né de tous ses sujets, n'eût cédé aux funestes inspirations du pape et de ses milices. La voie fatale, la voie des supplices, plutôt que celle de la persuasion et de la tolérance, était toute large ouverte : la France n'eut plus qu'à y marcher. 

Vous vous souvenez de ce jeune athlète dont les travaux pour la foi évangélique occupent une si noble et si grande place dans la réforme en Suisse. Calvin était en France au moment de la fameuse procession de l'édit de janvier. Il put s'enfuir, ainsi qu'un bon nombre d'autres. Robert Olivétan, Clément Marot, poète distingué et traducteur de plusieurs de nos psaumes passèrent aussi la frontière. Douloureusement ému des odieuses calomnies répandues sur le compte des réformés, sur leurs croyances et leur conduite, Calvin prend la plume et, sept mois après l'édit, il fait paraître un chef-d'oeuvre de génie, fruit d'une science et d'une piété profondes: Institution de la religion chrétienne. Doctrine, foi, savoir, polémique serrée, éloquence, tout cela se trouve dans ce livre considéré encore aujourd'hui comme la plus belle production littéraire du XVIe siècle. Il la publia d'abord en français et l'envoya de Bâle, son lieu de refuge, au roi de France, avec une épître dédicatoire. C'était attaquer le lion dans son antre. Par cette épître, il réduit à néant les absurdes et mensongères accusations élevées contre la réforme. Il supplie le roi de ne détourner ni - ses yeux, ni ses oreilles, d'une si juste défense; « car, dit-il, il est question de si grandes choses, à savoir comment la gloire de Dieu sera maintenue sur la terre. »

Le roi prit-il la peine de lire cette apologie? On en doute. Entouré, comme il l'était, des suppôts de l'inquisition, en proie à un amour adultère pour la femme d'un de ses gentilshommes, il avait bien le loisir d'entendre la voix de la vérité ! Les ordonnances de sang étaient portées et les réformés ne devaient avoir recours qu'à Celui qui, du haut des cieux, veille sur son peuple et qui, tout en lâchant la bride à la fureur de ses adversaires, n'abandonne pas un instant ses enfants bien-aimés.



Anciens et nouveaux confesseurs de Jésus-Christ.

1536

 

L'édit du roi devait porter ses fruits. En avril 1536 un ministre des Vallées vaudoises du Piémont, Martin Gouin, revenait de Genève, où il avait été délégué auprès de Farel. Il était arrivé à Grenoble et allait regagner ses montagnes, lorsqu'il fut arrêté comme hérétique, et traîné en prison. Aussitôt des prêtres, des moines l'entourent et l'accablent de leurs anathèmes pour le faire apostasier. Il y avait à Grenoble et dans tout le Dauphiné un fort parti pour la réforme. Le vieil Evangile des Vaudois, en dépit des proscriptions papales, y compta toujours de nombreux adhérents. D'antiques et pures croyances avaient repris leur empire ; bien des âmes avaient secoué le joug écrasant de Rome. Cette masse, faible encore, inspirait cependant de sérieuses craintes aux exécuteurs de l'édit. Que faire de ce pasteur vaudois? Le brûler vif, ce serait soulever une portion du peuple. Le laisser partir, ce serait violer l'ordre royal. On trouve un moyen : Gonin périra dans son cachot. On lui administrera un poison et tout sera dit. - Pour ne pas éveiller l'attention des opposants, le corps du Vaudois fut jeté de nuit dans l'Isère.

Qui nous dira l'innombrable chiffre de ces victimes tombées dans l'ombre sous le fer, ou par le poison des partisans de Rome !

En Bourgogne, même acharnement. A Beaune, à ChâIon sur Saône, plusieurs des plus mal notés durent prendre la fuite. Dans le Vivarais, à Annonay, vivait paisiblement André Berthelin, adonné à son modeste trafic. Un jour, il se rendait à la foire de Lyon. Sur sa route se dressaient deux poteaux, placés en croix. Tout bon catholique romain s'agenouillait devant ce symbole. Berthelin, convaincu que Dieu interdit de se prosterner devant du bois ou de la pierre (Ex. XX), passe devant l'image, sans fléchir les genoux. Quelque agent du clergé l'a vu; c'en est assez : Berthelin est saisi, puis brûlé vit. 

Partout en France, dans la France d'alors, François 1er est obéi. A Toulouse était un inquisiteur fort zélé, nommé Louis Rochette. Tout en sévissant contre les hérétiques, il avait été frappé de la fermeté, du calme, des condamnés. Bien différent de ses confrères, il en vint à se dire - « Ces gens-là pourraient bien avoir raison. Voyons quelle est leur religion ! » Après bien des hésitations, il se met à lire un de ces écrits purement évangéliques que l'on voue aux flammes. Son esprit s'éclaire; son coeur est touché. Quelle affreuse découverte ! Jusqu'ici il a poursuivi les vrais membres du corps de Christ ! Ses victimes étaient donc des chrétiens, d'humbles disciples du Seigneur ! Aussitôt il est lui-même accusé d'hérésie; son compte est vite réglé. Jeté en prison, il est dégradé de son titre de prêtre; puis il subit le supplice qu'il avait prononcé contre d'autres. - A Agen, le Jacobin Jérôme Vindocin, converti à l'Evangile, eut la même fin. Ainsi, des prêtres, (les sectateurs sincères de la papauté, éclairés d'une lumière céleste, allaient joyeusement se joindre à l'armée des martyrs.

De Bèze, auteur de précieuses chroniques, et contemporain de tous ces actes de barbarie, rapporte encore le fait suivant, qui montre que l'esprit de la réforme gagnait tous les rangs. Un simple cultivateur de Réotier, en Dauphiné, savait à peine lire et écrire. Etienne Brun en savait pourtant assez pour pouvoir lire le Nouveau Testament et comparer ce qu'il enseigne avec l'enseignement romain. Non content de lire dans sa propre langue le Livre de Dieu, il cherche à se mettre à même de confronter la version qu'il possède avec la version latine admise par le clergé ; le prêtre de Réotier le harcèle, lui déclare hautement que la version française est falsifiée. Brun veut pouvoir lui répondre.

Le voilà étudiant avec une nouvelle ardeur le latin, et, au bout de quelque temps, il tiendra tête au prêtre. Celui-ci renouvelle ses attaques, et le paysan, les deux Nouveaux Testaments en mains, soutient que l'Eglise n'annonce pas la vérité pure, telle que Dieu l'a donnée. Pour tout argument, les prêtres le dénoncent et le font conduire dans les prisons de l'évêque d'Embrun. Là, il est circonvenu, séduit par de brillantes promesses ; il se rétracte.

Rentré dans son village, il reprend son trésor, le Livre de Dieu, échappé aux recherches des inquisiteurs. Le remords s'empare de son âme. « Tu n'as pas osé confesser Christ jusqu'à la fin, se dit-il; malheureux ! tu ne seras pas reconnu pour sien au grand jour du jugement ! » Arrêté de nouveau comme suspect d'hérésie, il n'a plus, honte de son Sauveur ; il est condamné au supplice du feu. Pendant qu'il est attaché au glorieux poteau, un fort vent détourne de lui les flammes. Le bourreau, impatienté, lui assène un violent coup de bâton. à la tête: « Pourquoi me frappes-tu, peut encore dire le martyr, puisque je suis condamné à être brûlé ? » Le monstre à figure humaine redouble ses coups, détache le patient du poteau et l'enfonce dans le brasier. Défense fut faite de parler de cette scène, sous peine de punition pareille.

Vous vous en souvenez, l'est et le midi de la France avaient toujours conservé des germes vivaces de la vérité évangélique. C'est là que le fanatisme romain devait porter les plus rudes coups. Depuis des siècles la Provence renfermait un nombre considérable de ces Vaudois qui n'avaient jamais reconnu le pape pour leur chef spirituel et pour qui l'avènement de la réforme en France, en Suisse, en Allemagne, fut le sujet d'une vive joie.

Longtemps poursuivis et martyrisés comme hérétiques, ils goûtaient, depuis quelques années, un peu de repos, lorsque, en 1535, une nouvelle croisade se souleva contre eux. La Bible, récemment traduite aux frais des Vaudois des vallées, par Robert Olivétan, se répandait de Genève et du Piémont dans les villes et les campagnes de Provence. Des gentilshommes, des magistrats, des artisans, des pâtres, se mettaient à la lire, et chaque jour s'accroissait le nombre des croyants. Comme d'habitude, les prêtres s'émurent et demandèrent que l'édit de janvier fût exécuté. Le roi, connaissant les moeurs paisibles et exemplaires de ces Provençaux, leur accorda un sursis de trois mois ; au bout de ce temps, ces vieux protestants devaient entrer dans l'Eglise de Rome.

Aussitôt ils envoient au parlement d'Aix et au roi une copie de leur confession de foi, toute fondée sur les Ecritures. François 1er se la fait lire et n'y trouve rien qui doive attirer sur ces gens-là les peines prononcées par l'édit. Etrange contradiction ! La foi des fidèles de Provence est la même que celle des réformés de Meaux, de Paris, de Toulouse, du Dauphiné, de la Bourgogne et de mille autres points du royaume. On brûle les uns; on épargne les autres. Les évêques frémissent ; le roi vient de prolonger le sursis. Ils recourent à un autre moyen, le seul qu'ils eussent toujours dû employer: la persuasion. Trois prédicateurs, des plus habiles, sont envoyés auprès des hérétiques pour les amener à l'Eglise. Quelle n'est pas leur surprise! De simples paysans, de fort jeunes enfants en savent plus qu'eux sur les matières religieuses. Les trois délégués convertisseurs se convertissent eux-mêmes au véritable Evangile.

Enfin, au comble de la fureur, les évêques accusent les habitants de Mérindol, de Cabrières et des environs, de vouloir se détacher de la France et s'emparer de Marseille. Le roi se rit d'une telle accusation ; mais il vient de faire avec Charles V un traité où le pape Paul III a mis la main ; les deux monarques, à l'instigation du pape, se sont engagés à extirper l'hérésie, l'un en Allemagne, en Espagne, en Belgique; l'autre en France, et le roi, étouffant la voix de la justice, de l'humanité, lève le sursis et ordonne l'exécution de l'édit.



Une croisade.

1545

 

Le parlement d'Aix avait alors à sa tête un homme altéré du sang des réformés, le baron d'Oppède, qui, paraît-il, avait à assouvir quelque vengeance particulière. Il rassemble de tous côtés des soldats mercenaires, formés au brigandage dans les guerres dont l'Italie fut sans cesse le théâtre. Le 12 avril 1545, Oppède met ses troupes en campagne.

La Provence, ainsi nommée par les Romains (Provincia), qui en avaient fait une de leurs premières conquêtes dans les Gaules, est un pays accidenté, s'étendant des Alpes à la Durance, au Rhône et à la mer. Dans la haute Provence, une foule de petits bourgs, de villages, sont construits sur des flancs de collines; dans une partie de la basse Provence croissent le citronnier, l'oranger, l'olivier, la vigne ; le long des fleuves et entre les méandres du Rhône est un sol inculte et graveleux. C'est dans les plus belles de ces contrées que le fougueux d'Oppède va porter la dévastation. Une bande de ses soldats se jette, comme un ouragan, sur le bourg de Cadenet; une autre sur Cabrierette, Papin, la Mothe, St. Martin : tout est massacré, hommes, femmes, vieillards, enfants. Quelques-uns seulement sont épargnés, pour aller ramer sur les galères du roi.

Le 17, Oppède poursuit ses faciles triomphes contre des populations qui ne se défendent pas; les villages de Lourmarin, Villelaure, d'où les habitants ont pu s'enfuir, sont livrés aux flammes. Le 18, ce chef de massacreurs arrive à Mérindol; il n'y reste qu'un pauvre idiot; les habitants sont épars dans les montagnes. L'idiot est pendu à un arbre et arquebusé, en guise de divertissement pour ces barbares. Le 19, Cabrières, bourg fortifié, est entouré de cette troupe enflammée par l'attrait du pillage et par le cri de son général : « Point de merci ! mort aux hérétiques » ! Les femmes, les enfants et les vieillards se sont réfugiés dans le temple. Une soixantaine. de paysans et trente héroïnes, commandés par Etienne Marroul, sont en armes derrière les portes du bourg ou sur les remparts. Oppède, pour en venir plus vite à bout, leur promet la vie, s'ils se rendent. Les assiégés croient à sa bonne foi et ouvrent leurs portes. Au même instant, ils sont hachés , le temple envahi, les enfants, les vieillards massacrés ou brûlés dans une grange où on les avait enfermés.

Les fugitifs de Mérindol erraient dans les montagnes couvertes de neige, sans pain, sans abri. Les plus valides gagnèrent les vallées du Piémont et purent joindre leurs frères en la foi ; d'autres périrent de misère. Un petit nombre, après le départ des massacreurs, se rapprochèrent de leurs cabanes en ruines, les relevèrent et peu à peu, l'on vit dans ces mêmes localités si horriblement dévastées, des adorateurs du vrai Dieu le servir selon sa Parole.

La nouvelle de cette affreuse boucherie retentit bientôt dans toute la France. Jusque là, il y avait eu des supplices, mais des supplices partiels et plus ou moins entourés de formes légales. Ici des populations en masse étaient mises en pièces, des villes, des villages, complètement détruits. Au fond telle était bien l'infernale demande, le but arrêté des instigateurs de l'édit: du pape et des prêtres. Mais le roi ne prétendait pas qu'on se livrât à de pareils excès. Informé des exécutions faites en Provence, François 1er voulait faire punir sur le champ Oppède et ses principaux officiers; le cardinal de Tournon, un des mauvais génies du temps, l'en dissuada. Cependant, comme toutes les règles de la guerre et les principes de la plus simple humanité avaient été foulés aux pieds, Oppède et quelques autres furent cités devant le parlement de Paris. Le procès dura cinq ans, et, grâce aux influences cléricales , le chef de cette razzia lut acquitté.

Les flammes que ce barbare avaient allumées en Provence furent comme autant de flambeaux qui jetèrent sur tout le royaume une sinistre et vive clarté. A l'horreur qu'inspiraient de telles atrocités, chez tout Français qui avait encore quelques entrailles de compassion , se joignaient les infatigables travaux des réformés. 

Dans toutes les provinces, dans les villes comme dans les hameaux reculés, la question religieuse agitait les esprits. Plusieurs se demandaient : Quel est donc le crime de ces gens-là? D'intrépides colporteurs leur répondaient en leur présentant les Livres saints imprimés à Genève, à Bâle, à Neuchâtel , en France même , en dépit de toutes les interdictions. Cette diffusion de la Parole de vie ne pouvait se faire qu'à travers de grands périls. Souvent les propagateurs se voyaient saisis et condamnés au dernier supplice ; d'autres prenaient leur place et continuaient leur oeuvre. Des moines, des prêtres, des gentilshommes, des artisans, éclairés par cette divine lumière, se rangeaient tout naturellement du côté de la Réforme; ceux qu'une même foi, les mêmes périls rapprochaient, se réunissaient en assemblées secrètes ; le plus pieux, le mieux doué ou le plus affranchi présidait ces réunions de culte , qui rappelaient celles de l'âge apostolique. Pendant que le fanatisme romain dévastait la Provence, surtout après cette odieuse croisade, des groupes nombreux d'évangéliques se formaient on s'accroissaient sur divers points du pays. Paris, Lyon, Nismes, Bordeaux, Toulouse, Rouen, la Rochelle, presque toutes les cités un peu importantes , les montagnes de l'Auvergne, des Cévennes, comptaient déjà des milliers d'âmes détachées de Rome et la plupart décidément converties à Jésus-Christ.

Si François 1er eût pu connaître la véritable situation du pays, il aurait vu l'impuissance de son édit. Mais tout autour de lui veillaient des hommes qui le trompaient, et qui lui dépeignaient sous les plus fausses couleurs tous ceux qui s'écartaient des rites romains, et ne voulaient suivre que les enseignements de Dieu. Les mauvais conseillers des princes furent toujours les artisans de toutes sortes de maux, et pour les princes, et pour les peuples.


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Un nouveau roi; une nouvelle loi de sang.

1547

 

Deux ans après les massacres de Mérindol, en mars 1547, François 1er mourait et allait rendre compte à Dieu de l'emploi qu'il avait fait de son pouvoir. Un écrivain moderne, M. Roederer, a bien dépeint ce roi, dont il flétrit « la vie crapuleuse, le manque de foi, les habitudes despotiques, l'esprit persécuteur, la cruauté de la tyrannie, le mépris des lois de l'état, les atteintes à la propriété par des impôts arbitraires, l'oppression des consciences, la férocité inouïe d'exécutions ordonnées contre des innocents. » 

Pendant les dernières années de ce règne plus désastreux que glorieux, Marguerite de Valois, soeur du roi, vivait dans ses états de Béarn, y protégeait la réforme et répandait parmi son peuple des germes féconds de prospérité. Les atrocités commises en Provence lui causèrent une sincère et vive douleur. En octobre 1549, elle remit son âme à Dieu, heureuse de se réfugier en Celui qui seul peut nous sauver.

Pour le malheur de la France , le trône échut au fils aîné de François, à Henri II, l'époux de Catherine de Médicis. Il avait 29 ans et ne possédait aucune des qualités d'un roi. Paresseux, ami du plaisir et de la débauche, il laissa à des intrigants le soin de se disputer le pouvoir et creusa l'abîme des factions. Vous le savez, Catherine était une Italienne et, par là même, adonnée aux arts magiques, à la sorcellerie, à l'astrologie, dont l'Italie était un des plus ardents foyers. Nièce du pape Clément , dont elle connaissait et partageait la haine contre toute innovation religieuse , elle n'eut pas de peine à attiser celle que son royal époux avait apprise à l'école du précédent monarque.

Le jour où Henri Il mit la couronne de France sur sa tête, il voulut inaugurer son règne par quelques-uns de ces supplices dont la cour, les prêtres et la populace se faisaient un jeu. Quatre réformés furent choisis, dans les prisons de Paris, pour cet auto-da-fé (acte de foi) ; c'est ainsi que le clergé romain appelait ces exécutions, par lesquelles, comme l'avait prédit le Seigneur Jean XVI, 2), un peuple égaré prétendait offrir un culte à Dieu.

Une des victimes était un tailleur, homme très versé dans les saintes Ecritures et d'une foi à toute épreuve. Avant le supplice, le roi se fit amener au Louvre le condamné, pour se donner le plaisir de le voir et de l'entendre. De nobles et belles dames, des prélats, de grands seigneurs entourent le roi. Le martyr paraît, lié de chaînes et conduit par des archers. L'ignoble favorite du prince, Diane de Poitiers, femme adultère, mais encensée par la cour, insulte le pauvre tailleur; des cardinaux et des prêtres s'évertuent à le convertir. Le condamné tient tête à tous. « Contentez-vous, dit-il à l'impure courtisane, d'avoir infecté la France, sans mêler votre venin et ordure en chose tant sainte et sacrée, comme est la vraie religion de notre Seigneur Jésus-Christ. »

Aussitôt le fidèle témoin de la vérité est conduit au bûcher, où l'attendent ses trois compagnons de supplice. Le roi, frappé de la hardiesse dont ce grand criminel a fait preuve, veut s'assurer de ses propres yeux si ce malheureux conservera le même calme au milieu des flammes. Il sort du Louvre et va se placer dans une maison voisine du lieu des exécutions, et se met à une fenêtre vis-à-vis de l'échafaud. Le martyr l'aperçoit , le reconnaît, fixe un instant ses regards sur lui, et va paisiblement sceller par sa mort sa foi au pur Evangile. Mais ce regard perçant , cette attitude calme et ferme, remplissent le roi de terreur; il quitte cette fenêtre où quelque atroce curiosité l'a porté, puis s'éloigne, en jurant qu'il n'assisterait plus jamais à un tel spectacle.

Que se passa-t-il dans l'âme de ce roi? Le remords, la crainte d'avoir fait périr un innocent? Non, mais le dépit, la honte de n'avoir pas pu faire fléchir un vil artisan devant la volonté d'un despote, et devant tout un clergé, maître absolu des consciences. L'humble chrétien, fort de la force de Dieu , avait vaincu un roi ; sa dépouille mortelle , réduite en cendres, était confondue avec les cendres du bois entassé par les prêtres ; mais sa foi avait triomphé. De là un redoublement de colère chez le parti vendu à l'erreur, ennemi acharné de la vérité telle qu'elle est en Christ.

Un nouvel édit aggrava la position des réformés. Celui de François 1er ne parut pas assez efficace à son fils et à ses conseillers. Par son édit signé à Châteaubriant (Loire inférieure) en 4551, il ordonne que les juges civils et les juges ecclésiastiques devront poursuivre le crime d'hérésie, de sorte que, si les accusés sont renvoyés absous par les uns, ils ne manqueront pas d'être frappés par les autres. De plus, cet édit porte que ce ne sera pas seulement le quart des biens des condamnés qui sera remis aux dénonciateurs, mais le tiers. Quel appât jeté à la cupidité, au fanatisme ! Bien plus, toutes les propriétés des émigrés, pour cause de religion, seront confisquées au profit du roi, interdiction complète d'écrire ou d'envoyer de l'argent aux fugitifs.

Ainsi Henri Il renchérissait sur la loi draconienne de son père; foulant aux pieds toute humanité, les droits les plus sacrés, les plus inviolables de la conscience , de la famille, de ce que l'homme a de plus cher, il faisait appel aux passions les plus viles , et élargissait la voie d'une atroce persécution. Les délateurs abondèrent et maint bigot, maint incrédule, convoitant les biens des réformés, purent à leur aise s'enrichir de leurs dépouilles. Des monastères, d'opulentes abbayes, grâce à la dénonciation d'un seul de leurs membres ou de leurs affidés, doublèrent, triplèrent leurs revenus.

Ce n'était pas assez de faire la guerre aux âmes , aux personnes, aux biens, il fallait encore la faire aux livres. « Il ne sera imprimé, ni vendu, disait l'édit de Châteaubriant , aucuns livres concernant la sainte Ecriture, faits depuis 40 ans en çà, que premièrement ils n'aient été vus et visités ; à savoir ceux qui sont imprimés dans les villes de Paris, Lyon , et autres villes où il n'y a pas de faculté de théologie ; où il y a faculté de théologie, par les docteurs et députés de ces corps. Comme en notre ville de Lyon, il y a plusieurs imprimeurs, et qu'ordinairement il s'y apporte grand nombre de livres étrangers, même de ceux qui sont grandement suspects d'hérésie, nous ordonnons que, trois fois Pan, il sera fait des visites dans les officines et boutiques d'imprimeurs, marchands de livres , par deux bons personnages d'église. » Tout écrit suspect devait être saisi et les détenteurs arrêtés et cités devant les tribunaux.

Quelque affreuse que fût la position des protestants, leur nombre se multipliait. Plusieurs fuyaient et allaient demander à l'étranger ce que la France leur refusait: la liberté de servir Dieu selon sa Parole. Plusieurs aussi tombaient entre les mains des adversaires, donnaient joyeusement leur vie, renonçaient à tout pour rester fidèles à leur Sauveur et à leur Dieu. 

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